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Saints furieux et saints studieux ou, dans l'Aurès, comment la religion vient aux tribus

Published online by Cambridge University Press:  25 May 2018

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Le point de départ de ce travail est un constat, celui de l'omniprésence de la religion et des acteurs religieux dans la culture populaire et dans l'histoire de l'Aurès, ensemble de communautés montagnardes séculairement réputées par ailleurs pour leur immoralisme et leur pugnacité. On serait sans doute tenté d'en dire autant de toutes les communautés paysannes au Maghreb. Pourtant, ce qui frappe ici, par comparaison avec d'autres régions, c'est le mode mineur et illégitime auquel se trouve réduite toute expression qui ne soit pas religieuse.

Type
L'Islam et le Politique
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1980

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References

Notes

1. Sur ces deux insurrections on consultera: Peter von Sivers, «The realm of justice ; apocalyptic revolts in Algeria( 1849-1879) », dans Humaniora islamica, 1973, pp. 47-60. En ce qui me concerne, j'ai utilisé également des données exposées oralement par P. von Sivers lors d'un séminaire de travail tenu dans le cadre du Groupe d'études et de recherches maghrébines, à la Maison des sciences de l'homme, à Paris, en janvier 1977, ainsi qu'au cours de l'enseignement qu'il dispensa à l'université de Paris VIII, la même année. D'une manière générale, ce travail doit beaucoup à nos discussions. Je l'en remercie ici avec amitié. Ch.-R. Ageron a fourni une synthèse de la polémique et des documents de l'époque dans Les Algériens musulmans ci lu France, t. 1, Paris, PUF, 1968, p. 59 ss (” Les troubles de l'Aurès »). Cette mise au point définitive situe chaque version dans le débat de politique indigène contemporain des événements.

2. La commune est celle de Bouzina, qui occupe la vallée occidentale désignée au xixe siècle sous le nom de l'oued el Ahmar. Elle compte 12 000 habitants environ, au dernier recensement, quatre villages importants, quelques agglomérations ; 20 % environ de la population vit en habitat dispersé. Quelques résultats de cette recherche ont été présentés dans « La ville au village. Transferts de savoirs et de modèles entre villes et campagnes en Algérie », Revue française de sociologie, XIX, 1978, pp. 407-426.

3. Le Mouvement réformiste créé par le cheikh Ben Badis en 1932 est en effet à la fois un courant théologique, une sorte de parti et un réseau scolaire extrêmement important. Cf. Mérad, A., Le réformisme musulman en Algérie de 1925 à 1940, Paris, Mouton, 1967 Google Scholar. Voir également pour les relations entre ce réseau scolaire et l'ensemble du système d'enseignement algérien durant la période coloniale, F. Colonna, «Le système d'enseignement de l'Algérie coloniale», Archives européennes de sociologie, Xiii, 1972, pp. 195-220, p. 203, p. 208 ss.

4. On connaît quelques autres exemples d'implantation du mouvement en milieu rural, mais dans des conditions complètement différentes et,pour la plupart, beaucoup plus tardives. Cf. par exemple, Launay, Michel, Paysans algériens, Paris, Seuil, 1963 Google Scholar, pour la région viticole d'Ain Temouchent.

5. Cf. F. Colonna, « L'Islah en milieu paysan : le cas de l'Aurès 1936-1938 », Revue algérienne des sciences juridiques, économiques et politiques, vol. XIV, n° 2, juin 1977, pp. 277-288. Le caractère le plus remarquable du Mouvement dans la région est qu'il est apporté par des jeunes gens d'origine maraboutique. Également qu'il révèle des antagonismes internes anciens, les mêmes qu'au xixc siècle.

6. La diffusion des idées du Mouvement (comme celles des partis nationalistes) apparaît toujours, dans la littérature, comme un destin . Ce n'est pas un hasard si ce sont des auteurs anglosaxons qui posent parfois cette question. Par exemple E. Gellner. « The unknown Apollo of Biskra : the social base of Algerian puritanism ».

7. L'Algérie en 1882, Paris, Librairie militaire J. Dumaine, 1882. Ce texte constitue la défense des Bureaux arabes, accusés d'être responsables du soulèvement de 1879.

