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Les théâtres de la violence à Paris au XVIIIe siècle

Published online by Cambridge University Press:  25 May 2018

Ariette Farge
Affiliation:
Centre national de la recherche scientifique Centre de recherches historiques
André Zysberg
Affiliation:
Centre national de la recherche scientifique Centre de recherches historiques

Extract

Dans la France des Lumières, de l'Aquitaine aux Flandres, la vieille criminalité de sang semble marquer le pas, définitivement. Dans les villes tout d'abord — et à Paris au premier chef —, puis peu à peu dans les campagnes, la répression judiciaire des crimes et délits commis contre les biens envahit littéralement les liasses de procédures, surtout à partir des années 1760-1770, reléguant à l'arrière-plan, dans le cul-de-sac du Petit Criminel, la menue monnaie des offenses, dés voies de fait, des rixes et des coups de bâton. Dans tel bailliage ou presidial, fin xvie-début xviie siècle, les violences et les meurtres alimentaient annuellement les 2/3 des procès ; un siècle et demi plus tard cette proportion ne se retrouve plus, parce que, désormais, 60 à 80 % des affaires portées à la connaissance des juges concernent des larcins, des escroqueries, des faux.

Summary

Summary

Urban violence, was a banal, everyday fact of life in the 18th century, but it does provide an indicator of the degree of febrility or protest in which the pre-Revolutionary population of Paris lived. A quantitative and qualitative analysis of complaints lodged with the “Petit-Criminel” also provides us with material for a study of the social composition of the lower classes and a glimpse of those everyday incidents around which conflicts crystallize, conflicts generally neglected by conventional social analysis. The Parisian theatres of violence, in the 18th century, were those in which life itself was lived : the cabarets, homes, workshops, the street. Violence was absent neither from leisure norfrom work ; and in general it occurred between members of the lower classes. It was aform of expression orsurvival, springing from ordinary incidents. One likely reason for the fall in the number of complaints for assault in the 18th century is that people fell into the habit of not lodging an official complaint, preferring to sort things out among themselves, in the presence of the policeman. We are more generally accustomed to hearing about a Paris engulfed in attacks on property ; it was also a city of brawls and crime.

Type
L'Espace Parisien
Copyright
Copyright © Les Éditions de l'EHESS 1979

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References

Notes

1 Lecuir, Jean, « Criminalité et ‘moralité’ : Montyon statisticien du Parlement de Paris », Revue d'histoire moderne et contemporaine, juil.-sept. 1974, pp. 445493.CrossRefGoogle Scholar

2 Pour la France, nous renvoyons le lecteur aux travaux de Nicole Castan et de Yves Castan sur la criminalité en Languedoc au xviiie siècle, aux articles des élèves de Pierre Chaunu (publiés de 1962 à 1972 dans les Annales de Normandie), au numéro de juil.-sept. 1974 de la Revue d'histoire moderne et contemporaine (« Marginalité et criminalité en France, xviie-xviiie siècles »). Mentionnons par ailleurs la constitution récente de l'International group for the study of history of crime and criminal law, qui réunit périodiquement des juristes, des sociologues et des historiens. Quatre colloques ont déjà été organisés par ce groupe d'études (mai 1977, février 1978, juin 1978 et janvier 1979).

3 Voir Abel Poitrineau, La vie rurale en Basse-Auvergne au XVIIIe siècle (1726-1789), Paris, 1965, qui évoque « la persistance en Auvergne d'un type archaïque de délinquance, caractérisé par l'importance toujours prépondérante des actes de violence corporelle» (p. 619). Sur les comportements violents en milieu rural, Gérard Bouchard, Le village immobile. Sennely en Sologne, Paris, 1971, cite de savoureux exemples (pp. 263-264 et 278-281). On peut comparer les remarques de ces deux livres, à propos de la violence rurale, avec l'article de Lorcin, Marie-Thérèse, « Les paysans et la justice dans la région lyonnaise aux xive-xve siècles », Moyen Age, 1968, p. 269 Google Scholar, et avec le livre de R. Vauthier, Le folklore pendant la guerre de Cent Ans d'après les lettres de rémission du Trésor des Chartes, Paris, 1965.

