Je suis sensible à l'bonneur que m'a fait M. Braudel en m'invitant à prendre la parole devant votre auditoire. Le désir profond que j'éprouve de m'en montrer digne m'interdit de me présenter à vous l'esprit libre de tout souci. Celui-ci trouve son origine bien moins dans ma connaissance restreinte de la langue française et dans la crainte des sourires que mes insuffisances linguistiques pourraient faire naître sur vos lèvres durant cette conférence et la discussion qui s'ensuivra (je sais, en effet, que je puis compter sur votre amabilité et sur votre généreuse compréhension) que dans le thème qui s'est imposé à mon choix, thème dont les données doivent vous être assez peu familières. Je m'efforcerai de vous présenter les plus importantes d'entre elles sous un angle tel qu'il me soit non seulement permis d'espérer être compris de vous mais également d'obtenir de votre part des critiques riches en enseignements.

La nécessaire collaboration des différentes sciences sociales, l'interpénétration de leurs problématiques et méthodes en vue d'édifier une science nouvelle de l'homme — tous ces thèmes sont plus que familiers aux lecteurs des Annales. Depuis sa fondation, notre revue n'a cessé d'encourager tous les efforts en ce sens — de quelque horizon qu'ils soient venus, ou veuillent venir.

Le 25 Février 1947, à Berlin, le Conseil de Contrôle Inter-allié a promulgué une loi portant dissolution de l'Etat prussien : dans l'exposé des motifs, l'existence de la Prusse est considérée comme un obstacle à la paix et à la sécurité des peuples européens. Cette mesure du Conseil de Contrôle soulève un problème historique et politique. La Prusse, en tant qu'Etat, n'avait-elle pas cessé d'exister en novembre 1918, en même temps que la monarchie des Hohenzollern, la survivance d'un land prussien sous la République de Weimar et sous le régime hitlérien ne présentant, dès lors, qu'une curieuse particularité de droit constitutionnel et administratif? Vue sous cet angle, la loi du 25 février 1947 prend une signification symbolique plus que juridique.

Un nouveau fascicule (édité par le C.N.R.S.) vient de paraître, de la Carte archéologique de la Gaule romaine, publiée par l'Académie des Inscriptions sous les auspices de l'Union académique internationale. Mais cette belle entreprise de la Forma Orbis Romani n'a pas besoin d'être rappelée et louée. Puisse seulement la discorde du monde ne pas trop nuire à cette oeuvre oecuménique ! Selon les plans et sous la direction d'un savant regretté de tous, la contribution de la France à l'effort commun fut honorable : Adrien Blanchet put « sortir » entre 1931 et 1946 — date de sa retraite —neuf fascicules dus à diverses plumes érudites. Feuilles au 200 000e avec surimpression des sites antiques indiqués par un numéro rouge; « répertoire des monuments et découvertes » : au total un important Thésaurus antiquitatum Gallo-Romanarum.

Ce n'est pas par vaine gloriole que nous signalons aujourd'hui à nos lecteurs la note consacrée, il y a quelque temps déjà, par le Kwartalnik Historyczny à notre Revue. Que la principale revue d'histoire de Pologne consacre plusieurs pages à analyser, jusque dans le détail des notes critiques, nos quatre livraisons de l'année 1957, n'est évidemment pas sans nous faire plaisir. Il est agréable de constater le succès de notre effort pour maintenir à la revue de Marc Bloch et de Lucien Febvre l'audience internationale qu'elle s'était acquise dès avant la guerre, d'autant que cette analyse révèle une sympathie très vigilante.

L'Étude de l'économie rurale au Moyen Age n'est sans doute dans aucun pays poussée plus loin qu'en Angleterre. Les historiens euxmêmes, et particulièrement ceux de l’ « école de Cambridge », sont certes, et pour beaucoup, responsables de cette avance. Mais elle est due également aux avantages de la documentation. Incontestablement, les sources écrites sont ici plus abondantes et plus riches, parce que les archives anglaises ont subi moins que d'autres le choc des troubles politiques, et, plus encore, parce que dans ce petit royaume étroitement tenu, les techniques d'administration, royales et privées, se sont plus tôt perfectionnées : dès le XIIIe siècle, on conservait des séries de comptes et d'enquêtes qui permettent aujourd'hui d'observer dans le détail la gestion des seigneuries, la répartition des fortunes.

De même que l'on a construit des modèles macroéconomiques qui permettent de rendre compte des mouvements principaux d'une économie nationale, peut-on envisager de construire des modèles macrosociologiques qui permettraient d'expliquer les changements essentiels des structures dans une société globale déterminée ?

