En raison de l’évolution du chômage, l’on entend souvent prétendre surtout en dehors des frontières de notre pays, que l’économie belge est en période de conjoncture descendante.

A juger uniquement d’après les chiffres de la statistique des ouvriers sans occupation, l’on pourrait être enclin à reconnaître le bien fondé de cette constatation.

En effet, le total des ouvriers sans travail se situant à ± 100.000 au premier semestre 1948, s’est depuis lors progressivement élevé pour osciller pendant toute l’année 1949 entre 200.000 et 260.000, et pour dépasser, en janvier 1950, les 300.000, chiffre toutefois influencé défavorablement par les froids de janvier.

La position des banques s’est sensiblement transformée en 1949. Les dernières traces des opérations d’assainissement monétaire ont disparu du passif du bilan par la libération intégrale des dépôts temporairement indisponibles en janvier 1949, et au cours de l’année, les moyens d’action de nos établissements de crédit se sont accrus. Cette dernière évolution contraste avec celle qui avait eu lieu au cours des années précédentes où, malgré l’expansion de la circulation monétaire globale, le total des dépôts bancaires n’avait cessé de diminuer graduellement. Cette nouvelle tendance a permis à la commission bancaire de modifier en octobre 1949 le système des coefficients en vigueur depuis le 5 février 1946. I^a hausse des actions en Bourse au deuxième semestre, le relèvement mitigé mais continu des titres à revenus fixes, et la diminution du rendement des obligations nouvellement émises, témoignent de l’élargissement du marché des capitaux en 1949. Si les pouvoirs publics et les institutions d’utilité publique ont fait un beaucoup plus large appel au marché qu’en 1948, les sociétés privées l’ont au contraire délaissé davantage. Il s’avère de plus en plus, que l’évolution des émissions ne fournit en ce moment qu’une indication fragmentaire du mouvement général de l’épargne.

Le ralentissement de l’activité économique qui s’est manifesté au cours de l’année sous revue n’a pas manqué d’exercer son influence dans le domaine social. Cette influence s’est traduite principalement par l’accroissement du chômage et par la stabilisation des salaires au niveau atteint à la fin de 1948.

Il n’entre pas dans le cadre de la présente étude d’analyser l’évolution du chômage. Il suffira donc de rappeler que la moyenne journalière des chômeurs contrôlés a atteint 234.896 pour l’ensemble de l’année, contre 129.203 en 1948 et 67.560 en 1947. Chacun sait que les statistiques du chômage sont gonflées d’une façon anormale en Belgique, et qu’elles ne rendent pas compte exactement du mouvement général du phénomène. Néanmoins, on doit admettre que d’une année à l’autre, une détérioration sensible s’est produite en 1949 sur le marché de l’emploi et qu’elle pose des problèmes graves de politique économique d’une part, d’organisation sociale, d’autre part: les premiers étant traités dans d’autres parties de cette revue annuelle, nous ne mentionnerons ici que les seconds, à piopos de la réforme du régime de la sécurité sociale ainsi que de l’assurance-chômage.

1. — Le déroulement de l’année 1949 a montré que la hausse des prix de l’après-guerre, compte tenu de notre situation monétaire, était arrivé pratiquement à son terme durant l’été de 1948. A partir d’alors, un mouvement de baisse en relation avec la dépression conjoncturelle qui se manifestait dans le monde entier, apparut en Belgique.

Toutefois, le schéma classique ne fut pas entièrement respecté, en ce qui concerne les prix de gros. Ceux-ci ne fléchirent pas plus tôt ni plus profondément que les prix de détail, qui furent rapidement influencés par la chute des matières grasses, alors que les prix de gros furent consolidés par la fixité des produits minéraux et des matériaux de construction.

Dans l’étude que nous avons publiée en juin 1949 dans cette Revue, nous jetions un cri d’alarme sur le grave danger que faisait courir à notre industrie charbonnière le déséquilibre entre nos importations et nos exportations de houille, et nous demandions un freinage énergique des importations.

L’excès des importations sur les exportations a persisté pendant les huit premiers mois de 1949. Joint à une contraction de la consommation intérieure de combustibles, il a placé nos mines dans la situation critique que nous avions prévue, accumulant plus de trois millions de tonnes de stock sur leur carreau à la fin du mois d’août, et les contraignant à un chômage partiel qui se révéla désastreux, à la fois pour leurs résultats financiers et pour les ressources de leur personnel.

Notre cri d’alarme fut heureusement entendu, et à partir du mois d’août les importations furent freinées, cependant que nos mines s’efforçaient de relever leurs exportations au prix de lourds sacrifices.

Le niveau élevé de la production sidérurgique que nous avions connu en 1948 n’a pu être maintenu l’année dernière. L’écart est à vrai dire assez modéré; en ce qui concerne les fontes il n’atteint pas 5 %, et pour l’acier il est encore plus faible. Les chiffres globaux pour l’année ne donnent toutefois qu’une indication assez inexacte de la tendance et il est plus important de remarquer que le rythme de l’activité au cours des derniers mois était nettement inférieur à celui des premiers. Les conditions économiques dans les secteurs qui nous intéressent ont été sensiblement les mêmes pour les usines grand-ducales et pour les usines belges. Il ne faut donc pas s’étonner de ce que le ralentissement se soit également fait sentir au Luxembourg; il y a même été plus prononcé et se traduit par une réduction de près de 10 % du tonnage des fontes. Pour l’ensemble du monde la tendance a, au contraire, été vers un relèvement de l’activité. C’est précisément parce que les autres producteurs, et spécialement nos voisins immédiats, ont pu produire davantage que nous avons vu se fermer ou au moins se contracter certains débouchés. I’avance que nous avions acquise au cours des trois années précédentes n’a donc pu se maintenir. Ce sont essentiellement les conditions commerciales qui ont régi le niveau de la production en Belgique et au Luxembourg en 1949: le combustible était en excédent et il n’y avait pas manque de main-d’œuvre.

