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Sur la peinture de Chagall, réflexions d'un sociologue

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

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Lorsqu'un chercheur, qui s'est consacré pendant de longues années à l'étude sociologique des oeuvres philosophiques et littéraires, se décide à publier, pour ainsi dire brusquement, en tout cas sans préparation prolongée, ses remarques sur l'oeuvre d'un grand peintre contemporain, il est non seulement utile mais indispensable qu'il précise, au préalable, les possibilités qu'il assigne à l'étude sociologique de la peinture, et les limites dans lesquelles, à l'intérieur de ces possibilités, se situe, d'après lui, son propre travail.

Type
Études
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1960

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References

1. Ce terme nous paraissant plus compréhensible que celui d'universel que nous pourrions employer à condition de l'expliciter suffisamment. Note concernant l'illustration de cet article : Les illustrations qui figurent ici ne représentent pas la totalité de révolution dont nous avons essayé de rendre compte. En particulier, on ne trouvera aucune illustration se rapportant à la première période de Voeuvre de Chagall. Il n'a pas été possible, en effet, d'obtenir toutes les autorisations souhaitées. Les tableaux cités figurent presque tous au catalogue de la récente exposition Chagall aux Arts Décoratifs.

1. Il faut noter aussi que — sauf cas exceptionnels — l'étude sociologique de l'oeuvre d'un peintre sera toujours désavantagée par rapport à l'étude sociologique d'une oeuvre écrite, par la difficulté de connaître tous les tableaux d'un peintre alors qu'il est possible de se procurer les oeuvres complètes de la plupart des grands penseurs et des grands écrivains.

1. Aussi non-juif par exemple que celui de fonctionnaire ou de paysan, quoique pour d'autres raisons et avec en plus l'insécurité matérielle. Nous écrivons cela pour éclairer le sens de notre affirmation et éviter tout malentendu.

1. Au fond, il s'agit d'une mentalité de citadin au milieu d'une société encore hautement agricole et liée à la nature. Sociologiquement, cependant, c'est là quelque chose de tout à fait différent de la mentalité du citadin occidental, habitant une grande ville industrielle. Sans contact quotidien avec les paysans, représentant un secteur qui tend à devenir de plus en plus important, celui-ci se sent comme un élément organiquement incorporé à la société globale et il a conscience d'en être une partie : le groupe à mentalité et à tradition purement urbaine dans une société agricole a, par contre, quelque chose d'artificiel et d'insolite.

1. C'est le cas, non seulement de Chagall, comme nous le verrons plus loin mais aussi, comme nous l'avons montré ailleurs (voir Goldmann, L., Le Dieu Caché, Gallimard 1956 Google Scholar), celui de Racine par rapport aux Jansénistes, et même, quoique le phénomène soit plus complexe, celui de la Révolution Française qui a trouvé son expression littéraire et philosophique non pas en France, mais en Allemgne, dans les oeuvres de Kant, Hegel, Hôlderlin et Goethe.

1. Nous ne savons pas si le personnage du Chliah correspond à l'origine à une idée vraiment hassidique. Il se trouve, en tout cas, dans la pièce la plus populaire et la plus répandue de la littérature yiddish, le Dybbuk d'Ansky, et pourrait donc être d'origine littéraire. Chagall nous a d'ailleurs raconté qu'il a été personnellement très lié avec Ansky, qui vivait dans la même petite ville de Vitebsk. Par la suite lorsque ce personnage disparaîtra de l'oeuvre de Chagall, il y laissera un élément extrêmement important détaché, il est vrai, de toute liaison avec telle ou telle religion positive ou idéologie populaire : l'oeil que nous trouvons périodiquement, et aujourd'hui encore, dans de nombreuses toiles de Chagall, cet oeil immense qui porte sur les événements le regard d'une transcendance vague, indéfinie.

2. Ce qui explique pourquoi il y a incontestablement une certaine influence de la peinture populaire des icônes russes sur l'oeuvre de Chagall. Dans le milieu juif, il n'yavait naturellement aucune tradition picturale. Mais le fait que Chagall ait accepté et assimilé certains éléments de peinture populaire indique que ses relations avec le monde paysan avaient un côté positif, qui se manifestera progressivement dans le contenu même de ses toiles.

