Homo ludens, l'un des livres connus de l'historien néerlandais Johan Huizinga (1872-1945), a paru pour la première fois en 1938. Déjà, à cette date, Huizinga avait connu le succès avec son livre de 1919, le Crépuscule du moyen âge —un Crépuscule qui, sous sa forme française, est devenu, on ne sait bien pourquoi, un Déclin — et avec une intelligente biographie d'Érasme (1924). On sait qu'il est mort en 1945, après avoir été interné pendant trois mois par les Allemands dans un camp d'otages, puis exilé en province. C'était incontestablement un homme —ce qui est rare —et un véritable historien, ce qui n'est pas non plus très fréquent.

L'ouvrage de M. H. Cavailles a ramené à juste titre l'attention sur la constitution et l'évolution de l'une des pièces maîtresses de notre outillage national, en mettant l'accent sur le rôle capital joué, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, par les directeurs des Ponts et Chaussées et le corps des ingénieurs sous leurs ordres dans la construction des routes royales devenues nos modernes routes nationales.

Il y a certainement beaucoup à apprendre encore dans ce domaine ; un personnage comme Trudaine attend son historien ; on pourrait aussi concevoir un ouvrage consacré à l'histoire d'une grande route ; il comporterait une extraordinaire diversité d'aspects, techniques, financiers, économiques, urbanistiques, etc., sans exclure le point de vue artistique; il y a des valeurs esthétiques dans un double alignement d'arbres soulignant la fuyante perspective d'une route.

Il se peut que certains ironisent : « Avez-vous lu Baruch ? » Ma seule excuse, si c'en est une, est que ma découverte ne date pas d'aujourd'hui. Je crois bon, en tout cas, de signaler dans les Annales un des mouvements de recherches les plus hardis de ces trente dernières années, les plus impressionnants par les horizons qu'il entr'ouvre, les plus féconds en promesses, sinon actuellement encore en réalisations.

Signalons, dans le Journal de Psychologie, un remarquable article de Georges Dumézil. Il s'intitule Les Archanges de Zoroastre et les Rois Romains de Cicèron ; un sous-tifre dégage le sens du travail : Retouches homologues de deux traditions parallèles. L'auteur se propose en effet de montrer, non point des concordances remarquables entre des états de civilisation et de pensée captés sur divers points du domaine indo-européen et qui supposent le maintien en ces points d'un héritage commun — mais la concordance, plus difficile à interpréter, de deux efforts de pensée très postérieurs à l'unité indo-européenne : deux efforts distincts, deux efforts sans liaison possible dans le temps ni dans l'espace, mais qui tous deux cependant ont abouti à modifier dans un même sens et de la même façon un héritage idéologique commun.

Deux voyages en Espagne, le premier à l'époque de Charles Quint et presque de Philippe, — celui-ci vient de naître, 1527, et grandit…, — le second de 1568 à 1598 à travers les trente dernières années du règne de Philippe II. Le premier grâce à un recueil de documents, celui du R. P. José M. March, paru en 1941 et 1942, le second par les faveurs du livre surchargé d'intelligence et de pensée du Dr Gregorio Marano, qui, en l'écrivant pour notre plaisir, a rempli les années d'amertume et de tristesse que l'exil et les circonstances ne lui ont pas épargnées.

Ce n'est pas sans quelque méfiance que les gens sérieux ouvrent un livre consacré aux Basques. On nous a tellement gavés de fade littérature à l'usage des touristes, d'histoires de contrebandiers et de joueurs de pelote ! Si l'on sort du genre « syndicat d'initiative », c'est pour tomber assez souvent dans un chauvinisme virulent d'érudition locale. La langue basque ellemême, si passionnante qu'elle soit pour les linguistes, est d'une utilité à peu près nulle pour la culture générale : elle n'a ni donné naissance à une littérature qui compte, ni servi dans les documents officiels. — Du moins, les études basques n'ont pas été en France une pomme de discorde. Il n'en a pas été de même de l'autre côté de la frontière. Dans les luttes sanglantes qui, il y a quelques années à peine, ont opposé les champions de Fautonomisme et ceux de la centralisation, l'érudition a eu sa part de responsabilité.

Il n'est sans doute pas trop tard pour parler d'un petit ouvrage de synthèse historique, dont on n'a pas assez signalé l'intérêt. M. F. W. Walbank, spécialiste de l'économie antique, l'a publié sous le titre : La Décadence de l'Empire romain en Occident. Ce livre fait partie d'une collection (« Past and Présent Séries ») qui paraît, à la Cobbett Press, à Londres, sous la direction du préhistorien britannique bien connu V. Gordon Childe. L'étiquette est très nette : M. Gordon Childe ne fait nul mystère de son stalinisme orthodoxe, et entreprend de'faire pénétrer le marxisme dans les études historiques de langue anglaise.

