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Comment devient-on aborigène? Trajectoires familiales dans le Sud-Est de l’Australie

Published online by Cambridge University Press:  04 May 2017

Bastien Bosa*
Affiliation:
Estudios sobre Identidad –Universidad del Rosario, Bogota

Résumé

La trajectoire d’Albert Widders, Aborigène australien, permet d’historiciser le modèle ségrégatif qui a dominé le Sud-Est de l’Australie au XXe siècle. Sa vie semble en effet avoir été coupée en deux par l’apparition d’un ordre ségrégatif. Né dans les années 1840, Albert était, dans la première partie de sa vie, assez bien intégré au monde des colons blancs, au point d’épouser une femme européenne. Suite à l’effondrement de son mariage, il a cependant quitté la région et formé une nouvelle famille, cette fois avec une femme aborigène. De ces deux mariages sont issues deux « branches » d’une famille – l’une dans le monde aborigène, l’autre dans le monde « européen » – dont les destins sociaux contrastés permettent d’appréhender avec un regard nouveau les transformations des relations raciales en Australie du Sud-Est, marquées par l’avènement, au XXe siècle, d’une dichotomie rigide séparant « Noirs » et « Blancs ».

Abstract

Abstract

This article presents the life-story of an Australian Indigenous man named Albert Widders. His story is revealing as his life seems to have been cut in two by the emergence of a segregated order in the South-East of Australia. Born in the 1840s, he was well integrated into settler society in the first part of his life, even marrying a European woman. Yet, after the breaking-up of his marriage, Albert moved to a new region and formed a new family, this time with an Aboriginal woman. From those two marriages came two families, one living in the Aboriginal world, the other in the Euro-Australian world. Albert’s life and the contrasting trajectories of his two families give us new insights into the shifting racial relations in South-East Australia and the hardening, in the 20th century, of the dichotomy between ‘black’ and ‘white’.

Type
Histoire sociale et identités raciales
Copyright
Copyright © Les Áditions de l’EHESS 2009

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References

1 - Passeron, Jean-Claude et Revel, Jacques (dir.), Penser par cas, Paris, Éd. de l’ehess, 2005 Google Scholar. Je souhaite remercier ici Terry Widders, qui m’a accueilli chez lui à plusieurs reprises et qui a accepté de répondre pendant de longues heures à mes questions. Ses remarques et ses commentaires critiques ont été décisifs dans l’élaboration de ce travail.

2 - Markus, Andrew, « Legislating White Australia, 1900-1970», in Kirby, D. (dir.), Sex, power and justice: Historical perspectives on law in Australia, Melbourne, Oxford University Press, 1995, p. 237251 Google Scholar, ici p. 238, explique ainsi: « Un changement d’état d’esprit semble caractériser les sociétés coloniales des dernières décennies du XIXe siècle, comme l’indique le soutien pour des législations discriminatoires extensives. [...] Des formes juridiques discriminatoires avaient déjà été adoptées par le passé, [...] mais elles étaient très limitées en nature. Les premières discriminations juridiques contre les immigrants non-blancs [...] avaient été perçues par de nombreux législateurs comme contraires à l’esprit britannique, et au mieux comme des mesures temporaires. Elles avaient d’ailleurs été abrogées lorsque le nombre de Chinois cherchant à entrer dans les colonies avait diminué du fait de l’épuisement des champs aurifères. »

3 - Goodall, Heather, Invasion to embassy: Land in aboriginal politics in New South Wales, 1770-1972, St. Edwards, Allen & Unwin/Black Books, 1996 Google Scholar.

4 - Chesterman, John et Galligan, Brian, Citizens without rights: Aborigines and Australian citizenship, Cambridge, Cambridge University Press, 1997, p. 134 CrossRefGoogle Scholar.

5 - 30 janvier 1884, George Reid, ministre de l’Éducation: « As a general rule [...] no child, whatever its creed or colour or circumstance ought to be excluded from a PS [public school] », cité dans Fletcher, Jim, Documents in the history of Aboriginal education in New South Wales, Marrickville, Southwood Press, 1989 Google Scholar.

6 - Beckett, Jeremy, « The land where the crow flies backwards», Quadrant, 9-4, 1965, p. 3843 Google Scholar, ici p. 100.

7 - J. Beckett, «The land... », art. cit., mentionne également la perte du droit de vote au niveau fédéral et la perte des allocations chômage à l’échelle de l’État.

