« Et voilà, dira-t-on, un beau livre de professeur ! S'attaquer à Vottaire ; pouvoir mettre devant soi, pour l'étudier à fond, un grand livre comme l'Essai sur les Mœurs — et s'attacher uniquement au Temple du Goût ; consacrer 566 pages à l'étude attentive des Lettres sur Œdipe et de l'Essai sur la poésie épique, c'est-à-dire à ce qu'il y a de vraiment mort dans le siècle de l'Encyclopédie, — quelle gageure! » Lecture faite du livre de M. Naves, on peut répondre : « Gageure, soit ; mais elle est tenue. » Et ce n'est pas seulement l'historien de la littérature, c'est l'historien tout court, l'historien de la Société et de la Civilisation qui peut et doit reconnaître que ce travail est loin, bien loin d'être ce qu'on pourrait craindre, faute d'informations, et sur la foi d'un titre trop vite lu : un amas de pages vaines sur des pages vaines. S'il en fallait une preuve, ce compte rendu, dans cette revue d'histoire, pourrait sans doute l'administrer.

Un très beau livre, ces Etudes Erasmiennes, dont Augustin Renaudet dote, une fois de plus, les études d'histoire religieuse du XVIe siècle. Mais est-il nécessaire d'écrire, s'agissant de lui, « un très beau livre » ?

Qu'il soit furieusement de Renaudet, c'est un fait. Cette façon de s'insérer dans un texte, silencieusement, de s'y loger, de l'emplir en l'absorbant, et non, pas de l'interpréter, non pas de l'élucider pour le faire bien comprendre — mais de le repenser silencieusement pour son propre compte ; de le remâcher pour ainsi dire, lentement, pour bien se l'assimiler, et puis de le présenter au lecteur comme s'il sortait de soi — voilà qui, chez nous, à l'heure actuelle, est de Renaudet et n'est que de lui, Ce n'est pas un livre sur Erasme qu'il nous donne.

La vie commerciale de Gênes au XIIe siècle nous est bien connue, depuis l'apparition du Monumenta historiœ patriœ, grâce aux minutes du notaire Jean, dit Scriba, et, au XIIIe, grâce aux nombreuses publications de la Societa ligure di storia patria et de la Societa storica subalpina ; et il en est de même pour Marseille, au XIIIe, depuis que Louis Elancard a réuni sa belle collection de textes. Nous ne possédions, au contraire, aucune source notable pour la même période en ce qui concernait les places intermédiaires de la côte et leur trafic avec l'intérieur : les chartes monastiques, dont les plus importantes pour la région centrale se trouvent rapportées dans le Cartulaire de l'Abbaye de Lérins, ainsi que les Documents historiques relatifs aux seigneuries de Menton, Roquebrune et La Turbie, visent, dans l'ordre économique, presque exclusivement des donations et baux fonciers, et des prêts.

Un livre plein de talent et d'ingéniosité, c'est celui que M. Gaston Bachelard, son auteur — de physicien devenu philosophe — intitule aujourd'hui la Psychanalyse du Feu. Joliment écrit, subtilement pensé, ingénieusement présenté, il part d'une rêverie devant le foyer : mais cette rêverie n'est point celle de tout le monde, ou de n'importe qui. Il ne s'agit point d'effusion, lyrique ou sentimentale. Il s'agit d'analyse. Voire même, par derrière, de psychanalyse.

« Le Moyen-Age a construit peu de routes ; il a vécu tout entier et a cheminé pendant des siècles sur les débris de la voirie romaine. »

Cette opinion, énoncée en 1857 par l'abbé Cochet dans un ouvrage justement réputé : Sépultures gauloises, romaines, franques et barbares, paraît bien lui avoir été propre, car nous n'en avons trouvé aucune trace avant lui : ni au XVIIIe siècle dans Bergier (Histoire des grands chemins de l'empire romain, 1736), ni dans Delamarre (Traité de la police, livre VI : De la voirie, 1738), ni au XIXe dans le Cours d'antiquités, monumentales de de Caumont.

Aux lecteurs des Annales, je voudrais proposer l'idée d'une enquête sur la consistance des fortunes particulières. Je ne crois pas, sauf erreur, qu'il existe grand'chose de bien sérieux sur la question.

Or, il est désormais possible et relativement facile d'entreprendre cette recherche, grâce à l'incomparable source documentaire fournie par les actes notariés, dont la plus grande partie est versée aux Archives nationales ou départementales. Bien que leur véracité ne puisse être admise sans critique, ces documents nous donnent, dans l'ensemble, autant de sécurité qu'on en peut raisonnablement attendre. On ne saurait, en effet, oublier que l'établissement des inventaires sur lesquels ils reposent engageait la responsabilité pénale des auteurs. Ils s'étendent sur une longue période, pratiquement ininterrompue, en gros, du XVIe siècle à nos jours.

