Après l'heureux succès du tome II (1660-1789), la publication du tome I de l'Histoire économique et sociale de la France (1450-1660), dirigée par F. Braudel et E. Labrousse , était impatiemment attendue. Ne concernait-elle pas une période moins bien explorée où thèses et même synthèses se font plus rares et où se nouent peut-être les problèmes essentiels de l'Ancien Régime et de la société française ?

Nous ne pensons pas que cette attente ait été déçue. Les quatre contributions qui composent l'ouvrage (l'État, par Pierre Chaunu ; La France du mouvement : les commerces et les villes, par Richard Gascon ; Les masses profondes : la paysannerie, par Emmanuel Le Roy Ladurie ; La conjoncture ou les cernes de la croissance, par Michel Morineau), constituent une mise au point percutante que ne menace aucune obsolescence, même si la rédaction a pu être très antérieure à la publication.

Pour prendre la mesure des connaissances neuves et des approches originales dont s'est enrichie l'histoire économique et sociale de la France depuis une trentaine d'années — et en ce qui concerne un « grand » xixe siècle s'ouvrant à la Révolution, provisoirement abandonné à la « grande dépression » —, nous disposons enfin d'un instrument national, confectionné par quelques-uns de ceux qui, précisément, ont fait cette histoire dans cette tranche de temps de l'après-guerre, si féconde en recherches. On est en effet ici, sauf exceptions, loin du manuel. Ce que les auteurs ont voulu faire, c'est la synthèse de leurs expériences méthodologiques et conceptuelles propres et de celles de leurs collègues contemporains. Le résultat est vigoureux, même si à certains égards tous les appétits ne peuvent se trouver satisfaits.

L'hémotypologie a connu, au cours des dernières décennies, un développement incomparable. D'abord fondée sur l'étude des facteurs immunitaires du sang (groupes érythrocytaires, groupes d'histocompatibilité, systèmes sériques) elle s'est étendue à l'analyse d'un grand nombre de structures protéiques, dont beaucoup constituent des enzymes. Cette extension est liée au perfectionnement et à la généralisation des techniques d'électrophorèse. Tous les systèmes mis au jour — ou presque — révèlent un vaste polymorphisme génétique, au point qu'il est possible aujourd'hui de définir un individu par son hémotype d'une façon aussi rigoureuse que par ses empreintes digitales. Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, l'hémotypologie permettait de classer tous les êtres humains en huit catégories : 4 groupes de base : A, B, AB, 0, au sein desquels on distinguait des sujets Rh + et des sujets Rh -.

Les célébrations ne sont pas toujours les meilleures conseillères de la recherche historique. Le cinquantenaire des Annales a suscité des commentaires élogieux sur le succès de la revue et de l'école historique qui s'y attache. Les éloges — quel que soit leur sincérité ou leur bien fondé — présentent la réussite des Annales comme un accomplissement naturel et pour ainsi dire inévitable. Tout se passe comme si l'apparition des Annales répondait, dans le milieu des historiens français des années 30, à une sorte d'urgence épistémologique ; comme si l'ensemble des sciences sociales n'attendait que cette invitation à renouveler ses méthodes et sa problématique, pour lui emboîter le pas.

La réussite est un temps difficile. Jamais, sans doute, les Annales n'ont été autant citées, utilisées, imitées. On leur consacre des colloques, des études. Un peu partout, à l'étranger, et en dernier lieu dans le monde anglo-saxon (pourtant longtemps réticent), on en revendique l'héritage. Il y a même quelque chose d'inquiétant dans cette crue nouvelle d'intérêt : de tous côtés on analyse, on dissèque un mouvement qui se voudrait encore vivant. Vivant ? Est-ce, si sûr ? Dans le temps même où la revue et ceux qui s'en réclament devenaient objet d'études historiographiques, la critique s'est faite plus sévère. Elle vise parfois le succès même de l'entreprise à laquelle elle reproche de n'être plus, précisément, qu'une entreprise.