8 - Une des rares références à cette transition se trouve dans un texte de l’anthropologue Adolfus Elkin, Peter, « The South Pacific and Australia», in Inquiry on anti-colonialism, Lisbonne, Ministerio do Ultramar/Centro de Estudos de ciencias politicas e socias, 1957, p. 265296 Google Scholar, ici p. 278: « Dans les années 1930, les Aborigènes de la côte des New South Wales se plaignaient du fait que, s’ils n’avaient dû faire face qu’à peu de discrimination au tournant du siècle, c’était maintenant le cas, et plus la couleur de leur peau était claire, plus le préjugé était fort. » Il serait également important de se livrer à une comparaison systématique avec le cas nord-américain, pour lequel de nombreux auteurs ont souligné des processus similaires. Gordon, Louise F., Caste & class: The black experience in Arkansas, 1880-1920, Athens, University of Georgia Press, 1995 Google Scholar, a par exemple montré que jusque dans les années 1890 les Noirs du Sud considéraient l’Arkansas comme une «terre promise » et qu’ils y jouaient un rôle politique important. Néanmoins, ces attitudes tolérantes des Arkansiens blancs ont ensuite cédé la place à un « radicalisme racial ». Giffin, William W., African Americans and the color line in Ohio, 1950-1930, Columbus, Ohio State University Press, 2005 Google Scholar, a lui aussi souligné que, dans le cas de l’Ohio, la ségrégation s’est accélérée à partir des années 1915. Comme dans le cas auquel nous avons affaire, il souligne que le durcissement de la Colour Bar a contribué à modifier considérablement les expériences de la population.

9 - Cette attention aux expériences et à la réception (ou non-réception) de ces productions sociales rejoint le concept d’« appartenance » tel que le définissent Avanza, Martina et Laferte, Gilles, « Dépasser la ‘construction des identités’? Identification, image sociale, appartenance», Genèses, 61, 2005, p. 134167 CrossRefGoogle Scholar, ici p. 146. Il s’agit, expliquent-ils, de « partir du ‘bas’, des pratiques des identifiés ou représentés pour comprendre comment ils s’approprient, refusent, acceptent ces identifications et ces images ». Ce choix n’implique évidemment pas de renoncer entièrement à travailler sur les deux premiers niveaux d’analyse. Il s’agira simplement de leur accorder une importance moins centrale.

10 - Hacking, Ian, The social construction of what, Cambridge, Harvard University Press, 1999, p. 30 Google Scholar, développe cette idée. Prenant l’exemple d’un livre concernant la « construction sociale des femmes réfugiées », il montre que l’auteur ne précise jamais si son objet d’enquête est la catégorie « femme réfugiée » ou les femmes ainsi classifiées. De fait, elle tend à confondre les discours des institutions d’encadrement et les pratiques des identifiés. C’est également une critique récurrente adressée aux auteurs des critical race studies américaines.

11 - Les images ou les expressions publiques des expressions raciales, mais aussi la tendance à ne s’intéresser au racisme qu’à travers les pratiques scientifiques.

12 - J’ai eu connaissance de l’histoire d’Albert grâce à l’un de ses arrière-petits-fils, Terry Widders, l’un des militants aborigènes engagés dans les mouvements politiques radicaux du début des années 1970 dont j’ai retracé la trajectoire dans ma thèse: Bosa, Bastien, «Trajectoires aborigènes et logiques d’État, ethnographie socio-historique des relations raciales dans le sud-est australien», thèse de doctorat, EHESS, 2006 Google Scholar. Terry avait lui-même commencé une recherche sur Albert au milieu des années 1970, mais il n’a jamais mené son projet à terme. Il avait néanmoins découvert ou produit un certain nombre de documents intéressants, sur lesquels je me suis appuyé: des documents imprimés, la nécrologie d’Albert, publiée dans le Sydney Mail le 12 mars 1924 puis de nouveau dans le Wingham Chronicles and Manning River Observer le 18 avril 1924; des actes de naissance ou de décès et certains certificats de mariages; des témoignages oraux de sa mère et d’un oncle et des échanges épistolaires avec certains descendants de la famille de la première épouse d’Albert. Enfin, quelques historiens locaux lui avaient fourni un certain nombre de détails concernant le contexte général dans lequel l’histoire d’Albert s’est déroulée.

