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Yougoslavie : quand la démocratie n'est plus un jeu

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Jean-François Gossiaux*
Affiliation:
EHESS-LAIOS

Extract

L'histoire datera probablement de 1989 la fin du communisme en Europe. Pour la Yougoslavie, le constat officiel est établi en janvier 1990, lorsque la Ligue des Communistes abandonne son rôle dirigeant — avant d'éclater. Juin 1991 marque la fin de la Yougoslavie elle-même, avec les déclarations d'indépendance de la Slovénie et de la Croatie (indépendances reconnues par la Communauté européenne en janvier 1992). Leur proximité chronologique laisse à penser qu'il existe un lien de cause à effet entre ces deux événements. Même si le processus de désintégration de la Fédération avait commencé plusieurs années auparavant — de même d'ailleurs que le déclin du socialisme yougoslave — la fin officielle du communisme a précédé (entraîné ?) la fin officielle du pays, et la guerre. Une explication immédiate, et fréquemment avancée, est fournie par le schéma de peuples hostiles (par essence), jusqu'alors maintenus hors d'état de se nuire par la dictature communiste.

The rise of violence in Yugoslavia has coincided with the political discourse's invasion by references to democracy. This article aims at showing that it exists a structural relation between the two features. The democratie model, indeed, means pluripartism. When in fact, the parties which developed in accordance to this need have been set up on the classificatory principles which were inherited from the ancient system, that is to say, on a “national” basis (i.e., on an ethnie order).

War has been the paroxystic consequence of the incompatibility between democratic individualism and ethnic structure, considered as a political principle. The law of the majority is not acceptable from the moment that the results are predetermined by the very nature of the opposing parties themselves. Armed violence constitutes a radical way of getting out of this aporia of the majority. It tends to suppress one of the terms of the contradiction, namely the ethnic structure, in forcing the territorial logic (“ethnic purification”, geographical transfers of the populations).

A further solution consists in giving up—without openly avowing it—the principle of democratie individualism. This is what is called in the Balkans’ framework, the Macedonian Model. A consensus is reached on the running of the State's affairs between ethnic parties, away from any notion of the elected majority. At this price, the Republic of Macedonia has up to now succeeded in maintaining civil order.

Type
Nationalités et Démocratie
Copyright
Copyright © École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris 1996

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References

1. Voir notamment Krulic, Joseph, Histoire de la Yougoslavie de 1945 à nos jours, Paris, Éditions Complexe, 1993 Google Scholar ; Samary, Catherine, La déchirure yougoslave. Questions pour l'Europe, Paris, L'Harmattan, 1994.Google Scholar

2. Cf. Kusturica, Emir, « L'acacia de Sarajevo », pp. 13-22, dans L'éclatement yougoslave. Une tragédie européenne, Paris, Éditions de l'aube/Libération, 1994 Google Scholar. Voir également la scène du reportage radiophonique dans le film Papa est en voyage d'affaires.

3. Voir notamment Augé, Marc, « Football : de l'histoire sociale à l'anthropologie reli gieuse », Le Débat, février 1982, pp. 5967 Google Scholar ; Signorelli, Amalia, «Territoires: les titos. l'équipe et la cité», Ethnologie française, 24, 3, 1994, pp. 615628 Google Scholar ; Bromberger, Christian. avec la collaboration de Hayot, Alain et Mariottini, Jean-Marc, Le match de football. Eth nologie d'une passion partisane à Marseille, Naples et Turin, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l'Homme, 1995.Google Scholar

4. Les termes utilisés pour exprimer ce genre de notion posent toujours des problèmes de traduction. Les fonctionnaires yougoslaves en étaient bien conscients, qui employaient dans leurs publications internationales l'expression « ethnie nationality » (cf. le Statistical Pocket-liook of Yugoslavia de l'Institut fédéral de la Statistique). Les termes narod (nation, peuple, i. e. l'équivalent de l'allemand Volk) et narodnost, connotant l'ancien régime socialiste, ont été maintenant supplantés par le moderne et international nacija.

5. Le risque avait d'ailleurs été bien perçu par le pouvoir communiste qui en avait fait un argument contre l'introduction du multipartisme.

6. Il est à noter que dans le royaume de Yougoslavie déjà certains partis avaient une référence explicitement ethnique (tel le fameux Parti Paysan Croate).

7. Terminologie nationale et réalité ( i. e. stratification) sociale ne sont d'ailleurs pas sans rapport, notamment en Bosnie. La population citadine y était — héritage de l'Empire ottoman — essentiellement musulmane. On peut voir a contrario une indication du contenu de classe (sociale) de la classification nationale ou ethnique dans le fait que les rares Serbes de Bosnie a se désolidariser du « camp serbe » durant la guerre furent des Serbes de la ville.

8. Gellner, Ernest, Nations et nationalisme, Paris, Payot, 1989 Google Scholar. (Titre original : Nations and Nationalism, 1983). Chapitre 6 : « Entropie sociale et égalité dans la société industrielle ».

9. Sources : Institut fédéral de la Statistique.

10. Gossiaux, Jean-François, « Recensements et conflits “ethniques” dans les Balkans », La Pensée, 296, 1993, pp. 23.Google Scholar

11. Cf. Yerasimos, S., « Balkans : frontières d'aujourd'hui, d'hier et de demain ? », Hérodote, 63, 1991, pp. 8098.Google Scholar

12. Cette distinction religieuse a cependant une dimension politique et nationale évidente, ‘exarchat de Sofia ayant été érigé en 1870 dans le contexte de la « renaissance bulgare ».

13. Sur la question des statistiques de population au début du siècle, cf. Van Gennep, A., Traité comparatif des nationalités, Paris, 1922 Google Scholar (réédition, Éditions du CTHS, 1995), notamment les chapitres V et VI.

14. Cette université devait être située à Tetovo, dans l'ouest du pays. Les incidents qui suivirent son inauguration avortée, en février 1995, firent un mort et plusieurs blessés.

15. Le Président sortant, Kiro Gligorov, a été réélu au premier tour. Pour ce qui est des élections législatives, le second tour a été boycotté par les partis d'opposition (macédoniens), alléguant des incidents survenus au premier. Les partis albanais ont pour leur part participé à l'ensemble des élections.

16. En revanche, la constitution prévoit l'existence d'un Conseil des nationalités, émanation de l'Assemblée, qui réunit deux représentants de chacune des communautés macédonienne, albanaise, turque, valaque, rom plus deux représentants pour l'ensemble des autres nationalités. Ce conseil « traite des questions relatives aux rapports entre nationalités dans la République et émet des avis et propositions pour leur résolution » (art. 78). L'existence et la fonction spécifique de cette institution soulignent a contrario le sens de la présence du parti albanais au gouvernement : celui d'une participation albanaise à la gestion globale des affaires du pays.