4 Le fonds du Petit Criminel du Chatelet de Paris (conservé aux AN dans la série Y) est très hétérogène. Il comprend des plaintes et des procès-verbaux (classés sans suite ou complétés par une information) pour des affaires de petite délinquance, mais aussi pour des crimes qui n'ont eu aucune suite au niveau du Grand Criminel; il comprend également des déclarations de grossesse illégitime (parfois accompagnées de plainte pour séduction), des informations sur les morts suspectes (il s'agit quelquefois de suicides), et des procès-verbaux d'arrestation de mendiants et de prostituées. Le Petit Criminel était un tribunal qui correspondrait aujourd'hui à une juridiction correctionnelle. Ce tribunal, après instruction d'une affaire par un commissaire de police et l'interrogatoire du prévenu, « es prison » par un conseiller du Chatelet, infligeait aux coupables des amendes et des peines de prison d'une durée presque toujours inférieure à un an. La trace de ces jugements figure rarement dans une procédure du Petit Criminel; il est ainsi difficile de savoir s'il s'agit d'une affaire qui a donné effectivement lieu à une condamnation (ou à une mise hors de cours), ou au contraire d'une affaire classée sans suite, parce que le plaignant s'est désisté, parce que le procureur a renvoyé les parties à se pourvoir (et que les parties n'ont pas voulu faire les frais d'une procédure), etc. Dans certains cas, la procédure conservée au greffe se réduit à une plainte ou à un procès-verbal d'un ou deux feuillets; mais très souvent la procédure contient une information (c'est-à-dire des dépositions de témoins) qui apporte toujours une excellente moisson de renseignements; elle contient aussi la supplique du prisonnier qui demande son élargissement (supplique apostillée par l'autorité judiciaire, qui permet de connaître la durée de la détention).

5 Kaplow, Jeffry, Les noms des rois. Les pauvres de Paris à la veille de la Révolution, Paris, 1974 Google Scholar, souligne le caractère non violent des comportements des pauvres de Paris, quand il écrit (p. 183) : « Pour cruel que pût être occasionnellement le pauvre, il était rare qu'il commît des actes de violence. » L'ensemble de notre article tend, bien au contraire, à montrer que le recours à la violence était un trait caractéristique de la culture et du mode de vie des classes populaires parisiennes (pauvres compris) au xviiie siècle.

6 Les données statistiques élaborées à partir du dépouillement des archives du Petit Criminel du Chatelet ne fournissent que des ordres de grandeur, sans plus, sur la saisie policière et la répression judiciaire de la petite délinquance, compte tenu de toutes les lacunes de ce fonds. Les chercheurs du groupe Pétrovitch, dans leur étude sur la criminalité à Paris dans la seconde moitié du xviiie siècle (Cahier des Annales, n° 33, pp. 187-261), ont bien souligné la fragilité de telles statistiques.

7 Nous avons utilisé un programme d'analyse factorielle des correspondances mis au point par Robert Abéhasséra (voir R. Abéhasséra, Programmes d'analyses factorielles sur calculateur de bureau HP 9825, E.H.E.S.S., Paris, avr. 1978).

8 Il est intéressant de comparer cette géographie avec celle étudiée par B. Geremek, Les marginaux parisiens aux XIVe et XVe siècles. Après avoir expliqué qu'au xme siècle, à Paris, la localisation de la richesse et de la pauvreté n'est pas toujours facile à établir, puisque l'une voisine avec l'autre (p. 89), B. Geremek note qu'à la fin du Moyen Age on ne peut pas parler de royaumes de miséreux, mais de « certains points de concentration naturelle des indigents » (p. 95).