L'apparition du tome V de l'admirable et précieux dépouillement de livres et de brochures qu'André Monglond intitule La France révolutionnaire et impériale, nous offre l'occasion non seulement de signaler ici l'intérêt prodigieusement varié de cet ouvrage fondamental, peut-être trop peu connu encore et pratiqué, mais encore de jeter un coup d'œil sur l'œuvre d'un historien des idées et des sentiments qui a tout pour intéresser nos Annales et leurs lecteurs.

Le regretté sinologue américain Bethold Laufer a repris dans un article posthume l'hypothèse de Schulz sur l'origine turque de la culture du seigle. Il se base d'une part sur les travaux de Vaviiov et, d'autre part, sur l'existence de deux mots mongols ; l'un, talkha, signifie farine de seigle ; l'autre, urkot urgan, désigne les graines alimentaires d'une plante sauvage. Ce dernier mot serait l'origine des termes en rug qui désignent le seigle dans les langues de l'Europe orientale et septentrionale.

En 1473, nous relate une lettre de la Chambre des Comptes de Lille à Charles le Téméraire, la disette sévissait d'une manière très cruelle dans les pays méditerranéens. Le texte parle de l'Espagne, de la Catalogne et de la Barbarie ; nous verrons par la suite que cette pénurie, due à une sécheresse exceptionnelle, s'était fait sentir également en Italie. Il est précisé que le « heud » de blé valait alors seize sols (monnaie des Flandres) au marché de Séville et que ce prix, considéré déjà comme très élevé, allait être dépassé. La famine avait incité les gouvernements des pays intéressés à exiger des marchands soumis à leur autorité de porter du blé dans les pays éprouvés.

Le moulin à eau est une conquête du Bas-Empire. C'est lui que trouva le moyen âge dans la succession de l'Empire romain. Son aire d'expansion est la preuve qu'il fut le moteur le plus habituel avant l'introduction du moulin à vent, resté inconnu de l'Italie et de l'Afrique méditerranéenne.

Une histoire du moulin à eau dans les régions du Midi, en Provence comme dans le Sud-Ouest, montrerait que c'est pour lui que furent ouverts tous les canaux qui servent aujourd'hui à l'irrigation.

M. Baymond Bertrand, étudiant l'œuvre agricole des nationaux-socialistes, pose fort bien le problème. Il décrit l'état des campagnes en 1932, avec prédominance des exploitations moyennes partout, sauf à l'Est de l'Elbe, où des domaines de plus de 100 hectares produisent plus de seigle que le pays n'en consomme. Il explique le fonctionnement du protectionnisme auquel la République de Weimar se résigne dès 1925 pour empêcher la chute des prix ; les socialistes et les industriels s'y rallient parce que les tarifs sont très modestes pour les denrées de première nécessité et que les produits manufacturés sont relativement plus protégés que les denrées. Les hobereaux de l'Est sont satisfaits des espèces de primes à l'exportation du seigle qu'on leur accorde.

Les deux articles de Mr Zygmunt Wojciechowski sont à la fois extrêmement suggestifs et, par leur forme, un peu décevants. Car un grand nombre de problèmes s'y trouvent soulevés, qui parfois vont s'enchevêtrant. Deux d'entre eux, à vrai dire, dominent tous les autres : celui de la « féodalité » polonaise ; celui des origines de la noblesse, sur cette terre d'élection du pouvoir nobiliaire que fut l'ancienne Pologne. Si étroitement liés qu'ils puissent paraître, ils auraient dû, je crois, être distingués d'un trait plus net. D'abord parce qu'ils sont, en eux-mêmes, de nature très différente. Il est permis de douter que la structure de la société polonaise ait jamais mérité le nom de féodal.

La politique commerciale de la Hanse à l'égard de la Norvège au XVIe siècle a fait l'objet, de la part de Mr Otto Röhlk, d'une monographie qui apporte une contribution intéressante à l'histoire de la Hanse à l'époque de son déclin. Cette politique se résume en une série de mesures destinées à maintenir coûte que coûte aux Hanséates le monopole du commerce avec la Norvège, sans accorder aux Norvégiens le moindre droit de réciprocité.

Dans la première partie de son étude qui, à certains égards, est la plus solidement construite, l'auteur étudie avec précision les principes de cette politique commerciale et les organes charges d'en assurer la mise en œuvre.