8. Chronique d'Abou Zakaria, Alger, 1878, Imprimerie de l'Association ouvrière V. Ailland et Cie. En particulier, Masqueray fait état des travaux d'un certain Saint-Marc Girardin, sur le donatisme, cité dans d'Avezac, Histoire et description de l'Afrique . Évidemment ces textes et leur date relativisent beaucoup l'originalité des thèses d'Engels sur La guerre des paysans ou sur le mahdisme.

9. Sur ce point, voir par exemple J. Favret, « Le traditionalisme par excès de modernité », Archives européennes de sociologie, VIII, 1967, pp. 71-93. L'auteur y met en évidence des différences tout à fait significatives entre la Kabylie et l'Aurès.

10. Ces conclusions ne peuvent évidemment s'énoncer que par comparaison avec d'autres ensembles régionaux : la Kabylie, où l'arabe est connu comme langue d'échange et comme langue de religion, mais où le berbère conserve son statut de langue savante et noble, le Gourara, qui connaît une situation complexe : forte emprise des clercs, mais coexistence des deux langues, y compris dans le discours savant. Cf. Mouloud Mammeri, Pierre Bourdieu, « Dialogue sur la poésie orale en Kabylie», Actes de la recherche en sciences sociales, sept. 1978, n° 23, pp. 51-67. M. Mammeri, L'Ahllilpoésie érotico-religieuse du Gourara (à paraître). M. Mammeri, Poèmes Kabyles anciens, Paris, Maspero, 1980. En ce qui concerne la Kabylie au moins, M. Mammeri met en évidence l'existence d'une « pensée » (et de transmetteurs), prenant comme véhicule principal la poésie savante qui reste cependant le plus souvent orale, aussi bien dans son mode de production que dans son mode de transmission.

11. Le présent travail se fonde sur une analyse croisée de trois types de sources : a) une enquête de terrain, qui s'est déroulée en 5 courts séjours (de 10 jours à un mois) de 1973 à 1977 inclus, dans la partie ouest du massif, et plus précisément dans l'oued Abdi et l'oued el Ahmar (Bouzina). L'investigation directe n'a porté qu'exceptionnellement sur les faits de religion, mais elle a fourni. outre les données économiques indispensables, en quelque sorte la grammaire politique et sociale des événements rapportés par les archives ; b) le dépouillement des dossiers d'archives concernant les questions religieuses trouvés aux dépôts des Archives d'Outre-Mer d'Aix-en-Provence, soit, pour la série H :\\ H 50, Rapports mensuels sur la situation politique dans les milieux indigènes de l'Algérie. 11 H 62,, Bulletin mensuel d'information concernant la politique indigène dans le département de Constantine, 16 H 2, Confréries, renseignements divers (1849-1903). 16 H 8 et 9. Dossiers préparatoires au travail de MM. Depont et Coppolani sur les confréries. 16 H 13, Confréries et notables — enquête de 1898 et surtout 20 H 8 qui contient entre autres, un carton « Événements de l'Aurès — 1937 ». Le dossier 16 H 31, Confréries et notables, enquête de 1910. n'a pu être retrouvé. Pour la série X : 4 X 1, Octave Depont, Les troubles insurrectionnels de l'arrondissement de Batna en 1916, document multigraphié, 454 p., 1917, 8 X 18. 8X221, Renseignements politiques sur les événements de 1916 dans l'Aurès (important du point de vue de la géographie et de la structure tribale de la « rébellion »), 8 X 222, notes sur les confréries religieuses, arrondissement de Batna, 1917, 8X91, notice sur la zaouïa Ben Abbès de Menaâ. Enfin, dans la série non inventoriée et encore inexplorée des Rapports mensuels des communes mixtes, j'ai dépouillé pour l'Aurès, les années 1937 et 1938, l'année 1936 demeurant introuvable. A cela s'ajoutent des archives d'une portée générale comme le procès-verbal du Senatus-Consulte de l'oued Abdi, consulté aux archives cadastrales de Constantine, et différentes enquêtes administratives concernant la commune mixte des Aurès ; c) une relecture attentive de la littérature coloniale concernant le massif, à la lumière des informations apportées par les deux premières sources. On sait en particulier qu'E. Masqueray écrivit une dizaine d'articles sur la région, entre 1876 et 1886. Il s'agit là d'une information de première importance, mais qui. souvent, n'est intelligible qu'à partir d'une connaissance préalable du terrain ; ceci est particulièrement vrai pour les traditions orales recueillies par Masqueray.

