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Centralisme et fédéralisme culturels : les émigrés italiens en France et aux Etats-Unis

Published online by Cambridge University Press:  25 May 2018

Dominique Schnapper*
Affiliation:
Centre de recherches historiques de l'École Pratique des Hautes Études, VI, eSection

Extract

L'émigration met en contact deux cultures, et crée une situation quasi expérimentale qui permet d'étudier « la nature et les mécanismes de la culture », car, comme l'écrivait Melville J. Herskovits, « quand les traditions sont en conflit, les réajustements à l'intérieur d'une culture montrent la manière dont les éléments de la culture se rattachent les uns aux autres et comment fonctionne le tout ». Les analyses des contacts de culture et du jeu des emprunts et réemprunts, des interprétations et réinterprétations entre les deux cultures, tentées par les anthropologues, ne tiennent pas compte le plus souvent des conditions politiques qui ont amené ces contacts et leur confèrent leur vraie signification. Les cultures en contact se trouvent rarement sur un plan d'égalité : cultures du vainqueur et du vaincu, du colonisateur et du colonisé, de la majorité et de la minorité.

Type
Inter-Sciences
Copyright
Copyright © Les Éditions de l'EHESS 1974

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References

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2. Les études menées en Italie par F. Alberoni et G. Baglioni ont montré la « socialisation anticipatrice » des méridionaux venus travailler dans les usines du triangle industriel. Cf., en particulier, Alberoni, F., Baglioni, G., L'integrazione dell'immigrato nella società industrielle, Bologne, Il Mulino, 1965 Google Scholar.

3. Les études des sociologues américains posent surtout le problème de « l'intégration » ou de « l'assimilation » des migrants et, aux États-Unis, des différences de statut entre les divers groupes « ethniques », du décalage existant entre les normes de la communauté ethnique et celles de la société globale. La sociologie américaine est d'abord une sociologie du consensus.

4. S. N. Eisenstadt a indiqué que les pays qui ont connu une immigration massive (États-Unis, Brésil, Israël) ont nécessairement une culture pluraliste, le type de pluralisme variant d'une société à l'autre. Mais s'étant placé dans la perspective de l'intégration des migrants, il ne s'est pas posé le problème de l'effet de cette structure pluraliste sur l'évolution des cultures d'origine. Cf. S. N. Eisenstadt, The Absorption of Immigrants, Londres, Routledge and Kegan, 1954, PP. 15-20.

5. Extraits d'interviews citées par C. Cronin, The String of Change, Chicago, The University of Chicago Press, 1970, p. 166.

6. Ce texte formule quelques hypothèses suggérées par l'exploitation d'une préenquête sur les émigrés italiens : cinquante entretiens ont été réalisés grâce à l'aide de Bernard Bonilauri, vingt-cinq dans la région parisienne, vingt-cinq en Lorraine (Joeuf, cité ouvrière de Sainte-Ségolène à Moyeuvre-la-Grande) et par l'exploitation systématique de la littérature consacrée aux Italo-Américains. Nous appelons émigré celui qui a quitté son pays d'origine, celui que la littérature américaine appelle « la première génération ».

7. Il semble que les bidonvilles préservent pour certaines populations récemment immigrées une forme de communauté, où se maintiennent, à titre précaire et provisoire, l'espace et le temps propres à la communauté d'origine.

8. En 1962, pour l'ensemble de l'Italie, 36 mariages furent célébrés un vendredi, 170 un 17 du mois, 140 un 13, alors que la moyenne quotidienne était de 1733.

9. M. Halbwachs, La mémoire collective, Paris, P.U.F., 1968, p. 163 (Ire édition : 1950).

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11. Ibid., p. 184.

12. 17/25 à Paris, 17/25 en Lorraine.

13. Même observation chez A. Girard et J. Stoetzel, «Français et immigrés », dans INED, cahier n° 19, Paris, P.U.F., 1953, p. 105. Une étude de la répartition des postes budgétaires montrerait sans doute que la proportion des dépenses d'habillement, normalement supérieure en Italie à ce qu'elle est en France à revenu constant, a diminué chez les émigrés.

14. Seuls, les membres des classes supérieures à Paris reconstituent une perception logique de l'espace social et on peut se demander s'il ne s'agit pas là d'un élément important de l'équilibre que traduit leur satisfaction.

15. La communauté, en ce sens, implique un espace commun, l'interaction de groupes primaires, et la conscience de normes communes.

