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Comment on Récrit L'Histoire : Louis XIV de Lavisse a Gaxotte

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Jean-François Fitou*
Affiliation:
Lycée H. Berlioz, Vincennes

Extract

L'histoire bégaie souvent, on le sait. Cette constatation désabusée gagnerait cependant à être rapportée en priorité à la manière dont on l'écrit. L'historiographie, genre littéraire, se caractérise jusqu'à nos jours par la fixité de la règle qui la commande : la répétition, le recours aux autorités, la technique du centon et, d'une façon générale, la fidélité à l'égard de la norme en vigueur. L'histoire est la chimie la plus inoffensive qu'ait élaborée l'esprit humain, puisqu'elle se complaît au conservatisme épistémologique.

Summary

Summary

A careful examination of P. Gaxotte's Le siècle de Louis XIV shows that the book is a partial plagiary of Lavisse's Louis XIV (12.81% of the former coming from the latter). Now why did a monarchist historian crib material from the masterpiece of French republican historiography? Similar ways of writing history brought the two men together, despite the political divarications which separated them. At times Gaxotte copies part of Lavisse's text, blending it into his own, while at others he borrows Lavisse's facts, changing but his conclusions to better fit his own political purposes. But plagiary betrays both historians' adherence to a common conception of historiography. This conception presents the past as a simple warning for the present. History is nothing but an utilitarian science intended for the prince's moral improvement. For Lavisse and Gaxotte, the Truth, the Right, and the Good loom up out of the past, but they pay no particular attention to bringing the past itself to light.

Type
Métier D'Historien, 2
Copyright
Copyright © Les Éditions de l'EHESS 1989

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References

Notes

1. Ernest Lavisse et coll., Louis XIV, Hachette, 1905-1908, 3 vols. Réédition Tallandier, 2 vols, 1978, préface de Roland Mousnier. Sur ce monument, voir Pierre Nora, « L'histoire de France de Lavisse », dans Les lieux de mémoire, P. Nora éd., t. II, La Nation, Volume premier, pp. 317-376, Paris, Gallimard, 1986. Sur le même auteur, voir également Citron, S., Le mythe national, Paris, Éditions Ouvrières, 1987 Google Scholar. Gaxotte, Pierre, La France de Louis XIV, Paris, Hachette, 1946 Google Scholar.

2. R. Mousnier insiste, dans la préface qu'il donne à la réédition des œuvres de Lavisse sur l'engagement fermement républicain de l'auteur. Cf. R. Mousnier, préface à la réédition du Louis XIV de Lavisse, op. cit., p. XII.

3. L'expression « école capétienne » qui désigne les historiens fidèles à l'Action Française et à l'enseignement de Bainville, est reprise par Roger Chartier dans sa préface à la réédition du livre de Ariès, Philippe, Le temps de l'histoire, Paris, Éditions du Seuil, 1986, p. 13 Google Scholar.

4. Lavisse d'ailleurs ne serait en l'affaire qu'une manière d'arroseur arrosé. Cf. P. Nora, « Lavisse instituteur national », dans Les lieux de mémoire, op. cit., t. I, La République, p. 256.

5. Il a fallu, sous peine de tomber dans le travers inquisitorial, renoncer à compter les mots isolés, les quarts de lignes et même les demi-lignes. Les chiffres avancés ci-après s'entendent donc comme des approximations, suffisantes à notre sens.

6. Dans l'édition précitée.

7. L'expression est de François Bluche, Louis XIV, Paris, Fayard, 1986.

8. Se reporter au tableau 1 pour l'examen des pourcentages d'emprunts par chapitres.

9. Les fac-similés des passages empruntés par Gaxotte à Lavisse peuvent être communiqués aux lecteurs qui en feront la demande.

10. Pierre Nora estime qu'il y a « tension chez [Lavisse], entre l'admiration profonde pour la grandeur du personnage et de l'époque, dans laquelle il se sent visiblement à son aise, et se projette secrètement, et la condamnation portée sur le monarque dont le plus clair succès a été d'obtenir l'obéissance politique », op. cit., p. 330.