12. Par lignages saints, j'entends ici ce qui est communément désigné, dans la littérature spécialisée, du terme arabe mrabtin, sing. mrabet . Dans l'Aurès, où le terme est bien connu, on ne dit cependant pas d'un lignage qu'il est « maraboutique », par opposition aux lignages « laïques ». On le désigne seulement de son nom, et cela suffit. Il est vrai que dans un certain nombre de cas, par exemple les Ayt Si Saâd à Tagoust, les Ayt Si Ali aux Ayt Frah, ce nom même les désigne comme les descendants d'un saint. Les termes mrahed, wali, sih sont employés seulement pour désigner un individu doté de fonctions sacrées déterminées. On trouvera de nombreux exemples des emplois du vocabulaire de la sainteté dans un parler aurasien, dans A. Basset. Textes berbères de l'Aurès (parler des Ayt Frah), Paris, Adrien-Maisonneuve, 1961, spécialement p. 293 ss.

13. Cf. les préambules historiques des procès-verbaux du Senatus-Consulte de chaque tribu. Également lt. col. Lartigue, Monographie de l'Aurès, Constantine, imprimerie Marie Andrino, 1904, p. 313 ss (histoire particulière des différentes tribus de l'Aurès), qui reprend presque exactement les préambules des Senatus-Consultes.

14. Cf. Note concernant les Ouled Daoud du Mont Aurès (Aouràs), Alger, Jourdan, 1879, pp. 25. 27-28. « Le djebel Cherchar », dans Revue africaine, 1878, pp. 134-136. La formation des cités chez les populations sédentaires de l'Algérie, Paris. Leroux 1886, pp. 171-172. Germaine Tion, dans son article sur « Les sociétés berbères dans l'Aurès méridional », dans Africa, XII 1938, p. 51, évoque chez les Ouled Abderrahman, deux lignages saints : les Ayt Si Mhand et les Ayt Si Ali Moussa (les Msamda dont il sera question plus loin).

15. Les récits de fondation, par exemple celui du village de Tagoust, mettent l'accent sur le rôle privilégié des lignages saints dans l'appropriation des techniques hydrauliques, qui sont relativement complexes ; de même, c'est l'un de ces lignages qui détenait au début du siècle, et avant qu'elle ne leur ait été soustraite par la force par des hommes de la tribu voisine, la charte écrite réglant le partage de l'eau entre ce village et ceux situés en amont.

16. Une même famille peut en effet compter à la fois un leader réformiste, exerçant d'importantes fonctions d'enseignement et un pouvoir symbolique sur la région entière, et un cheikh de zaouïa tout à fait traditionnel. Cf. « La ville au village », op. cit., p. 425.

17. Sur les conséquences du réformisme sur le rituel religieux paysan, cf. « L'Islah en milieu paysan… », op. cit .

18. On trouve une version relativement récente (mais antérieure, il faut le noter, à l'émergence du mouvement badissien) de cette opposition, dans un texte recueilli par A. Basset, à propos des Ayt Frah (cf. Textes berbères de l'Aurès) version qui met en scène un ‘aient, Si Belkacem, et un wali, Si Lahdar, du début de ce siècle. Mais Jacques Berque note, pour une période beaucoup plus ancienne (vers la fin du xvc siècle), à Mazouna, « des variations de type où prévalent selon le cas, l'orthodoxie bien tempérée, l'effervescence spirituelle, ou le compromis détestable avec des rites exorbitants », L'intérieur du Maghreb, XVe-XIXe siècle, Paris. Gallimard, 1978, p. 51.

19. Celle-ci est attestée par de multiples sources pour la zaouïa de Menaâ. Masqueray en fait mention pour les mrablin du djebel Cherchar (cf. supra « Le djebel Cherchar », p. 143). Jacques Berque, enfin, note le même privilège à propos des saints Seksawa. Cf. Structures sociales du Haut- Atlas, Paris, PUF, 2e édition, 1978. Des ménagements identiques de la part de centres étatiques aussi différents que l'État turc d'une part, la monarchie chérifienne d'autre part, méritent d'être relevés.

20. C'est le cas, par exemple, de la famille Ben A., de Menaâ, qui avait obtenu un haouch de 3 000 ha près de Constantine.