La nature a forcé les hommes de certaines contrées à devenir des spécialistes de la lutte contre l'eau. Le pays classique d'une telle éducation tut les Pays-Bas. Déjà, au Moyen Age, il y eut une forte émigration de là pour dessécher les marais dans l'Allemagne du Nord. Que de documents où l'on parle de la colonisation des Flandrenses ! Mais ce ne fut pas seulement au Moyen Age que les Pays-Bas fournirent des colons à de vastes régions : la misère économique et les persécutions religieuses du XVIe siècle, voire simplement l'appât du gain, provoquèrent de nombreux déplacements de la Hollande vers l'Angleterre (Fennlands), la France (Marais Poitevin et Breton, notamment, et même Provence) ; l'Allemagne du Nord.

Un nouveau livre de CH. Seignobos : Essai d'une histoire comparée des peuples de l'Europe. Je l'ai lu avec soin. Mais quoi ? Est-ce affaire de génération, ou de tempérament ? En fait, je ne comprends pas mieux un livre de Seignobos qu'un livre de Reinach — l'Orpheus par exemple. Des « faits » : mais je ne sais pas ce que c'est qu'un fait : je veux dire qu'un fait isolé et non interprété. Des « hasards » : mais j'aurais trop à dire sur le rôle du hasard en histoire. Et ces étonnants escamotages de catégories entières de faits ou d'événements, essentiels à mes yeux pour donner un sens à l'histoire ? En vérité, je ne comprends pas. Et ce serait mal me connaître que de m'en croire heureux.

C'est d'un problème de mentalité collective qu'est parti M. Henri-Irénée Marrou. Ou plutôt de deux problèmes, d'ailleurs étroitement liés. Entendant par « culture » d'un âge donné « le type de vie intellectuelle » commun, durant cette période, aux esprits pleinement « développés » et armés, il s'est d'abord proposé de reconstituer la culture, ainsi comprise, des milieux occidentaux, vers la fin de l'Empire romain. Puis il s'est demandé comment de cette forme mentale, naturellement toute nourrie des apports de civilisations païennes, le passage, à ce moment même, s'opéra vers la culture chrétienne de notre moyen-âge.

Le travail de M. Hermann Krawinkel appartient à un genre de recherches trop rarement pratiqué et pourtant infiniment fécond : la sémantique historique. Il repose sur des dépouillements remarquablement étendus. Il s'inspire constamment du souci, très louable, de localiser dans l'espace les faits de langage et de les interpréter à l'aide de la carte. Il renferme plus d'une indication utile ou suggestive dont nos études tireront un durable profit. Cependant, ni sa méthode ne réussit à satisfaire pleinement, ni ses résultats, par suite, à emporter la conviction. Sans doute ne sera-t-il pas sans intérêt d'en marquer brièvement les raisons.

C'est à un double titre que les Annales se doivent de mentionner la publication par la Commission de recherche et de publication des documents relatifs à la vie économique de la Révolution (Mémoires et Documents, VII) de l'ouvrage de M. Jean Bouchary. Initiation d'abord ; instrument de travail ensuite. Et l'on ne peut s'empêcher d'évoquer, à propos du marché des changes à Paris sous la Révolution, et, nécessairement, à la veille, ou au lendemain, le problème des prix, ou des fortunes, qui ne seront réellement serrés de près qu'à condition d'une saine méthode préalable et d'un encadrement de la période considérée entre son point de départ et son point d'arrivée — afin de préciser le chemin parcouru, si possible, par des statistiques et leur représentation graphique ou cartographique.

Donner, en un volume de longueur moyenne, à la fois une étude théorique du droit chinois et une revue de ses institutions telles qu'elles se présentent aujourd'hui l'entreprise peut passer pour téméraire.

Surtout si l'on lient à ne point passer sous silence leur élaboration au cours de l'histoire. Mr Jean Escarra aurait pu limiter son entreprise à une étude détaillée des notions fondamentales du droit chinois et de leurs fluctuations à travers les siècles. Mais, dans ce cas, il ne se serait guère adressé qu'à des sinologues. Tel n'était pas son dessein (p. 3, n. 1). Il aurait pu se contenter de donner un tableau de l'état actuel des institutions législatives et judiciaires.

D'un point de vue différent de celui de M. André Piettre, M. Didier Lazard nous a procuré un « essai de synthèse » sur Les ententes économiques imposées ou contrôlées par l'Etat entre des entreprises similaires publiques ou privées. Etude juridique, comme le souligne l'auteur, qui cependant note que « le développement historique des ententes reflète très exactement l'évolution du rôle de l'Etat » (p. 29). Il envisage successivement les ententes dans les services publics ; les rapports entre les services publics et les industries privées ; enfin les accords dans l'économie privée.