L'Envol de Jaroslaw Iwaszkiewicz (1957), nouvelle-monologue qui s'affirme comme l'un des textes les plus significatifs de la littérature polonaise de son époque, offre une réponse intertextuelle a La chute d'Albert Camus.
L'oeuvre de Camus fut découverte en Pologne a la faveur du bouleversement de 1956 qui marque un appel d'air et de liberté devant une culture et une société asphyxiées par douze années de stalinisme. Dans le sillage du XX Congres du P.C. de l'U.R.S.S. qui révele les crimes staliniens, germe en Pologne un ample mouvement de révolte populaire, emblématisé par les manifestations ouvrieres a Poznan, en juin 1956, quand cent mille manifestants pour le pain et la liberté sont écrasés par quatre cent chars de combat des forces armées de l’état communiste, téléguidées de Moscou. On assiste alors, au sein de la société polonaise, aux premieres étincelles d'une fermentation qui déclenchera un mouvement de résistance contre le stalinisme. Ce mouvement aboutira au VIII Congres du Parti Ouvrier Polonais Unifié, en octobre 1956, qui jettera les bases d'une politique réformiste, définie par l'aspiration a un communisme national. Les glaces totalitaires se mettent a fondre, un peu. On parle de dégel.
Or, dans le domaine culturel et littéraire, le dégel polonais apporte une explosion de la liberté. En effet, apres des années de léthargie, quand la littérature polonaise se trouvait muselée par le carcan idéologique de la doctrine socréaliste, imposée comme seule esthétique admise, on rejette désormais le socréalisme, la vie littéraire s’éveillant et revendiquant davantage d'autonomie. La production littéraire s'enrichit au contact des littératures occidentales, car l'Octobre ouvre les frontieres et les oeuvres de Beckett, de Ionesco, de Sartre ou encore de Camus sont traduites, avec quelques années de décalage. Le courant qui domine dans la prose est celui de la littérature dite « littérature des reglements de comptes » : il s'agit désormais de régler ses comptes avec le passé stalinien.
Certes, le cadre de la révolte est balisé. En effet, s'il est désormais possible de critiquer le stalinisme comme « période des erreurs et des errements », les intellectuels polonais n'imaginent meme pas s'attaquer au complexe idéologique plus ample qu'est le communisme marxiste : la censure, également la censure intérieure, oblige. En 1956, personne n'ose ni ne peut dénoncer ouvertement le marxisme.