Les Annales sont bien en retard pour signaler à leurs lecteurs la traduction française, sous le titre de : L'homme et les métaux, du livre de T.-A. Rickard : Man and Metals. Livre de technicien, d'ingénieur qui a beaucoup voyagé et beaucoup pratiqué ; livre dense, copieux, serré — qu'une typographie un peu aride ne rend pas plaisant à la vue, qu'aucun croquis, aucun tableau n'éclaire, aucune reproduction non plus — mais qui cependant offre l'intérêt d'un roman, ou, si l'on veut, d'une épopée du labeur humain.

Le curieux livre que M. Robert-Léon Wagner intitule Sorcier et Magicien, et qui représente une intéressante Contribution à l'histoire du vocabulaire de la Magie, abonde en textes notables et en remarques utiles. Il repose sur un travail de dépouillement et d'inventaire considérable. Et cependant, il laisse dans l'esprit du lecteur une impression un peu déconcertante d'ambiguïté.

Etude de vocabulaire : dès la première ligne, elle est placée sous l'invocation de Ferdinand Brunot. Mais étude partielle — car, si elle eût prétendu embrasser tout le vocabulaire de la magie, elle eût excédé de beaucoup, nous dit l'auteur, les limites normales d'une thèse secondaire. Donc, elle se restreint justement au « problème posé par la naissance du mot magicien et par sa coexistence en français avec le mot sorcier.

Paris, 13 rue du Four. Le rez-de-chaussée et le premier étage d'un immeuble bourgeois, de nouveau… Là-dessus, quelle belle théorie on pourrait échafauder : Ces Français, qui ne travaillent que dans leur cadre bourgeois !…

Cessons de plaisanter. Le cadre importe peu. On travaille, et dur, dans l'immeuble bourgeois de la rue du Four. L'Encyclopédie française continue, bien que son personnel soit totalement dispersé, ses ressources rendues précaires par l'état de guerre, ses services de vente désorganisés, ses moyens d'action réduits à l'extrême. Tout cela n'a point empêché de paraître un volume dont il m'est interdit, personnellement, de dire du bien — mais dont je puis attester, parlant en historien, et la nouveauté, et l'utilité pratique, et la probité stricte d'exécution.

Le beau livre que Marc Bloch intitule La Société Féodale ; la formation des liens de dépendance, et qui vient, non pas grossir d'une unité mais enrichir d'iune valeur la collection L'Evolution de l'Humanité, dirigée par notre ami Henri Berr — ce beau livre savant et pénétrant, d'esprit large et de savoir minutieux, dresse une fois encore devant moi un de ces problèmes difficiles à résoudre que les deux directeurs des Annales prennent volontiers plaisir à se poser l'un à l'autre. Car comment dire du livre tout le bien qui convient, sans courir le risque de paraître trop bon ami ? Bravons ce que l'Eglise nomme le respect humain, et tentons de parler de Marc Bloch, ici, comme nous en parlerions en quelque autre revue…

Louis Lacrocq vient de mourir, à Guéret, dans la maison même où il était né, voici plus de soixante-dix ans, et où son existence presque tout entière s'est écoulée. Il avait été un des premiers amis des Annales, auxquelles il porta son abonnement, dès l'origine, à la seule lecture de leur programme ; il continua jusqu'au bout de suivre leur activité, avec une attention que j'ai bien le droit de dire passionnée. Il nous a, une fois au moins, donné sa collaboration. Entre temps, des liens vivants s'étaient noués, par où les affinités intellectuelles semblaient encore renforcées. L'un de nous s'honore d'avoir su gagner son affection et s'attriste aujourd'hui que cette chère intimité ne soit plus qu'un souvenir.

Voici, coup sur coup, dans la série dos Schriften für deutsches Recht, trois nouveaux volumes de Germanenrechte : les lois des Visigoths ou du moins, les plus anciennes, celles d'Euric et de Léovigild, seules retenues comme étant, nous dit-on, les plus proches du primitif esprit germanique ; deux recueils suédois, le coutumier de Westrogothie, qui est du milieu du XIIIe siècle, et le code royal de l'Upland, promulgué en 1276 ; la grande compilation islandaise, couramment dénommée « Grâgâsi ». Des lois visigothiques, nous avons le texte avec la traduction ; des documents Scandinaves, la traduction seulement.

