Le premier poste de juge que j'ai occupé a été celui de juge d'application des peines. Durant 8 années, j'ai été chargé d'accompagner et de surveiller des condamnés, parfois de les incarcérer, de ma propre initiative, d'office, au nom de leur apparente dangerosité, de la protection de la sécurité collective, de l'ordre public.

Puis je suis, presque par hasard, devenu juge d'instance, ce magistrat quiest tout à la fois appeé à être un civiliste géné raliste de proximitéet un spécialiste du droit de la consommation, notamment du droit du crédit.

Là, j'ai appris que je ne devais pas, d'office, m'inté resser à l'ordre public, au nom duquel j'avais pourtant tant puni. J'avais incarcéré tant d'hommes et de femmes, le plus souvent pleins de leurs faiblesses sociales et psychologiques. Je ne devais pas protéger, mê me ceuxque la loi appré hendait comme les faibles au contrat.

On choisit d’ê tre jugédans l'idée de rendre justice et mon idée du juste est celle de l'unité sociale et de la cohérence. En cela je ne pouvais et je ne peux toujours pas penser le droit comme divisible; il n'y a pour moiqu'un ordre public, sans distinction entre sa part pénale et sa part civile. Protection et sanction ne se justifient l'une que par l'autre.

Penser l'unicitédu droit et rester le juriste que j'avais choisi d’être, dans la cohérence de son office, voil à ce qui m'a guidé et me guide encore aujourd'hui.

Un autre refus m'habitait, celui de céder à la tentation de définir moi-mê me, seul, mon office, alors que je suis appelé à rendre la justice au nom du peuple français, comme le rappelle la loi, à servir. Exclure l'imperium du juge et pourtant ré sister à cequiétait la jurisprudence restrictive de notre Cour de cassation. Une seule voie était légitime, m'en remettre au dialogue des juges et au droit de l'Union.