16. La faiblesse de la participation syndicale et des associations, la passivité politique des émigrés, au moins jusqu'à une date récente, en seraient une autre manifestation. Cf. S. Passigli, Emigrazione e comportamento politico, Bologne, Il Mulino, 1969, p. 135, et R. Hoggart, La culture du pauvre, Paris, Les Éditions de Minuit, 1970, p. 127 (1re édition : 1957).

17. L'émigration en Lorraine date de la fin du xixe siècle et la création d'un cercle franco-italien de 1970.

18. Goldthorpe, John H. et al., L'ouvrier de l'abondance, Paris, le Seuil, 1972 (1re édition : 1968)Google Scholar, passim. Voir aussi, Miller, S. M. et Riessman, F., « The Working-class Subculture, a new View », Social Problems, 1961 Google Scholar ; Rainwater, L., Coleman, R. P., Handel, G., The Workingman's Wife, New York, Oceana Publications, 1959, etc.Google Scholar

19. Notre enquête actuellement en cours sur les immigrés italiens tente de répondre à cette question.

20. Il existe bien évidemment d'autres différences entre ces deux pays mais, bien qu'il soit impossible sur des exemples historiques d'isoler en toute rigueur l'effet des diverses variables, l'exemple de l'Australie suggère que l'attitude du pays d'accueil constitue une variable relativement isolable.

21. Cronin, C., op. cit., p. 132 (souligné par moi). Voir aussi sur ce point Ch. Price, Southern Europeans in Australia, Melbourne, Oxford University Press, 1963 Google Scholar.

22. Borrie, W., Packer, D., Italians and Germans in Australia, A Study of Assimilation, Melbourne, F. W. Chespire, 1954, p. 120Google Scholar.

23. Ibid., p. 145.

24. Sur l'attitude des écrivains américains, devant l'arrivée massive des Méridionaux, des Juifs et des Asiatiques à partir des années 1880, on pourra consulter Milton M. Gordon, Assimilation in American Life, New York, Oxford University Press, 1964.

25. Ch. Price, « The Study of Assimilation », dans J. A. Jackson (éd.), Migration, Cambridge, Cambridge University Press, 1969, p. 183.

26. H. Gans, The Urban Villagers, Group and Clan in the Life of Italian-Americans, New York, The Free Press of Glencoe, 1962, p. 86.

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28. Suttles, G. D., Ths social Order of the Slum, Chicago, The University of Chicago Press, 1968, p. 41Google Scholar.

29. Ibid., p. 106 ; W. Foote Whyte, Street Corner Society, Chicago, The University of Chicago Press, 1943, p. 269.

30. Ibid., p. 42.

31. Woods, Sister F. J., Cultural Values of American Ethnie Groups, New York, Harpers, 1956, p. 199Google Scholar.

32. H. Gans, op. cit., p. 184.

33. G. D. Suttles, op. cit., p. 183, n. 5.

34. Villari, L., Gli Stati Uniti e l'emigrazione italiana, Milan, Treves, 1912, p. 224Google Scholar.

35. C. Cronin a également constaté que 17 % des maris siciliens installés en Australie aident à faire la cuisine, 15 % à faire la vaisselle, 23 % à faire les courses op. cit., p. 215).

36. Cf. P. Bourdieu, Le déracinement, Paris, Les Éditions de Minuit, 1954, PP. 167-171 ; H. Coing, Rénovation urbaine et changement social, Paris, Les Éditions Ouvrières, 1966, passim.

37. 44 % des familles françaises sont dans ce cas. Nos chiffres sont bien supérieurs mais il faudrait évidemment faire les comparaisons en tenant compte de la catégorie socio-professionnelle.

38. A. Girard et J. Stoetzel, op. cit., p. 74 ; C. Cronin, op. cit., p. 167 ; Child, I. L., Italian or American, New Haven, Yale University Press, 1943, p. 197Google Scholar ; L. Mourgues, « L'assimilation des Italiens dans les Bouches-du-Rhône », Informations sociales, n° VIII, sept. 1954, P. 9°5 ; L. S. Wlocevski, L'installation des Italiens en France, Paris, Félix Alcan, 1934, P. 54.

39. Gordon, Albert I., Jews in Transition, Minneapolis, University of Minneapolis Press, 1949, pp. 87-88Google Scholar ; H. Gans, op. cit., p. 33, Burrows, Edwin G., Hawaian Americans, New Haven, Yale University Press, 1947, p. 9Google Scholar.

40. C. Cronin constate également que le niveau culturel — indicateur de l'appartenance sociale — est significativement associé avec les habitudes alimentaires. Les immigrés, dont le niveau culturel est élevé, changent leurs habitudes alimentaires, ceux dont le niveau culturel est bas les changent peu, ayant simplement accru la consommation de viande et diminué celle des pâtes (op. cit., p. 167).

