Réunir en un seul volume ce que nous savons de l'histoire des institutions des sociétés et des économies des colonies espagnoles en Amérique, depuis la découverte jusqu'aux guerres d'Indépendance, — c'est-àdire décrire la transplantation dans le nouveau monde des formes espagnoles de gouvernement et de société, puis leur évolution dans un milieu entièrement différent et fort éloigné de leur milieu d'origine, — tel est le but de M. HARING dans son récent livre, The Spanish Empire in America.

Bien que l'auteur soit l'un des investigateurs modernes les plus compétents en la matière, ou peut-être parce qu'il connaît son sujet mieux qu'un autre, il commence par nous prévenir que l'état actuel des recherches ne permet pas d'offrir une description systématique solide et adéquate du gouvernement, de l'économie et de la société, d'après une documentation exhaustive.

Sous l'apparence quelque peu sévère et toute technique d'une simple collection de documents, ces huit volumes constituent un apport fondamental à l'histoire économique et sociale de la Nouvelle- Espagne, c'est-à-dire d'une des parties les plus riches, les plus diverses et les plus complexes des Indes espagnoles. Lorsqu'on sait que Mexico a été très longtemps la ville la plus importante du Nouveau Monde, que les ressources du Mexique vice-royal ont été agricoles et pastorales autant et plus que minières, on peut comprendre que nulle partie du continent n'est capable de fournir une image aussi complète des grands problèmes économiques et sociaux de la colonisation espagnole en Amérique. Or, l'histoire du travail touche de plus ou moins près à toutes les questions, depuis l'exploitation des mines d'argent, des ingenios ou moulins à sucre, du blé, du maïs, et des troupeaux, jusqu'aux fabriques de drap — les obrajes de panos — et même à la construction de ces puissants monastères qui marquent encore de façon si originale le paysage mexicain.

Caravelles, naves portugaises et galions espagnols ont créé, au XVe et au XVIe siècle, un réseau de routes océaniques par quoi sera uni, pour la première fois, le monde atlantique. Car, par delà les mers, les économies, sociétés et civilisations européennes se rencontrent et se mêlent avec les économies, sociétés et civilisations américaines. Au début, le Nouveau Continent fournit le bois brésil, l'or, les perroquets. Bientôt, vers 1526-1530, les Européens s'élancent à la conquête des empires et le peuplement des terres commence. Appât des mines de métaux précieux, mais également volonté de développer les monocultures pour l'exportation : dès lors, un problème se pose, inéluctable, un très gros problème, celui de la main-d'oeuvre ; au fond, c'est tout le problème des rapports humains entre intrus et indigènes. Au Brésil et dans îles de la « Méditerranée américaine » il sera résolu par l'importation d'esclaves noirs.

Le gros livre que M. Poblete Thoncoso consacre au problème de la sous-consommation en Amérique du Sud aborde un problème d'intérêt évident. Il ne prouve guère au lecteur, malheureusement, que les difficultés de l'étude. Veut-il citer le pourcentage de la population active dans les pays envisagés? Certains chiffres datent de 1912, de 1919, de 1940 pour les plus récents. Or, de 1940 à 1944, ce pourcentage, aux États-Unis et au Canada, est passé des environs de 40 aux environs de 60 I Que s'est-il passé, pendant ces années, dans cette Amérique du Sud, dont on nous dit, en conclusion, qu'elle s'est « industrialisée à un rythme extraordinaire »? Les enquêtes-utilisées, ni par leurs dates, ni par leurs méthodes, ni par leur valeur (la meilleure est de beaucoup celle sur l'Uru- ,guay, de M. Graña), ne permettent de sûres comparaisons.

« Au Brésil, comment mourir de faim ? Il y a partout des bananes et du maïs… » Ce fut là, pendant longtemps, un article de foi pour bien des Français qui se vantaient d'être de parfaits connaisseurs des problèmes brésiliens et de grands amis du peuple brésilien. Véritable paradis, ce Brésil, où, l'homme ne souffrant ni du froid ni de la faim, la question sociale n'existait pas. Je ne suis pas certain que cet axiome ne soit pas encore tenu pour vrai par certains de nos compatriotes, aussi bien que par quelques cariocas et paulistas. Pourtant l'alarme a été donnée et, là-bas, des hygiénistes et des géographes ont commencé d'étudier les questions alimentaires. Ils n'ont pas manqué de souligner à quel point et comment, de l'Amazonie équatoriale jusqu'aux pampas du Rio Grande do Sul, le problème de la faim est une cruelle réalité.

Le livre du docteur Paul Rivet et de H. Arsandaux est la plus grosse contribution française aux études améficànistes de ces dix dernières années. Et cela malgré les conditions défavorables où il a vu le jour (ce que l'introduction nous indique en quelques mots). Défavorables, est-ce le mot qui convient pour ces affreuses années 1940-42 ? Ce livre est le fruit de sacrifices que l'on devine. Dira-t-dn jamais assez haut que c'est grâce à de tels sacrifices que la pensée française n'a pas démissionné hier, et qu'elle survit aujourd'hui ?