21. Puisque aussi bien l'essentiel de la documentation disponible concerne des tribus « remuantes » évoquées par les archives coloniales en période de crise.

22. Pourtant les villageois attachent une très grande importance à leur qualité « d'irrigueurs ». A leurs yeux, c'est ce qui fonde principalement le caractère « civilisé » de leur culture par opposition à « ceux qui dispersent seulement quelques grains de blé » (entendons, ceux qui pratiquent la céréaliculture extensive).

23. Mais aussi parce qu'il ne met pas, pour ce que j'en sais, en défaut ces analyses.

24. Cf. E. Masqueray, « Le djebel Cherchar», dans Revue africaine, 1878, pp. 134 et 137- 144 : « … une classe méprisée ou honorée à l'extrême, suivant les temps. Ce sont les marabouts, appelés souias (souiar)… ils arrangeaient les différends, faisaient enterrer les morts. Eux-mêmes ne combattaient pas… Ils vivaient de leur travail et surtout des aumônes… Ils instruisaient aussi les enfants de la culture, du Coran, etc. » Ce texte (pp. 134 et 135) est un modèle de « discours indigène » sur le sujet, en ce sens que toute allusion au pouvoir, à la richesse, aux fonctions réelles de la médiation y est gommée. « Ciar est une oasis véritable… en approchant… on suit entre les rochers et les lauriers-roses une forte seguia pleine d'eau courante, et tout à coup on voit une masse de palmiers au pied du djebel Medeloua, une vingtaine de maisons ruinées précédant l'oasis. Elles témoignent,de l'ancienne prospérité de Ciar » (écrit en 1878). « Le dix-huitième siècle serait peutêtre l'époque du plus grand développement des Beni-Barbar (la tribu), bien que leur frêle domination ait toujours été compromise, ils occupaient alors l'oued Djeber, l'oued Ferroudj… ils étaient amis des Turcs et comptés comme tribu makhzen ». On notera que tous les éléments qui vont être analysés plus loin comme déterminants dans une stratégie de ce type (lignage saint, site, richesse, compromission avec le centre étatique) sont présents. On notera enfin que la tribu est réputée au xixc siècle encore pour ses « chirurgiens » (p. 143).

25. Idem, pp. 208-21 3, « l'oasis de Khanga, située comme Ciar au débouché de l'oued Bedjer… occupe le foum (la bouche) saharien de l'oued arabe… (au milieu de l'oasis se dresse) le minaret orgueilleux des Ben Nacer. qui sont caïds en même temps que personnages religieux ».

26. Aucune des sources ne permet de dire précisément depuis quand les Ben A. sont à Menaâ : le xvic siècle dit l'enquête directe, « près de trois siècles » dit Masqueray en 1886, ce qui serait à peu près concordant. Un arbre généalogique de la famille, annexé à un document d'archives de 1895 (Archives d'outre-mer, 16 H 9), donne quatorze ancêtres mâles entre le cheikh en fonction alors (Mohammed-Seghir) et Brahim, frère (?) de sidi Adbelkader Djilani, fondateur désigné de l'établissement de Menaâ. Ce qui suppose une très grande longévité dans cette famille. Quoi qu'il en soit, cette famille est la plus ancienne de toutes celles évoquées par n'importe quelle source. Et c'est sans doute cela qui est important.

27. « Les Halha s'étant toujours trouvé à leur tête depuis leur départ de Tarhit Sidi Belkheir (environ depuis la fin du xve siècle, selon, les sources locales) ont sans cesse exercé sur les Ouled Daoud une sorte de suprématie. Il y a soixante ans à peine (écrit en 1879) ils en appelaient tous de leurs propres Imokranen au Kébir des Halha… » : Masqueray, Note concernant les Ouled Daoud , op. cit., p. 25 ; on observera que dans ce cas précis, d'un lignage reconnu comme dominant mais n'ayant pas encore « élaboré sa domination », le profil offert est plutôt guerrier et politique que religieux, et qu'il n'est pas invoqué d'origine lointaine — mais je n'ai pas enquêté directement dans cette tribu.

28. Une légende rapporte que, devant le peu d'enthousiasme des habitants de Menaâ, le cheikh fondateur avait envisagé Tagoust, également située au sud de l'oued el Ahmar, mais dans une sorte de cul-de-sac.