41. H. Gans, op. cit., p. 184.

42. La dernière formulation de cette théorie a été apportée par Melford E. Spiro, « The Acculturation of American Ethnie Groups », American Anthropologist, 57, 1955, p. 1249.

43. C. Lévi-Strauss, Les structures élémentaires de la parenté, Paris-La Haye, Mouton, 1968, p. 551 (1re édition : 1947).

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45. R. Sainsaulieu et A. Suffert, « Télévision et développement culturel, les réactions d'un public d'ouvriers et de paysans devant la télévision », 1965, Bureau d'Études et de Recherches du Ministère des Affaires Culturelles et Service de la Recherche de l'Ortf.

46. J. C. PASSERON, présentation de R. Hoggart, La Culture du pauvre, Paris, Éditions de Minuit, 1970, p. 18.

47. Toutes les familles que nous avons interviewées — sauf trois — possèdent un récepteur de télévision. De plus, cet appareil a été le premier appareil électro-ménager qui ait été acquis par le ménage (parfois en même temps que le réfrigérateur, mais toujours longtemps avant la machine à laver). Malgré leur refus du crédit, qui reste pour les émigrés la plaie de l'Italie pauvre, les émigrés surmontent cette défiance quand il s'agit d'un achat aussi important pour la vie de famille, « On a tort, mais on a acheté la télévision à crédit » (En Lorraine depuis 1957, originaire de Calabre, âgé de 51 ans). Aux États- Unis, on a noté que le récepteur de télévision fonctionne toute la soirée, même si on ne le regarde que pendant de courtes périodes.

48. On peut remarquer que, pour les membres des classes populaires, le rythme essentiel est le rythme quotidien. La femme d'ouvrier ne voit pas de différence entre un jour de semaine et le week-end, entre l'hiver et l'été. Cf. L. Rainwater, R. P. Coleman, ‘G. Handel, op. cit., pp. 32 et 35.

49. Giovanni Pelliciari note aussi le rôle joué par la télévision dans l'existence des migrants du Sud installés dans le triangle industriel. Cf. G. Pelliciari (éd.), L'immigrazione nel triangolo industriale, Milano, Angeli, 1970, p. 314.

50. Pour les membres des classes supérieures où l'émigration a été voulue pour des raisons économiques ou idéologiques, la situation d'émigré est, le plus souvent, vécue positivement au nom des valeurs propres aux classes supérieures : connaissance de l'une et l'autre culture, distance à l'égard de l'une et de l'autre culture, sont senties et perçues comme un moyen d'exprimer les distinctions et la distinction sociales. Aux Français et aux Italiens prisonniers d'une seule culture, l'émigré appartenant aux classes supérieures qui a réussi, même s'il se sent parfois étranger à la culture dans laquelle il vit, oppose le prestige d'un individu dont l'expérience est plus large et peut être mieux dominée.

51. On peut remarquer qu'en U.R.S.S., cinquante ans après la Révolution, « Parmi tous les éléments qui englobent le complexe religieux — l'étude de la religiosité des populations le démontre — les plus vivaces sont les valeurs religieuses et les rites devenus partie intégrante de la vie quotidienne ». Cf. A. Okulov, « Aspects de la sociologie religieuse en U.R.S.S. », Archives de Sociologie des Religions, janvier-juin 1967, p. 43, (souligné par moi).

52. Nous nous étendrons moins longuement sur le cas américain, puisque nous disposons seulement des données recueillies et déjà exploitées par d'autres.

53. H. Gans, op. cit., p. 35. Bien que ces cliques semblent exister à l'état embryonnaire dans d'autres groupes ethniques aux États-Unis (Les Irlandais, les Noirs), c'est parmi les Italiens qu'elles jouent le rôle le plus important. Cf. W. Lloyd Warner and Paul S. Lunt, The Social Life of a modem Community, New Haven, Yale University Press, 1949, et W. Foote Whyte, op. cit.

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55. M. K. Opler, J. L. Singer, « Ethnie Différences in Behavior and Psychopathology », International Journal of Social Psychiatry, II, 1956, pp. 11-23. Bien que ces études aient été réalisées sur des sujets américains, elles pourraient, sans doute, être appliquées à d'autres pays.

56. Le prestige de la modernité et la passion de l'égalité expliquent l'intégration, au niveau des comportements, des divers groupes ethniques aux États-Unis (en tout cas jusqu'à ce que la valeur accordée au changement et à la modernité soit remise en question, à une date récente).

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59. Cette hypothèse est en fait implicite chez la majorité des sociologues américains qui parlent de l'assimilation des nouveaux émigrés.

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