Présenter dans son ensemble la civilisation des ancien» Maya : entreprise séduisante ; mais que de difficultés ! Il y faut, à côté d'une grande érudition, des qualités de synthèse et de clarté, et surtout une objectivité parfaite pour la rnise au point des trop nombreuses questions qui restent du domaine de l'hypothèse. Ce sont ces qualités justement qui ont permis au « mayiste » bien connu, Sylvanus Griswold Morley, de tenir la gageure et de mettre à la portée du public cultivé d'Amérique un sujet aussi vaste que délicat. Son livre, The ancient Maya, publié par la Stanford University Press, vient d'être récemment traduit en espagnol par un autre spécialiste des questions Maya, Adrian Recinos. Cette excellente traduction s'accompagne des mêmes tableaux, cartes et illustrations que l'édition américaine.

D'Argentine nous parvient, après des années de silence, une série d'études archéologiques neuves et relatives, pour la plupart, à la zone Nord-Ouest de ce pays. Elles sont dues aux chercheurs que groupent les Musées de Buenos Aires et de La Plata. Le Nord-Ouest argentin, autrefois habité par une population autochtone de haut niveau culturel, est apparu de bonne heure comme une région fertile entre toutes au point de vue archéologique : la publication de comptes rendus exhaustifs par les expéditions archéologiques est venue témoigner, chaque année davantage, de l'intérêt que les savants argentins portaient à ces premiers habitants du territoire. Commencée dès la fin du XIXe siècle, la prospection a livré un certain nombre de renseignements qui, joints aux données des chroniqueurs espagnols de la Conquête, nous permettent aujourd'hui de prendre une idée d'ensemble du niveau de civilisation atteint par les populations précolombiennes de la région.

Issu de la Conférence sur l'archéologie péruvienne organisée à New York en juillet 1947, le numéro spécial que la revue américaine American Antiquity consacre à une mise à jour de l'archéologie péruvienne est digne d'être accueilli avec intérêt non seulement par les péruvianistes, mais encore par un très large public. N'y cherchons pas une description d'ensemble des cultures précolombiennes du Pérou : elle a été donnée par le Handbook of South American Indians, au moment même où se tenait la conférence de New York. Le but, aussi bien que le mérite de l'étude que nous signalons, est de mettre au point un certain nombre de questions archéologiques encore pendantes et d'orienter l'intérêt des chercheurs vers des voies nouvelles.

Restituer dans le cadre de l'histoire universelle l'histoire des Amériques : mais comment saisir celle-ci sans poser le problème, le très gros problème de la naissance des contacts entre continents que l'Atlantique a si longtemps séparés ? et comment extraire ce problème du problème, plus vaste encore, de l'expansion européenne des XVe et XVIe siècles ? Logiquement, Astrogildo de Melo, le jeune Directeur de la Faculté de Sâo Paulo, est amené à se poser ces problèmes fondamentaux; il faut lui savoir gré d'avoir essayé d'esquisser, à l'usage du public brésilien, un tableau d'ensemble du commerce européen en rapport avec les grandes découvertes et les débuts de la colonisation.

Emilio A. Coni a réuni en un volume, paru à Buenos Aires en 1941, une série d'articles devenus introuvables, dispersés au cours d'une carrière active d'historien, de 1919 à 1930, dans La Nota par exemple ou dans les suppléments de La Nation. Ecrits le plus souvent sur un ton de polémique, ces articles offrent cependant de bonnes mises au point de la première histoire économique des pays de la Plata : disons de l'Argentine coloniale.

J. F. De Almeida Prado, à qui l'on doit déjà un livre érudit sur Les premiers fondateurs du Brésil portugais, a entrepris un large ouvrage de prospection sur Pernambouc et les capitainies du Nord.

Il montre tout d'abord les entreprises des premiers colonisateurs dans l'ensemble de l'essor portugais, présente, en un choix judicieux, l'état politique et économique du pays, souligne le déficit chronique de ses finances ; le plus curieux à nos yeux étant toujours la faiblesse des moyens au regard d'un effort qui a d'authentiques aspects d'épopée : de 1497 à 1612, il ne serait parti, des ports portugais vers l'Inde, que huit cents embarcations, dont quatre cent vinq-cinq seulement revinrent. C'est, en réalité, une répétition des convois peu nombreux qui créèrent les pays magnifiques de l'Ultramar.

