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Économie, société et politique aux deux derniers siècles de la République romaine

Published online by Cambridge University Press:  25 May 2018

Yvon Thébert*
Affiliation:
École Normale Supérieure de Saint-Cloud

Extract

Récemment, deux études de C. Nicolet ont à nouveau attiré l'attention sur un des apports les plus importants de sa thèse : la nature réelle de l'ordre équestre et les conséquences qui en découlent quant à l'interprétation de la vie politique à Rome durant la période qui s'étend de la deuxième guerre punique à la fin de la République. La démarche de C. Nicolet n'est d'ailleurs pas isolée : P. A. Brunt, en particulier, avait émis des idées comparables et, dans un article rendant compte de la thèse du premier, il soulignait, audelà de quelques divergences sur des points secondaires, la similitude de leur analyse.

Summary

Summary

What was the equestrian order ? The meaning of this term is now well-established, thanks in particular, in France, to the work of C. Nicolet. The precise manner in which he delimits the social content of this ordo does away with older interprétations, which essentially boiled down to unwarranted confusion of knights with businessmen. But the question remains open, for the way in which past errors have been rectified is itself not neutral : it implies—more or less explicitly depending on the author—a primitivist conception of Roman society in the last two centuries of the Republic, one whose specificity is thus concealed. In my view it is necessary to make this specificity clear, on the contrary, and we can advance a number of hypotheses flowing from one observation : the orders, by now completely at odds with the new social realities, constitute a blind alley for historians wishing to study the problems of that age. To regard them as a type of social organization "apart" from classes, endowed with their own perfectly autonomous mechanisms, ultimately makes the profound conflicts which marked the end of the Republic incomprehensible : the roots of these conflicts infact lay in the social structure of a world in the throes of far-reaching change.

Type
La Société Romaine
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1980

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References

1. C. Nicolet, Rome et la conquête du monde méditerranéen,t. 1 : Les structures de l'Italie romaine,collection Nouvelle Clio, 8, Paris, 1977 ; Id.,« Les classes dirigeantes romaines sous la République: ordre sénatorial et ordre équestre», Annales ESC,n° 4, 1977, pp. 726-755. Les ouvrages de C. Nicolet constituent le point de départ et la référence constante de ces réflexions critiques : qu'il veuille les accepter comme un hommage à son oeuvre.

2. Id., L'ordre équestre à l'époque républicaine (312-43 av. J.-C),Paris, t. 1, 1966; t. 2, 1974.

3. Brunt, P. A., « Les équitésromains à la fin de la République », Annales ESC,n° 5, 1967, pp. 1090-1098; cf. aussi «The Equités in the Late Republic», dans Deuxième conférence internationale d'histoire économique, Aix-en-Provence, 1962, vol. 1, Paris, 1965, pp. 117149 Google Scholar et Social conflicts in the Roman Republic,Londres, 1971.

4. Contrairement à l'idée développée en particulier par Hill, H., The Roman middle class in the republican period, Oxford, 1952.Google Scholar

5. Aux côtés de P. A. Brunt on peut signaler Jones, A. H. M. (cf. par exemple, son intervention à la Troisième conférence internationale d'histoire économique, Munich, 1965, vol. 3, Paris, 1969, pp. 81104 Google Scholar), Finley, M. I. (cf. par exemple, L'économie antique, Paris, 1975 Google Scholar) ou les différentes études de E. Badian et surtout de T. Frank qui a largement contribué à cette orientation des recherches.

6. Cf. par exemple, Nicolet, C., « Essai d'histoire sociale : l'ordre équestre à la fin de la République romaine », dans Ordres et classes, Colloque d'histoire sociale, Saint-Cloud 24-25 mai 1967, Paris, 1973, p. 37 et n. 2.Google Scholar

7. La revue Dialoghi di Archeologiapermet de suivre l'évolution de ces recherches. On se reportera aussi à l'important colloque qui s'est tenu à l'École Normale Supérieure de Pise en janvier 1979 (Seminario internazionale di studio promosso dall’ Istituto Gramsci : « Forma di produzione schiavistica e tendenze délia società romana : u a.C.-n d.C. Un caso di sviluppo precapitalistico », à paraître). Les idées directrices du rapide exposé qui suit sont empruntées essentiellement au rapport d'A. Carandini, mais aussi à ceux de D. Manacorda et de J.-P. Morel.