Sans doute, dès l'abord une différence doit-elle être notée : les modèles économiques sont le support d'expressions quantitatives de flux de biens et de services, traduits en unités monétaires, et les données statistiques pourvoient à la juste représentation des faits.

Lorsque L'Université de Londres, en 1921, créa une chaire d'Histoire de Londres, le nouveau professeur — opposant, dans sa leçon inaugurale, le Londres « historique », lentement développé autour de la Cité et de la royauté du XIe au XVIIIe siècle, et le Londres « moderne », nouvelle ville brusquement, démesurément grossie à partir du XIXe siècle, déclarait non sans raison : « C'est sur ce premier Londres que l'attention des historiens s'est principalement concentrée… L'histoire récente de Londres reste à écrire », et il exprimait le voeu qu’ « un jour un historien se lève pour exposer les origines du Londres contemporain ». Il n'en fut rien. Seule la ville du Moyen Age et de l'époque des Stuarts, a continué d'attirer l'attention.

Dans cet article, notre intention est de parler seulement des travaux sur le monde occidental ; elle n'est pas de polémiquer. Mais entendonsnous bien tout d'abord sur quelques principes d'ordre général et sur le sens prêté à tels ou tels de nos mots. Ces mises au point ne surprendront d'ailleurs que les lecteurs qui ne sont pas familiarisés avec notre historiographie. Mais il importe d'éclairer notre lanterne.

Les historiens soviétiques appellent Moyen Age l'époque d'installation, d'épanouissement puis de décadence des rapports « féodaux », c'est-à-dire l'espace de temps qui s'écoule de l'écroulement de « l'esclavage » (fin du Ve siècle) jusqu'à la désagrégation du régime féodal, survenue dans les pays de l'ouest européen les plus évolués vers le milieu du XVIIe siècle.

Apartir du milieu du XIe siècle, des clercs de plus en plus nombreux ont voulu mener une vie plus parfaite, moins éloignée de celle des apôtres, telle que la décrivent certaines pages des Actes ; ils renoncèrent à toute possession individuelle, se réunirent en communautés vouées à une pureté qui s'associait parfois au travail manuel. Dans ces petits groupes de vie pure se répandirent bientôt les textes qui forment ce que l'on a appelé la règle de saint Augustin. La « régularisation » de la profession canoniale, l'adoption de la « vie commune » constituent bien l'un des aspects majeurs du renouveau religieux de l'époque romane et féodale que l'on appelle encore réforme grégorienne. Cet aspect est pourtant mal connu. L'étudier plus profondément permettrait de ramener à ses justes mesures l'importance des réformes monastiques, éclairerait d'un jour nouveau la vie spirituelle, la culture, toute la civilisation de ce temps.

Le Livre de Harold Underwood Faulkner est dans son pays un véritable classique : la première édition date de 1924, la septième, sur laquelle a été faite la traduction française, de 1954. Ce succès s'explique par la solidité de l'information et la clarté de l'exposé. Le terrain, il est vrai, était préparé. Dès l'origine, ou presque, il apparut que toute fondation coloniale et, à plus forte raison, l'occupation d'un vaste arrière-pays est une entreprise impliquant gains et pertes, exigeant de fréquents bilans. Les séries statistiques, du moins pour le commerce extérieur, remontent à l'époque coloniale ; le premier recensement de la population date du lendemain de l'Indépendance (1790), et les « Censers » décennaux ont progressivement couvert les principaux aspects de la vie nationale. Sur les mécanismes économiques, des opinions raisonnées s'exprimaient dès le XVIIIe siècle. Et surtout depuis la fin du XIXe siècle, les recherches historiques se sont multipliées, analysant les « conjonctures » passées en leurs éléments matériels et psychiques.

L‘histoire sociale retient en grande partie les efforts des érudits. Le dernier Congrès des Sociétés savantes, tenu à Dijon, a une fois de plus révélé tout l'intérêt qu'elle suscite, mais aussi la diversité et la complexité des problèmes qu'elle soulève. A l'étude des sources statistiques de l'histoire d'un groupe social, à l'analyse des éléments pour la définition d'une catégorie sociale, ou encore à l'examen de la valeur documentaire de la table des mariages dans le fonds du contrôle des actes, s'ajoutent encore d'autres directions de recherches telles que le dépouillement des archives notariales, l'analyse des recensements, ou des élections, qui ont ouvert des voies nouvelles à l'investigation. Tous efforts convergeant vers le même but : connaître, analyser des faits pour expliquer le comportement des groupes humains.

