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Necker et la Compagnie des Indes

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

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Nous ne manquons plus de bonnes biographies de Necker, ni d'études solides sur son oeuvre d'écrivain économiste et sa gestion des finances de la France. Biographies et études concernent l'étonnante carrière de l'homme d'Etat ou la « doctrine » reflétée dans ses écrits abondants et redondants ; et quoique l'homme d'Etat aussi bien que sa « doctrine », décevants, rassemblent un bruit énorme autour de très peu de substance, l'arrivée de Necker au pouvoir bien plus que son exercice de ce pouvoir n'en reste pas moins le symbole d'un tournant définitif dans l'histoire de l'Ancien Régime, et déjà presque de son abdication: c'est pour la première fois un homme sans origine, sans titre, sans attaches, sans office, sans carrière de commis du roi, qui ne tient ni à la noblesse, ni à la bureaucratie judiciaire ou administrative, ni à la « finance » d'office, étranger et hérétique par surcroît, qui n'a même pas eu le geste, comme jadis Law, d'abjurer et de se faire naturaliser, et qui n'aurait pas été admis à acquérir la moindre charge, donc un homme entièrement et radicalement étranger à la société monarchique constituée, qui arrive à s'imposer à la royauté pourtant absolue et à prendre la direction et finalement le titre du Contrôle général des finances du royaume, par la force d'une « claque » organisée qui sait « faire l'opinion » et par la faculté d'écouler dans une clientèle internationale de capitalistes les emprunts d'un trésor royal obéré, que ni l'impôt ni la finance traditionnels n'arrivent plus à alimenter.

Type
Études
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1960

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References

1. Lapouge, C. Vachek De, Necker économiste, Paris 1914 Google Scholar (étude précise et détaillée des écrits et de la doctrine de Necker publiciste ; la pensée de Necker, dépouillée de l'immense fatras rhétorique qui l'enveloppe, y apparaît néanmoins avec une précision qu'elle n'a pas dans les textes originaux). — Abbé Lavaquery, E., Necker, fourrier de la Révolution, Paris 1933 Google Scholar (l'étude biographique la mieux documentée, malgré un parti pris d'hostilité et de nombreuses erreurs de détail). — Chapuisat, E., Necker, Paris 1938 Google Scholar (biographie apologétique, précieuse surtout par la connaissance du contexte genevois, écrite en réponse à celle de Lavaquery). — Jolly, P., Necker, Paris 1947 Google Scholar (ouvrage académique de seconde main, sans valeur pour le côté bancaire et financier, mais bonne synthèse des jugements psychologiques et politiques sur Necker). Pour les ouvrages antérieurs de faible valeur d'information, et pour les oeuvres de Necker lui-même, se reporter aux bibliographies de Vacher de Lapouge et de Jolly ; à ajouter, la très officieuse Familiengeschichte des Herrn von Necker, s.l. 1789. — Collection complète de tous les ouvrages pour et contre M. Necker… en ordre chronologique, avec des notes critiques, politiques et secrètes, 8 vol. Utrecht 1781. Sur la gestion financière, voir les études générales de CH. Gohel, de R. Stourm et de M. Mabion.

1. H. Lutby, La Banque protestante en France de la Révocation de VEdit de Nantes à la Révolution (éd. S.E.V.P.E.N., Paris), dont le deuxième volume est actuellement sous presse.

1. Dans son « portrait » de 1786, cité plus loin, Mme Necker a trouvé cette jolie formule pour définir le génie renfermé dans son mari : « Dès sa jeunesse, il pensoit toujours et ne lisoit point ; en sorte que son esprit a quelque chose d'antique ; on diroit qu'il a existé avant les autres ».

1. Staël, De, Mémoires sur la vie privée de mon père, Paris 1818 Google Scholar ; La Liégeoise, ou Lettre à M. Necker, Directeur Général des Finances, Paris, 1781 (Coll. complète, 1.1, N” 6, p. 5).

1. Pour l'évolution générale de la Compagnie, weber, V. Henry, La Compagnie française des Indes, Paris 1004 Google Scholar ; étude d'histoire administrative trop « officielle » et anonyme pour que, dans le domaine qui nous intéresse, nous ayons pu en tirer beaucoup.

