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De L'inversion “Absolue”

Published online by Cambridge University Press:  02 December 2020

Leo Spitzer*
Affiliation:
The Johns Hopkins University

Extract

Mlerch a traité de l'inversion absolue (c'est à dire de celle qui n'est pas conditionnée par un adverbe en tête de phrase) en français moderne dans sa Historische Syntax des Französischen,iii, 427 seq. et dans son article sur l'inversion paru dans Mélanges Bally (1939), p. 364 seq. Je résume en les combinant les deux rédactions. Le type arriva le général (sans pronom personnel il, “voilant” l'inversion, et sans adverbe: alors arriva le général) est similaire au type de phrase optative périsse le traître. La phrase enunciative ne connaît ce type-là en français moderne qu'avec des verbes de mouvement, alors que l'ancien et le moyen français étendaient la construction à beaucoup d'autres verbes. Exemples: … venait ensuite une façon de sac dans la célèbre description, par Flaubert, de la casquette de l'ignoble mari de Mme Bovary; entre Henri, sort Germaine, sonne l'Angélus dans des indications de scène de pièces de théâtre; arriva le général, survient une difficulté, s'approche un confrère, vint à passer un canot …, me vint tout de suite à l'esprit l'idée que …, les précédait immédiatement un monsieur en redingote, reste à savoir si …, n'importe; dans le style judiciaire: seront punis d'une amende … ceux qui …, et, par extension, ont collaboré à ce volume (suivent les noms); dans les proverbes: rira bien qui rira le dernier. Du même ordre est l'inversion après des conjonctions ne l'entraînant pas d'ordinaire, comme et et mais: et suivait le récit d'un accident;… mais voyage avec nous “le fils Mélèze,” et celle qui se trouve depuis le symbolisme dans les incidentes sitôt que s'accentue la diction: si plonge … Dans l'onde … Ta jubilation nue; enfin après seul prédicatif: seuls peuvent coexister avec lui mon travail et ton amitié. M.Lerchnote que le français moderne connaît ce type d'expression seulement avec un nom (arriva le général, non *arriva-t-il), alors que l'allemand peut dire dans la langue “écrite” aussi bien Kam einmal ein Bäuerlein que Lief er schnell es nah zu seh'n, et que le tour français en question est “archaïque” et “limité à la langue écrite.”

Type
Research Article
Information
PMLA , Volume 56 , Issue 4 , December 1941 , pp. 1150 - 1162
Copyright
Copyright © Modern Language Association of America, 1941

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References

1 Dans Brans, Fontes juris romani antiqui on trouve des comptes comme (p. 306):

f(iunt) HS… =sont payés sesterces [suit le chiffre]

f (iunt) HS…

summa H S … = total: sesterces …

2 Je crois que l'inversion dans le passage de Giraudoux: Démocrates pour l'univers, ne pouvaient les visiter dans leur maison de campagne que les nobles et les bourgeois n'est pas “favorisée” par la négation, comme le pense M. Lerch, mais que M. Blinkenberg a raison de penser que la phrase imite, d'une façon ironique, le style rigoureux des légistes: ne pouvaient les visiter …, cette loi sociale établie par les snobs en question, est moulée sur un texte dans le genre de ne seront admis ….

3 La Syntaxe du français moderne de MM. Le Bidois ne semble pas mentionner l'inversion absolue.

3a On remarquera l'ordre dans lequel les deux constructions apparaissent dans un passage de Le franç. mod. vii, 345: “Une brave mère de famille … est assise sur le pas de la porte avec son moutard sur les genoux. Vient à passer une charrette et le charretier de crier: Hue! dia!”