13 - Je n’ai pas trouvé son acte de naissance. Les autres sources dont je dispose sont contradictoires: à sa mort, en 1923, il avait 89 ans selon son acte de décès, mais 91 ans selon l’inscription sur sa pierre tombale. Son acte de mariage indique qu’il avait 21 ans en 1864.

14 - Selon son acte de décès, son père s’appelait George Widders et Albert appela deux de ses enfants George. Je n’ai pourtant pas trouvé de traces de ce George Widders dans les archives. L’anthropologue Warburton, James W., «The Aborigines of New England», Armidale & District Historical Society Journal and Proceedings, 4, 1962, p. 3435 Google Scholar, interrogea certains descendants d’Albert (Jack, Jim et Nellie) qui lui auraient déclaré qu’il était un « Aborigène à la peau claire du Victoria, venu dans la région de la Upper Hunter comme conducteur de troupeau à la fin du siècle dernier. »

15 - Il signa d’une croix son acte de mariage. Ce n’était pas inhabituel dans la mesure où, comme nous l’avons vu, l’école ne devint obligatoire que dans les années 1880. Son beau-père était analphabète.

16 - Encore une fois, si l’on en croit son acte de décès, Albert est né en 1832. Le mariage se fit selon les rites de l’Église anglicane.

17 - Selon la famille Noble, un certain M. Dangar l’avait fait venir en Australie pour qu’il s’occupe de ses chevaux, à Sydney, puis à « Baroona », Singleton. Dangar, néanmoins, aurait eu des problèmes et serait reparti en Angleterre. John Noble aurait ensuite travaillé pour un M. Gaggin (lettre de Lillian M. Noble à Terry Widders, n. d., 1975). D’autres sources semblent indiquer néanmoins que John Noble était un bagnard arrivé en Australie en 1831 après avoir été condamné à sept ans à Derby pour vol de vêtements. C’était un groom né à Nottingham en 1812.

18 - Il acheta une propriété de 800 acres à Glennies’ Creek. Selon L. Noble, qui écrivit l’histoire de la famille, les Noble faisaient du fromage, du beurre et du bacon qu’ils vendaient aux travailleurs construisant la ligne de chemin de fer entre Singleton et Muswell. Ils avaient également de nombreux arbres fruitiers et des vignes. Les registres paroissiaux indiquent qu’ils avaient acquis de nombreuses terres autour de Ravensworth. Selon L. Noble, John Noble laissa, à sa mort, une propriété à chacun de ses enfants.

19 - Cet épisode vient en contradiction directe avec les présupposés habituels de l’historiographie, suivant lesquels les femmes blanches ayant des relations avec des hommes aborigènes étaient nécessairement considérées comme des « traîtresses à leur race». Haskins, Victoria et Maynard, John, «Sex, race and power: Aboriginal men and white women in Australian history», Australian Historical Studies, 126, 2005, p. 191216 CrossRefGoogle Scholar, icip. 197. V. Haskins et J. Maynard écrivent également: «Qu’une femme blanche puisse vivre heureuse avec des hommes aborigènes était inconcevable [outlandish] [...] Pour les femmes blanches qui faisaient ce pas monumental de l’autre côté de la barrière qui divisait leurs corps de ceux des hommes noirs, la pitié et le désir d’aider était mêlé de révulsion, de détestation et de peur » (p. 199-200).

20 - Il serait bien sûr nécessaire d’en savoir plus sur les conditions dans lesquelles le mariage s’est déroulé. Le témoin d’Albert s’appelait John Drove et l’acte de mariage indique qu’Albert était stockman.

21 - Deux autres enfants ne survécurent pas: William en 1865 et Edward en 1869.

22 - Lettre Wood, d’Allan à Oppenheimer, Jillian, département d’histoire, University of New England (en possession de Terry Widders), 8 décembre 1975 Google Scholar.

23 - A. Wood écrivit en réponse aux demandes de Terry: «Charles Wyndham était vieux et j’étais jeune à l’époque où je le fréquentais » (ibid.). En 1972, il publia un livre sur la colonisation européenne de la Hunter Valley: Wood, Walter Allan, Dawn in the valley: The story of settlement in the Hunter River Valley to 1833, Sydney, Wentworth Books, 1972 Google Scholar.

24 - Mcrae, Alec James, «The passing of a great horseman», Sydney Mail, 12 mars 1924 Google Scholar.