Henri Bullinger, le successeur et continuateur de Zwingli, le patriarche de la Réforme à Zurich ; Henri Bullinger, l'irénique et l'œcuménique, qui pendant des années, à la tête d'une des églises dirigeantes, de la Réforme, fit preuve des plus belles et des plus humaines qualités ; Henri Bullinger, l'auteur de cette précieuse Correspondance qui a la valeur non pas tant d'un témoignage direct et personnel sur un homme, que d'une sorte d'ample recueil journalistique sur les événements d'une époque troublée. — Henri Bullinger, est-ce vraiment un beau sujet d'études historiques, ou un faux beau sujet ?

Un important recueil d'articles, de M. Albert Dauzat ; d'une de ses élèves, Mme Houth-Baltus, un solide mémoire sur le matériel toponymique — lieux-dits compris — d'une fraction de la région parisienne ; un nouveau fascicule des précieuses Recherches de M. Jacques Soyer sur l'origine et la formation, des noms de lieux du département du Loiret ; la suite des notes, toujours substantielles, que, dans les Annales de Bourgogne, M. P. Lebel consacre aux Problèmes toponymiques : voilà de quoi nous rassurer, s'il en était besoin, sur l'avenir d'un genre d'études dont l'histoire espère tant d'enseignements.

Nos tudes doivent dj M. F. Grenard quelques travaux de tout premier ordre d'une largeur et d'une pntration singulires : rappelons sa contribution la Gographie Universelle(T. VII, La Haute-Asie) son Baber et son Gengis-Khan pour ne parler ni des prcieux rapports sur sa Mission en Haute-Asie (1897-98) ni d'articles comme celui qu'il donna jadis nos Annales. Je voudrais dire ici tout le bien que je pense de son rcent petit livre : Grandeur et dcadence de l'Asie : l'avnementde l'Europe, qui vient de paratre dans la collection Armand Colin.

Le sentiment moral varie suivant les classes, et peut-être y a-t-il un rapport entre une certaine exacerbation de puritanisme et d'ascétisme, entre une dureté et même une cruauté absolues dans les jugements portés sur le prochain, surtout Sur un groupe d'une situation plus élevée, et le clivage social tel qu'il apparaît à tels moments de l'histoire.

Sur ce thème, Svend Ranulf soutient une thèse, savoir qu'il existe une indignation morale, c'est-à-dire « une disposition désintéressée à punir, à aider à la piunition des criminels » et qu'elle résulte d'une sorte d'envie déguisée, propre à la petite bourgeoisie, plus exactement à la partie inférieure de la classe moyenne (lower middle class).

Le livre que Franco Venturi intitule Jeunesse de Diderot (1713-1753; est loin d'être un livre indifférent. Il pose nettement de gros problèmes. Il y apporte, honnêtement, d'importants éléments de solution.

« Trop nouveau dans ses idées et trop fort dans ses paroles pour être considéré comme un littérateur, Diderot n'est pas un philosophe au véritable sens du mot — ni un poète, au sens profond… Trop bohème, trop peu cohérent pour donner une œuvre éternelle, il reste un objet de curiosité, plutôt que de compréhension. Et pourtant, le chef-d'œuvre de Diderot existe… ; ce n'est certes pas une œuvre philosophique ni artistique ; c'est un chef-d'œuvre pratique : l'Encyclopédie.

Dès les premières pages du livre qui nous occupe, M. Heinrich Mitteis nous en avertit loyalement : ce qu'il s'est proposé de nous donner n'est pas, à proprement parler, une histoire de l'élection royale, en Allemagne. Plus précis et plus limité, son dessein a été de retracer l'évolution des idées juridiques qui présidèrent aux vicissitudes de la pratique électorale. Certes, nul plus que nous, ici, ne rendra justice à ce louable souci du substrat psychologique. Les institutions monarchiques, les institutions politiques en général, ne sauraient, pensons-nous, prendre leur sens véritable qu'une fois leurs liaisons rétablies avec les profonds courants d-idées — de sentiments aussi — qui leur furent sous-jacents.

Le livre que M. Silberner intitule La guerre dans, la Pensée économique du xvie au xviir3 siècle1 marquerait-il le début d'un effort pour étudier, comime il le mérite, ce phénomène d'importance capitale : la guerre ? Il faudrait le souhaiter. Il est très bien de désavouer les violences et les brutalités de la conquête. Mais n'en point parler, sous prétexte qu'on a de bons sentiments et que la guerre blesse ces bons sentiments, c'est une calinotade ; il serait temps que les historiens cessent de s'en rendre complices.