Que la culture du maïs soit très ancienne dans le Nouveau Monde, antérieure à la découverte colombienne en maints endroits, on nous en a fourni des preuves incontestables. On signale même des trouvailles d'épis ou de grains de maïs dans les ruines des Toltèques au Mexique et dans les tombeaux des Incas au Pérou, datant d'à peu près 3 000 ans.

Il est presque certain que le maïs était inconnu en Europe avant la découverte des Amériques, plus difficile de savoir si la culture de cette céréale fut pratiquée simultanément en Asie et dans le Nouveau Monde. Kaj Birket- Smith accepte le point de vue généralement admis que cette culture est d'origine uniquement américaine et fait de la Colombie l'aire de son développement initial.

Vennes — étymologiquement, des barrages de rivière à l'origine établis, au voisinage de Liège, pour prendre le poisson. Depuis le XVIe siècle, une usine métallurgique, devenue de nos jours la puissante Compagnie générale des Conduites d'Eau qui, par ce volume commémoratif, donne un bel exemple aux autres sociétés industrielles de Belgique… et d'ailleurs. Une documentation érudite, certes, mais aussi une enquête technique, au laboratoire, sur les fontes anciennes ; mais encore une histoire financière, et même la plus contemporaine. Des pièces justificatives et des annexes, une bibliographie étendue, l'illustration enfin complètent un ensemble tout à fait réussi.

Fès, à la veille du Protectorat français, est la plus caractéristique des villes du Maroc, en même temps qu'elle érige un type absolument personnel.

C'est la ville par excellence. C'est elle qui a le mieux sauvegardé des traditions citadines, obscures quant à leurs origines locales, mais renforcées et imprégnées par l'apport hispano-musulman. Elle doit compter, vers 1900, quelque 115 000 habitants, soit près de quatre fois la population de Rabat à l'époque. L'agglomération la plus ancienne, la Médina, assemble autour de la Mosquée-Université, Qarawiyîn, ses quartiers hiérarchisés. Plus loin, une grosso bourgade, de caractère militaire et rural, Fès Jdîd, accolée à un quartier juif.

Place commerciale et manufacturière, Fès est, pour toute la partie Nord et Sud-Est du Maroc, le pôle économique d'attraction et de distribution. Un comput fait en 1938, à un moment où la part du travail artisanal a déjà décru devant celle, grandissante, de l'article européen, donne une idée de son importance industrielle.

Je signale tout de suite l'apparition d'un excellent livre — une thèse de doctorat de Sorbonne : Le Terroir de Paris aux époques, gallo-romaine et franque, de Michel Roblin. « Excellent », épithète molle ; mais le livre de Michel Roblin n'est pas un livre mou. C'est un livre dense, et cependant aéré ; peu verbeux, et cependant très clair ; d'esprit novateur et curieux, nullement moutonnier, fort original. Je l'ai lu, et dépouillé, avec le plus grand plaisir. En bref, c'est une étude sur le peuplement de la Civitas des Parisii. Pour résoudre les énigmes qu'un tel sujet présente naturellement à L'enquêteur, l'auteur a eu sans doute recours aux documents ; mais ils sont très tardifs, relativement ; pour les époques antérieures, les époques sans textes, il s'est adressé à la fois à la géographie, à la toponymie et à l'hagiographie. Dans tous ces domaines, il apporte du nouveau.

Une nouvelle édition de la Misère de la Philosophie, critique cruelle et méprisante par laquelle Marx répondit à la Philosophie de la Misère de Proudhon, vient de raviver l'intérêt du public pour la polémique célèbre qui mit un point final aux relations personnelles des deux hommes. Tout semble désormais dit au sujet d'un conflit de caractère à la fois idéologique et personnel dont les échos, en dépit de plus d'un siècle de distance, résonnent encore aux oreilles de ceux qui considèrent ces deux grands théoriciens comme leurs chefs de file.

M. Henri Michel, le dévoué et efficace Secrétaire général du Comité d'Histoire de la Résistance française que préside Pierre Caron et qui, depuis la Libération, a accompli la tâche excellente qu'on sait —nous donne, sous le format modeste d'un des petits volumes de la Collection Que sais-je? une esquisse, ou un précis, d'une Histoire extrêmement obscure encore, en maintes parties, et fort délicate à exposer quand on est scrupuleux. — Treize chapitres : I, les débuts ; — II et III, le mouvement dans les deux zones, Nord et Sud, jusqu'à la fin de 1942 ; — IV, Partis et Syndicats ; — V, les tentatives de rapprochement entre le Comité extérieur en quelque sorte (celui de Londres) et la Résistance intérieure, privée de moyens d'action efficaces ; — VI, la Résistance en Afrique du Nord ; —VII, VIII, IX, X, les organes et les moyens : liaisons, réseaux, journaux clandestins, maquis ; — XI, la création des Forces Françaises de l'Intérieur (F. F. I.) le 1er février 1944 et leur organisation ; — XII, le rôle de la Résistance dans la Libération ; — XIII, le martyre de la Résistance.

