Covient entrer en ceste Queste
et muer l'estre de chascun et
changier …
PEUT-ON lire la poésie, toute la poésie, comme autre chose qu'un ‘Zweck-losen Sang’, un chant sans but?
Pour beaucoup de poètes, rimer, au début du XVe siècle, est aussi, sinon surtout, un ‘Passe Temps’. Comme l'a clairement mis en evidence Jean-Claude Mühlethaler, c'est dans cette perspective poétique en ton mineur que semble s'inscrire toute une branche de la production poétique de cette période, de Jean Regnier à Alain Chartier, de Francois Villon aux Grands Rhétoriqueurs. Par delà le rapprochement traditionnel et courtois aux activités de la chasse, de la pêche ou de l'amour, le mot Passe Temps paraít lié surtout aux notions d'inutilite, d'ennui ou d'oisivete, c'est-à-dire à une activité de l'esprit qui semble être à la fois en opposition et en osmose avec l'inactivite du corps. On retrouve, en effet, l'expression ‘Passe Temps’ dans un grand nombre de textes de l'epoque, asso-ciée sémantiquement à l'écriture, aux livres, dans une perspective horacienne de delectare et prodesse. Son emploi tend à souligner l'utilité du musage intellectuel opposée à l'‘inutilité’ des autres passe-temps, comme dans ces vers de Jean Regnier:
Un petit livre vueil emprendre
De ma fortune, sans mesprendre,
Pour passer temps et pour apprendre.
La formule n'est pas nouvelle, et l'on pourrait y reconnaître aisément un motif traditionnel des littératures romanes. Aussi, dans le poème ‘Passe Temps’ de Michault Taillevent, par un jeu d'antonymie, le temps qui passe devient-il le tempspassé,celui du regret et de la nostalgie: ‘Temps passé jamais ne retourne’.