4 Aucune surprise au contraire n‘émane de passages juridiques, tels que les cite M. Lerch dans son livre Die Verwendung des romanischen Futurums (1919), p. 264: dans un arrêt du conseil d‘état de 1785 après Le Roi … a ordonné et ordonne … d'autres articles suivent, introduits par Veut également Sa Majesté que … ou Entend néanmoins Sa Majesté que …, alors que l'ordonnance du moyen âge (par exemple Philippe le Bel en 1302) s'exprimait ainsi: Premierement le Roy a ordonné et ordonne …, puis Veult aussi que …, Le Roy ne veult pas que … (ibid., p. 256); un jurabunt ergo utriusque Baillivie Senescalli de 1254 rendu par Si jurront donques tous ceux devans dis, avec l'inversion relative régulière après si. On voit bien que l'inversion absolue est une innovation du français moderne. A la rigueur, on pourrait expliquer ces veut également…, entend néanmoins qui s'appuient sur ce qui précède, par l'inversion après et (Lerch, p. 263: arrêt de 1784 Le Roi a ordonné et ordonne que … les coutils … paieront… un droit… Et sera le présent arrêt lu, publié et affiché partout), qui, elle-même, suit celle, médiévale, nécessaire après si et qui ressemble à l'inversion du style commercial allemand (… und hoffe ich hiemit Ihnen Konvenienz zu bieten). Cf. plus loin dans le texte les décisions des grammairiens sur l'inversion après et. Il y a donc une inversion absolue-surprise (très vivante aujourd'hui) et une inversion absolueralliement (rare aujourd'hui)—le passage de Romains; les accueillent aussi … semble tenir des deux. Huguet, Etude sur la syntaxe de Rabelais, p. 398 seq., donne des exemples du xve siècle (Commynes) comme Oppina le premier le conte de Sainct Pol et du xvie (Rabelais) Se esveilloit doncques Gargantua environ quatre heures du matin. Une épigramme de Marot porte dans une première version le titre Le dit Marot à Monsieur Roullet, dans une seconde A Roullet. Il est entendu que le type d'expression arrive le général remonte d'une façon continue à des étapes de langue antérieures, mais qu'aujourd'hui, dans son isolement relatif, il fait l'impression d'une innovation.

5 J'ai eu tort dans mon article sur l'inversion néogrecque (Bull, linguistique, vi) de supposer que le verbe ouvrant la phrase principale après une incidente ne se trouve pas en français.

6 On pourrait, au point de vue grammatical, rattacher un suffit! à la situation ou au discours précédent, de sorte que ceux-ci seraient les sujets ( = cela suffit), comme j'ai expliqué naguère (Romanische Stil- und Litteraturstudien, i) que signifie? par les annotations que fait en marge d'une rapport un commandant militaire. Mais dans ces deux cas le laconisme intentionnel, le désir d'exprimer une réaction directe par une façon de parler directe, sont les véritables motifs de 1' “ellipse.” Cf. encore le résumé succint et morose de rapports que donne un colonel-lieutenant de la grande guerre à son général dans Les hommes de bonne volonté, xv, p. 127:

“Il y a eu un petit coup de main à l'extrémité est du secteur Nespois. Un élément de tranchée perdu. Sera repris, paralt-il, ce matin à l'aube.”

On remarquera que ce sera repris de chancellerie militaire a son sujet dans élément de tranchée. A noter le style nominal, laconique et “factual” de Un élément de la tranchée perdu. Le style de glose inspire le passage suivant du Journal d'Allemagne de Denis de Rougemont: “Journaux français. ‘Nous opposerons la force du droit au droit de la force!‘” Signifie: nous opposerons de la rhétorique à des canons.“

Cf. les bulletins scolaires que cite M. Sandfeld, Syntaxe du français contemporain, i, 19, note: Etourdi, mais intelligent. Arrivera—où le sujet de arrivera est le nom de l'élève figurant en tête du bulletin. Le style du bulletin scolaire est appliqué ironiquement à un poète par un historien de la littérature: A.-M.Schmidt, La poésie scientifique au XVIe siècle,“ p. 161: ”Il [Maurice Scève] s'est dès l'abord imposé … de publier un poème de trois mille vers. Il utilise pêle-mêle ses fiches. S'essonffle pour remplir son dessein. Tente de rivaliser avec Ronsard ….“ Scève devient ainsi, par cette syntaxe métaphorique, un petit écolier …

