Parmi les questions internationales qui intéressent spécialement la Belgique, le problème de l’or est un de ceux dont notre opinion publique doit être le mieux informée.

La question de l’or implique, en effet, toute la politique monétaire et la politique des prix, qui ont actuellement une importance fondamentale dans l’évolution de la crise mondiale.

Le fait que l’on discute de plus en plus la question de l’or est d’ailleurs un signe de la sévérité de la dépression économique.

Les opinions, en cette matière, sont profondément divisées. J’en fus le témoin à la Commission Internationale pour l’Étude de l’Or à Genève de 1929 à 1932, et l’année dernière à la Conférence Économique et Monétaire de Londres, qui fut la dernière tentative de redonner un peu de liberté à la vie économique dans le monde. Elle a totalement échoué sur la question de l’or par suite du heurt brutal entre des conceptions radicalement différentes, dont l’opposition se manifeste encore aujourd’hui avec la même acuité.

La sidérurgie a fait au cours du dernier siècle des progrès gigantesques, qui ont donné une grande complexité aux opérations nécessaires pour obtenir de façon économique la variété des produits métallurgiques finis que nous utilisons actuellement. A chacune des principales opérations correspond un stade déterminé dans la suite des transformations que doit subir la matière première, le minerai. La division du travail, qui est un des faits fondamentaux de notre économie moderne, a tout naturellement exercé son influence, et a amené la spécialisation d’entreprises ou de sections d’entreprises dans ces diverses opérations. Les conséquences de cette division se font encore sentir actuellement, malgré les progrès de l’intégration verticale qui ont conduit certains vastes consortiums à réunir entre leurs mains des établissements s’occupant de tous les stades de l’élaboration des produits métallurgiques. Il reste toujours vrai qu’aucune usine ou groupe d’usines ne fait passer le minerai à l’état de fer, de fonte, ou d’acier, sans faire appel à d’autres transformateurs, soit pour leur acheter des quantités variables de l’un ou l’autre demi-produit, pour lequel leur capacité propre de production est dépassée par la consommation de leur outillage assurant les stades suivants de la fabrication, soit au contraire pour leur céder les produits intermédiaires pour lesquels leur production est surabondante.

Pour saisir la conjoncture économique d’un pays et asseoir des diagnostics, nous devons, de plus en plus, préciser par des chiffres les grands faits économiques qui en sont les éléments. Mais ceux-ci ne se déterminent pas aisément, car le niveau des prix, la production, la consommation, l’épargne, la rémunération réelle du travail, les profits, etc.. sont des notions synthétiques; il n’est possible de les concrétiser qu’en rassemblant un ensemble de données individuelles et en les combinant d’une manière adéquate. Aussi l’étude des crises a-t-elle commencé par l’étude d’éléments indiciaires, tels que le prix de marchandises déterminées, la production de fonte. Ceci a déjà donné des résultats utiles, grâce à la concordance des éléments analysés, qui permettait des vérifications et laissait inférer de la partie au tout.

Lévolution de la législation sociale pendant l’année 1933 se caractérise spécialement par l’introduction de dispositions nouvelles inspirées par la situation financière.

Le déficit croissant a nécessité, dans le courant de cette année, l’adoption d’une série de mesures importantes : une grande place est occupée, parmi celles-ci, par les réformes rendues nécessaires par les abus constatés dans l’application de certaines lois sociales.

Déjà en 1932, certaines modifications que nous avons signalées l’année dernière (1) avaient été adoptées. Nous annoncions à ce moment qu’il ne s’agissait que d’un début, et que la révision de certains textes législatifs ou réglementaires devrait être poursuivie en 1933. Cette poursuite s’est faite énergiquement, grâce aux pouvoirs spéciaux accordés au gouvernement par la loi du 17 mai 1933.

A la suite de l’étude rétrospective de la conjoncture économique du Congo belge depuis la guerre, publiée dans ce Bulletin (i) il nous a paru utile de compléter périodiquement les indices économiques établis et de poursuivre régulièrement l’analyse et l’interprétation de la statistique coloniale recueillie.

Nous publierons dorénavant une notice semestrielle, aux mois de mai et de novembre, consacrée à l’étude des principaux indices économiques de la Colonie. D’autre part, on trouvera régulièrement dans les tableaux annexes de ce Bulletin une série de statistiques courantes et d’indices relatifs aux prix, aux exportations, aux importations, aux transports, à la production et à la situation de la Banque du Congo Belge.

Avant d’aborder l’examen de l’évolution de certains indices de l’économie coloniale, il est utile de se rappeler que ceux-ci ont été établis sur la base de 1927-1929 pour des raisons précédemment justifiées (2), base qui sera maintenue pour autant que des changements fondamentaux ou le recul des années n’imposent des modifications.