8. Sur l'emploi de ce terme, cf. par exemple, G. Pucci, , « La produzione délia ceramica aretina… », Dialoghi di Archeologia, 7, 1973, p. 278 ss.Google Scholar

9. Cf. A. Tchernia, P. Pomey, A. Hesnard, L'épave romaine de la Madrague de Giens, 34e supplément à Gallia,p. 61 ss : parmi la cargaison se trouvait de la céramique commune, « preuve d'un commerce maritime portant sur un matériel dont la mauvaise qualité est le caractère le plus frappant » (p. 68).

10. Cf. Roma e l'Italia fra i Gracchi e Silla-Pontignano, 18-21 settembre 1969, Dialoghi di Archeologia,tV-V, 1970-1971, intervention de F. Coarelli, pp. 476-478.

11. A. Degrassi, « Epigraphica iv », dans Ment. Linc,s. VIII, 14, 2, 1969, p. 111 ss. Sur le contexte historique, cf. dans Studi su Praeneste,Pérouse, 1978, l'introduction de F. Coarelli, en particulier pp. iv-vn où il souligne le grand nombre de negotiatoresoriginaires de la ville présents à Délos à la fin du ne siècle av. J.-C.

12. Cf. Coareill, Roma e l'Italia…,p. 488 ; Cicéron, L'orateur, 2Til: citation d'un passage du Pro Cornelio,discours perdu de Cicéron. Cette phrase interdit de tirer, de remarques inverses du même Cicéron, des conclusions aussi strictes que celles de P. A. Brunt exposées à la conférence d'Aix-en-Provence, ibid.,pp. 125-126.

13. Cf. Nicolet, L'ordre équestre…,tableau vu, pp. 376-379.

14. Cf. Rougé, J., Recherches sur l'organisation du commerce maritime en Méditerranée sous l'Empire romain, Paris, 1966, p. 274 Google Scholar ss. Au contraire, les mercatoresse caractérisent par leur fonction commerçante (p. 287 ss). Cette définition est reprise par P. A. Brunt ( « Les équités romains… », p. 1 094) et parfois implicitement acceptée par C. Nicolet (cf. par exemple, Rome et la conquête du monde méditerranéen…,p. 201 : sénateurs et chevaliers manient l'argent, mais « il ne s'agit pas d'activités de type réellement économique (d'investissements dans la production ou les échanges)… ».

15. J. Rougé lui-même (ibid.,p. 279) souligne les liens au moins indirects existant entre negotiatoreset mercatores(à preuve l'inscription de Pouzzoles du temps d'Auguste mentionnant des mercatoresd'Orient qui élèvent une base en l'honneur d'un membre de la famille des Calpurnii, negotiatoresbien connus de la ville : CIL,X, 1797) et remarque que le verbe negotiarisert à désigner les activités de ces deux catégories. De même, si C. Nicolet privilégie souvent de manière excessive l'aspect financier et même usurier des activités des negotiatores,il adopte un point de vue moins restrictif dans d'autres passages de son oeuvre: cf. en particulier L'ordre équestre…, p. 358 ss.

16. Bell. Jug.,XLVII, traduction A. Ernout, Les Belles Lettres.

17. Malgré C. Nicolet reprenant J. Hatzfeld : cf. L'ordre équestre…,p. 360. Ce problème de vocabulaire est d'autant plus délicat que les auteurs ne semblent pas être toujours très attentifs à un emploi précis des mots : dans le même texte, Cicéron semble parfois peu préoccupé de distinguer les termes (cf. Verrines,II, 17) ou au contraire les fait correspondre à deux catégories de personnes bien séparées ( Verrines,II, 188).

18. Bibliothèque historique,V, 13.

19. On peut également signaler l'inscription de Termessos prévoyant l'immunité fiscale pour les publicains et leurs trafics dont la nature reste cependant inconnue (cf. Nicolet, L'ordre équestre…,pp. 352-353).

20. Sur les liens entre juges et publicains, et même sur l'identification progressive de ces deux groupes, cf. Nicolet. Les classes dirigeantes…,p. 750, et surtout L'ordre équestre…,pp. 551-554. 21. Brunt, « Les équitésromains… », p. 1 095.