9 La question de l'eau dans la ville a suscité de nombreuses études qui concernent l'urbanisme, l'architecture ou l'hygiène de Paris. Citons entre autres le travail de Bruno Fortier, « La maîtrise de l'eau », XVIIIe siècle (numéro spécial Le sain et le malsain), n° 9, 1977. Sur la sociologie des bords de Seine au xviiie siècle, signalons une recherche de maîtrise d'histoire, effectuée sous la direction de Daniel Roche : Gilles Picq, Maryse Pradines, Catherine Ungerer, La criminalité aux bords de l'eau à Paris au XVIIIe siècle, Université de Paris VII, juin 1978.

10 Il n'est pas un livre sur Paris qui ne mentionne l'effervescence propre aux Halles (voir, entre autres, Ranum, Orest, Les Parisiens du XVIIe siècle, Paris, 1968 Google Scholar)… Voir aussi deux articles parus dans le n° 9 de la revue XVIIIe siècle (op. cil) : F. Boudon, « La salubrité du grenier de l'abondance à la fin du siècle »; et Pierre Saddy, « Le cycle des immondices ».

11 L'absence ou la raréfaction des grandes émotions populaires, dans le Paris du xviiie siècle, incite l'historien à sous-estimer l'importance de la violence dans la société parisienne (voir les livres de Jeffry Kaplow et d'Orest Ranum, op. cit.). Nous retrouvons ici le problème des sources : le maniement et l'exploitation du fonds du Petit Criminel du Châtelet de Paris (on pourrait aussi mentionner les fonds d'archives de la bibliothèque de l'Arsenal) posent beaucoup de questions au chercheur; toutefois, ces archives montrent bien, au niveau du quartier ou de la rue, une effervescence populaire ou une prédisposition à la violence, qui joue un rôle essentiel dans la vie quotidienne de la ville au xviiie siècle; même si cette effervescence débouche assez rarement sur une émeute.

12 La Police de Paris en 1770. Mémoire inédit composé par ordre de G. de Sartine sur la demande de Marie-Thérèse, Mémoires de la Société de l'histoire de Paris et de l'Ile-de-France, pp. 1 - 131, t. V, Paris, 1879. Sur la police parisienne, voir aussi Marc Chassaigne, La lieutenance générale de police de Paris, Paris, 1906.

13 Mercier, Louis-Sébastien, Tableau de Paris, t. VII, pp. 138144, edition d'Amsterdam, 1783-1789.Google Scholar

14 AN, Y 9770, 22 juillet 1770.

15 AN, Y 9771, 21 août 1770.

16 AN, Y 9713, 6 septembre 1765.

17 AN, Y 9773, 26 novembre 1770.

18 Mercier, Louis-Sébastien, op. cit., t. IX, p. 129.Google Scholar

19 Delamare, Nicolas, Traité de la police, 4 vol. F°, Paris, 17131738.Google Scholar

20 AN, Y 9770, 22 juillet 1770.

21 Marana, Lettre d'un Sicilien à un de ses amis, introduction et notes de Dufour, rééd. Paris, 1883 (Promenades, p. 58).

22 AN, Q2 118 (Domaines nationaux, estimation d'une maison rue Saint-Antoine).

23 Terme désignant le palier au xviiie siècle.

24 Expression entendue au sens large, puisqu'il peut s'agir aussi de la famille illégitime.

25 AN, Y 9830, 16 juin 1775.

26 Il envoie les sergents du Guet arrêter le prévenu.

27 AN, Y 9656, 6 décembre 1760.

28 Castan, Voir Nicole, « La criminalité familiale dans le ressort du Parlement de Toulouse », Cahier des Annales, n° 33 (op. cit.), pp. 91107 Google Scholar; et aussi Lottin, Alain, La désunion du couple sous l'Ancien Régime. L'exemple du Nord, Lille, 1975.Google Scholar

29 AN, Y 9771, 2 août 1770.

30 AN, Y 9836, 16 décembre 1775.

31 AN, Y 9713, 29 août 1765.

32 AN, Y 9891, 15 juillet 1780.

33 AN, Y 9887, 9 mars 1780.

34 AN, Y 9895, 2 décembre 1780.

35 AN, Y 9774 (15 novembre 1770), Y 9708 (21 avril 1765), Y 9713 (3 septembre 1765).

36 Le terme « hazard » évoque ici le commerce de hasard, autrement dit la vente dans la rue d'objets ou d'effets usagés (surtout le commerce de fripperie).