1. Il n'y a d'ailleurs là aucune contradiction ; les sociologues et les psychologues sont habitués à rencontrer d'innombrables situations analogues. Il suffit de citer, par exemple, la prostituée croyante et pieuse, le défenseur dogmatique de la tolérance, le fanatique du doute, etc..

1. Il va de soi que tout jeune Juif voyant son propre groupe à l'intérieur de la maison, et le groupe paysan surtout de l'extérieur, la chambre et le village sont le cadre dans lequel les deux groupes se présentent naturellement au jeune peintre.

1. Il y a néanmoins, dès cette période, des tableaux dans lesquels le monde de la chambre est mis en question : tel La Chambre Jaune (1910-11). Mais ce tableau s'inscrit encore dans le cadre structurel de l'opposition chambre-village puisque ce dernier, vu à travers la porte, est tout à fait naturaliste.

2. Sans doute, Chagall retrouve-t-il ici un procédé du dessin enfantin et probablement aussi du dessin primitif, mais son emploi par un peintre du xx« siècle, au moment où, comma nous venons de le dire, il pousse à l'extrême dans ses tableaux l'aspect insolite du monde animal et paysan, lui donne naturellement une signification particulière.

1. Nous voudrions prévenir dès maintenant une objection qui ne manquera pas d'être formulée : à savoir que ces tableaux expriment toujours simplement une réalité biographique, le peintre ayant épousé la femme qu'il aime et en ayant eu un enfant. A quoi il faut répondre que les événements de la vie individuelle ne deviennent que dans un certain contexte le sujet privilégié de l'oeuvre. De nombreux peintres se sont mariés et ont eu des enfants, sans que cela ait produit le même effet. Il faut en général un profond sentiment de désadaptation sociale et même un certain type de désadaptation, pour faire de l'amour ou du mariage la communauté valable opposée à la communauté fausse ou insuffisante de la société globale. Mentionnons, à ce sujet, la possibilité d'une étude sociologique hautement intéressante sur l'importance de l'amour dans la vie et la pensée des poètes et des philosophes classiques en Allemagne, qui étaient en opposition avec leur milieu social (contrairement par exemple aux poètes et aux penseurs classiques en France), et aussi dans la vie des romantiques en général. Remarquons aussi, pour éviter tout malentendu, que lorsque nous parlons de l'amour ou du mariage comme communauté individuelle opposée à la communauté globale, nos analyses ne concernent que la conscience subjective de l'individu et non pas la réalité et la signification objective de ces sentiments et de ces relations qui ne sont ni plus ni moins sociaux que n'importe quels autres. Les sociologues savent que l'opposition anti-sociale, l'individualisme, l'esprit atiarehique, e t c . . sont des phénomènes dont la nature n'est pas moins sociale, par exemple, que celle des sentiments de solidarité, de devoir, e t c .. Un des premiers sujets étudiés par la sociologie française n'a-t-il pas été le suicide ?

1. Nous avons cependant été frappé, à l'exposition Chagall, par une série de tableaux qui nous paraissent indiquer une attitude commune et qui ont pour thème soit une maison, soit une vue de la ville. Peut-être expriment-ils le sentiment de se trouver en face d'une société qui est en train de mourir et dont il faut enregistrer les dernières manifestations. Nous ne saurions cependant l'affirmer avec une probabilité suffisante. Le problème serait d'analyser la signification des couleurs : il s'agit de tableaux comme : VEtable (1917), la Maison grise (1917), Vitebsk du Mont Zadunow (1917), les Portes du Cimetière (1917), la Maison Bleue (1920).

1. Il est possible que cette constatation n'ait pas de valeur générale et que si nous connaissions l'ensemble des tableaux que Chagall a peints à cette époque, nous trouverions déjà un certain nombre d'éléments sociaux spécifiés, incorporés à l'universonirique. L'existence des tableaux mentionnés indique néanmoins une ligne qu'il importe de dégager comme hypothèse possible, mais aussi de contrôler à l'intérieur d'un devenir essentiellement complexe.

1. Il se peut naturellement que ce tableau raconte simplement la différence entre la jeune fille et la femme après le mariage. La première interprétation me semble cependant plus probable. La critique d'une institution sociale particulière quelle qu'elle soit ne se trouve presque jamais dans la peinture de Chagall.

1. Dont le plus important parmi ceux que nous connaissons paraît être Pierre Francastel.