22. Cic, Correspondance,XII, 3 (Habes enim ea quae non multi homines novi habuerunt, omnes publicanos, totum fere equestrem ordinem…),8 (apud eos qui res iudicant). On peut certes objecter que cette distinction au sein de l'ordre équestre maintes fois affirmée (cf. par exemple, Cic, Corresp.,ccxcv Att.,VII, 7, 5 où l'auteur distingue les publicani,les foeneratoreset les agricolae)souligne en réalité, en ce qui concerne la prise en charge des publica, l'originalité « d'une fonction dans l'État plus que d'une vocation économique » (Nicolet, L'ordre équestre.. ,pp. 287-288) : cette distinction me semble difficilement soutenable dans la pratique (cf. ci-dessus).

23. Cf. par exemple Nicolet, L'ordre équestre…,pp. 308-311.

24. Nicolet, ibid.,pp. 310-311.

25. Cette limitation nécessaire de l'accumulation du capital marchand, dont une des sources principales de profit est une position de monopole, rend certainement mieux compte des investissements fonciers de la part des negotiatoresque les impératifs d'une société où la terre occupe le sommet de la hiérarchie des valeurs, selon l'idée développée par C. Nicolet dans L'ordre équestre…,p. 361. .

26. Cf. en particulier l'état actuel des problèmes dressé par D. Manacorda au Congrès de Pise qui s'est tenu en janvier 1979 : « Questioni cosane. Produzione agricola, produzione ceramica e proprietari nell’ ager Cosanusnel I a.c. ».

27. Cf. P. Gros. « Hermodoros et Vitruve », dans Mefra,1973, pp. 137-161 ; sur le temple rond d'Hercule, cf. F. Rakob et W.-D. Hey Meyer, Der Rundtempel am Tiber in Rom,Mayence. 1973 (compte rendu de F. Coarelli dans Gnomon,1978, pp. 64-67 ; en attendant la publication des recherches encore inédites de F. Coarelli sur le forum boarium,on trouvera un résumé commode de l'état de la question dans F. Coarelli, Guida archeologica di Roma,1974, pp. 286-287, et dans R. Bianchi Bandinei.I.I et Torelli, M., L'arte dell'antichità classica, Etruria-Roma, Turin, 1976 Google Scholar, Arte romana, Schede, n° 28 ; sur les problèmes posés par les monuments in circo flaminioet sur l'activité d'artistes grecs à Rome au ne siècle av. J.-C, cf. F. Coarelli, « L’ “ara di Domizio Enobarbo” e la cultura artistica in Roma nel n secolo A. C. », Dialoghi di archeologia,3, 1969, pp. 302-368 et « Classe dirigente romana e arti figurative » dans Roma e l'Italia fra i Gracchi e Sillet…,pp. 241-265 (en particulier pp. 263-264 sur la signification politique des conditions dans lesquelles fut érigé le temple rond d'Hercule).

28. MarcadÉ, Outre J., AU Musée de Délos, Paris, 1969, pl.XXII Google Scholar (Statue du « Pseudo-athlète »). cf. Bianchi Bandinei.I.I et Torelli, ibid., Arle romana schede,nos 44 à 47, 71 à 73, 76-77.

29. Nicolet, C., Les Gracques, Paris, 1967, p. 194.Google Scholar

30. Nicolet, L'ordre équestre…,p. 471.

31. ContraNicolet, ibid.,p. 385 : «… l'ordre équestre est beaucoup moins une ‘classe économique’ qu'une ‘classe politique', et toutes les questions propres à sa dignitas,c'est-à-dire à son influence politique l'intéressent solidairement… ». Les nombreux exemples de divergences politiques au sein de l'ordre équestre prouvent le contraire : on peut encore citer les scissions qui apparaissent lors de la crise de 66-61, analysée par C. Nicolet lui-même : la coupure passe alors entre les publicains d'Asie et la majorité des chevaliers qui « choisissent, dans l'ensemble, de soutenir Cicéron et les modérés du Sénat » (p. 385), ce qui est bien naturel puisque la majorité de l'ordre équestre est liée économiquement et politiquement au Sénat. Il ne semble donc pas que l'on puisse conclure de cet épisode qu’ « il est vain de chercher des déterminismes ou des motivations économiques dans les clivages des guerres civiles », bien au contraire.

De même, les documents épigraphiques étudiés par C. Nicolet (pp. 347-355), documents qui montrent que le Sénat prend souvent des positions défavorables aux publicains, prouvent certes que les sociétés de publicains ne sont pas les maîtresses toutes puissantes de la politique romaine, mais ils prouvent aussi et surtout qu'il y a bel et bien d'importantes divergences d'intérêts entre elles et le Sénat.