25 - Les Robertson Land Acts, promulgués en 1861, permettaient à toute personne d’acheter entre 16 et 122 hectares au prix de 20 shillings par acre. Un acompte de 25 % devait être payé et le solde pouvait être réglé sur plusieurs années.

26 - A. Wood, Dawn in the valley..., op. cit., confirma qu’Albert avait acquis une propriété à Lincoln’s Creek près de la jonction avec Bauman’s Creek (la propriété avait ensuite été rachetée par son beau-frère, Tom Clerdinning). Selon lui, Albert était simultanément employé à Ravensworth comme stockman. Je n’ai pas pu localiser sa propriété dans les registres.

27 - A. McRae expliquait: « Son dernier travail était à Ward’s Mistake, près d’Armidale, où il s’occupait d’une bande de rabbit dogs. Quand il était plus jeune, on lui avait offert un emploi en Angleterre pour s’occuper d’une bande de fox-hounds. »

28 - Ma reconstruction de l’événement se fonde sur les témoignages des témoins, qui furent reproduits dans leur intégralité par le journal local: « Fatal fight at the Paterson », Maitland Mercury, 11 novembre 1873.

29 - Grevilles Post Directory, 1872, situé dans le district de Moonan Brook.

30 - 18 kilomètres au nord de Maitland et 200 kilomètres au nord de Sydney.

31 - La seule information dont je dispose au sujet de Kealy est qu’il était « un homme bien bâti et en bonne santé, d’environ 45 ans » (selon la déposition de Pierce).

32 - Les six témoins étaient John Smith le propriétaire de l’auberge, Joseph Patfield un travailleur qui connaissait Kealy depuis 10 ou 12 ans, Edward Duggan qui résidait à l’auberge, James Saunders de Crook Park près de Dungog, Peter Koellner, driver et stockkeeper qui travaillait dans la propriété de M. Williams à Cotti (New England). Enfin, Henry Cox était présent au moment des faits mais il ne fut pas entendu comme témoin. De manière générale, les récits des différents témoins concordaient. À l’exception de quelques points de détail concernant la chronologie et le nombre de coups portés, la principale différence venait de William Brimms qui ne se rappelait pas avoir dit: « Rentre-lui dedans Albert, c’est comme ça qu’il faut lui donner. » Il admit néanmoins qu’il était légèrement ivre au moment des faits.

33 - Deux membres du jury (sur douze) estimèrent également que Brimms était coupable de « complicité ».

34 - NSW Police Gazette, novembre 1873.

35 - «The case against Albert Widders », Maitland Mercury, 20 décembre 1873.

36 - Il était probablement membre de la famille Sparke qui possédait 30 000 acres de terrain dans le Hunter District. Il se porta à nouveau caution à hauteur de 80 livres le 17 mars 1874. Ceci était probablement dû aux erreurs de procédure. New South Wales Archives Office (désormais NSWAO), Clerk of Peace, papers and depositions, Maitland Circuit Court, 9/6578, bail 24 décembre 1873-9 février 1874, notes à usage interne de J. Williams, procureur de la Couronne (Crown Solicitor), concernant le procès « The Queen vs Widders ».

37 - NSWAO, Clerk of Peace, papers and depositions, Maitland Circuit Court, 9/6578, 9 février 1874, lettre de J. Williams, procureur de la Couronne au juge de paix (Police Magistrate), Maitland.

38 - Richard Windeyer Thomson (1832, Sydney-1906, West Maitland) s’était installé à Maitland en 1864. Il appartenait à la haute société de la colonie: son père, John Thomson, avait été géomètre-adjoint (deputy surveyor), et son grand-père maternel, Charles Windeyer, avait été senior police magistrate de la ville et du port de Sydney entre 1839 et 1848. Dix ans après le procès, il devint membre de l’assemblée de Nouvelle-Galles-du-Sud et député de West Maitland (1885-1891).

39 - « Manslaughter », Maitland Mercury, 25 avril 1874.

40 - Ibid.

41 - Les populations aborigènes des NSW étant très « métissées », les Australiens utilisaient généralement le mot « caste » pour décrire le « degré de sang aborigène » supposé d’une personne donnée (comme dans les expressions half-caste, quarter-caste, light-caste, etc.). Cette expression n’avait donc aucun rapport avec la « caste » indienne.

42 - Notes prises par Terry Widders après une discussion avec George Cohen, n.d. (vers 1975).