Après avoir pris connaissance de l'étude de François Chevalier, Signification sociale de la fondation de Puebla de los Angeles, j'ai été fortement tenté de renoncer à l'analyser. Elle est trop substantielle, trop abondante en informations, en perspectives et en jugements dont chacun semble à retenir, pour qu'on parvienne à la résumer de manière satisfaisante. Je me contente donc de noter quelques faits et quelques idées.

Huit études de G. Debien sur Saint-Domingue au XVIIIe siècle, précises, multipliant les points de vue : quelle aubaine assez rare ! Leurs lumières vives éclairent tout un complexe de problèmes, peu soupçonnés d'ordinaire, et que l'on découvre avec joie, comme de soi-même. Car ici, rien n'est systématique, ou scolaire, grands Dieux! Tout relève d'une .histoire vivante et directe, drue, qui laisse, à un passé d'une extrême densité humaine, son ampleur, sa poésie, sa richesse et même, le cas échéant, sa confusion. L'explication va, sans méandres, du document original, classé, daté, vu de près, à la monographie à demi-construite seulement, avec des amorces de systématisation, rien de plus, mais qui, riche de détails, de points de vue, et de suggestions, reste ouverte sur la vie et ses problèmes divers.

Il n'y a rien à ajouter au résumé attentif de Frédéric Mauro. Il dit bien, et fortement, les richesses magnifiques des articles et études de G. Debien, ami des Annales, disciple de Marc Bloch, combattant efficace de ce qui est pour nous la bonne méthode, ouvrier d'une histoire digne de nous passionner. Joindre mes éloges aux éloges qui précèdent, serait-ce nécessaire? Mais quelques remarques critiques? L'auteur, j'en suis sûr, m'en sera reconnaissant… Je vois l'histoire des Antilles comme une histoire hâtive de l'Amérique, prompte à fleurir, à porter fruit, puis à se faner, à se plier aux exigences de l'économie et de l'histoire mondiales.

Six études nouvelles. Elles viennent grossir la bibliothèque de Gabriel Debien sur Saint-Domingue. Cette fois encore, des monographies, mais moins de textes, et un nouveau venu : le catalogue qu'est le tome IX.

Dans son livre Saint-Domingue : la société et la vie créoles sous l'Ancien Régime (Paris 1909, Pierre de Vaissière regrettait la méfiance des familles pour les fouilleurs d'archives privées. Gabriel Debien veut nous prouver par deux inventaires que cette méfiance n'existe pas. Il s'agit d'abord des papiers du Lt-Colonel Frémond de la Merveillère, qui fut, do 1789 à 1792, directeur général des Fortifications de Saint-Domingue : correspondance, mémoires relatifs à sa caféière ou aux travaux exécutés dans l'île sous sa direction, tout cela est énuméré et classé méthodiquement et chronologiquement, prêt à être utilisé. — Les papiers Croisveuil, eux, nous ramènent à l'étude, faite ailleurs, d'une sucrerie. Deux rubriques sont consacrées au problème, nouveau cette fois, des secours que reçoivent, sous la Révolution, les calons dépossédés et réfugiés en France.

Peu d'histoires plus importantes, au cours des temps coloniaux, que l'histoire mouvementée des îles antillaises. Tout s'y passe plus tôt, plus rapidement aussi qu'ailleurs. D'entrée de jeu les Indiens y sont refoulés; ils disparaissent en presque totalité, du fait de l'afflux précoce de colons européens et de l'importation massive d'une main-d'œuvre nègre indispensable à l'essor de l'agriculture et de l'industrie sucrière. Sujet de large envergure, auquel M11e Alice Piffer Canabrava a consacré l'étude peut-être la plus remarquable de la jeune littérature historique brésilienne d'aujourd'hui.

Au XVIe siècle, l'Amérique méridionale, dans sa presque totalité, se trouve hors des grandes routes du commerce, donc abandonnée à ellemême. Ici ou là, sans doute, est-elle tenue par des conquérants blancs, mais ceux-ci sont peu nombreux et presque toujours misérables. La plupart du temps, cette Amérique reste le domaine d'Indiens libres, errants, ou même l'exclusive propriété d'une nature sauvage.

Les entreprises des Antilles ont connu, elles aussi, des difficultés de main-d'oeuvre, à partir du moment où les traités d'Utrecht eurent accordé aux capitalistes anglais l’asiento des esclaves pour presque toute l'Amérique espagnole. Car, si de la piraterie sortit d'un côté la colonisation des Petites-Antilles, de l'autre elle donna naissance à un commerce — d'abord illicite et plus tard licite, mais en partie seulement — entre les Anglais et les indigènes et Espagnols d'au delà l'Atlantique. Tel est le sujet, également très beau, de la thèse de M11e Olga Pantaleao : La pénétration commerciale de l'Angleterre en Amérique espagnole de 1713 à 1783. L'auteur souligne elle-même qu'aucune étude d'ensemble n'existait sur la question, pourtant fondamentale — ce qui n'est que très juste.