29. « Elle est aérée, écrit Masqueray à propos de Khanga, animée par le travail de divers ouvriers qui tiennent boutique. Elle ressemble à maints petits quartiers industrieux d'une ville d'Egypte. On soupçonne, en la considérant, que l'influence maraboutique n'est pas la seule cause de sa prospérité. Quelques raisons géographiques y contribuent » : « Le djebel Cherchar », op. cit . , pp. 209-210.

30. « Aperçu historique sur la famille Ben A. », déjà cité, p. 648. Les Ben A. étaient affiliés, on l'a peut être compris à la généalogie qu'ils invoquent (cf. n. 26), à la Qadrya ; on connaît les liens entre cette confrérie et les Turcs.

31. « Le djebel Cherchar est entièrement aux mains de la famille des Ben N. Cette famille est d'origine religieuse, et domine les tribus de la montagne autant par l'influence du fanatisme musulman que par son caractère politique. En somme, les Ben N. s'interposant entre le djebel Cherchar et nous, nous rendant des services réels en maintenant la paix dans le pays… » : Colonel Noeilat, L'Algérie en 1882, op. cit., pp. 93-94. Noellat appartenait aux Bureaux arabes et commandait dans la région au moment de l'insurrection de 1879.

32. Masqueray, Note concernant les Ouled Daoud, op. cit., pp. 25-26.

33. « L'Islah en milieu paysan », op. cit . Il s'agit de la création d'une tariqa locale, seule en son genre, la Derdiurya, par un moqadem dissident de la Rahmana, Si El H. Ben Si Ali D., en 1880.

34. De même le « schisme » de Si El H. (1880) est apparemment une affaire intérieure de la Rahmania, mais en fait une tentative pour enlever le leadership religieux chez les Ouled Abdi aux Ben A. Il s'agit donc doublement d'une « prophétie de concurrence » ; cette lecture est de plus en plus évidente dans les archives de 1880 à 1898 (cf. Archives d'outre-mer, 16 H 2 et 16 H 13) et c'est aussi le sentiment local aujourd'hui. Mediouna et Teniet el Abed, sièges de deux zaouïas Rahmania sont aussi des villages « assimilés » par les Abdi.

35. Plus exactement les enquêtes administratives de 1895 et 1898. révèlent l'existence d'une zaouïa à el Hamra dans l'oued el Abiod, créée en 1845 environ par un « moqadem aisé issu d'une famille maraboutique des Ouled Daoud ». On ne sait pas s'il s'agit d'une branche des Halha. Le lieu, el Hamra et non Tahammamt, le fait qu'en 1879, l'insurrection part de Tahammamt et est guidée par un étranger (Si Mohamed ben Abdellah, originaire des Béni Bou Slimane) inclinerait à penser qu'il s'agit d'un lignage saint concurrent mais de faible importance. D'ailleurs la zaouïa ne fait pas parler d'elle.

36. Max Weber, Économie et société, trad. frse, Paris, Pion, 1971, p. 251. Également P. Bourdieu, « Genèse et structure du champ religieux », Revue française de sociologie, 1971. pp. 295-334.

37. « Dossier du marabout Si El H. b. Si Ali D. », Archives d'outre-mer, 16 H 2.

38. Les origines sociales et culturelles du nationalisme marocain (1830-1912), Paris, Maspero, 1977, pp. 143-146. « L'autorité des zaouïas est induite, écrit Laroui…, on arrive à cette conclusion, inattendue pour les tenants de la théorie anthropologique que le rôle d'arbitrage entre tribus ne joue que par délégation sultanienne ; dès que celle-ci vient à manquer, le chef de zaouïa perd son prestige et lui-même a besoin d'être protégé. » C'est peut-être ce qui arriva à Ciar à la fin du xvme siècle.

39. Serres, Michel. Hermès IV. La distribution, Paris, Éd. de Minuit, 1977, p. 210.Google Scholar

40. Je n'ai garde d'oublier qu'ils étaient, avant cela, des praticiens de la « politique indigène ».

41. Rinn, Marabouts et khouans, Alger, Jourdan, 1 884 ; Depont et Coppolani, Les confréries religieuses musulmanes, Alger, Jourdan, 1897.