7 Je me demande si tous les cas de l'omission du pronom personnel énumérés par M. Sandfeld, Syntaxe du français contemporain §§11–12, sont à ranger parmi les archaïsmes: s'rait p't-êt' temps d'affûter ses pincettes; saviez pas? (= ne le saviez-vous pas?); savais pas; s'esplique alors; jamais cru à tout cela etc. Bien sûr, il s'agit d'une brièveté voulue qui dénote chez l'esprit parlant des états d'esprits “assez différents, comme émotion, calmerie, indolence, brusquerie”—mais est-ce que partout le pronom est vraiment complètement omis? N'y a-t-il pas plutôt un certain relâchement voulu de l'articulation phonétique, mais avec l'intentionpeu réalisée—de prononcer p. ex. je ne savais pas etc.? Il est bien vrai que cette “phonétique laconique,” suivie avex conséquence, pourrait mener à la destruction mentale du type grammatical établi (ce qui est arrivé pour le ne dans le français courant), mais ce qu'il faut bien mettre en relief, c'est qu'il n'y a pas retour à un archaïsme latent, mais nouvelle abréviation. On notera que le pronom personnel n'est pas seul à disparaître: le démonstratif ([cela] s'esplique alors, cf. comment va?, Romanische Stil- und LitteraturStudien, l. c), l'auxiliaire ([je n'ai] jamais cru à tout cela) suit la même pente. Nos romanciers modernes transcrivent avec une oreille plus aiguë la phonétique parlée que leurs devanciers (ils écriront ‘turellement au lieu de naturellement, que le personnage qui parle a voulu dire—et je sais bien que l'habitude d'esquisser un mot taboo comme sacré peut conduire à des variantes de formes, courantes dans la langue: acré cré)—au fond c'est davantage un problème de style concernant nos romanciers, à savoir la reproduction des discours avec leur exactitude phonétique, qu'un problème de langue dont il s'agit ici, et les grammairiens sont en général des psychologues de style moins perspicaces que les romanciers. D'ailleurs, les romanciers anglo-saxons vont encore plus loin dans ce naturalisme (bien entendu, des phrases courantes comme see you soon, have a cigar?, pétrifiées, ne sont plus intentionnellement elliptiques). On trouve tout à fait couramment dans des romans américains Be pleased to ‘je serais enchanté de faire cela’ au lieu de I'd be … (Sinclair Lewis, Dodsworth); Oh, yes, I'll probably go over to the U.A.C. But maybe lake six weeks … in Europe. But not sell this house. Been mighty happy here au lieu de maybe I'll take six weeks peut-être que je passe six semaines,’ but [I'll] not sell ‘mais je ne vendrai pas …,’[I have] been … ‘j'ai été très heureux’; Boy's probably tied up with a lot of exams and things (= the boy). Les éléments plus particulièrement morphologiques de la phrase sont passibles de disparaître dans cette langue expéditive (ou sténo-lalie) du business-man. Une gravure amusante dans le New Yorker donne une interprétation authentique du ton de la question Had your spinal fluid checked lately? ( = have you had …): on y voit un médecin à la tenue raide, presque militaire, jeter un regard sévère sur un employé de filling-station, à qui il adresse cette question, empruntée au langage de ce client. De ce langage télégraphique parlé, qui supprime les éléments grammaticaux de la phrase (et qui conditionne le langage de la télégraphie), relève aussi la suppression du verbe auxiliaire à l'intérieur de la phrase dans la forme progressive to be+gérondif (You going this way?), qui mène à une sorte de phrase porte-manteau. Je crois sentir une nuance glosante, commentante dans les phrases sans pronom, comme si l'individu parlant se soumettait à la situation qu'il trouve: par exemple looks as if…; James Hilton, Goodbye, Mr. Chips, p. 62: [la ‘situation,’ dont jase toute l'école, est: Mr. Chips, talking to a striker] Might have been quite friendly, the way they were talking together. D'abord, avec might sans pronom, une glose, puis le locuteur ajoute la locution adverbiale the way… —il aurait bien pu supprimer le verbe et s'exprimer par une phrase nominale, glosante et exclamative; quite friendly, the way they were talking together! Manger ses mots est en général une manifestation de soumission: le serviteur oriental cache ses mains dans son manche en parlant au maître, la servilité occidentale se contente de faire rentrer dans l'obscurité les mots superflus, les “mains” du corps de la phrase. Cf. encore la nuance de modestie impliquée par l'omission du pronom de la première personne dans ce qu'on appelle en allemand le “Untertänigkeitsstil”: par exemple, dans le langage militaire melde gehorsamt pour ich … et dans le langage du commerce, si économe de mots (comme d'ailleurs en anglais).