11. P. Nora, op. cit., p. 347, met l'accent sur le souci lavissien de livrer un texte limpide au public, un texte purgé de notes infrapaginales, ,qui affirme autoritairement et « ferme la porte au doute ».

12. La campagne pro-événementielle, aujourd'hui comme hier et avant-hier, demeure la spécialité d'historiens qui militent en faveur d'une cause et souhaitent en conséquence que la discipline historique tout entière devienne une science auxiliaire de l'instruction civique, une manière de préparer les citoyens à l'action. « L'école des Annales » concentre le plus gros de leurs imprécations. Tout comme hier, tout comme avant-hier, l'attaque provient indifféremment de la sphère conservatrice (Hervé Coutau-Bégarie, Le phénomène nouvelle histoire, Paris, Economica, 1983) ou des cercles radicaux ( Chesneaux, Jean, Du passé faisons table rase ?, Paris, Maspero, 1976 Google Scholar ; Dosse, François, L'histoire en miettes (sous-titré : Des « Annales » à la « nouvelle histoire »), Paris, La Découverte, 1987)Google Scholar.

13. Croce, Benedetto, Zur Theorie und Geschichte der Historiographie, Tübingen, Mohr, 1915 Google Scholar, trad. frse, Théorie et histoire de l'historiographie, Genève, Droz, 1968. L'historien italien condamne l'histoire « de tendance » comme la forme la plus pernicieuse de « l'histoire utilitaire » qui se propose « d'introduire dans les esprits quelque vérité historique, philosophique ou naturelle ». « Belle et bien formée », cette histoire utilise le récit dans un but pratique, pédagogique, celui « de faire avaler aux enfants l'amertume de la sagesse grâce au sucre de l'anecdote » (pp. 31-33).

14. L'image, moins célèbre que celle des insectes qui, dans la nuit tropicale « brillent mais n'éclairent pas », est de Braudel, Fernand, « Positions de l'histoire en 1950 », Leçon inaugurale au Collège de France, repris dans Écrits sur l'histoire, Paris, Flammarion, 1969, pp. 2223 Google Scholar.

15. Aron, Raymond, « De l'objet de l'histoire », dans Les dimensions de la conscience historique, Paris, Pion, 1964 Google Scholar. La citation se trouve aux pages 118-119.

16. Le rapprochement épistémologique entre des écoles politiquement rivales ne concerne pas le seul binôme républicains/monarchistes, ni la seule période de l'établissement de la IIIe République. Il faut se reporter à Philippe Ariès qui a su mettre en évidence l'identité des démarches qui rapproche « l'école capétienne » des années 1930 de l'historiographie marxiste. Selon lui, le dessein de Bainville et de ses épigones était de dévoiler « la répétition des échecs et des réussites introduisant à une politique expérimentale, la possibilité d'éviter les effets des causes dangereuses en retrouvant dans l'histoire des cycles analogues de causalité » (Le temps de l'histoire, Monaco, Éditions du Rocher, 1954 ; rééd., Paris, Éditions du Seuil, 1986, avec une préface de R. Chartier).

17. Le partage des mêmes valeurs, est-il besoin de le préciser, ne signifie pas la communauté des idéaux ou des espérances, mais le fait que ces idéaux et espérances se fondent sur des critères identiques ; libre à chacun d'affecter à tout critère un signe positif ou négatif, selon sa préférence idéologique. Pierre Nora, dans un des articles qu'il consacre à Lavisse (« Lavisse instituteur national », dans Les Lieux de mémoire, tome I, La République, Paris, Gallimard, 1984, pp. 247-290) donne sur ce sujet quelques lignes essentielles : « En profondeur, et en dépit de la signification momentanée, et fort importante, des oppositions, L'histoire de France de Lavisse, par son syncrétisme, est susceptible de rapprochements plus intimes avec L'histoire de France de Bainville qu'avec L'histoire sincère de la nation française de Seignobos » (pp. 285-286).

18. Schneider, Michel, Voleur de mots, Paris, Gallimard, 1985 Google Scholar.

19. M. Schneider, op. cit., p. 114 ss.