Le montant total de la production de l’industrie textile belge a été très semblable en 1949 à ce qu’il avait été en 1948: l’indice annuel moyen, établi sur la base 1936-38, a progressé de 3,9 % (voir tableau I).

Par contre, l’évolution de la production a été très différente au cours de ces deux années. Dès la fin de 1947, un ralentissement s’était manifesté dans la fabrication des produits textiles, et plus spécialement en tissage de laine. Il s’étendit progressivement en 1948 à tous les secteurs de l’industrie, sauf deux: le travail du jute, qui avait été paralysé jusqu’alors par des difficultés d’approvisionnement et la production de fibres artificielles, qui bénéficiait d’une expansion structurelle. Les perspectives étaient devenues peu rassurantes vers la fin de l’année.

En 1949, au contraire, l’industrie textile a bénéficié d’une reprise qui s’est développée régulièrement; en fin d’année, elle avait retrouvé des niveaux de production élevés. Sans doute, les résultats de 1947 n’ont-ils pas été égalés, mais le mouvement de baisse est manifestement conjuré et la production des tissages, notamment, n’est guère éloignée de celle des années 1936-38.

D’une façon générale, un certain ralentissement se manifeste en 1949 dans la production des industries reprises ci-dessous. Les quantités produites sont souvent inférieures à celles de 1948 et légèrement supérieures à celles de 1947. Certains indices premettent d’affirmer que dans de nombreux cas la consommation intérieure des produits envisagés est restée à peu près stable ou a légèrement augmenté; le recul de la production s’explique donc principalement par la diminution des quantités exportées. Cette situation peut paraître paradoxale, vu que les exportations en valeur ont atteint en 1949, le niveau le plus élevé depuis la fin de la guerre. Ce résultat a été acquis bien que par rapport à la moyenne 1936-38, les quantités totales exportées par la Belgique aient diminué d’environ 37 %. Ce recul quantitatif n’est pas uniquement imputable à la diminution des ventes de produits pondéreux, comme le charbon et certains matériaux de construction.

Les problèmes dont il est habituellement question dans notre revue annuelle (l’amélioration de notre réseau routier, l’indemnisation des sinistrés, la modernisation de nos voies navigables, etc..) méritent amplement de retenir l’attention pour leur intérêt propre.

Il se fait néanmoins qu’en 1949 — et surtout au cours du dernier trimestre de l’année — l’activité dans la construction a essentiellement été envisagée sous l’angle de la résorption du chômage. A de rares exceptions près, personne ne doute de l’état pitoyable de notre réseau routier, pour ne prendre que cet exemple. Cela n’empêche que si, enfin, on s’est décidé à réagir, le désir de résorber le chômage a exercé sur cette initiative une influence prédominante.

On peut ainsi apprécier une des influences bienfaisantes des discussions qui depuis des années tournent autour de la question du plein emploi. Sans doute, la possibilité pratique de réaliser le full employment reste aussi problématique que précédemment. On doit encore toujours se méfier lorsque d’aucuns prétendent que l’objectif du plein emploi est parfaitement compatible avec le fonctionnement d’un régime basé sur les mécanismes régulateurs d’une économie libre.

L’année 1949 marque une étape de l’évolution économique d’aprèsguerre. Elle a été caractérisée par de graves tensions et, au mois de septembre, par une série de dévaluations et de réadaptations des parités monétaires qui ont affecté pratiquement tous les pays. Ces événements ne constituent toutefois pas, en eux-mêmes, l’élément sensationnel qui a déterminé un changement d’orientation de l’économie mondiale. Ainsi que la suite de cet exposé le montrera, l’effet même des dévaluations sur l’évolution du commerce international a été de très loin inférieur à celui que l’on attendait. Les réajustements monétaires qui ont eu lieu tirent par contre leur importance du fait qu’ils marquent le terme de l’évolution des politiques d’inflation plus ou moins contrôlée, suivies jusqu’alors par presque tous les pays touchés par la guerre.

Durant les premières années de reconstruction d’après-guerre une certaine réglementation de l’économie, qui n’était que la continuation des mesures appliquées durant les hostilités, s’est avérée partout nécessaire.

Au point de vue climatique, 1949 a continué la série des années sèches; elle en est la quatrième. La chute de pluie a été anormalement faible; le niveau des pluies a été inférieur de 308,5 mm à la normale. Par contre, le nombre de jours de soleil a été supérieur de 30 % à la moyenne. Le nombre de jours de gel a été normal. Xa sécheresse s’est fait sentir principalement en janvier, février, juin, juillet et septembre. Néanmoins les statistiques révèlent que la production a été abondante, sauf dans certaines régions: en Ardenne, en Famenne et en Condroz, les ravages des mulots, qui s’avèrent catastrophiques en 1950, avaient déjà causé des pertes pendant la récolte dernière.

Au point de vue économique, l’accord est loin d’être unanime dans l’appréciation des résultats de 1949 par les différentes catégories de gens qui s’intéressent à l’agriculture. Disons d’abord que l’ambiance de la politique économique, au sujet de laquelle nous avons signalé le passage du dirigisme à la liberté dans notre dernier rapport, est devenue normale, à quelques exceptions près, telles que certaines mesures de réglementation à l’importation pour le beurre, le fromage et, par intermittence, le bétail.