37 AN, Y 9768, 19 mai 1770.

38 AN, Y 9709, 26 avril 1765.

39 AN, Y 9705, 6 janvier 1765.

40 Dossiers de «querelles de pauvres»: AN, Y 9707 (24 mars 1765), Y 9765 (24 janvier 1770), Y 9771 (21 juillet 1770), Y 9705 (17 janvier 1765) et Y 9709 (18 mai 1765).

41 Le cabaret et, d'une façon plus générale, tous les lieux de prédilection de la sociabilité populaire, commencent à susciter des travaux. Voir Jacqueline Lalouette, « Le discours bourgeois sur les débits de boisson aux alentours de 1900 », Recherches, n° 29, déc. 1977 (intitulé L'haleinedes faubourgs), pp. 315-347. Le livre de Alain Faure, Paris Carême-prenant, Paris, 1978, contient également de savoureuses remarques sur les marchands de vin parisiens.

42 Les jeux avec de l'urine ou avec des matières fécales sont très prisés, et suscitent à l'évidence de nombreuses querelles.

43 Delamare, Nicolas, op. cit., t. I, pp. 128129.Google Scholar

44 AN, Y 9710 (7 juin 1765) et Y 9716 (31 décembre 1765). Les réponses ou les justifications des hommes prévenus de port d'armes illicite sont souvent savoureuses : « A dit qu'il est vray qu'il est dans son tort de ce côté là; mais il avoit fait ses dévotions le dit jour et c'estoit pour cette raison qu'il s'étoit mis en épée » (Y 9708, 21 avril 1765). « Interrogé pourquoi il porte la canne… A dit que les jeunes gens sont quelquefois dans le cas de pécher » (Y 9709, 28 avril 1765).

45 Dossiers de duels de « petits bourgeois » : AN, Y 9774 (3 novembre 1770), Y 9709 (8 mai 1765), Y 9712 (24 août 1765). A comparer avec Biixacois, François, « Le Parlement de Paris et les duels au xviie siècle », Cahier des Annales, n° 33 (op. cit.), pp. 3347.Google Scholar

46 Dossiers sur la litigiosité entre population civile et population militaire : AN, Y 9775 (29 novembre 1770), Y 9705 (21 janvier 1765), Y 9774 (3 novembre 1770).

47 Mercier, Louis-Sébastien, op. cit., t. VI, p. 93.Google Scholar

48 AN, Y 9705, 6 janvier 1765.

49 AN, Y 9654, 3 septembre 1760.

50 AN, Y 9651, 9 mars 1760.

51 AN, Y 9766, 19 février 1770.

52 AN, Y 9707, 24 février 1765.

53 AN, Y 9767, 4 février 1770.

54 Mercier, Louis-Sébastien, op. cit., t. XII, pp. 196197.Google Scholar

55 AN, Y 9775, 13 décembre 1770.

56 AN, Y 9707, 27 mars 1765.

57 AN, Y 9765 (janvier 1770) et Y 9767 (15 mars 1770).

58 AN, Y 9706, 13 février 1765.

59 AN, Y 9707, 25 mars 1765.

60 AN, Y 9712, 29 juillet 1765.

61 Maffesoli, Michel et Pessin, Alain, La violence fondatrice, p. 19, Paris, 1978.Google Scholar

62 Chevalier, Louis, Classes laborieuses, classes dangereuses, pp. 533534, Paris, 1969.Google Scholar