13 février 1936.
Je demande aux etres plus qu'ils ne peuvent m'apporter. Vanité de prétendre le contraire. Mais quelle erreur et quelle désespérance. Et moi-meme peut-etre.
Carnets I, II, p. 801.Je crois que notre fraternité – sur tous les plans – va encore plus loin que nous l'envisageons.
René Char a Albert Camus, 3 novembre 1951.« L'oeuvre est le miroir de l'auteur, il y prend conscience de soi ». « […] Ce que l'art se doit a lui-meme [c'est] d'etre cette tâche de mise en question de soi, qui d'ailleurs n'aura pas de fin ». C'est Yves Bonnefoy qui s'exprime ici dans ces deux citations extraites de L'Inachevable, Entretiens sur la poésie 1990–2010.
II pourrait paraître surprenant d'ouvrir une réflexion sur le théâtre de Camus par les citations d'un poete. Pourtant, invoquer Yves Bonnefoy nous permettra ici de mettre en lumiere la partie poétique de Caligula. En effet, pour comprendre parfaitement la piece et ses remaniements nombreux, la poésie nous est nécessaire… Ainsi, en jouant sur le titre de l'ouvrage de Yves Bonnefoy, L'Inachevable donc, nous allons nous interroger sur cette question : Caligula est-elle une piece « inachevable »?
On peut quasiment dire que Caligula est la piece qui ouvre et qui clôt – par la force des choses bien entendu – l'oeuvre (théâtrale) de Camus puisqu'il y travaille de 1937 a 1958. Camus la présentera d'ailleurs toujours comme sa premiere piece, conçue en 1938, et ce, malgré ses nombreux remaniements. Cette précision sur la date de conception joue deux rôles : d'une part, elle lui permet de réduire les possibles rapprochements avec la figure d'Hitler, mais d'autre part, elle écarte également toute identification trop appuyée avec l'existentialisme. Le personnage de Caligula fut toutefois souvent assimilé a la figure d'Hitler comme le montre notamment la correspondance entre Francis Ponge et Camus. Des l’été 1943 une nouvelle version de la piece prend forme. Le 11 juillet, l'auteur de L’Étranger écrit au poete : « […] je ne travaille pratiquement pas, apres avoir cependant réécrit un acte de Caligula ». Puis, le dimanche 14 novembre 1943, dans une nouvelle lettre au poete, on peut lire : « La Compagnie des Sept [une troupe fondée par Jean Vilar a l'automne 1943] veut jouer Le Malentendu. Je n'ai pas encore donné ma réponse. Elle est tentée aussi par Caligula, mais hésite devant le scandale.