8 En parcourant les exemples de Tobler, Sandfeld, etc., on se rend compte en effet qu'il ne suffit pas, pour l'apparition du tour il arrive deux étrangers que le verbe soit intransitif et que le sujet soit le but de l'action (Lerch, Historische Syntax, 1. c, p. 444): il faut en plus l'absence d'une détermination trop rigoureuse. Il semble que dans *il arrive le général ou *il éclate l'affaire l'irrationalité d'une activité pure, sans agent mis en relief, jure avec la précision que confère l'article au substantif mis au singulier. De plus, MM. Foulet et Yvon ont montré (cf. Romania, xlix, 117 et lii, 145) que tout substantif ou pronom placé après le verbe impersonnel est senti en français moderne comme régime ou attributif (cf. encore l'heure Qu'il est, avec que accusatif). M. Yvon attribue ce sentiment (dans il arrive des accidents, des accidents senti comme accusatif) à l'influence de il y a suivi à l'origine par des régimes. M. Pichon dans Le français moderne, v, p. 24, a expliqué que dans le dialogue entendu par lui: Mme A.: il vient des élèves, tantôt . . . —M. P.: Oui, il les vient,—les élèves constituent “la chose dont on parle.” Par conséquent dans un *il arrive le général, *il éclate l'affaire, la reduction du personnage central, qu'on veut mettre en vedette par l'inversion, au rôle de chose serait évidente. Ensuite, comme les deux membres de la phrase sont à peu près égaux en poids, la réduction à une chose submergerait le général, l'affaire. Mais on pourrait dire ce n'est pas X, Y, Z qui arrivent, il arrive le général, parce que, par la distinction, le général gagne du poids, et l'idée de l'accusatif est immédiatement écartée. De même, dans l'exemple de Balzac cité par Damourette-Pichon, §1488: qu'arrivera-t-il de tout ceci? … il vous arrivera Mlle Flore Brazier dans quatre heures d'ici, douce comme une peau de pêche, le nom apparait étoffé de plusieurs déterminations. Même observation pour il flottait sur Paris le pâle et frais azur des jours attiédis de l'hiver (Bourget, exemple cité par Lerch).

9 Un passage de Jáuregui critiquant Góngora: [“J'ai relevé le nombre des personnages qui rendent le titre de la poésie gongorine Soledades illusoire,” et il continue:] Alli sale un mancebo, la principal figura que nos presenta, y no le da él nombre. Este fué al mar y vino del mar, sin que sepâis corno ni para qué … est rendu par M. Vossler, Poesie der Einsamkeit in Spanien, ii, p. 149: Kommt da ein Jüngling ans Land, die Hauptfigur … Par la métathèse alli sale >kommt da, M. Vossler a su introduire une nuance très heureuse, celle du manque de logique, du capríce, qui est censé, dans l'opinion de Jáuregui, accompagner l'apparition hors de propos du protagoniste. L'idée de la soudaineté évolue facilement en celle de l'irraisonnable ou de l'irrégulier.

10 Dans le cas où dans le vers Sah ein Knab ein Röslein steh'n un es se serait fusionné avec sah (forme abrégée 's), il y aurait pourtant l'abréviation populaire dont nous parlons, et le sentiment de la communauté parlante conçoit le vers comme débutant avec un verbe nu. Je suppose que les poètes allemands qui imitent les vers trochéiques de l'espagnol, ont dû particulièrement chérir ce tour débutant par un ton fort.

11 La construction populaire avec v'là que signalée par M. Gillet explicite l'élément de surprise, comme d'ailleurs celle de la langue littéraire avec voilà que.

12 J'ai lu Come reports from Moscow … comme manchette dans le journal de Baltimore The Sun. De même dans un editorial de ce journal:

As a punishment [d'une brimade des élèves d'un collége de Baltimore en 1900], the contemporary School Board voted to refuse them their diplomas. Comes now the centenary committee and petitions the present School Board to reverse the ruling.“

Une fois j'ai trouvé une modification de la forme stéréotypée, mentionnée dans le texte, dans un article sur la technique moderne: Came the dawn of civilization [et tel engin se développa dans un sens nouveau].