En plein Dégel, et à un de ses virages, Khrouchtchev lance une campagne contre les intellectuels : à son faîte, il attaque violemment un film — et un seul —, Le Bastion d'Ilitch de Marlen Khutsiev. Après six ans de déstalinisation en dents de scie, le Premier Secrétaire est acculé à faire des concessions et, sur le front du dégel, il choisit de « lâcher » l'intelligentsia dont il s'est servi comme d'un pion depuis le XXe Congrès.
Ce tournant-là marque la fin du processus et la réintroduction d'une censure qui avait largement disparu, au moins dans le cinéma, depuis le début du Dégel — dans une moindre mesure en littérature où l'affaire Pasternak date de 1957-1960. Mais, contrairement aux années staliniennes ou, à un degré différent, à l'époque brejnévienne où elle retrouvera une intensité très forte, le fonctionnement de la censure sous Khrouchtchev s'avère extrêmement complexe et subtil. Du fait de l'ambiguïté de la période qui avait ouvert la porte à une nouvelle génération de cinéastes, à des points de vue novateurs, elle s'exerce contre des acteurs d'un type nouveau : elle vise des réalisateurs jeunes, et authentiques communistes, tel Khutsiev.