43 - Le fait que George Cohen avait été relativement précis lorsqu’il avait expliqué que l’incident s’était déroulé environ dix ans après le mariage d’Albert et Mary Noble donne du crédit à sa version des faits.

44 - Je n’ai pas de documents écrits permettant de confirmer que le procès pour homicide entraîna la séparation d’Albert et de sa femme. Néanmoins, George Cohen, lorsqu’il raconta l’histoire à Terry, se disait certain que les deux événements étaient étroitement liés. Dans la mesure où le cadet d’Albert et de Mary est né en 1869, et l’aîné de sa relation avec Jessie Marney vers 1878 (sa naissance n’a pas été enregistrée officiellement), la séparation s’est produite entre ces deux dates. Par ailleurs, le fait qu’Albert ait appelé deux de ses enfants George indique qu’il recommençait une vie nouvelle.

45 - L’idée de walkabout fait référence à un rite de passage obligeant les jeunes adultes à partir pour un long voyage, impliquant la vie solitaire dans le désert pendant une période relativement importante. Ce thème revient régulièrement pour souligner « l’instinct errant » des Aborigènes.

46 - Albert est mort à l’hôpital d’Armidale en 1923 et le nom de l’informateur sur son acte de décès est « N. Smith (Carrai) ». Terry avait supposé qu’il s’agissait de la fille d’Albert, « Nellie Smith ». Néanmoins, il était précisé que l’informateur n’avait « aucune relation » avec le mort. De plus, la tombe d’Albert, qui existe toujours aujourd’hui (et sûrement en meilleur état que celles de tous ses enfants), semble avoir coûté beaucoup d’argent. Elle contient l’épitaphe « érigée par ses amis ». Par ailleurs « Widders » y est écrit avec un seul « d ».

47 - L’anthropologue J. Beckett, «The land. .. », art. cit., semble noter une évolution similaire à propos de son informateur privilégié, George Dutton: « D’une certaine manière, la position de George était différente. Ayant plus de 70 ans, il avait grandi à une époque durant laquelle un half-caste pouvait obtenir le respect des Blancs, en particulier s’il était bon cavalier. Même les quarter-caste ne peuvent que rarement se faire respecter aujourd’hui, mais d’une certaine façon George en était toujours capable, peut-être simplement car c’était ce qu’il attendait. »

48 - Je reprends ici la terminologie proposée par I. Hacking, The social construction of what, op. cit. Il s’agit de savoir comment les individus eux-mêmes et leurs expériences se sont construits en relation à la « matrice » entourant la classification « aborigène ».

49 - Je me suis essentiellement appuyé sur leurs dossiers militaires pour élaborer cette comparaison. National Archives of Australia, Canberra Office (désormais NAA-CO), B884, N162664, dossier militaire d’Ernest Albert Widders; NAA-CO, A471, 31569, cour martiale d’Ernest Albert Widders; NAA-CO, A9301, 423271, dossier militaire d’Ernest Reginald Cooper Widders.

50 - Son père, George, était le fils aîné d’Albert et Jessie.

51 - Son père, Reginald Widders, était le fils de William Widders, le fils aîné d’Albert et Mary.

52 - Leur mariage en janvier 1941 et la naissance de leur premier enfant, Pamela, en novembre 1941 furent annoncés dans la lettre de l’Aboriginal Inland Mission. Une partie de l’expérience aborigène passait par l’intrusion des missionnaires blancs.

53 - Leur dossier indique également des différences d’apparence « physique »: Ernest Reginald avait le teint « clair », ses yeux étaient « bleus » et ses cheveux « clairs », alors qu’Ernest Albert avait la peau « mate » et ses yeux et cheveux étaient « sombres ». Enfin, mais c’est de moindre importance pour nous, Ernest Reginald se disait catholique et Ernest Albert, protestant.

54 - NAA-CO, A471, 37929, cour martiale d’Harold Ernest Duke; NAA-CO, B884, N168973, dossier militaire d’Harold Ernest Duke.

55 - Le rapport avait été rédigé en août 1945, à la fin de sa formation. Les officiers devaient remplir une grille d’évaluation préétablie par rapport aux catégories suivantes: apparence et tenue, tempérance, vivacité mentale, capacité d’expression, confiance en soi, initiative, stabilité émotionnelle, énergie, fiabilité, coopération, leadership.