Notre collaborateur Jean Meuvret, à l'heure actuelle l'un des rares connaisseurs de la France économique du XVIIe siècle, n'a pas une propension naturelle à se lancer dans des synthèses péremptoires. Il aime cheminer à pas lents, examinant, réexaminant les problèmes, pour lui jamais simples, et dont les solutions, aurait dit François Simiand, « ne sautent pas aux yeux ». On lira donc avec attention les quatre études serrées qu'il vient de donner au cours de ces dernières années et qui s'éclairent d'être ainsi rapprochées.

La Revista de Occidente vient de publier, sous la forme d'un élégant volume, dans sa Biblioteca de la Ciencia econômica, neuf des articles anciens qui, en marge de ses livres, ont consacré, voilà déjà des années, la réputation d'Earl J. Hamilton, économiste passionné d'histoire. Excellente occasion pour nous de relire en espagnol des articles parus primitivement en anglais et dont seuls, en Europe, des amis de jeunesse d'Earl Hamilton, comme le signataire de ces lignes, possèdent la collection complète.

Ceux qui ont suivi les travaux de M. R. de Roover savent à quel point ils ont renouvelé l'histoire des affaires. On peut dire qu'avant lui personne n'avait expliqué ce qu'était la spéculation sur les changes, pièce maîtresse du système bancaire des derniers siècles du moyen âge et du XVIe siècle. Sonlumineux article sur le contrat de change résume pour le lecteur pressé l'essentiel de ses conclusions tandis que deux études minutieuses sur le change sec et la comptabilité offrent la solution de difficiles problèmes techniques. Le livre sur la Banque des Médicis est une monographie cursive, mais substantielle, sur une des entreprises les plus considérables du moyen âge. Enfin, son grand ouvrage sur la monnaie, la banque et le crédit à Bruges au moyen âge restera, comme l'a écrit M. Renouard, un des classiques de l'érudition.

S'il y a, pour le biographe, « un double écueil à éviter : grossir démesurément le personnage et son rôle, en l'isolant, — ou bien, sous prétexte de l'expliquer, le noyer dans l'abondance des faits contemporains », on ne pourra soutenir qu'ayant aperçu les difficultés M. Aimeras les ait surmontées. Nous craignons même que l'éclairage donné par lui à « la figure attachante d'Odilon Barrot, laissée jusqu'ici dans l'ombre de l'histoire générale », n'ait été réduit à la fois par la fuite devant l'effort nécessaire de synthèse et par l'insuffisance de l'analyse.

Il nous semble que le second cahier du tome 170 de VHistorische Zeitschrift marque une date dans la publication de la revue. Jamais, depuis que cette g.'ande revue allemande reparaît, nous n'avions éprouvé, avec autant d'intensité, le sentiment que certains de nos collègues d'outre-Rhin s'efforcent, non sans courage, de participer à cette « revision » réelle de l'histoire allemande qui n'a rien de commun avec la tendance paresseuse consistant, une fois jetés au rebut les ouvrages d'inspiration nationale-socialiste, à présenter comme neufs des méthodes et des problèmes déjà périmés en 1933.

Aussi avons-nous cru devoir, avant de nous arrêter aux articles de Theodor Schiedor (Das Problem der Révolution im XIX. Jahrhundert), de Heinrich Bornkamm (Die Slaalsidee im Kulturkampf) et de Ludwig Dehio (Ranke urid der deutschc Imperialisrnus), exprimer à ces auteurs le plaisir que nous avons ressenti à les lire.

Roger Portal vient de publier, sous ce titre, la thèse de doctorat qu'il avait soutenue en Sorbonne, en décembre 1949. Cet ouvrage se présente agréablement : il a l'avantage d'être abondamment pourvu de tableaux; de cartes, de graphiques, et même de reproductions extraites d'ouvrages russes du XVIIIe siècle. — L'esprit, lui aussi, est satisfait. Grand sujet, l'histoire de l'Oural au XVIIIe siècle : toute l'histoire de la puissance russe, vue à travers son industrie métallurgique. Magnifique sujet même, si l'on considère la seule initiative de l'homme, car il s'agit de la création ex nihilo, de par la volonté humaine contre la volonté humaine, d'une immense concentration industrielle.

En 1934, les Annales signalaient un livre de M. Pierre Recht, dont les conclusions originales suggéraient tout un ordre nouveau de recherches. comme nous l'écrivions alors. A la veille de la guerre, l'auteur amorçait par Quelques aperçus sur les classes rurales du Namurois à la fin du XVIIIe siècle le beau livre — le grand livre d'histoire agraire — et sociale — qu'il nous procure aujourd'hui. Étude juridique, étude historique, ainsi s'intitulent les deux parties de l'ouvrage, complété de tableaux et d'annexés. Mais surtout, faut-il ajouter, histoire sociale — psychologique et humaine. C'est à ce que pensaient les intéressés eux-mêmes, non les juristes, ou les autorités — qu'a voulu s'en tenir surtout l'auteur qui, à son tour, a parcouru les itinéraires du grand Mayeur quand il enquêta, jadis, en vue du partage des communaux.