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Humour et violence symbolique Sous la direction de Julie Dufort, Martin Roy et Lawrence Olivier, Québec : Les Presses de l'Université Laval, 2020, pp. 239

Published online by Cambridge University Press:  18 June 2021

Sophie-Anne Morency*
Affiliation:
Université du Québec à Montréal
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Abstract

Type
Book Review/Recension
Copyright
Copyright © The Author(s), 2021. Published by Cambridge University Press on behalf of the Canadian Political Science Association (l’Association canadienne de science politique) and/et la Société québécoise de science politique

Si les recherches sur l'humour ont longtemps été négligées, elles sont aujourd'hui en pleine effervescence, et ce, dans une multitude de disciplines. Alors que la francophonie québécoise tardait à y mettre le pas–ce qui est encore plus vrai en science politique–on ne peut plus en dire autant. Les liens qui unissent humour et politique ont été abordés dans un premier ouvrage intitulé Humour et politique : de la connivence à la désillusion, dirigé par les politologues Julie Dufort et Lawrence Olivier et publié en 2016 dans la Collection « Monde culturel » des Presses de l'Université Laval. Prenant l'humour comme objet de recherche, il faut dire que son côté plus sombre avait très peu été abordé : c'est ce que propose leur second ouvrage collectif intitulé Humour et violence symbolique, auquel Martin Roy s'ajoute pour assurer la direction. À l'aide des écrits de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, plus spécifiquement du concept de « violence symbolique », les auteur-es de l'ouvrage collectif travaillent à expliciter les liens entre humour et violence. Les auteur-es illustrent « les rapports de domination qui se cachent dans l'humour » (2) en deux temps : à l'aide de réflexions théoriques sur les liens qui unissent la violence symbolique et l'humour dans la partie 1 et à partir d'une série d’études de cas dans la partie 2.

Julie Dufort a pris soin dans l'introduction de présenter quelques éléments de définition de la violence symbolique, un élément fort appréciable pour toute personne non-initiée aux écrits de Pierre Bourdieu. La première partie est composée de trois chapitres qui proposent des réflexions théoriques. Le premier chapitre rédigé par Lawrence Olivier et François Gibeault est plus aride que les autres chapitres en ce qu'ils s'attaquent à des questions qui mériteraient d’être étudiées plus largement, par exemple, est-ce que l'humour est politique et est-ce que cet art fait partie des rapports de domination? La quantité de questions et d'hypothèses rend parfois le raisonnement des auteurs difficile à suivre et l'on se bute souvent à des réflexions auxquelles les auteurs décident volontairement de ne pas s'attarder.

Le chapitre de Martin Roy analyse quant à lui l’œuvre de Victor Hugo intitulée L'homme qui rit et s'attarde plus spécifiquement à la notion de « rire de force ». La mutilation du personnage de Gwynplaine ouvre la voie à des réflexions quant à l'autorité que détient le sujet sur son rire. Reprenant les réflexions de Wittgenstein sur la philosophie de la psychologie, on y voit que « l'autorité qui est arrachée au sujet qui rit, c'est à la fin celle qui consiste à avoir une autorité sur ce qui lui paraît risible, sur ce qui le fait rire » (64). Le troisième chapitre est celui du doctorant en philosophie Jérôme Cotte. Il mobilise les écrits du philosophe Theodor W. Adorno pour illustrer comment l'humour perpétue la violence symbolique; l'humour de consommation étant aujourd'hui produite pour être immédiatement saisissable et reproduisant l'identique. C'est dans cette perspective que Jérôme Cotte propose d'adopter la posture humoristique de l’« idiot-dissident », utilisant l'humour pour saisir les silences et les contradictions de la société actuelle, les exposer sans pour autant imposer sa vision des choses.

La deuxième partie de l'ouvrage est consacrée aux études de cas, qui se démarquent par la variété des sujets analysés. Annie Gérin, professeure d'histoire de l'art, propose d'analyser dans le quatrième chapitre l'utilisation de la satire en Russie soviétique et postsoviétique. On y voit que l'image satirique, par le rire qu'il peut provoquer, est non seulement un outil efficace pour créer un lien social, mais aussi pour exclure et humilier les ennemi-es du régime. La deuxième étude de cas, présentée par Sacha Lebel, doctorant en études cinématographiques, révèle comment les comédies cinématographiques québécoises ont fait l'objet de violence symbolique de la part des intellectuel-les. Ce rejet des comédies cinématographiques se fait encore sentir aujourd'hui par le manque de données et d’études sur le sujet, contribuant à l'effacement de ces œuvres dans l'histoire.

Le septième chapitre est celui de Julie Dufort, où elle procède à l'analyse de la controverse entourant l'utilisation du n-word par l'humoriste Richard Pryor en 1968. L’étude des controverses est pour elle un moyen de saisir le politique en humour et pourquoi « ce ne sont pas que des blagues ». Son étude de cas montre tout l'ambiguïté de l'humour, où une même blague peu à la fois avoir une visée subversive et être une forme de violence symbolique. Le huitième chapitre est celui de René Lemieux et traite de l'autocensure dans l’émission télévisée South Park, plus particulièrement de la caricature du Prophète de l'Islam dans les épisodes « 200 » et « 201 » suite à la profération de menace à l’égard des créateurs. Le choix de représenter Muhammad par un rectangle noir où il y est inscrit « censored », autrement dit cette caricature–et autocensure–permet selon l'auteur d'aller plus loin que le classique dualisme opposant le respect de la religion et la défense de la liberté d'expression. La partie 2 se clôt par une étude de cas sur les satiristes de l'infodivertissement via l'analyse de l’émission Last Week Tonight avec John Oliver. À l'aide des concepts de champs, de violence symbolique, d'habitus et de capitaux, les auteurs illustrent que Last Week Tonight participe à la « guerre culturelle » à travers la performance d'un Average Joe. Ils montrent aussi que le satiriste participe à la reproduction de la violence symbolique, mais qu'une relation de type parrêsiastique comme conceptualisée par Michel Foucault entre l'auditoire et l’infotainer pourrait permettre de « forger des alliés aux dominés sans-voix » (217).

Soulignons qu'un problème de mise en page semble s’être glissé dans l'ouvrage, où on ne trouve aucun chapitre 6, mais deux chapitres 8. Cette erreur ne nuit en rien à l'originalité de l'ouvrage qui fait la lumière sur les côtés plus sombres de l'humour, un élément essentiel vue la prépondérance des études sur ses effets positifs. Si l'humour permet de remettre en question les rapports de domination et de révéler la violence symbolique omniprésente dans nos sociétés, n'oublions pas que cet art est toujours à même de la reproduire.