1. Excellente analyse de ces problèmes de transfert dans : fukber, Houjen, John Company at Work, Cambridge 1951 Google Scholar ; prenant pour point de départ de son étude la révocation de Warren Hastlngs (1785), Furber fait de nombreux retours en arrière.

1. Correspondance de Grimm, citée par Vacher De Lapouge, l.e., p. 86, n.l. La note ajoute : « en crayonnant, à la fin de ce Mémoire, le tableau du véritable négociant, (Necker) a fait, sans le savoir, son propre portrait. » C'est déjà, neuf ans avant VElogt de Colbert, l'un des futurs clichés de propagande neckérienne.

1. A. N. T 88 1-2, papiers séquestrés de Barthélémy Huber, liasse cotée art. 54, copie du mémoire cité, non daté (env. janvier 1786) : « Mémoire de M. James Bourdieu à MM. les administrateurs de la nouvelle compagnie des Indes de France, pour leur représenter l'Etat de ses services ainsi que ceux de sa maison, sans prétendre diminuer ceux de M. Périer et aussi pour solliciter d'être nommé leur seul agent, soit seul correspondant à Londres par une délibération formelle. » — Un autre mémoire tiré du même dossier, sans référence à ces affaires anciennes, est cité par Conan, J., La dernière Compagnie française des Indes, Paris 1942, p. 189.Google Scholar Les papiers Huber ont été amplement utilisés par Fukbeb, Le.

1. Papiers Huber, Le. ; la copie non datée du mémoire de Bourdieu avec la recommandation écrite et signée par Necker se trouve au carton T 38 3-7 ; la date est fournie par la réponse des fermiers généraux (du 20 septembre, adressée à François Coindet, commis de Necker) qui, très respectueusement, refusent de se plier aux injonctions du ministre. Ibid., T 88, Registre de copies de lettres adressées par Huber, de Londres, à Necker en 1789-1790 ; lettre citée par J. Bouchary, Les manieurs d'argent, t. III, p. 75. Bouchary y a consacre un court chapitre aux affaires de Barthélémy Huber (nommé commissionnaire à la Trésorerie, le 22 févr. 1791, mais contraint à démissionner le 4 mai par Clavière) au début de la Révolution ; nous y renvoyons. Huber, négociant à Londres jusqu'en 1788, est le petit-fils de Jean-Jacques Huber-Calandrini, le cousin de Mme Louis Necker, née Cannac, et le beau-frère du banquier Jean-Louis Rilliet.

1. Lettres d'un actionnaire à un autre actionnaire, publiée en appendice aux Mémoires concernant l'administration des finances sous le ministère de M. VAbbé Terrai (de Coquereau), Londres 1776, p. 301 sq. Ce précieux récit, auquel nous aurons encore à recourir, ne donne qu'en guise d'introduction le compte rendu de l'assemblée du 8 juillet 1764, pour reprendre ensuite l'historique détaillé des dernières délibérations de la Compagnie à partir de mars 1768 ; les éditeurs des Mémoires, dans une note liminaire, déclarent le joindre à ceux-ci parce qu'il montre la « trahison » de l'abbé Terray envers la Compagnie, où il avait été un des hommes de confiance des « réformateurs ».

1. La Liégeoise (citée note 8), p. 6-10. L'attribution à Panchaud (Bachaumont, Mém. secrets, t. XXVIII, p. 149) est indubitable.

1. Antoine Nicolas Valdec de Lessart, maître des requêtes, directeur de la Compagnie en 1766-1768, l'un des commissaires nommés pour la liquidation de celle-ci après l'arrêt de suspension (il figure en tête des listes de l'administration de la Compagnie en liquidation publiées par I'Almanach Royal depuis 1778) ; il est surintendant en survivance des finances de Monsieur, frère du roi. En 1781-1782, Jacques Necker lui prêta 100.000 L. à employer dans l'adjudication de la baronnie des Portes, près de Bordeaux, dont de Lessart était l'un des héritiers (A. N., Et. L, 667-668, 15 déc. 1781- 15 déc. 1782, obligations, et quittances du 18 déc 1786-29 janv. 1787).