Nous Est-Il Permis D'Imaginer, dans une petite ville de la province italienne, un type d'homme, amateur passionné de choses surannées, mais ignorant des méthodes et des problèmes historiques contemporains, attiré comme par un instinct vers l'histoire, mais surtout préoccupé de philosophie ? Le voici curieux de savoir ce que fut la Réforme, parce que dans son pays, il n'y a pas eu de Réforme, et les professeurs qui enseignèrent ses jeunes années n'en connaissaient pas grand-chose. Et voilà qu'un beau jour, notre curieux découvre — dans une revue qui n'est pas précisément une revue d'histoire, la Civiltà Moderna de Florence, et en tête d'un numéro de 1929 (paru en 1930) l'article célèbre et toujours fondamental sur « Les origines de la Réforme française et le problème des causes de la Réforme ».

La confiscation a joué dans la formation territoriale de la France et son histoire sociale un rôle considérable. En 1825 encore, évoquant cette pratique et les grandes familles qui lui devaient la richesse, un publiciste pouvait affirmer : « les spoliations atroces et si multipliées, suite de la révocation de l'édit de Nantes (1685), ont même à présent des traces sur le sol de la France ».

Cette question n'a guère été étudiée. C'était là, répète-t-on, après l'abbé Dedieu, « un aspect de la répression dont les religionnaires eurent la noble fierté de ne point se plaindre, jugeant de minime importance la perte de leurs biens ». C'est oublier la solennelle protestation de Claude.

Paganus : paysan, païen. Grâce à cette double traduction d'un même vocable, se trouvent identifiés, par l'effet d'une tradition vigoureuse, paganisme et ruralité. On peut juger bien fragiles cette interprétation sémantique, et plus encore le schéma historique qu'elle supporte. En toute hypothèse, à mieux distinguer qu'on ne le fait souvent les modalités d'expansion du christianisme dans l'empire romain, sur lesquelles nous aimerions à être moins mal renseignés, et ses formes d'organisation, celles-ci frappent par leur caractère urbain. Puis, la situation s'est renversée : dans une société où la terre était la base de l'économie et la source de la noblesse, le christianisme a pris une configuration rurale que ni les siècles ni les profondes transformations des moyens de production n'ont réussi à effacer.

Dans les premières années de la Restauration, un voyageur qui traversait la France du sud au nord avec le regard pénétrant et la lucidité d'un Young, tomba un jour en arrêt devant une région ne ressemblant à aucune autre. Il ne fit que la contourner, en notant quelques aspects marquants de l'extérieur. Cet îlot singulier des pays d'ouest, qui avait frappé P. de Vaudreuil, c'est la Gâtine poitevine.

Tellement singulier que le XIXe siècle et les premières années du XXe ont vu successivement agronomes, géologues, médiévistes, géographes et administrateurs essayer d'en pénétrer les secrets. Et tout d'abord, d'en dessiner le contour. Où commence et finit cette Gâtine? C'est là où personne n'est d'accord.

Les archives soviétiques sont assez pauvres en inventaires : ce Guide des Archives de la Section de Leningrad de l'Institut d'Histoire (S.L.I.H.) est donc un outil précieux puisqu'il concerne un des dépôts les plus intéressants pour les recherches historiques. Cet assez extraordinaire dépôt d'archives est dû surtout à l'activité de la Commission Archéographique, créée en 1834, qui, en 1926, fusionne avec la Commission Historique et prend le nom de Commission Historico-archéographique pour passer enfin en 1936 à la Section de Leningrad de l'Institut d'Histoire : pendant son existence de cent ans, la Commission rassembla un fonds très important (63.800 unités) de documents concernant l'histoire de la Russie et provenant de diverses institutions locales, d'archives privées et ecclésiastiques.

C'est toujours une gageure que de vouloir faire entrer dans les 128 pages, de format dérisoire, d'un Que sais-je ? tout un pays ou toute une époque, et souvent un tour de force auquel il convient d'applaudir. On ne faillira pas à l'usage à propos d'une récente Histoire des Etats-Unis, qui maîtrise en huit courts chapitres — page 23, on en est à la déclaration d'Indépendance, page 59, à la guerre de Sécession, telle est la loi du genre — une énorme matière allant des Pilgrim Fathers au président Eisenhower ou des sorcières de Salem à la « chasse aux sorcières » de Joseph Mac Carthy, et qui pose les grands problèmes avec force et clarté, dans une langue le plus souvent élégante et précise. Vulgarisation, certes, mais de qualité.

Dépouiller les archives de l'ancienne cour des monnaies pour en extraire des renseignements statistiques, établir, à partir de là, des séries permettant de suivre année par année et région par région, durant un très long laps de temps, les émissions des monnaies françaises, c'était là une entreprise qui exigeait beaucoup de courage et de persévérance, voire d'abnégation. Ce gros labeur, poursuivi pendant plusieurs années de recherches, M. Spooner a eu le mérite de le mener jusqu'à son terme. On ne saurait trop l'en remercier.