42. La femme chaouïa de l'Aurès, Paris, Geuthner, 1929, p. 232, n. 1 ; voir aussi Arripe, « Essai sur le folklore de la commune mixte de l'Aurès », Revue africaine, 1911, n° 283. pp. 15 et 16. Cl.-M. Robert, Le long des oueds de l'Aurès, Alger, Baconnier, pp. 227-230, G. Tiion, brève note dans L'Anthropologie, 1938, vol. XLVIII, p. 212. Dermenghem, E., Le culte des saints dans l'Islam maghrébin, Paris, Gallimard, 1954 (2e éd.), pp. 197203.Google Scholar

43. Il semble que s'échangeait sur ce marché à l'époque une variété de produits remarquable, au regard de ceux qu'offrent aujourd'hui les souks à l'intérieur du massif.

44. G. Tilon, « Les sociétés berbères dans l'Aurès méridional ». op. cit., p. 51. Cl.-M. Robert. Le long des oueds de l'Aurès, op. cit., p. 228.

45. Depuis 1971, le Centre de recherches anthropologiques, préhistoriques et ethnologiques d'Alger mène une recherche collective sur le Gourara, dont l'étude du sbu', plus particulièrement menée par Rachid Bellil, est un volet.

46. Cf. E. Masqueray, La formation des cités, op. cit., pp. 166-169 ; Masqueray fait état ici du débat entre le commandant Devaux d'une part (qui signale un système « en damier » dans la vallée de Boghni) et Hanoteau et Letourneux, d'autre part, qui contestent l'existence de ce système, et mettent en évidence la fonctionnalité des confédérations (p. 168).

47. L'ensemble de cette analyse, et en particulier l'essai de formalisation du pèlerinage comme parcours et discours indissociablemem liés, s'appuie sur le schéma de Michel Serres développé dans La distribution, op. cit., en particulier « Discours et parcours », pp. 197-210. Voir aussi Christiane Frémont, « Michel Serres ou l'art d'inventer », dans Critique, janvier 1979, spécialement pp. 62 ss (analyses du jeu du loup, de la lande de Lessay et de discours et parcours) .

48. Cf. la mise au point récente de Henri Moniot, « Sources orales et connaissances des systèmes économiques et sociaux de l'Afrique précoloniale », dans Bernadi, Poni. Trinezi, Fonli orali. Antropologia e storia . Milan, Franco Angeli, 1978, pp. 323-338, ici pp. 328-329. Je ne suis pas sûre que le rituel « traite les conflits » mais il est clair qu'il est « une voie d'accès à leur compréhension » ; cependant, on ne saurait être trop attentif aux ruses de ce discours, complètement justificatif.

49. Ou plutôt « systématiquement », en tant qu'elle est un système .

50. Dans l'état actuel de l'enquête, on ne sait pas s'ils ont eu, effectivement, une part dans le pouvoir politique local. En revanche, la tradition locale s'étend volontiers sur leur origine masmoudienne. Cf. également Claude-Maurice Robert, art. cité, p. I. « Les Masmouda, enfants de Masmoud, fils de Bernés, fils de Ben, forment la plus nombreuse des tribus berbères ». écrit Ibn Khaldoun dans L'histoire des Berbères . La presque totalité du volume II de L'histoire des Berbères retrace la montée des Masmouda, avec l'émergence du mahdi Ibn Toumert, puis leurs vicissitudes. Au sud de l'Aurès, légèrement au sud de la zaouia de Timermacine, existe un village appelé sidi Masmoudi.

51. Ce « modèle » est obtenu à partir de la « mise en série » de trois sections de chapitre de La formation des cités : les grands chefs en Kabylie (p. 116), les grands chefs dans l'Aurès (p. 169). les grands chefs au Mzab (p. 215). L'intérêt de ces séquences est lié à leur base empirique, mais il est clair que dans le schéma d'ensemble de la thèse défendue dans La formation des cités, ces exemples historiques sont gênants. Masqueray en rend compte de manière quasi psychologique : « Leurs tribus, écrit-il parlant des sawiya, ne sont que des fédérations de villages animés sans doute d'un esprit démocratique ; et cependant, la richesse, le courage, la culture intellectuelle y jouissent de leurs privilèges tout comme dans les qebilat du Djurdjura » (pp. 169-170). Loin d'être systématisés comme je tente de le faire ici, ils constituent une sorte d'excroissance de l'exposé d'ensemble, que seul le respect de Masqueray pour les faits l'empêche de passer sous silence.