2. Il s'agit de la loterie de 11 millions, approuvée à contrecoeur par l'assemblée du 8 avril 1769 et autorisée par l'arrêt du 6 avril suivant ; v. infra. Je n'ai pas trouvé trace de l'écoulement de cette loterie à Genève, ce qui peut d'ailleurs s'expliquer par le fait que les lots étaient en argent comptant et non en rentes, ce qui dispensa les bénéficiaires des formalités notariales ; pour las emprunts-loteries viagers de la Compagnie, en 1765 et 1770, d'assez nombreux placements genevois sont attestés.

1. Adrien-Louis de Bonnières, comte puis duc de Guines, alors ambassadeur à Londres. « L'affaire du comte de Guines », affaire de divulgation de secrets diplomatiques à l'usage de joueurs en bourse, où furent impliqués plusieurs correspondants anglais de Necker — Bourdieu et Chollet et Pierre Thellusson — et qui fut le « secret » du voyage de Necker en Angleterre, en 1776, est également analysée dans le chapitre consacré à Necker de La Banque protestante en France.

2. Cette « rafle » se situe évidemment après la chute de la Compagnie. Terray fut nommé Contrôleur général le 22 décembre 1769. Tous les pamphlets insistent lourdement sur cette « collusion » entre Terray et Necker, sans fournir beaucoup de precisions.

1. Morellet, Mémoires, t . 1 , 365 ; cf. note 28. Necker ne fut d'ailleurs jamais directeur de la Compagnie, mais uniquement syndic et, plus tard, commissaire à la liquidation.

2. Lettres d'un actionnaire citées note 14. A quel groupe appartient l'auteur ? Son opposition, ou plutôt son mécontentement, se traduit surtout par des réactions négatives, d'ailleurs en sens divers, contre l'administration, non par une adhésion à tel ou tel programme. Ces mouvements d'opposition sont d'autant plus difficiles à situer que des rivalités de personnes et de plans se superposent aux oppositions de principe ; il y faudrait une connaissance intime du milieu de la Compagnie que nous n'avons pas. N'oublions pas qu'il y a une sorte d'aristocratie de la Compagnie, des familles comme les Dupleix et les Duval qui ont acquis leur fortune et leur gloire au service de celle-ci et pour qui elle est plus qu'un placement de capital ; cela vaut également pour les « serviteurs » plus modestes (cf. G. Vallée, AU service de la Compagnie des Indes ; les Renault de Saint-Germain, Paris 1938). L'auteur des Lettres, d'après sa façon de critiquer l'administration de la Compagnie, n'appartient ni au milieu des fonctionnaires, ni au négoce. Parlant des quatre directeurs mis en place en 176S, il ne montre que mépris pour J. de Rabec, ancien commis de la Compagnie au Bengale, et pour Merry d'Arcy, ancien subrecargue, petits fonctionnaires médiocres promus pour leur docilité ; quant à Pierre-Jacques Lemoine, négociant à Rouen, et Jacques Risteau, négociant à Bordeaux, ce sont « deux intrus parmi nous… sans qualité, fort honnêtes gens, si on veut… On auroit beaucoup mieux fait de les laisser dans leurs bureaux calculer sur les profits à faire sur le sucre et sur l'indigo, plutôt que de leur donner à nommer les chefs de nos Conseils et les généraux de nos Armées » (3e lettre, p. 282 sq.). Sa position à l'égard de Necker et de Panchaud, également « intrus », change à différentes reprises ; il n'a aucune sympathie pour Panchaud, « destructeur » de la Compagnie, mais il est réticent à l'égard de Necker, a sauveur » à la petite semaine qui n'offre aucune vue d'avenir.

1. Première lettre, p. 812. L'auteur mentionne que l'assistance fut « la plus nombreuse qu'on ait jamais vue » : 286 actionnaires présents. C'est la séance par laquelle commence la diatribe citée de « La Liégeoise ».

1. L.c., 4e lettre, p. 331. L'auteur donne le nombre de voix obtenues : Moracin 124, Lhérittier 117, Jaume 101, La Rochette 91, Panchaud 80, Duval d'Eprémesnil 74, Dupan 62, Julien 60. Moracin est l'ancien gouverneur de la Compagnie à Masulipatam. Son nom ne figure pas dans la version donnée par Henry Weber, l.c, p. 590, et R. Bigo, la Caisse d'Escompte, p. 35, qui ne mentionnent que sept députés ; seule la connaissance des procès-verbaux ou d'autres documents authentiques pourrait éclaircir ce point, d'ailleurs secondaire.