56 - Il était le fils aîné d’Albert et Jessie. Il est né en 1884 selon son certificat d’exemption, qu’il a obtenu en 1947. Je n’ai pas eu accès à son dossier de demande d’exemption. George était le grand-père de Terry.

57 - Terry m’expliqua qu’il lisait le journal régulièrement. Un autre des fils d’Albert, Jack Widders, expliqua à l’anthropologue J. W. Warburton que lui-même, ses frères et sœurs étaient « allés à une école publique ordinaire à Ingelba pendant trois ou quatre ans, soit suffisamment pour apprendre à lire et à écrire »: J. W. Warburton, «The Aborigines of New England... », art. cit. Comme George était l’aîné, il n’est pas entièrement sûr qu’il ait bénéficié de la politique d’éducation pour tous.

58 - Notes prises par Terry Widders après une discussion avec George Cohen, n.d. (vers 1975).

59 - George travaillait au domaine de Towel Creek. Nous nous appuyons ici entièrement sur la version de George Cohen telle qu’il la raconta à Terry.

60 - Un autre Aborigène, Clive Williams, né en 1915 dans la Richmond Tweed River, expliqua à J. W. Warburton qu’il avait prévu de faire le voyage jusqu’à Bellbrook pour recevoir une initiation mais, qu’à sa grande déception, il arriva trop tard: J. W. Warburton, «The Aborigines of New England... », art. cit.

61 - Dans certains cas, la solidarité était renforcée par le fait que les gens étaient regroupés dans des réserves et missions. Il semble néanmoins que George et Albert n’aient jamais eu à vivre en mission.

62 - Les seuls enfants qui ne trouvèrent pas de partenaire à Moree étaient James, dont la femme, Patsy, était une ancienne pupille de la Cootamundra Home du Board, et Raymond.

63 - Briggs-Smith, Noeline, Winanga Li = to remember, Moree, Northern Regional Library and Information Service, [1940] 1997 Google Scholar. Le titre du livre signifie « se souvenir » dans la langue kamilaroi. L’auteur est une bibliothécaire aborigène de Moree. L’objectif du livre est de « raviver des souvenirs » et de « s’assurer que les nôtres ne soient pas oubliés ».

64 - On notera néanmoins qu’une réserve fut rouverte à la fin des années 1950.

65 - George et Ernest en 1947, Arthur en 1951, Ray en 1948, Nancy en 1949, James en 1957, et Mary en 1960. Le système d’exemption avait été créé par le Board en 1943. L’objectif était de permettre aux Aborigènes ayant atteint un « niveau suffisant de développement » d’échapper aux dispositions les plus discriminatoires de l’APA (notamment l’interdiction de consommer de l’alcool). Loin de permettre d’échapper à la condition d’Aborigène, ils contribuaient en fait à renforcer l’identification catégorielle et ils étaient considérés comme humiliants (la plupart des Aborigènes les surnommaient Dog Tags ).

66 - Lettre du président de la « Farmers and Graziers Co-op Limited », 22 avril 1947.

67 - Lettre de J. A. Ramsay, plombier-égoutier, installateur d’appareils à gaz, ferronnier, 9 mai 1959. Sa deuxième lettre avait été écrite par le comptable de l’hôpital où elle travaillait.

68 - Demande d’exemption de Mary Cutmore, 29 juin 1959. Signe du faible intérêt pour ces certificats, lorsqu’Ernest perdit le sien en 1955, il ne se souvenait plus de la procédure, indiquant qu’il l’avait obtenu alors qu’il était à l’armée.

