Hostname: page-component-78c5997874-v9fdk Total loading time: 0 Render date: 2024-11-18T21:20:02.248Z Has data issue: false hasContentIssue false

La justice expéditive*

Published online by Cambridge University Press:  25 May 2018

Nicole Castan*
Affiliation:
Université de Toulouse–Le Mirail

Extract

Parler de justice expéditive, c'est évoquer immédiatement l'arbitraire ; c'était bien l'image qu'en avaient d'ailleurs les contemporains, animés d'une revendication nouvelle de l'égalité de tous devant la justice. La juridiction prévôtale, créée pour les déracinés, s'appuie paradoxalement sur la même force militaire que le Tribunal du Point d'Honneur, chargé des gentilshommes situés exactement à l'opposé de l'échelle sociale. Dès le xvie siècle, renforcée au xviie siècle et réorganisée au xviiie siècle, la Monarchie a mis sur pied cette justice exceptionnelle destinée à résorber les excès du système établi. A l'ordinaire, l'impératif du maintien de l'ordre, préoccupation constante des autorités, s'accommode d'un regard peu inquisiteur : l'administration, du moins pendant longtemps, fait confiance à la régulation spontanée ou banalement judiciaire, opérée au niveau de la société établie. Et si des révoltes paysannes ou des émeutes urbaines remettent en cause cet équilibre, l'armée, aussitôt dépêchée, finit toujours par rétablir un ordre jugé satisfaisant.

Summmary

Summmary

The powers of the exceptional courts, presided over by the Provost ofthe Maréchaussée, were, in the 18th century, increased to embrace the populations on the fringe of society, whereas the established classes were accountable to the ordinary courts. The Provost was awarded an armed force, the brigade of the Maréchaussée, indispensible in waging campains. His authority was extended to cover that most dangerous of ail agressors, the vagabond. His clientel, the “gallows-birds” came in overwhelming majority from the poor classes or those which were downwardly mobile: peasants without land, craftsmen without work, servants without a master, and from ail those fleeing the army or justice (pénal servitude, ban…). Paradoxically, they form a population mostly comprised of young men, many of whom are in their prime, forced out of their own milieu by demographic pressure or by economic mutations.

Relentless in its sentences without appeal and immediately executed (36 % forever eliminated from society), this is truly rapid justice. Rendered absurd by its lack of means, it could in fact no more than set an example.

Type
Les Domaines de l'Histoire
Copyright
Copyright © Les Éditions de l'EHESS 1976

Access options

Get access to the full version of this content by using one of the access options below. (Log in options will check for institutional or personal access. Content may require purchase if you do not have access.)

Footnotes

*

Je tiens à remercier le Centre de Recherches Historiques de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales qui a assuré le traitement informatique de ces documents dont les données numériques ont été remises à la réelle obligeance de M. Couturier et de ses collaborateurs.

Je dois également une grande reconnaissance à M. Higounet qui a accepté d'intégrer au programme du laboratoire de cartographie historique de Bordeaux la représentation graphique de cet ensemble que Mlle Bugat a réalisé avec une grande compétence.

References

Notes

1. Cf. le dispositif, décrit en Angleterre par Taylor, G., The problem of poverty 1660-1834, Londres, Longmans Google Scholar, « Seminar studies in history », 1969, p. 146, où la communauté secourt le pauvre reconnu, porteur d'un badge caractéristique et saisit pour l'expulsion, l'incarcération ou les « galleys » le vagabond étranger.

2. Archives Nationales, AB 384, 389.

3. Toujours signalée pour les femmes, rarement pour les hommes.

4. Inégalement indiqué jusque vers 1772 et, à partir de cette date, pour 33 à 58 % des cas selon les années.

5. L'Ordonnance criminelle de 1670, titre I, article 12, en dresse la liste, révisée par la déclaration de 1731 qui rend à la justice ordinaire l'assassinat prémédité.

6. Cette mesure est destinée à ne pas détourner les prévôts de leur devoir d'assurer la sécurité dans les campagnes.

7. D'Aguesseau, Œuvres, t. VIII, Mat. Crim., p. 314.

8. Les critères de reconnaissance du vagabond sont définis par la déclaration du 3 août 1764.

9. Seuls l'interrogatoire de l'inculpé et les dépositions des témoins livreraient des indices à cet égard, c'est dire qu'il faudrait avoir retrouvé la totalité de la procédure.