1. L.c, 5e lettre, p. 842 sq. L'auteur doute de la sincérité de ce vote public et ajoute : « Je ne serois pas surpris… d'avoir à vous annoncer dans une prochaine lettre l'extinction de la Compagnie. » D'après le rapport des députés à cette assemblée, l'actif de la Compagnie, de 1764 à 1769, s'est élevé de 230 à 287 millions, et le passif de 188 à 234 millions ; sa situation s'est donc améliorée en cinq ans de 11 millions, ce qui correspond à un bénéfice de 5 pour cent par an. Mais ces chiffres ne sont guère que des hypothèses, car la valeur en capital des établissements dans l'Inde, du matériel navigant et portuaire et des « mises dehors » échappe à tout calcul précis. Le 4 avril, le député Lhérittier annonce qu'on s'est trompé dans le calcul du passif, au détriment de la Compagnie, de 4 millions. Le 8 septembre, la députation de la Compagnie au Parlement reconnaît qu'indépendamment des créances douteuses portées à l'actif, la valeur des avoirs dans l'Inde a été surestimée de 7 millions — Louis-Léon-Félicité de Brancas, comte de Lauraguais, avait hérité un gros paquet d'actions de son oncle, le marquis de Lassé (ou Lassay), l'un des « Mississipiens » célèbres de l'entourage du Régent. Disciple et protecteur de Panchaud jusqu'au bout, Lauraguais est l'un des grands personnages de la chronique mondaine du temps, l'un des promoteurs de l'anglomanie — il lança en 1766 la mode dss courses hippiques en France —, pionnier de l'inoculation, grand ami du docteur Tronchin, compagnon de débauche du duc de Chartres, le futur Philippe-Egalité, amateur en littérature, en chimie, en économie politique et en agronomie, entre de fréquents séjours à la Bastille. Le « Mémoire sur la Compagnie des Indes, précédé d'un discours sur le Commerce en général » qu'il publia en juin 1769 et qui fut saisi par la police, est probablement de l'inspiration de Panchaud. Cf. P. Fromageot, « Le Comte de Lauraguais », in Revue des études historiques, t. LXXX, janv.-févr. 1914, p. 15 sq. — Dans son mémoire de 1755 sur la Compagnie, Vincent de Gournay avait proposé un projet analogue ; la suspension de la Compagnie avait été envisagée au début de la guerre de Sept Ans. La Compagnie elle-même avait eu une sorte de Caisse d'Escompte domestique en 1727-1759, dont le capital avait été fourni moitié par la Compagnie, moitié par le roi, et dont nous savons peu de chose (bilan très sommaire des années 1749-1751, A.N., H. 1459).

1. Gazette de France du 12 janvier 1767, arrêt, statut et liste des directeurs ; deux caissiers, DoUé et (Bertrand) Dufresne, associé de Magon de la Balue. — B.N., Ms Joly de Fleury, t . 1437, p. 291, Mémoire de Laborde, de janvier 1782, réclamant le dédommagement de ses pertes subies lors de la suppression de cette Caisse. Laborde « a éprouvé de la part de M. l'Abbé Terray un refus de justice qui le force à réclamer celle de Sa Majesté » ; il n'a reçu en remboursement de sa mise de fonds dans sa Caisse d'Escompte que 7 millions de rescriptions des receveurs généraux des finances, dont le paiement fut supprimé par arrêt du 18 février 1770 (Laborde avait alors pour 16 millions de ces rescriptions) ; « en même temps (Laborde) voyoit les sieurs de Beaujon et de la Balue, qui n'avoient aucun des titres respectables du sieur de la Borde, couverts de la perte totale… M. Necker, plus accessible que ne l'avoit été M. l'Abbé Terray aux justes réclamations du sieur de La Borde, étoit sur le point de prendre les ordres du Roy sur cet objet peu avant l'époque de sa retraite », en lui accordant 200.000 1. en contrats à 4 pour cent et lui assurant le remboursement de 1,6 millions de pertes dans les premières années après la paix ; cet arrangement fut confirmé par Joly de Fleury (ibid., p. 289). Cf. Hassin, P., Crédit public et Banque d'Etat en France du XVIIe au XVIIIe siècle, Paris 1933 Google Scholar, app. p . 170-221, « Examen des banques publiques qui ont existé… et projet d'une Banque nationale en France » : « M. de la Borde, qui se trouvait créancier du gouvernement d'une somme considérable, fut le promoteur de cette Caisse qu'il n'imagina que comme un moyen propre à opérer son remboursement. »

