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Attentes économiques et linguistiques et appui à la souveraineté du Québec: une analyse prospective et comparative*

Published online by Cambridge University Press:  10 November 2009

André Blais
Affiliation:
Université de Montréal
Pierre Martin
Affiliation:
Université de Montréal
Richard Nadeau
Affiliation:
Université de Montréal

Abstract

Why are Quebeckers favourably disposed or opposed to sovereignty? This choice partly depends upon the prospective evaluation of the costs and benefits of sovereignty and federalism. What are the relative contributions of economic and linguistic expectations in this choice? Does the impact of these expectations vary according to the time horizon in which they are set? The authors approach these questions from the perspective of the economic theory of voting and with the help of original measures of the determinants of support for sovereignty. They compare expectations of what would occur to the economy and to the French language were Quebec to become a sovereign country with expectations of what would occur if Quebec remained a province of Canada. These measures are taken from a survey of university students. Our logistic regression analysis shows that the implicit calculation of costs and benefits plays a significant role in the choice between sovereignty and federalism, and that economic expectations influence the formation of opinion to a somewhat greater degree than do linguistic expectations. Moreover, medium-term expectations are more important than short-term economic expectations and more important than long-term expectations about the situation of the French language in Quebec.

Résumé

Pourquoi les Québécois sont-ils favorables ou opposés à la souveraineté? Ce choix repose en partie sur l'évaluation prospective des coûts et des bénéfices de la souveraineté et du fédéralisme. Quelle est la part relative des attentes économiques et linguistiques dans ce choix? Le rôle de ces attentes varie-t-il en fonction de leur horizon temporel? Les auteurs abordent ces questions à la lumière de la théorie économique du vote et à l'aide de mesures nouvelles des déterminants de l'appui à la souveraineté, qui mettent l'accent sur la comparaison entre les attentes économiques et linguistiques des individus dans l'hypothèse d'un Québec souverain et les mêmes attentes si le Québec demeure une province canadienne. Ces mesures proviennent d'un sondage effectué auprès d'étudiants universitaires. L'analyse de régression logistique montre que le calcul implicite des coûts et des bénéfices joue un rôle non négligeable dans le choix d'une option, et que les attentes économiques influencent un peu plus la formation des opinions que les attentes linguistiques. De plus, les attentes de moyen terme sont plus déterminantes que celles qui portent sur l'avenir immédiat, dans le cas de l'économie, ou sur l'avenir éloigné, dans le cas de la langue

Type
Research Article
Copyright
Copyright © Canadian Political Science Association (l'Association canadienne de science politique) and/et la Société québécoise de science politique 1995

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References

1 Les études les plus récentes incluent ces deux interprétations simultaneément dans l'analyse. Voir en particulier: Pinard, Maurice, «The Quebec Independence Movement: A Dramatic Reemergence», Working Papers in Social Behaviour Montréal: Département de sociologie, Université McGill, 1992)Google Scholar; Meadwell, Hudson, «The Politics of Nationalism in Quebec », World Politics 45 (1993), 203241Google Scholar; Blais, André et Nadeau, Richard, «To Be or Not to Be a Sovereignist? Quebeckers' Perennial Dilemma», Canadian Public Policy 18 (1992), 89103Google Scholar; Blais, André et Gidengil, Elisabeth, « The Quebec Referendum: Why Did Quebeckers Say No? », communication présentée à la réunion de l'Association canadienne de science politique, Ottawa, Ontario, le 6-8 January 1993Google Scholar; Martin, Pierre, «Générations politiques, rationalité économique et appui à la souveraineté au Québec», cette REVUE 27 (1994), 345359Google Scholar; et Nadeau, Richard et Fleury, Christopher, «Gains linguistiques anticipés et appui à la souveraineté du Québec », cette REVUE 28 (1995), 3550Google Scholar.

2 En d'autres mots, nous soutenons que si l'appui à la souveraineté ne constitue pas une réponse à un calcul des coûts et des bénéfices pour tous les individus, de telles considérations affectent un nombre suffisamment grand d'éiecteurs pour qu'il importe d'en tenir compte. Pour un exposé de ce point de vue, voir Meadwell, « The Politics of Nationalism in Quebec ».

3 Ces bénéfices, qui peuvent être de diverses natures, sont généralement conçus comme les éléments d'une fonction d'utilité que l'électeur cherche à maximiser.