10. Boucheron, V., « La montée du flot des errants de 1760 à 1789 dans la généralité d'Alençon », Annales de Normandie, 21e année, n° 1, pp. 5686.Google Scholar

11. Deux cavaliers de chaque brigade de la maréchaussée doivent assurer chaque jour une tournée « sur les grands chemins, chemins de traverse ainsi que dans les bourgs, villages, hameaux, châteaux, fermes et lieux suspects du district de la brigade ». Ils arrêtent les vagabonds et contrôlent les suspects.

12. Métiers qu'ils exercent d'ailleurs à l'occasion.

13. Autres exemples de supercherie : se présenter comme devin et abuser de la crédulité ; en 1780, à Valenciennes, un « homme déguisé en cavalier de maréchaussée portant uniforme, épée et faux certificats » fait une quête sous prétexte que le produit était destiné aux déserteurs condamnés à la chaîne (des galères)». A Valence, en 1784, «sont arrêtés 2 vagabonds qui arrivent de Gênes sous l'habit de religieux avec de fausses lettres d'obédience fabriquées par un habitant du lieu connu pour en munir les étrangers ».

14. Les couples sont plus ou moins légitimes, mais c'est l'état de fait qui seul compte.

15. Les villes sont mieux défendues par leurs forces de police et par la présence des autorités ; des curés du Bas-Languedoc signalent, dans les paroisses situées sur la grande route, le passage de plus de 500 errants par an (A.D. 34, C 5955).

16. Cf. les Cahiers de Doléances qui expriment généralement le désir de réserver le secours aux vrais indigents, c'est-à-dire à ceux que l'on connaît sûrement parce qu'ils sont de la paroisse.

17. Au-delà d'un certain seuil, les collectivités et la maréchaussée, débordées, sollicitent l'intendant ou le commandant de la Province d'intervenir ; on expédie alors sur place des détachements de soldats qui doivent parfois soutenir de véritables batailles rangées.

18. Nous n'avons trouvé nulle part la signification de ces termes.

19. Cf. Brissot dans une de ses lettres : « on ne devrait jamais permettre de planter des bois dans ces bas-fonds nommés à juste titre coupe-gorges ».

20. Le vagabondage et le vol à main armée par exemple ; certaines accumulations de charges sont significatives : un violent de 28 ans, par exemple, de la région d'Autun, terrorise la communauté, maltraite son père et détruit des billets de créance. Tout cela est bon gré mal gré toléré jusqu'au jour où il se met à pratiquer le vol de chevaux : c'est l'occasion de la rupture avec le village qui le livre à la justice.

21. Il est bien entendu que les errants sont aussi des délinquants primaires ; cette intégration a été adoptée dans un souci de formulation abrégée.

22. En différenciant cependant les délits et crimes sexuels.

23. Le dépouillement exhaustif n'a pas été entrepris, parce que cette étude de la justice prévôtale a été menée à des fins comparatives ; il s'agissait, en effet, d'en confronter les résultats avec ceux obtenus dans le cadre d'une recherche sur la délinquance, la répression et le fonctionnement de la justice en Languedoc, qui repose sur le dépouillement de toutes les procédures criminelles subsistantes dans le fonds du Parlement.

24. On les reconnaît à leur teint basané, cheveux tressés pour les hommes, et langage différent.

25. De plus, le prévôt est incompétent pour toutes affaires concernant les gentilshommes, ecclésiastiques et officiers du roi.

26. Il faut évidemment tenir compte du fait que la classe d'âge des moins de 15 ans n'apparaît pas et que les plus de 50 ans se rencontrent moins dans le vagabondage qui requiert une certaine robustesse ; par contre, ils sont plus nombreux dans les hôpitaux et les dépôts de mendicité, les femmes aussi.

27. Comme les bandes de jeunes qui partent à la recherche de travail.

28. Cf. Guillaume, P. et Poussou, J.-P., Démographie historique, Paris, Armand Colin, « Coll. U », p. 31.Google Scholar

29. Elles vivent très souvent en état de concubinage.

30. La moyenne d'âge des vagabonds est cependant inférieure à celle observée dans les dépôts de mendicité ; à Lyon, 80 % des habitués ont plus de 50 ans et les femmes y sont majoritaires. Cf. Gutton, J.-P., La Société et les Pauvres; l'exemple de la généralité de Lyon, 1534-1789, Paris, Belles-Lettres (Bibliothèque de la Faculté des lettres et sciences humaines de Lyon), 1971, 504 p.Google Scholar