1. Ibid., 6e lettre, p. 351 sq. Il s'agit évidemment de l'emprunt-loterie dont parle « La Liégeoise ». Le marquis de Sausay intervient pour attaquer la veulerie d'une administration qui a attendu la mi-mars pour délibérer des moyens de payer les échéances d'avril. Dans la même séance, on distribue un « Prospectus de la pompe funèbre de feue… la Compagnie des Indes », pamphlet mordant contre les administrateurs, le duc de Duras, l'intendant des finances Boutin, Duval d'Eprémesnil et Necker. La guerre des libelles commence : à la mi-juin, on répand une « Relation du Dr Ribaudier, confesseur de la Compagnie des Indes, charge méchante contre Boutin, attribuée à Lauraguais, et qui est saisie par la police, qui en aurait confisqué un ballot de 12 000 exemplaires à Châlons, (Bachaumont, Mém. secrets, t. V, p. 97, sq.). Pour l'auteur des Lettres également, « l'ennemi le plus cruel de la Compagnie » est (Charles- Robert). Boutin, maître des requêtes et commissaire du roi à la Compagnie des Indes ; c'est le même dont nous avons mentionné l'emprunt très international fait en 1759, rpar l'intermédiaire de la banque Thellusson, Necker et Cie.

1. Ibid., 8” lettre, p. 871 sq.

1. Réponse au Mémoire de M. l'Abbé M., dans : OEuvres de M. Necker, éd. de Lausanne (1786), t. IV. — Bel exemple de cet art de noyer les comptes : « Que les bénéfices de la Compagnie aient ensuite diminué par les dépenses de souveraineté et par des défauts d'économie, ce n'est pas à l'Etat de lui en faire des reproches : les dépenses de souveraineté… prouveront qu'elle a soulagé le trésor du prince ; et ses défauts d'économie indiqueront que le cultivateur, le manufacturier et le négociant ont été les véritables associés à ses profits, et non ses actionnaires » (p. 851 ; c'est le banquier de la Compagnie qui parle), A la fin de sa Réponse, Necker oppose aux « spéculations de l'esprit humain », les idées établies dans le commerce : « elles ont l'apparence d'une routine et d'un espèce d'instinct », mais « cet espèce d'instinct… doit sa naissance à une multitude de perceptions et de combinaisons fines que l'oeil actif de l'intérêt a saisies, et que les spéculations tranquilles de la théorie n'ont peut-être pas encore aperçues ». Ce mépris de la théorie ne changera jamais, et il se justifie pleinement du point de vue du banquier ou du joueur en bourse : la théorie n'a jamais été très utile pour deviner le cours du change du lendemain ou la fluctuation d'un effet en bourse entre 9 heuresdu matin et 4 heures de l'après-midi. — La familiarité, nullement troublée par cette polémique, entre le défenseur et le « bourreau » de la Compagnie, fit beaucoup jaser et laissa croire à une mise en scène convenue d'avance ; la Correspondance de Grimm, dévouée à Necker, s'en moque aux dépens de l'abbé : « E t étoient les bonnes âmes singulièrement édifiées de l'âme sans fiel de ce digne ecclésiastique, lequel s'asseyoit une fois par semaine à la table de M. Necker, comme si rien n'étoit… » (t. I, p. 118).