Le problème du chômage demeure un des plus préoccupants de l’heure. Il continue à requérir l’attention des économistes et celle des pouvoirs publics. On ne s’étonnera donc pas que nous lui accordions encore une place importante dans le présent annuaire. Ceci bien que, à notre avis, la Belgique n’ait pas été jusqu’ici un pays où la main-d’œuvre soit en excès d’une façon permanente, et bien qu’elle ait souffert du chômage dans une mesure moindre que la plupart des autres nations industrielles.

Rappelons que la Belgique ressentit les premières manifestations de la crise vers juillet 1929, et surtout en novembre, quand le marché diamantaire d’Anvers fut atteint par les conséquences du krach de Wall Street. Le chômage ne fit son apparition qu’au printemps de 1930, et il demeura bénin jusqu’en 1931. Survint alors la chute de la livre sterling, dont les conséquences furent redoutables. Certes, le pays ne fut-il pas touché dans ses œuvres vives, mais le chômage s’aggrava sérieusement durant toute l’année 1932.

La bourse de Bruxelles a encore été exceptionnellement déprimée jusqu’au 8 août, moment où la nouvelle des réformes financières créa un mouvement de spéculation haussière. Le Ier août, l’indice des actions était tombé au plus bas, à 26, le minimum précédent ayant été de 31, en avril 1933. Depuis septembre 1933, la baisse ininterrompue a été de l’indice 38 à l’indice 26, soit un fléchissement qui représente 32 %. Survenant dans un marché déjà déprimé, celui-ci est en rapport avec les conditions d’exploitation très difficiles auxquelles doivent faire face la plupart des industries belges; leur marge de fabrication est réduite par la course à la baisse des prix et comme celle-ci ne paraît pas encore toucher à sa fin en Belgique, les perspectives de profits apparaissent sous un jour très sombre, surtout dans les industries fondamentales, où les pertes enregistrées aux bilans des dernières années sont déjà importantes.

La baisse des cours est commune aux bourses de Bruxelles, de Paris et d’Amsterdam, mais elle est moins forte à cette dernière bourse. Elle reste toujours en opposition avec la tendance haussière de Londres.

Le marché des titres à revenu fixe a été plus ferme depuis le début de cette année; l’on sait toutefois que les taux de capitalisation restent excessifs et dépassent ceux des autres marchés de l’Europe occidentale.

On sait que la courbe de la production sidérurgique reflète assez fidèlement la situation générale de la conjoncture économique tant au point de vue de la rapidité qu’à celui de l’amplitude de ses oscillations. Ce fait seul suffirait à justifier l’objet de cette étude; mais pour notre pays en particulier il s’y ajoute le fait que la sidérurgie est une industrie de base de notre économie par son ancienneté aussi bien que par son importance propre et l’élan qu’elle a maintes fois donné à d’autres industries comme les charbonnages et même les transports.

L’histoire nous apprend que le fer était connu des Gaulois avant les invasions romaines et employé par eux sur une assez grande échelle. Notre sol était en effet très riche en matières premières : on y trouvait en abondance le minerai de fer sous forme de filons, de couches épaisses ou de grands amas facilement exploitables. L’immense forêt qui recouvrait notre région fournissait le combustible (bois, puis charbon de bois) à tel point que le « charbon de mine » qui était connu et exploité depuis longtemps ne servait encore chez nous en 1825, dans la métallurgie du fer, que comme source de chaleur pour le travail de la forgerie.

Les conditions économiques ont pris une allure défavorable en juillet. La spéculation supporta une nouvelle chute importante et l’augmentation des affaires cessa, la courbe B accusant un léger déclin pour le mois. En appliquant la politique gouvernementale actuelle, des conditions monétaires aisées ne peuvent exercer leur influence favorable habituelle lorsque les affaires doivent se relever d’une profonde dépression. La position actuelle des courbes reflète l’insuccès de l’inflation et autres mesures politiques gouvernementales tendant à produire une extension soutenue des affaires. On peut en conclure que les derniers mouvements économiques sont nettement défavorables et que leur développement futur repose, plus que de coutume, sur la sagesse des mesures que le gouvernement prendra en considération et adoptera. La nationalisation de l’argent a sérieusement ébranlé les changes et la bourse et a provoqué une nouvelle nervosité de l’opinion, retardant le retour de la confiance. Les effets immédiats de la nouvelle politique d’inflation seront très minimes.