31. Parmi lesquels, 15 % de contumaces n'ont pu faire l'objet d'un signalement.

32. Par contre, aucune notation d'ordre culturel, sur le niveau d'instruction en particulier (par la signature par exemple). Tout au plus, sont précisées des particularités vestimentaires de certains groupes raciaux (les Bohémiens) ou sociaux (habillée en servante) ; les différenciations d'accents sont aussi toujours relevées comme des preuves d'identification et d'autant plus que le vagabond est sorti de son pays originel : accent provençal ou parisien… Cf. Chartier, R., « Les Élites et les Gueux. Quelques représentations (xvie-xviie siècles) », dans Revue d'hist. mod. et contemporaine (Marginalité et criminalité à l'époque moderne), juil.-sept. 1974, pp. 376389.CrossRefGoogle Scholar

33. Un exemple de signalement, celui d'une vagabonde en 1773 : « Beaumont Rosalie native de l'hôpital des Enfants Trouvés de Marseille ayant l'accent parisien âgée de 42 ans taille 4 pieds 6 pouces cheveux sourcils et yeux bruns teint basané nez gros bouche moyenne lèvres petites visage ovale peu de gorge front grand l'air méchant et fier mendiante valide déjà marquée de la lettre V sur les deux épaules ».

34. Ce qui n'empêche pas ce vagabond de 50 ans de mendier « avec des menaces de tuer et d'incendier ».

35. Le chirurgien doit toujours procéder à la vérification des épaules pour déterminer éventuellement la récidive. La marque tient lieu de casier judiciaire mais n'est pas une preuve absolue.

36. Les femmes ont évidemment une taille moins élevée ; sur un échantillon de 161 signalements féminins entre 1773 et 1790 :

37. Cette ordonnance réorganise la maréchaussée.

38. Cf. Georges et Geneviève Frêche, Les prix des grains, des vins et des légumes à Toulouse (1486-1868), Paris, P.U.F., 1967, p. 108.

39. Cf. Études et chronique de démographie historique, Paris, 1964, pp. 27 ss.

40. Cf. Yves-Marie BercÉ, Croquants et Nu-pieds, Paris, Éditions Gallimard/Julliard, «Archives», 1974, p. 55.

41. M. Sonenscher, « La révolte des masques armés en 1783 », dans Vivarais et Languedoc, XLIVe Congrès de la Fédération historique du Languedoc méditerranéen et du Roussillon, Montpellier, 1972, pp. 229 ss.

N.Castan, « Émotions populaires en Languedoc au xviiie siècle », 96e Congrès national des Sociétés Savantes, Toulouse, 1971.

42. Cf. de St Jacob, P., Les paysans de la Bourgogne du Nord au dernier siècle de l'Ancien Régime, Paris, 1960, p. 643.Google Scholar

43. E. Le Roy Ladurie, « Révoltes et contestations rurales en France de 1675 à 1788, dans Annales E.S.C., janvier-février 1974, pp. 6-22.

44. Il serait trop long de donner les résultats retenus pour ces 32 généralités et les 126 sièges prévôtaux et présidiaux ; nous n'avons retenu que les plus significatifs en ordre décroissant.

45. Le Roi réintègre les Parlements dans toutes leurs prérogatives et abandonne l'édit de 1788.

46. Les Parlements eux aussi accélèrent les informations et font passer le criminel au premier plan. Le Parlement de Toulouse, par exemple, bat tous ses records d'activité en 1789.

47. A d'autres endroits et principalement sur le pourtour du Bassin Parisien des attroupements de braconniers déjà signalés se livrent à un banditisme redoutable.

48. Déjà à Lyon, en août 1786, le présidial poursuit la répression d'une sédition d'ouvriers chapeliers approprieurs arrivés à Lyon (le meneur est condamné à la pendaison).

49. A Reims, on poursuit un colporteur qui vend des chansons et tient des propos séditieux aux habitants de la ville après les avoir rassemblés au son de la caisse ; à Épinal, des séditieux vont chez des gens pour les forcer à se joindre à eux et cassent les fenêtres de ceux qui refusent ; même chose à Rouen, où on ajoute « les menaces les plus effrayantes ».

50. Assaut et incendie du château de Meljac près de Rodez.

51. Dans le Cambrésis, des émotions populaires exigent la livraison de blés à prix modique « supposant des ordres du Roi » et tout autant l'exportation des grains.

52. Lefebvre, G., La grande peur, Paris, Armand Colin, 1970, pp. 269 Google Scholar.

53. A Reims, les étaminiers procèdent comme les toiliers de Rouen.

54. A Caen et à Rouen, à Tulle et à Limoges, en Rouergue et Périgord ; à Alençon, un attroupement se forme contre un château seigneurial, le force, exige les titres, les brûle avec excès contre le seigneur pendant qu'une partie des séditieux coupe et enlève le seigle encore vert.