4 Voir en particulier Blais et Nadeau, « To Be or Not to Be a Sovereignist».

5 Sur le rôle de la question linguistique en tant que déterminant de l'appui à la souveraineté du Québec, Pinard, voir Maurice et Hamilton, Richard, «Motivational Dimensions in the Quebec Independence Movement: A Test of a New Model», Research in Social Movements, Conflicts and Change 9 (1986), 225280Google Scholar; Dion, Stéphane, «Explaining Quebec Nationalism», dans R. Kent Weaver, dir., The Collapse of Canada? Washington, D.C.: Brookings Institution, 1992), 77121Google Scholar; et Nadeau et Fleury, « Gains linguistiques anticipeés »

6 Sur la dimension comparative des choix politiques, Fiorina, voir Morris P., Retrospective Voting in American National Elections New Haven: Yale University Press, 1981)Google Scholar; Miller, Arthur H. et Wattenberg, Martin P., «Throwing the Rascals Out: Policy and Performance Evaluations of Presidential Candidates, 1952-1980», American Political Science Review 79 (1985), 359372CrossRefGoogle Scholar; et Nadeau, Richard, Niemi, Richard G. et Amato, Timothy« Prospective and Comparative or Retrospective and Individual? Party Leaders and Party Support in Great Britain » British Journal of Political Science 25 (1995)Google Scholar, à paraître. La dimension prospective, pour sa part, a été mise en évidence par Kuklinski, James et West, Darrell, «Economic Expectations and Voting Behavior in the United States House and Senate Elections », American Political Science Review 75 (1981), 436447CrossRefGoogle Scholar; MacKuen, Michael B., Erikson, Robert S. et Stimson, James«Peasants or Bankers? The American Electorate and the U.S. Economy », American Political Science Review 86 (1992)CrossRefGoogle Scholar; et Nadeau, Richard, Niemi, Richard G. et Amato, Timothy« Expectations and Preferences in British General Elections », American Political Science Review 88 (1994), 371383CrossRefGoogle Scholar.

7 L'horizon de long terme peut dépasser l'espérance de vie d'un individu si sa fonction d'utilité tient compte des effets intergénéiationnels des choix.

8 Le processus de formation des attentes et l'impact de ces attentes sur les choix politiques se situent au coeur d'un courant de recherches fécond et influent en science politique. Outre les travaux mentionnés à la note 6, les textes suivants reflètent l'importance accordée par les politologues à ces questions: Suzuki, Motoshi, «Political Business Cycles in the Public Mind», American Political Science Review 86 (1992), 989998Google Scholar; Sanders, David, Marsh, David et Ward, Hugh «The Electoral Impact of Press Coverage of the British Economy, 1979-87 », British Journal of Political Science 23 (1993), 175210Google Scholar; Haller, Brandon H. et Norpoth, Helmut, « Let the Good Times Roll: The Economic Expectations of U.S. Voters», American Journal of Political Science 38 (1994), 625650Google Scholar; Norpoth, Helmut, « Politics and Economic Expectations », communication présentée à la réunion annuelle de l'American Political Science Association, New York, September 1994Google Scholar; et Clarke, Harold D. et Stewart, Marianne C., « Prospections, Retrospections, and Rationality: The ”Bankers” Model of Presidential Approval Reconsidered », American Journal of Political Science 38 (1994), 11041123CrossRefGoogle Scholar.

9 Les données du sondage ont été recueillies par les étudiants d'un cours d'introduction aux méthodes de recherche en science politique, donné par André Blais à la session d'automne 1994. Au départ, un échantillon aléatoire de 60 cours dans toutes les facultés de l'Université de Montréal a été tiré. Les responsables du cours ont obtenu la collaboration de 45 professeurs qui ont accepté que le questionnaire soit administré dans leur classe. Pour une description de ce sondage, voir Blais, André, « Le sondage comme outil d'enseignement de la méhodologie», Bulletin de la Société québécoise de science politique (12 1994), 24Google Scholar. Une copie de la banque de données qui a servi à la réalisation de cette étude (format SPSS-Windows) peut être obtenue en communiquant avec les auteurs.

10 La question a fait l'objet d'une expérience. La moitié des questionnaires faisait exclusivement référence à la souveraineté du Québec, tandis que l'autre moitié précisait que la souveraineté signifie que le Québec se sépare du Canada pour former un pays indépendant. L'appui à la souveraineté est légèrement plus élevé dans le cas de la question 1. La différence chez les francophones n'est cependant que de 2 points de pourcentage et n'est pas statistiquement significative. Les néponses aux deux versions de la question sont combinées dans l'analyse qui suit.