Les relations qui existent entre la conjoncture et les finances publiques ont été très peu étudiées jusqu’à présent. Cela s’explique aisément. La science de la conjoncture est d’un développement récent. Les recherches entreprises par les instituts spécialisés dans les différents pays ont naturellement porté d’abord sur les phénomènes et les relations économiques, qui permettaient une mesure et une analyse plus efficace de la situation générale des affaires et de ses modifications, avant d’aborder des domaines où l’étude aboutirait surtout à constater les influences de la conjoncture. Aussi, si certaines séries relatives aux finances publiques ont été utilisées, elles l’ont été généralement pour dégager un phénomène important du mouvement économique, comme par exemple, les variations des revenus au moyen des statistiques de l’impôt sur le revenu.

La régression du commerce extérieur du Congo Belge qui, pour l’année 1931 s’était déjà révélée importante par rapport à l’année 1930, s’est encore accentuée dans une mesure notable au cours de 1932.

A l’aide de la statistique officielle, il nous sera permis de préciser l’ampleur de ce nouveau recul et de déterminer quels éléments de l’économie coloniale en ont été le plus ou le moins affectés.

Pour faire cette démonstration, nous suivrons la marche adoptée dans les chroniques précédentes. Nous utiliserons d’abord les totaux du commerce spécial, qui serviront de base à donner une vue d’ensemble; ensuite, pour une analyse plus approfondie, nous aurons recours aux totaux des groupes principaux de marchandises représentant environ 97 % de l’ensemble tant à l’exportation qu’à l’importation. Les groupes correspondent aux facteurs essentiels de l’activité industrielle et commerciale de la Colonie. Cette étude se bornera en général à la comparaison entre 1931 et 1932.

S’il ne s’agissait que de fournir matière à d’amples vérifications du jeu des lois économiques, les événements survenus depuis trois ans pourraient compter au nombre des plus utiles de l’histoire économique. Car on a rarement vu se manifester des déséquilibres aussi graves et aussi nombreux dans tous les domaines et se suivre des réactions plus paradoxales; celles-ci ont obligé les économistes à élargir leurs conceptions, à mieux distinguer dans leurs constatations le phénomène contingent de la règle, à formuler des règles d’application générale là où les principes n’avaient été précisés que pour des cas particuliers. Les écoles anglaise et scandinave sont déjà allées loin dans cette voie.

La triste réalité est cependant que tous ces événements sont le résultat d’accidents pénibles, survenus parce que la crise devenait trop intense et insupportable pour certaines nations; et ces accidents en ont entraîné d’autres, à tel point que les nations se trouvent maintenant dans des situations très différentes, que le mécanisme des prix internationaux est entièrement disloqué et que chaque groupe politique cherche à se créer, à l’intérieur de ses frontières, un certain équilibre économique ou tout au moins à étayer une situation branlante. Tandis que certains déséquilibres s’atténuent par le jeu d’adaptations économiques, d’autres ne cessent de renaître par suite de faits nouveaux. A aucun moment nous ne savons si le lendemain un facteur nouveau de dépression ne va pas surgir inopinément quelque part.

Dans notre dernière chronique de la conjoncture économique, nous avons mis en relief le divorce entre le domaine des monnaies, de la finance et des prix et celui de l’activité productive. Ce divorce reste une note caractéristique du moment; car, si l’on remarque depuis lors une influence plus grande des politiques monétaires divergentes sur le rythme de production, l’on doit ajouter que la confusion s’est accentuée dans le domaine financier. Le nombre de politiques qui se heurtent et exercent une influence effective sur un équilibre international des plus précaires a augmenté. La formation des prix sur les marchés internationaux se réalise dans des conditions inouïes et qui se transforment avec une rapidité déconcertante; plusieurs des éléments qui dominent la situation ne peuvent être, de leur nature, que transitoires. Aussi peut-on conclure qu’il faudra encore des remaniements profonds dans les niveaux respectifs des prix nationaux ou des monnaies avant qu’une stabilisation puisse s’accomplir sur des bases saines.

Avril a vu se poursuivre le développement de l’activité des affaires, quoiqu’il soit évident qu’il y ait quelques signes d’hésitation.

En dépit d’une tenue très satisfaisante des affaires et d’une grande aisance sur le marché de l’argent, les cours de bourse ont fléchi légèrement, si bien que la courbe A accuse un léger déclin. Le mouvement net de la courbe de la spéculation est donc en baisse légère de février à avril; ce mouvement se comprend dans l’attente de décisions en matière de régularisation des opérations de bourse, mais si ce recul s’accentuait, la réaction sur l’atmosphère des affaires serait très défavorable et ralentirait fortement l’allure de la reprise.

Au trente avril, nos statistiques indiquaient un progrès économique, mais ce qu’elles indiqueront à la fin de ce mois peut dépendre plus des événements de Washington que des mouvements industriels.

Les prix des marchandises ont oscillé faiblement durant ce mois, mais parmi les divers groupes les modifications intervenues ont plutôt intensifié que corrigé les déséquilibres existants.