32. Sur ce dernier point, cf. par exemple l'analyse par Will, E. des « Fondements et principes de la politique extérieure lagide au mc siècle », dans Histoire politique du monde hellénistique, I, Nancy, 1966, pp. 133183 Google Scholar.

Ces trois thèmes sont plus ou moins nettement affirmés selon les auteurs. Par exemple. C. Nicolet décrit, pour la période considérée ici (Rome et la conquête du monde méditerranéen,1, pp. 202-203) le développement d'une « classe financière et marchande » dominée par les negotiatoresdont « la couche la plus élevée… appartient à l'ordre équestre » ; classe certes en possession de patrimoines fonciers mais qui a « des activités essentiellement financières et mercantiles » et dont « le comportement est essentiellement fondé sur le calcul du profit » ; « cette couche sociale a des comportements collectifs… ». Ce passage, ainsi que d'autres sur « les formes économiques du commerce et de l'industrie » (pp. 177-178) ou sur le lien existant entre les intérêts financiers et commerciaux (p. 181), nous semblent effectivement rendre parfaitement compte des données en notre possession mais être en contradiction avec d'autres passages du même ouvrage où est exposée une démarche plus particulièrement suivie dans les autres études de l'auteur (cf. en particulier p. 190 où sont opposées sociétés d'ordres et de classes, et, p. 201, où est nié le rôle de certains chevaliers dans des « activités de type réellement économique » hormis la terre). Le problème est finalement de savoir si la prise en considération des spécificités des sociétés antiques doit déboucher sur la négation du rôle déterminant des structures économiques ou, au contraire, sur la recherche des modalités suivant lesquelles celui-ci s'exerce : cf. la dénonciation par C. Nicolet (p. 190) de « l'invasion du champ épistémologique par l'obsession des faits économiques (commune aux historiens marxistes et bourgeois de la fin du xixe et du début du xxe siècle…) » qui contribue à oblitérer le « caractère fondamental » de la société romaine, à savoir sa division en groupes juridiques, sa « segmentarisation officielle ».

33. Nicolet, C.. « Essai d'histoire sociale : l'ordre équestre à la fin de la République romaine ». dans Ordres et classes, Colloque d'histoire sociale, Saint-Cloud 24-25 mai 1967, Paris, 1973, pp. 42 et 48.Google Scholar

34. Cicéron, Pro Murena,xxiv, 49, traduction E. Bailly, Les Belles Lettres. Salluste confirme la participation des colons de Sylla (De Coniuratione Catilinae,XXVIII) et des proscrits (ibid.,XXVIII et XXXVII).

35. C'est le phénomène que décrit Cicéron dans le langage qui est le sien (Deuxième Catilinaire,IX, 20) : « … ces colons, installés dans des fortunes inespérées et soudaines, ont trop fait étalage d'un luxe auquel ils n'étaient pas habitués… ils se sont endettés… Alors ils ont décidé une poignée de campagnards, gens de rien et besogneux, à espérer, avec eux, des pillages comme ceux du passé. Les uns et les autres, je les range dans une même catégorie… (in eodem génère)».

36. Cicéron, De Imperio Cn. Pompei,II, 4 et IV, 17, traduction A. Boulanger, Les Belles Lettres. L'importance et l'honorabilité de ces milieux d'affaires sont également attestées par le paragraphe 18 : « Joignez-y des hommes appartenant aux autres classes (ex céleris ordinibus),actifs et industrieux : les uns trafiquent eux-mêmes en Asie et vous leur devez votre protection au loin, les autres possèdent des capitaux considérables placés dans la province. Votre humanité vous engage donc à sauver de la ruine un grand nombre de citoyens (il s'agit des menaces que fait peser Mithridate sur l'Asie) et votre sagesse à considérer que la ruine d'une foule de citoyens ne peut être indifférente à l'intérêt public. » Cette dernière idée est développée ensuite, en particulier dans le paragraphe 19 : «… le crédit et toutes les affaires d'argent qui se traitent ici et particulièrement sur le Forum sont étroitement solidaires des finances de l'Asie. La ruine ne pourra atteindre celles-ci sans que celles-là, ébranlées de leur chute, ne s'effondrent. » Nous sommes loin d'une société où les activités proprement financières et commerciales seraient secondaires et au sein de laquelle les groupes sociaux s'y consacrant seraient marginalisés.

37. Nicolet, « Les classes dirigeantes romaines… », p. 751.