55. Les zones les plus contaminées (Est et Sud du Bassin Parisien, Pays de la Saône, couloir rhodanien jusqu'à Valence) correspondent aux courants de la Grande Peur représentés par G. Lefebvre (pp. 199 et 200) et à la France surcriminalisée de la juridiction prévôtale, avec une anomalie toutefois : la remarquable et nouvelle activité du Nord-Est (Lorraine et Alsace) dans cette première année de la Révolution.

56. D'autre part, la disparition des juridictions d'Ancien Régime en 1790 a laissé en instance un grand nombre de procédures.

57. Répartition de la criminalité prévôtale en 1789-1790: total des inculpés, 861.

58. A Rouen, Lyon, Nantes, les maires eux-mêmes sont victimes d'émeutes violentes ; à Troyes (où Je maire est étranglé et son cadavre traîné dans les rues) et à Thann où il est conduit en prison, les fers aux pieds.

59. A Rouen, les ouvriers vont « briser plusieurs mécaniques ».

60. Dans toute l'Alsace, on pille les maisons de Juifs, on brûle leurs papiers et, à Colmar, on force la synagogue.

61. Les Cahiers de Doléances, s'ils réclament des moyens accrus pour la fonction de police de la maréchaussée, sont généralement opposés au maintien de son pouvoir de juridiction.

62. Il a été calculé que : entre 1780-1790, le Parlement jugeant l'appel de 437 ruraux de Guyenne inculpés au grand criminel (donc des délits d'une gravité analogue), a confirmé à 42,79 % les sentences de 1” instance, les a allégées à 39,59 96 et ne les a aggravées qu'à 17,62 96. Cf. J. Lecoir, « Criminalité et ‘moralité’ : Moutyon, statisticien du Parlement de Paris », dans Revue d'hist. mod. et contemporaine (Marginalité et criminalité à l'époque moderne), juil.- sept. 1974, pp. 445-493.

63. La mortalité est très forte dans les prisons dans les dernières années de l'Ancien Régime, à partir de 1788, en particulier, où les secours aux prisonniers ne sont plus organisés. Les détenus prévôtaux incarcérés dans les prisons du Sénéchal n'ont pas la facilité d'évasion qu'offrent les prisons locales, surtout seigneuriales.

64. Sur 3 768 accusés, 11 seulement (0,29 96) s'évadent et 15 96 sont jugés par contumace. D'autre part, en 1788 il est ordonné que tout jugement portant peine de mort ne peut être exécuté avant un mois pour une éventuelle intervention du Roi.

65. Faute de preuves suffisantes; 1788 fait exception avec un pourcentage de 15,19 % de procédures non terminées.

66. En 1764, il existe en France 100 sièges de baillis et sénéchaux ayant rang présidial, c'està- dire qu'ils jugent certains cas (analogues aux cas prévôtaux) en dernier ressort. A la différence des prévôts, ce sont des officiers de justice qui appartiennent au monde de la robe.

67. Dans Histoire Économique et Sociale de la France, t. II, Paris, 1970, p. 13.

68. Cf. Bertin Mourot, E., La maréchaussée en Bretagne au XVIIIe siècle, thèse dactylo- graphiée, Rennes, 1969.Google Scholar Muracciole, T., La criminalité de 1758 à 1790, d'après le fonds du présidial de Rennes, mémoire de maîtrise, Rennes, 1969.Google Scholar

69. En 1974, la gendarmerie nationale a des effectifs de 73 000 h répartis en 3 800 brigades : on estime qu'elle devrait disposer de 10 000 h supplémentaires.

70. Tout acte de banditisme à main armée, de violence, ou de meurtre crapuleux mène aisément son auteur sur la roue : deux mendiants auvergnats y sont condamnés en 1778, à Lyon, pour avoir menacé un particulier d'une épée et d'un fusil ; toute récidive, accompagnée de quelques circonstances aggravantes, mène aussi à la pendaison. Si le sacrilège s'ajoute au vol dans les églises où les troncs et les objets précieux attirent les convoitises, le supplice est encore plus grave : les chefs de la bande dite de « l'Enfant Bleu », qui sévit pendant plusieurs années dans les églises situées entre Bordeaux et Toulouse, sont ainsi condamnés à être brûlés vifs.

71. Jugeant en dernier ressort, il est à noter que le présidial est encore plus sévère que le prévôt, sans doute parce que la délinquance urbaine plus aisée à poursuivre est aussi plus dangereuse pour l'ordre public, la répression se doit donc d'être encore plus exemplaire ; par exemple, le présidial qui juge 14 % des inculpés, ordonne 17,96 % des condamnations à la roue (dans l'échantillon des 3 768 condamnés), 19,49 % des pendaisons, 18,95 % des peines de galères et de force à vie, mais seulement 11,45 % des libérations.