Avant de passer en revue la situation de l’industrie sidérurgique belge au cours de l’année 1933, il nous paraît intéressant de revoir certains aspects de son évolution générale depuis la guerre et de rattacher en même temps cette période aux quelque dix années qui l’ont précédée. Un graphique qui résume cette évolution servira de base à notre aperçu; il est divisé en quatre parties, l’une relative à la production, l’autre à la consommation de matières premières et enfin, les deux dernières, à la productivité. Dans la première partie les productions belge et luxembourgeoise de fonte et d’acier sont comparées à la production mondiale; les lignes de pourcentage sont dessinées en dessous.

Au point de vue du mouvement général de la production, nous remarquons qu’il a fallu attendre les années 1923–1924 avant d’atteindre les niveaux d’avant-guerre. Il y a eu, immédiatement après la guerre, une période de reconstitution, ce qui fait que si l’on envisage la période 1920–1933 seule, le rythme de l’évolution semble avoir été rapide et même exagéré; mais comparée à celle d’avant-guerre et compte tenu des années de réorganisation, l’évolution est au contraire relativement lente. On se rappellera en effet que depuis 1886–1890, le rythme général moyen de la production de fonte est passé pour la Belgique de 2,10 % à 4,60 % par an après 1905, et pour le monde de 3,5 % à 6 % vers 1900, pour redescendre à 3,7 % avant la guerre; pendant la période de dépression de longue durée qui précédait, il s’était maintenu d’une part à environ 2,10 %, d’autre part vers 3,75 %. De 1923 à 1928 le rythme réel d’accroissement de la production mondiale de fonte a été de 5 % par an; or ce sont précisément des années d’essor cyclique, la progression moyenne est donc certainement beaucoup plus faible, mais il n’est pas possible de l’apprécier exactement, la période envisagée étant trop courte pour calculer une ligne de tendance ou une ligne de vitesse moyenne. Il en résulterait cependant que nous sommes actuellement en période de « stagnation » ou de dépression de longue durée. Si on considère d’autre part la production d’acier brut, l’évolution semble plus rapide : la production de 1928 représente 186,6 % de celle de 1911 tandis que 1932 nous ramène au niveau de 1906; pour la fonte 1928 est égal à 141,5 % de 1911 et 1932 à 1901, mais cela s’explique. Un calcul analogue à celui fait ci-dessus nous indique que pendant les cinq années d’essor 1923–1928, le progrès moyen réel fut de 7,2 %; mais pendant l’essor de 1909 à 1913 il avait été de 9 %. D’autre part il faut aussi tenir compte du fait que l’acier continue à se substituer de plus en plus au fer dans ses diverses applications; sa production doit donc se développer plus rapidement que celle de la fonte.

Le graphique des courbes accuse une situation moins favorable qu’en septembre, la chute des courbes de la spéculation et des affaires se maintenant en octobre. La position de la courbe de l’argent est favorable à une continuation de la reprise des affaires, mais le marché de l’argent est, à un degré particulier, affecté par des influences artificielles. Donc le relèvement économique aux États-Unis, qui avait beaucoup d’éléments sains et était généralement partagé par d’autres pays, a été arrêté pendant les derniers mois, ce recul étant la conséquence naturelle d’une production anticipée et des achats de l’été dernier. Si les incertitudes actuelles, monétaires et autres, n’existaient pas, une continuation du relèvement pourrait être attendue avec confiance. Mais depuis que les développements économiques peuvent être déterminés par des mesures d’inflation extrême, des prévisions scientifiques ne sont guère possibles et tout ce que l’on peut affirmer, c’est que le relèvement économique ne se maintiendra que s’il apparaît clairement que le dollar n’est plus exposé à une nouvelle baisse.

En dehors de l’industrie électrique et des industries verrières, la plupart des branches d’activité qui sont passées en revue dans cette chronique sont des industries transformatrices ou appartenant à l’industrie dite « moyenne », où les liens qui unissent, dans les entreprises même, le travail — de direction au moins — et le capital, sont personnels et étroits. En tout cas les quelques exceptions qu’on rencontre à cette règle, datent de la période d’après-guerre ou tout au plus du début du siècle.

Un autre phénomène caractérise ce genre d’industrie; les entreprises y pratiquent l’ancienne forme d’expansion (le réinvestissement partiel des bénéfices) et exceptionnellement seulement l’appel au marché financier pour des capitaux nouveaux.

La sensibilité de ces industries à la conjoncture ne peut être synchronique et uniforme, puisque le groupe comprend toute la gamme depuis des industries de luxe, comme l’industrie diamantaire, et une industrie de base, telle l’industrie électrique, jusqu’aux industries alimentaires dont la résistance à la crise a été maintes fois soulignée par les publicistes.