11 Onze pour cent des étudiants ont indiqué que leur première langue apprise n'était pas le français et, parmi ceux-ci, 15 pour cent ont indiqué leur intention de voter Oui.

12 Pour ces trois variables, les étudiants qui disaient ne pas savoir ce que serait l'évolution de la situation dans l'un ou l'autre des deux scénarios politiques ont été regroupés avec ceux qui ne prévoient pas de changement. II est à noter que la plupart des étudiants qui disaient ne pas savoir quelle serait l'évolution dans un scénario donnaient la même réponse pour l'autre scenario.

13 À la différence des autres questions, celle-ci ne comportait pas de catégorie mitoyenne. Nous supposons done que les indécis sont ceux qui ne peuvent faire un choix entre les catégories « assez probable » et « assez improbable ». Ici aussi, ceux qui sont indécis dans un scénario ont tendance à l'être également dans l'autre.

14 Les analyses de l'impact des opinions, des attitudes et des attentes des Québécois francophones sur l'appui à la souveraineté retiennent généralement quatre variables de contrôle: ridentité (ou l'attachement au Québec et au Canada), le sexe, l'âge et la scolarité. Dans la présente étude, étant donné que l'échantillon est composé d'individus d'âge et de scolarité comparables, nous ne retenons que les deux premières variables. Sur la pertinence théorique d'inclure l'identité (ou l'attachement) dans un modèle des choix constitutionnels québécois, voir Blais et Nadeau, «To Be or Not to Be a Sovereignist»; Meadwell, «The Politics of Nationalism in Quebec »; Nadeau et Fleury, « Gains linguistiques anticipés»; et Pinard, «The Quebec Independence Movement».

15 Pinard soutient ce point de vue en notant que: « Au Québec […], la popularité relative des diverses options constitutionnelles (fédéralisme renouveié, souveraineté-association, et indépendance) est déterminée, dans une large mesure, par les coûts et les bénéfices anticipés qui sont attachés à chacune de ces options » (Pinard, « The Quebec Independence Movement», 13, notre traduction). II n'est toutefois pas exclu, comme Pinard le rappelle au sujet de l'identité (45), que les attentes soient elles-mêmes conditionnées, jusqu'à un certain point, par l'adhésion à une option ou à l'autre.

16 Cette asymétrie a également été observée pour l'ensemble de l'électorat québécois (voir Pinard et Hamilton, « Motivational Dimensions in the Quebec Inde pendence Movement», et Nadeau et Fleury, «Gains linguistiques anticipés et appui à la souveraineté du Québec »). N.B.: Toutes les relations bivariées présentées ici sont basées sur l'échantillon de 1 444 répondants pour lesquels nous avons pu obtenir des mesures valides sur toutes les variables du modèle explicatif présenté au tableau 2. Les résultats basés sur l'échantillon complet sont presque identiques à ceux-ci.

17 Une étude menée par la firme Angus Reid en 1991 sur un échantillon de l'ensem ble de l'électorat québécois a produit des résultats analogues à propos des effets projetés dans 10 ans (Angus Reid Group, Portrait of a Troubled Country: Canadians and the National Unity Debate [Winnipeg: Angus Reid Group, 1991]Google Scholar; et Pinard «The Quebec Independence Movement»). Des résultats plus récents montrent un degré d'optimisme assez élevé quant aux conséquences économiques à long terme. Un sondage mené en Janvier 1995 par la maison CROP montrait que, pour la plupart des indicateurs économiques retenus, à l'exception de l'endettement, un plus grand nombre de Québécois s'attendaient à ce que la souveraineté ait des conséquences positives que négatives (Paré, Jean, « Noui au Canada, Non à Ottawa », L'actualité, 15 mars 1995, 5158Google Scholar).

18 Dans un sondage mené en juin 1995, les «Québécois d'abord » forment 53 pour cent de l'échantillon des francophones et appuient le Oui à 76 pour cent; ceux qui partagent les deux identités forment 31 pour cent de léchantillon et appuient le Oui à 24 pour cent; les« Canadiens d'abord » forment 14 pour cent de léchantillon et appuient le Oui à 10 pour cent (Le Groupe Léger et Léger, « Sondage Omnibus », juin 1995).

