Depuis l’ouverture des archives de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi en 1998, de nombreuses études sont en passe de renouveler la perception de l’action du Saint-Office et de l’Index. Cependant, les recherches sur la censure de la philosophie naturelle privilégient encore en grande partie la relation entre auteurs et institution. L’on peut désormais préciser la dimension doctrinale de la censure grâce à des sources nouvelles en quantité et en qualité, mais cela ne semble pas pouvoir en englober tous les aspects et risque d’avoir pour conséquence d’accentuer la cohérence intellectuelle de l’Inquisition; au contraire, les sources montrent plutôt les glissements continus, dans l’action du Saint-Office et de l’Index, entre définitions dogmatiques, questions philosophiques et police idéologique.
Dans cet article, j’essaierai de croiser deux perspectives différentes: la première se concentre sur la définition de l’« erreur », qui déplace d’époque en époque les frontières entre dogme et spéculation d’une part, et entre théologie et philosophie de l’autre; la seconde replace la censure au cœur de l’institution, mais pour analyser davantage celle-ci dans sa complexité politique et culturelle et dans ses évolutions. L’article analyse donc d’abord le renouveau historiographique, puis il se concentre sur le dossier de l’atomisme au XVIIe siècle, qu’il est maintenant possible de reconstruire avec précision. L’enjeu d’une analyse plus rapprochée n’est pas seulement celui d’observer comment la censure participe de la configuration des savoirs, mais d’élargir le regard sur des interactions plus vastes, à l’intérieur et à l’extérieur des congrégations. Enfin, il esquissera l’évolution de la censure philosophique au XVIIIe siècle.