A ce gros sujet, M. R.-H. Thornton vient de consacrer un livre important, British Shipping, publié par la Cambridge University Press.

La première partie constitue un très vivant exposé de l'histoire de la marine marchande britannique depuis le début du XIXe siècle jusqu ‘en 1939. De nombreuses précisions s'y trouvent rassemblées, sur le développement de la navigation à vapeur, sa naissance, sa lutte avec la navigation à voile, représentée par les Américains, qui avaient su s'attribuer un monopole de fait en créant des lignes régulières desservies par les fameux « clippers » pour le transport des marchandises et des passagers vers le nouveau continent.

« Capitalisme pas mort ! » En d'autres temps le lecteur du gros livre que Jean Lejeune vient de publier sur la vie économique à Liège et dans la principauté au XVIe siècle, aurait pu s'amuser à résumer ainsi, au sortir d'une lecture profitable, les 350 pages substantielles que livre à ses réflexions un jeune historien plein d'ardeur. Entendez que le titre même du livre met l'accent sur le gros mot en isme dont nous étudions ici même la genèse, il n'y pas bien longtemps. La formation du Capitalisme moderne dans la Principauté de Liège au XVIesiècle, c'est un beau sujet ; et ce qu'il y a d'un peu dogmatique, voire de scolastique dans la formule a paru, j'imagine, à l'auteur, propre à conférer à sa belle et bonne étude d'histoire régionale une dignité superéminente. Le profit est-il vraiment aussi grand qu'il l'a cru ? Je n'en sais trop rien ; mais nous y reviendrons.

Autour du malaise agricole, qui de tous les drames économiques du présent n'est sans doute pas le moins profond, une abondante littérature, de caractère surtout thérapeutique, s'est développée, durant ces dernières années. L'appréciation des remèdes tour à tour proposés n'est pas ici de notre ressort. Car leur choix, qui, chaque fois, ouvertement ou non, s'inspire d'une conception particulière du juste ou du profitable, appartient au domaine du jugement de valeur. Mais les faits invoqués, ne figurassent- ils qu'au titre d'arguments, demeurent, en principe, des faits, donc sujets à critique objective ; et les parti-pris eux-mêmes doivent être tenus pour les symptômes d'un état de société auquel l'observation historique, au sens large du mot, ne saurait rester indifférente.

Les événements donnent une tragique actualité au livre de R. Winkel sur la Vistule, — le premier que l'on ait consacré à ce grand fleuve de l'Europe Orientale. Souhaitons que, une fois le calme revenu, bien des pages en paraissent périmées.

Toute la littérature géopoliticienne qui remplit la première partie de l'ouvrage a été scindée en deux chapitres confiés à deux auteurs différents. Une fois éliminées ces considérations, il restera beaucoup à prendre dans ce gros volume. On glanera, dans la seconde partie, de nombreux renseignements d'histoire économique.

Rien de plus clair, de plus net, de plus neuf que le simple schéma de la Révolution en 89, tel que d'une main sûre le trace Georges Lefebvre, connaisseur entre tous qualifié de notre histoire révolutionnaire. « Il n'y aurait pas eu de Révolution française, explique l'auteur des Paysans du Nord sous la Révolution, si le roi n'avait convoqué les Etats Généraux. La cause immédiate réside donc dans la crise gouvernementale, à laquelle Louis XVI a été incapable de trouver une autre solution… Mais le peuple n'a pas été le premier moteur. Ce sont les privilégiés qui ont forcé la main au roi… Le premier acte de la Révolution, en 1788, fut donc marqué par le triomphe de l'aristocratie qui, profitant de la crise gouvernementale, crut tenir sa revanche et ressaisir l'autorité politique dont la dynastie capétienne l'avait dépouillée.

Les réflexions qu'appelle l'ouvrage de Mme Marie-Madeleine Kahan-Rabecq : Sur les ouvriers d'Alsace, au temps de Louis-Philippe, sont, avant tout, de nature pédagogique : j'entends, relatives à ces problèmes d'apprentissage qui, ici, nous ont déjà tant de fois occupés. La conscience de l'auteur est hors de doute ; de même son goût de l'histoire, son désir d'atteindre, par delà les phénomènes immédiatement apparents, les faits de profondeur, dans le domaine de l'économie, de la structure sociale, des attitudes mentales.