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Contrepoint : la question tsigane dans les camps allemands
Published online by Cambridge University Press: 26 July 2017
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L'incorporation des Tsiganes au génocide perpétré par les Allemands pendant la deuxième guerre mondiale à rencontre des Juifs d'Europe a été progressivement admise comme un fait d'évidence sans que les fondements historiques en soient établis avec clarté. Ce n'est pourtant faire nulle injure aux victimes que de rechercher la spécificité du traitement qui leur fut imposé afin de tenter de rendre à chacun la « part maudite » qui lui fut réservée « làbas ». Mon objectif n'est donc pas de délimiter le territoire de l'extermination pour savoir comment il convient d'inclure les Tsiganes mais de donner à voir quelques-unes, volontairement entremêlées, de ces « parts maudites ».
Summary
It is not possible, in the present state of research, to draw up a full picture of the fate of Gypsies in occupied Europe, especially in France. In this paper, the author compares testimonies from mostly French deportees with that of Gypsies, and places such testimonies in the context of known SS administrative routines. She concludes that Gypsies, as they were labeled on the basis of genealogical information, never had a clear status in the extermination System, and that the SS re-labeled individuals according to criteria proper to each camp. Thus, Gypsies gave the SS the opportunity of experimenting with genetic criteria, a project which did not fully mature before the German defeat.
- Type
- La Politique Antijuive
- Information
- Copyright
- Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1993
References
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2. On remarquera l'absence de références d'ensemble à la situation des Tsiganes en France. Il n'existe aucun ouvrage global hormis celui de Bernadac, Christian, L'Holocauste oublié, Le massacre des Tsiganes, Paris, 1979, 414 p.Google Scholar, sur l'internement en France pendant la guerre des personnes titulaires du carnet anthropométrique imposé aux nomades depuis la loi sur le stationnement de 1912. Cette catégorie assez floue, définie par l'absence de domicile stable et par l'exercice d'un métier itinérant, comprenait les forains et les familles tsiganes. En grande partie, ces familles étaient établies en France depuis l'Ancien Régime ou à tout le moins les années 1860-1895. L'émancipation des liens de subordination personnelle en Europe centrale et orientale avaient alors entraîné de nouveaux flux migratoires.
La circulaire aux préfets du 10 avril 1940 imposa à tous les titulaires des carnets une contrainte de résidence, prélude à l'internement dans les camps aménagés pour les étrangers. Opéré par la gendarmerie sur ordre des préfets, l'internement a été massif car plus d'une douzaine de camps comprenait des Tsiganes. Les conditions de vie étaient très dures. Les familles y sont demeurées pour la plus grande partie d'entre elles pendant toute la durée de la guerre, croupissant dans les conditions misérables décrites par ailleurs ( Anne Grynberg, cf., Les Camps de la honte. Les internés juifs des camps français, 1939-1944, Paris, 1991, 400 p.Google Scholar). Mais certaines familles ont été déportées en Allemagne. Selon quels critères ? On ne le sait pas. L'hypothèse la plus plausible, mais qu'il faudrait vérifier, serait que les Allemands auraient prélevé, outre les résistants, les réfractaires au STO et des otages soupçonnés d'avoir aidé des résistants, les personnes dont les noms de famille figuraient dans le Zigeuner-Buch (voir infra note 10). Ainsi s'expliquerait la présence, outre les Tsiganes allemands et autrichiens et les Roms raflés en Pologne et dans le protectorat de Bohème-Moravie, de manouches mosellans et alsaciens et de familles bohémiennes venues de toute la France dans les camps. Sur ce point, la comparaison avec les Pays-Bas et la Belgique serait éclairante : voir Léo Lucassen, “ En men noemde hen zigeuners ”, De geschiedenis van Kaldarasch, Ursari, Lowara en Sinti in Nederland : 1750-1944, Amsterdam, 1990, et José Gottovitch, “ Quelques données relatives à l'extermination des Tsiganes de Belgique ”, Cahiers d'Histoire de la Seconde guerre mondiale, Bruxelles, déc. 1976, pp. 161-180. Pour la France, voir l'étude de Sigot, Jacques, Un camp pour les Tsiganes… et les autres, Montreuil-Bellay, 1940-1945, Paris, 1983, 321 p.Google Scholar
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4. Le sort des Tsiganes a étroitement dépendu des relations entre le RSHA et le docteur Robert Ritter, chef du service de recherche en eugénisme et, à partir de 1941, en biologie criminelle du « Bureau de la Santé du Reich ». Robert Ritter et Eva Justin, son assistante, fournirent les fiches généalogiques des 30 000 Tsiganes résidant en Allemagne. Himmler entreprit, après une première phase de « délogement », l'internement des Tsiganes selon la nomenclature complexe proposée par Ritter en décembre 1942, puis à partir du 12e décret d'application de la « loi de citoyenneté », il enleva aux Tsiganes leur statut et ordonna une politique de liquidation dans les camps. Fin janvier 1943, l'Office Central de Sécurité du Reich a reçu l'ordre d'assimiler les Tsiganes métis au traitement de juifs. A Auschwitz, les Tsiganes ne furent pas sélectionnés à la rampe.
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17. La section II de Birkenau contenait un Zigeunerlager où furent immatriculés 20 996 hommes. Les familles n'étaient pas séparées. On prélevait dans le camp des hommes et des femmes pour d'autres camps. Les Tsiganes du camp de Theresienstadt en Tchécoslovaquie avaient été transférés le 8 septembre 1943. La liquidation eut lieu dans la nuit du 1er au 2 août 1944. Environ 3 300 personnes, adultes et enfants furent gazés.
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24. Le témoin tsigane qui raconte sa vie ne se pense jamais en border Une , mais bel et bien au centre d'un dispositif relationnel qui s'organise en cercles concentriques. Il y a d'abord lui et sa famille, l'ensemble des êtres qui comptent, avec une forte charge émotionnelle. On tient comme à sa vie, aux enfants, à la femme, au père et à la mère, aux frères et soeurs ; même si l'on s'est querellé, même si on les a quelque peu abandonnés. Plus loin, il y a un autre cercle, celui des autres Tsiganes. Les autres Tsiganes sont nettement identifiés par des noms, des localisations, des statuts, des professions mais ils ne sont pas forcément des frères (prala). Ils peuvent être bons ou mauvais. Il n'y a pas de solidarité de groupes par principe. Les allusions au sort commun du peuple rom sont abstraites et mécaniques. Le témoin noue des relations sociales avec les autres Tsiganes, pas des relations de clans. Plus loin encore le cercle des gadge. Les non-tsiganes sont rarement individualisés ; ils forment une nébuleuse d'êtres flous que tour à tour on redoute et l'on sollicite.
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