Parmi les trop nombreuses victimes de la tragédie qui a dévasté le monde et décimé les rangs des travailleurs intellectuels, leurs collègues et leurs amis doivent un hommage particulier à ces laborieux qui défrir chent un champ d'histoire, y dégagent des faits et des plans du passé, en tirent des explications de caractère général, et préparent pour d'autres des points de départ pour de nouvelles recherches, l'ouverture d'horizons toujours plus larges.

Bedrich Mendl était de ceux-là. Il était directeur de l'Institut historique de Prague, professeur d'histoire économique et sociale à l'Université Charles IV, membre de la Commission des grands voyages et des grandes découvertes du Comité international des sciences historiques. Il a laissé plus de vingt articles et mémoires, quelques-uns consacrés à l'histoire politique, presque tous à l'histoire des finances, des métiers, de la constitution des villes. Sa curiosité de plus en plus étendue l'a conduit à étudier, longuement et solidement, un chapitre d'histoire de l'Empire romain ainsi que certains aspects du monde contemporain, mais son domaine propre était la Bohême et les provinces qui l'avoisinent, depuis le XIVe jusqu'au XVIIe siècle.

Réunir en un seul volume ce que nous savons de l'histoire des institutions des sociétés et des économies des colonies espagnoles en Amérique, depuis la découverte jusqu'aux guerres d'Indépendance, — c'est-àdire décrire la transplantation dans le nouveau monde des formes espagnoles de gouvernement et de société, puis leur évolution dans un milieu entièrement différent et fort éloigné de leur milieu d'origine, — tel est le but de M. HARING dans son récent livre, The Spanish Empire in America.

Bien que l'auteur soit l'un des investigateurs modernes les plus compétents en la matière, ou peut-être parce qu'il connaît son sujet mieux qu'un autre, il commence par nous prévenir que l'état actuel des recherches ne permet pas d'offrir une description systématique solide et adéquate du gouvernement, de l'économie et de la société, d'après une documentation exhaustive.

Sous l'apparence quelque peu sévère et toute technique d'une simple collection de documents, ces huit volumes constituent un apport fondamental à l'histoire économique et sociale de la Nouvelle- Espagne, c'est-à-dire d'une des parties les plus riches, les plus diverses et les plus complexes des Indes espagnoles. Lorsqu'on sait que Mexico a été très longtemps la ville la plus importante du Nouveau Monde, que les ressources du Mexique vice-royal ont été agricoles et pastorales autant et plus que minières, on peut comprendre que nulle partie du continent n'est capable de fournir une image aussi complète des grands problèmes économiques et sociaux de la colonisation espagnole en Amérique. Or, l'histoire du travail touche de plus ou moins près à toutes les questions, depuis l'exploitation des mines d'argent, des ingenios ou moulins à sucre, du blé, du maïs, et des troupeaux, jusqu'aux fabriques de drap — les obrajes de panos — et même à la construction de ces puissants monastères qui marquent encore de façon si originale le paysage mexicain.

Notre collaborateur Carlo M. Cipolla, dans un article du Giornale degli Economisti intitulé La svalutazione monetaria nel Ducato di Milano alla fine del Medioevo a eu la bonne fortune de pouvoir comparer une série milanaise de changes entre monnaie de compte et monnaie d'or, qui s'étend du milieu du XIIIe au début du XVIe siècle. Lacunaire pour la période 1262-1398, cette série est continue pour la période qui suit (1398-1515). Attirons en deux mots l'attention du lecteur sur ce remarquable travail.

En ce milieu du XIIIe siècle, peu après l'apparition du florin d'or florentin, Milan s'est dotée elle aussi de sa monnaie d'or, l'ambrosino, au titre de 1 000 et au poids de 3 g. 53. — Jusqu'aux premières années du xvie siècle, l'ambrosino s'est maintenu sans altération ni de poids ni de titre. Mais les monnaies d'argent, pendant ce même temps, n'ont cessé de s'amenuiser tant en titre qu'en poids.

Notre excellent collaborateur, l'abbé Berthet, se rappelle à l'attention des Annales par la vigoureuse petite note qu'on va lire. Et qui, en effet, pose un problème. Il est légitime de baptiser de tel ou tel nom des formes de terrain préalablement définies avec rigueur. Où l'abus commence — où, l'illusion — c'est quand on fait remonter ce baptême au « peuple ». par une vieille vue romantique des choses. En garde contre le romanlisme.