19 Par exemple, un sondage commandé par le Comité du Non en Janvier 1995 indiquait que la question annoncée dans l'avant-projet de loi sur la souveraineté recueil-lait 50 pour cent de Oui chez les hommes et 42 pour cent chez les femmes. Si la question mentionnait que le Québec se sépare du Canada et devienne un pays indépendant, le Oui obtenait 45 pour cent chez les hommes et 35 pour cent chez les femmes (Créatec +, CROP et SOM,« Sondage sur l'intention de vote au référendum »).

20 Ces tests d'interaction, que nous ne présentons pas dans ce texte, sont basés sur l'équation du tableau 2. L'absence d'effet d'interaction signifie que l'appui inférieur au Oui chez les femmes n'est pas dû à une évaluation différente des conséquences de la souveraineté ou à une propension différente a voter en fonction de I'identité canadienne ou québéoise.

21 Pour une analyse de l'opinion québéoise sur la souveraineté qui se fonde sur cette approche, voir Martin, « Générations politiques, rationalité économique et appui à la souveraineté au Québec ». Martin conclut que les plus jeunes sont plus susceptibles que leurs aînés d'être influencés par leur perception des avantages économiques de la souveraineté. Par conséquent, nous ne nous attendons pas à retrouver des distinctions aussi fortes entre les effets respectifs des gains et des pertes dans notre échantillon d'étudiants universitaires que ce que nous devrions observer dans l'ensemble de la population.

22 DeMaris, Voir Alfred, Logit Modeling: Practical Applications Newbury Park, Calif.: Sage, 1992CrossRefGoogle Scholar). Un problème potentiel lié à l'emploi de toute méthode multivariée est celui de la colinéarité. Dans le présent cas, l'examen de la matrice de corrélations entre les variables explicatives nous améne à conclure que la fiabilité de nos estimations n'est pas affectée par ce problème.

23 Le pourcentage total des répondants qui entrevoient des effets économiques positifs à court terme est de moins de 8 pour cent, alors que 14 pour cent prévoient des effets linguistiques négatifs à trés long terme. Une lecture rapide du tableau 1 indique que la proportion de Oui dans ces groupes n'est pas très différente de celle des groupes beaucoup plus nombreux qui n'entrevoient aucun changement.

24 Comme le groupe de base est composé des étudiants qui disent partager les deux identités ou ne se considèrent ni Québécois, ni Canadien (Oui = 20 %), il est nor mal que le coefficient le plus élevé soit celui de la variable d'identité québécoise (Oui = 82 %) plutôt que celui de la variable d'identité canadienne (Oui = 4 %).

25 Le coefficient R de la régression logistique se compare au coefficient de corrélation partiel standardisé de l'analyse de régression linéaire. II se distribue entre −1 et +1 et rend compte de l'importance relative des différentes variables dans l'explication (Norušis, voir Marija J., SPSS for Windows Advanced Statistics, Release 6.0 [Chicago: SPSS Inc., 1993], 5Google Scholar).

26 II serait utile de vérifier si cette tendance s'applique à l'ensemble de la population. II est possible que les étudiants, à cause de leur jeune âge, accordent une plus faible importance au court terme dans leur décision.

27 Ceci s'explique en partie par la nature de l'échantillon. Dans la population dans son ensemble, l'anticipation de gains économiques associés à la souveraineté tend à être plus fortement associée à l'opinion chez les jeunes que parmi les autres groupes (voir Martin « Générations politiques, rationalité économique et appui à la souveraineté au Québec »).

28 II est à souligner qu'une seule interaction entre la variable d'identité québécoise et les huit variables mesurant les attentes est significative. Le Non des « Québécois d'abord » semble davantage influencé par la perspective de pertes économiques, alors que le Oui des autres serait plus influencé par les perspectives de gains économiques.

29 Cette attitude pourrait être plus marquée chez les jeunes électeurs. Chez les électeurs plus âgés, il est possible que les considérations de court terme prennent plus d'importance.

30 Sur l'importance de l'incertitude dans les choix politiques individuels, Michael Alvarez, voir R. et Franklin, Charles H., « Uncertainty and Political Perceptions », Journal of Politics 56 (1994), 671688Google Scholar. Pour une premiére exploration du rôle de l'incertitude et du risque dans le choix référendaire, Martin, voir Pierre, Blais, André et Nadeau, Richard « Choosing a Nation: Risk, Uncertainty, and Political Choice in the Quebec Referendum on Sovereignty », communication présentée à la réunion annuelle de 1'American Political Science Association, Chicago, Illinois, September 1995Google Scholar.