52. « Thèse tribes are very segmentary -more so, I believe, than many societies invoked as examples of segmentary organization. The diffusion of power, a certain egalitarism, is carried very far indeed », écrit E. Gellner à propos du Haut-Atlas central (Arabs and Berbers, Gellner et MICAUD, Londres, Duckworth, 1972, p. 62) « … this absence of political specialization amongst the lay tribes, is made possible by the functions assumed by the igurramen » (p. 65).

53. Il s'agit du territoire de Morha, village fondé au xvne siècle par des éléments Ouled Abdi « grâce à la médiation des Ben A. » dit le récit de fondation. Un « bordj » monumental — au sens littéral — abritait le « caïd des Aurès » et sa smala, au pied de Morha et à proximité d'un important ouvrage hydraulique d'époque romaine.

54. Sans doute « les signes extérieurs de fortune ne définissent pas une société de classe » comme l'écrit Valensi, Lucette, Sur le féodalisme, Paris, Éditions sociales, p. 224 Google Scholar. Cependant, dans ce cas et de manière comparative, ils constituent un indice archéologique de premier plan, qui permet d'obtenir par l'enquête des informations complètement univoques sur le pouvoir effectif de ce lignage.

55. Cf. René Gallissot, « L'Algérie précoloniale », dans Sur le féodalisme, supra, pp. 147-179.

56. Cf. colonel Noellat, L'Algérie en 1882, op. cit . Le préambule du procès-verbal du senatusconsulte de la tribu des Ouled Abdi est la seule source écrite qui présente les Ben A. de Menaâ comme « exploiteurs et dangereux pour la paix de la région ».

57. La thèse, Saints of the Atlas, Londres, Weidenfeld & Nicolson, 1969. La polémique: l'argumentation la plus consistante, précisément sur les faits qui nous occupent se trouve dans A. Hammoudi, « Segmentarité, stratification sociale, pouvoir politique et sainteté », Hesperis Tamuda, Rabat, XV, 1974, pp. 147-180.

58. « Chez les sédentaires du Nord, écrit-elle, les choses sont beaucoup plus confuses… d'une manière générale, on peut dire que le maximum de complexité sociale coïncide avec le maximum de caractère sédentaire », op. cit., p. I, n. 4.

59. « Les mots gharb (ouest) et citera (est) ont un sens particulier dan^ I’ \urès… ces deux mots sont pour eux (les indigènes) bien plutôt deux désignations ethnographiques (entendons ethniques) que deux directions géographiques », « Le djebel Cherchar », op. cit., p. 259. A cette division « indigène » Masqueray superpose une division linguistique (entre zenalia à l'est et tamazigt à l'ouest). L'Atlas linguistique de l'Aurès n'est pas assez avancé pour qu'on puisse prendre position sur ce point.

60. « Les chaouïa. écrivait en 1929 Mathéa Gaudry, dans La femme chaouïa de l'Aurès , pratiquent la religion musulmane sans piété, mais avec un fanatisme qui fait d'eux la proie des marabouts ». Formule qui, dans sa rusticité, rend assez bien compte d'un certain nombre d'incohérences apparentes.

61. Cf. la thèse de Marc Lepape sur les Oudjana, i. e . sur quelques communes du Piemont-nord de l'Aurès : Les voies de la mémoire, thèse pour le doctorat de 3e cycle, Paris, Sorbonne, 1978, sous la direction de G. Balandier.

62. Cf. « L'Islah en milieu paysan », op. cit .

63. Il est clair que ces mécanismes de domination de codes ne peuvent être ramenés à des phénomènes de domination ethnique (contrairement à ce que pensait le colonel Noellat, qui semble croire à Varabité des lignages saints) ; il est clair aussi qu'on a affaire strictement à des faits de pouvoir, plus précisément à la retraduction en termes de légitimité culturelle de faits de pouvoir, où l'arabe joue le rôle de langue savante, à la manière du latin dans le contexte européen.

64. « Critique à la philosophie du droit de Hegel. Introduction », dans Sur la religion, Paris, Éditions sociales, 1972, p. 51 (souligné par nous).

65. Comment s'obtient cette réserve des laïques ? qu'est-ce qui fait, là, la force des clercs ? Autant de questions qui ne peuvent être que soulevées.