Caravelles, naves portugaises et galions espagnols ont créé, au XVe et au XVIe siècle, un réseau de routes océaniques par quoi sera uni, pour la première fois, le monde atlantique. Car, par delà les mers, les économies, sociétés et civilisations européennes se rencontrent et se mêlent avec les économies, sociétés et civilisations américaines. Au début, le Nouveau Continent fournit le bois brésil, l'or, les perroquets. Bientôt, vers 1526-1530, les Européens s'élancent à la conquête des empires et le peuplement des terres commence. Appât des mines de métaux précieux, mais également volonté de développer les monocultures pour l'exportation : dès lors, un problème se pose, inéluctable, un très gros problème, celui de la main-d'oeuvre ; au fond, c'est tout le problème des rapports humains entre intrus et indigènes. Au Brésil et dans îles de la « Méditerranée américaine » il sera résolu par l'importation d'esclaves noirs.

Il est difficile de rendre compte pour lui-même d'un ouvrage conçu comme un élément d'une tâche définie dans un volume précédent. Il faut donc, d'un mot, la rappeler.

La cloison des langues, des formations scolaires, des routines, maintient trop souvent encore l'histoire musulmane dans un secteur réservé, à l'écart de l'histoire universelle définie par les examens universitaires. Inversement, le spécialiste des choses musulmanes a trop souvent été un linguiste ou un philosophe peu averti des exigences d'un travail historique sévère. Des règles, des méthodes, qui, pour l'historien de l'Occident, représentent depuis trois générations l'enfance de la science, restent, à trop d'orientalistes, par ailleurs des plus éminents, à peu près insoupçonnées. Ceux qui, comme l'auteur, ont conquis par leur propre travail une saine méthode, savent le temps qu'il leur en a coûté et tout ce qui, faute de directives, risque, chez les jeunes, d'être encore gaspillé.

Le gros livre que M. Poblete Thoncoso consacre au problème de la sous-consommation en Amérique du Sud aborde un problème d'intérêt évident. Il ne prouve guère au lecteur, malheureusement, que les difficultés de l'étude. Veut-il citer le pourcentage de la population active dans les pays envisagés? Certains chiffres datent de 1912, de 1919, de 1940 pour les plus récents. Or, de 1940 à 1944, ce pourcentage, aux États-Unis et au Canada, est passé des environs de 40 aux environs de 60 I Que s'est-il passé, pendant ces années, dans cette Amérique du Sud, dont on nous dit, en conclusion, qu'elle s'est « industrialisée à un rythme extraordinaire »? Les enquêtes-utilisées, ni par leurs dates, ni par leurs méthodes, ni par leur valeur (la meilleure est de beaucoup celle sur l'Uru- ,guay, de M. Graña), ne permettent de sûres comparaisons.

Dans un bref volume, M. Pigou, professeur honoraire à l'Université de Cambridge, présente au public un mémoire rédigé en 1941-1942 à la demande du gouvernement britannique. Destiné à l'information des départements ministériels, son objet est « d'expliquer les faits de la période qui suivit immédiatement la guerre, non pas en premier lieu pour leur intérêt propre, mais dans l'espoir que leur connaissance pourra fournir certaines directions pour la politique courante d'après guerre ». L'origine, en quelque sorte didactique et officielle de ce travail en explique la plupart des caractères. L'auteur, assisté de plusieurs collaborateurs, a pu utiliser certains documents statistiques inédits ; en particulier ses premiers chapitres, concernant l'emploi, reposent sur des sources nouvelles fournies par le Ministry of Labour ; malheureusement, pressé par le temps, il n'a pas pu donner à d'autres chapitres, surtout la partie IV (« Intervention du gouvernement dans l'industrie »), que la forme d'un résumé, ou d'un catalogue de faits, où la sécheresse générale de l'exposé s'accuse encore davantage.

« Au Brésil, comment mourir de faim ? Il y a partout des bananes et du maïs… » Ce fut là, pendant longtemps, un article de foi pour bien des Français qui se vantaient d'être de parfaits connaisseurs des problèmes brésiliens et de grands amis du peuple brésilien. Véritable paradis, ce Brésil, où, l'homme ne souffrant ni du froid ni de la faim, la question sociale n'existait pas. Je ne suis pas certain que cet axiome ne soit pas encore tenu pour vrai par certains de nos compatriotes, aussi bien que par quelques cariocas et paulistas. Pourtant l'alarme a été donnée et, là-bas, des hygiénistes et des géographes ont commencé d'étudier les questions alimentaires. Ils n'ont pas manqué de souligner à quel point et comment, de l'Amazonie équatoriale jusqu'aux pampas du Rio Grande do Sul, le problème de la faim est une cruelle réalité.