1. Lettres d'un actionnaire, 8e lettre, p. 371 sq.

2. Ibid. 9e lettre, p. 887 sq. — H. Weder, l.c. — Le préambule de l'arrêt du 13 août constate que la Compagnie n'est plus en état de remplir les obligations de sa charte, qu'elle n'a plus approvisionné les îles de France et de Bourbon, n'a fait aucuns préparatifs pour les armements de la présente année, et n'a présenté aucun plan acceptable pour soutenir ses paiements ; les trois projets d'emprunt de Necker sont rejetés. Le projet de Caisse de 1769 ne semble avoir laissé d'autre trace dans les archives officielles que l'avis défavorable de Choiseul (Min. Aff. Etr., Mém. doc. frç. ms. 1866, f” 129, cité par Harsin, P., Crédit public et Banque d'Etat en France, Paris 1933, p . 184 sq.).Google Scholar

1. Arrêt du 6 septembre 1769, art. 1-2 (passeports), 6-7 (monopole du port de Lorient, plombage), 9 (droit d'induit) ; ces droits sont supprimés par l'arrêt du 14 avril 1785 établissant la Nouvelle Cie, des Indes (art. 2,45 et 47).

2. Cette longue indécision sur le sort de l'actif et des dettes de la Compagnie, demeuré en suspens depuis l'abandon du projet de Caisse d'Escompte en août 1769, jusqu'aux arrêts de février et avril 1770, favorisa évidemment les spéculations sur les effets de la Compagnie. Les Lettres d'un actionnaire, 10e-12e lettre, p. 897-415, se font d'autre part l'écho de heurts violents entre Terray et le comte de Lauraguais, porteparole de l'opposition après la radiation de Panchaud pour faillite, au sujet de la vente publique des marchandises de la Compagnie à Lorient, à laquelle plusieurs actionnaires tentèrent de faire opposition par voie de justice, et au sujet de la livraison de ses vaisseaux à des armateurs privés, dont Roothe, ancien directeur de la Compagnie à Lorient. Dans l'assemblée du 21 janvier 1770, Terray fut vivement interpellé sur les nouveaux « expédients » proposés pour payer le tirage de la loterie de 1769, alors que ce tirage devait être acquitté sur le bénéfice de la vente d'automne 1769, estimé à18 millions, qui avait mystérieusement disparu ; Terray a balbutia », refusa de répondre et retira la parole à Lauraguais ; l'assemblée nomma de nouveaux députés pour suivre la liquidation : les comptes de Lauraguais et de Maillebois, les banquiers Jacques Necker, Louis Tourton et Paul Véron, et les actionnaires de Mairobert, de Panoussie et de Gerville ; la direction en place demanda au gouvernement de casser ces élections (18° lettre, p. 416). Notre information s'arrête là. Des bruits sur le prochain rétablissement de la Compagnie ne cessèrent de circuler dans les années suivantes (v. G. Vallée, l.c, p. 165, 7 septembre 1772). — Au Grand Livre de la Banque Mallet, exercice du 1e r juillet 1770 au 80 juin 1771, donc postérieur au règlement définitif, transactions assez importantes sur les actions de la Compagnie : Jacob Tronchin, ancien conseiller de Genève, achète, en janvier 1771, 100 actions à des cours de 1052 à 1 095 1. et une à 1 000 1. ; le colonel Charles Pictet, qui en possède 7, en rachète 11 en août-sept. 1770 à 992-1 050 1. : Louis Zeerleder, banquier à Berne, en possède 14 au 1 “ juillet 1770 et en rachète 4 en juin 1771, à 1 060 1. ; les banquiers Marcuard et Cie, à Berne, font des transactions sur 187 actions ; les dividendes sont encaissés sur 294 actions pour le premier et sur 881 actions pour le second semestre 1770 ; en outre, perception de rente, achats et ventes sur une centaine de billets blancs de la loterie de la Compagnie (A.N., 57 AQ 1-2). Il serait évidemment plus intéressant de connaître les livres d'une grande banque, celles de Thellusson-Necker ou des frères Lullin.

1. A.N., G 1-11 et F 50 1-12, cartons concernant la liquidation de la Compagnie, dont le fatras permet surtout de saisir l'atmosphère confidentielle de ces procédures. Le plus grand défaut des importants ouvrages d'Henry Webee sur la Compagnie d'avant 1769, de R. Bigo sur la Caisse d'Escompte et de J . Conan sur la Compagnie des Indes de Calonne est d'avoir ignoré les liens pourtant évidents entre ces trois formations, faute d'avoir prêté attention à l'identité des personnes et des groupes qui s'y agitent ; chaque entreprise semble ainsi sortir toute neuve du néant et rentrer dans le néant.