Le travail présenté ici porte sur la sexualité comme différend entre sunnites et alévis dans la Turquie contemporaine. Le fort antagonisme entre les tenants de l’islam tel qu’il est sanctionné par l’État et ceux qui y dérogent se structure autour de la discipline et de l’indiscipline sexuelles. Son expression publique la plus violente réside dans une calomnie d’inceste rituel, qui porte sur la liturgie des alévis. Par les mots mum söndü, « la bougie s’est éteinte », les sunnites accusent les alévis de s’adonner, lors de cérémonies nocturnes et secrètes, à des orgies où « père, mère, frère et sœur s’unissent l’un à l’autre ». En retour, ces derniers prônent une plus grande maîtrise des « reins », de même qu’une promiscuité sans trouble des hommes et des femmes. L’analyse de l’institution alévie des musahip, « couples conjoints », et du rituel associé, permet de comprendre comment, en Turquie, la libido et sa maîtrise sont amenées à énoncer la mesure des hommes et des communautés. Partant d’une accusation d’inceste rituel, ce texte explore ainsi la manière dont la sexualité est sollicitée, ou aliénée, pour reproduire une différence confessionnelle.