69 - L’histoire d’Albert mériterait d’être comparée de façon plus systématique avec celle de Jimmy Governor (1875-1901), dont le mariage avec une femme blanche s’était révélé problématique. Comme Albert, Jimmy était un travailleur rural et, comme lui, il avait épousé une femme blanche, Ethel Page. Quelques années après son mariage, en décembre 1898, Jimmy entendit dire que la femme de son employeur et une institutrice qui vivait chez eux s’étaient moquées de sa femme parce qu’elle s’était mariée avec un blackfellow. Perdant tout contrôle, il tua les deux femmes et leurs enfants. Il se lança ensuite avec son frère Joe dans une épopée de plus de 3 000 kilomètres, terrorisant les populations blanches du nord de Nouvelle-Galles-du-Sud et se vengeant de personnes qui lui avaient autrefois causé du tort. Les autorités mirent en œuvre des moyens considérables pour l’arrêter et la « chasse à l’homme » eut un retentissement médiatique très important. Les deux frères furent finalement capturés: Joe fut tué dans la poursuite et Jimmy fut pendu à la prison de Darlinghurst le 18 janvier 1901. L’histoire de Jimmy Governor est connue du grand public grâce à un roman de Thomas Keneally intitulé The chant of Jimmy Blacksmith (1972), puis grâce à un film tourné en 1978. Terry Widders m’indiqua au cours de l’une de nos discussions que l’histoire était connue dans sa famille avant la publication du livre. Sa grand-mère lui avait dit à plusieurs reprises qu’elle aurait caché Jimmy Governor si elle en avait eu l’occasion. Des historiens universitaires se sont également penchés sur son histoire: voir Moore, Laurie et Williams, Stephan, The true story of Jimmy Governor, Crows Nest, Allen and Unwin, 2001 Google Scholar.

70 - NSWAO, Deceased Estate, John Noble, décédé le 16 septembre 1894.

71 - Mary occupait un cottage, George un building et William un shop and dwelling.

72 - La valeur de la propriété était estimée à 3 738 livres.

73 - Le fait qu’A. McRae savait ce que George et William faisaient laisse penser qu’Albert avait maintenu au moins des contacts distants avec eux.

74 - Oliver Noble (le neveu de Mary Noble) se maria lui aussi avec une Wellard, Lillian, la fille de l’oncle d’Ada, George. Cette dernière écrivit plus tard un livre d’histoire locale sur Glennies’ Creek.

75 - La Police gazette de Nouvelle-Galles-du-Sud de 1903 indiquait: « Un mandat d’arrêt a été issu par la police de Redfern contre William Albert Widders accusé d’avoir déserté sa femme, Elizabeth Widders, du 98 Raglan Street, Waterloo.» Voir également NSW police gazette, 1905, f. v9.

76 - Il semble que le fait de déménager en ville était un des moyens les plus sûrs pour échapper à la classification « aborigène ». Tout ceci est néanmoins très hypothétique dans la mesure où nous n’avons pas enquêté auprès des descendants de cette branche de la famille et où la migration des familles aborigènes à Sydney durant les années 1920 et 1930 n’a pas fait l’objet d’étude détaillée. Cette migration se produisit dans un contexte très différent de celui de l’exode rural des années 1960 (qui est mieux connu), mais il semble qu’elle ait concerné un grand nombre de personnes. C’est en tout cas ce que suggère l’examen des arbres généalogiques de certaines familles de notre corpus.

77 - NAA-CO, B884, N211694, dossier militaire de Milton George Widders.

78 - Il appartenait à l’Église anglicane.

79 - On peut d’ailleurs avancer l’hypothèse que la ségrégation n’est pas arrivée « d’un coup», mais qu’elle s’est installée progressivement, par l’accumulation de petits événements (rendant acceptables des remarques comme celles de Kealy lors de l’altercation avec Albert).

80 - Comme le souligne Lahire, Bernard, Portraits sociologiques. Dispositions et variations individuelles, Paris, Nathan, 2003, p. 18 Google Scholar, il est très difficile d’étudier empiriquement les dispositions: « Une disposition est une réalité reconstruite qui, en tant que telle, ne s’observe jamais directement. » Le chercheur est donc contraint de chercher des « régularités de comportement » qu’il interprète ensuite comme l’expression de dispositions.

81 - En ce sens, ces événements eurent un impact fort même sur ceux qui n’étaient apparemment pas touchés par la ségrégation: être « blanc » n’a évidemment pas le même sens dans un contexte de forte ségrégation. Sur la construction sociale et juridique d’une identité raciale « blanche » et sur la tendance à ne pas conceptualiser la catégorie « blanc » en termes raciaux, voir notamment Frankenberg, Ruth (dir.), Displacing whiteness: Essays in social and cultural criticism, Durham, Duke University Press, 1997, p. 1 CrossRefGoogle Scholar: « a continued failure to displace the ‘unmarked marker’ status of whiteness, a continued inability to ‘color’ the seeming transparancy of white positioning ». Lopez, Ian Haney, White by law: The legal construction of race, New York, New York University Press, 1996, p. 23 Google Scholar, écrit lui aussi: « The race of non-Whites is readily apparent and regularly noted, while the race of Whites is consistently overlooked and scarcely ever mentioned.