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Tenir un cahier dans la région cotonnière du Mali: Support d'écriture et rapport à soi*

Published online by Cambridge University Press:  04 May 2017

Aïssatou Mbodj-Pouye*
Affiliation:
Centre d'études africaines, EHESS

Résumé

Cet article repose sur une ethnographie des pratiques de l’écrit menée dans un village de la zone cotonniàre du Mali. Dans cette région, l’alphabétisation, tres inégale, est diverse dans ses formes et dans les langues utilisées a l’écrit (bambara, français, arabe). L’article porte sur une pratique commune qui consiste a recueillir sur un cahier un ensemble de notations personnelles. Son propos est d’éclairer la signification anthropologique de cette pratique par l’examen attentif du support d’écriture. Le cahier est à la fois un objet à soi, le lieu d’une appropriation de modèles scripturaux, et un espace graphique dont les scripteurs se saisissent de manières diverses, d’une mise en ordre de différentes figures de soi a des formes moins organisées de recueil. Ces différentes dimensions en font un lieu d’expérimentation de nouveaux rapports à soi.

Abstract

Abstract

This paper is based on an ethnographic research on literacy practices in a village located in the cotton– growing region of Mali. The area is partially literate, with Bambara, French, and Arabic used as written languages. The paper focuses on notebook–writing, a common practice meant to keep personal records. It investigates the anthropological meanings of this practice, by paying specific attention to its materiality. The notebook, as an object, is a personal belonging. It also represents the site where the writer takes hold of written models for his own purposes. As a “graphic space”, it is handled in different ways: some writers cautiously reorganise the outlines of their self by following a specific order in writing, whereas others use it to mere collection. Through these different dimensions, notebook– writing offers a space to explore new forms of subjectivity.

Type
Écriture de soi, écrits publics
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 2009

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Footnotes

*

Mes remerciements s’adressent d’abord a mes interlocuteurs au Mali qui ont eu la gentillesse de me montrer leurs écrits, d’en discuter avec moi et de me permettre de les photographier. Mes collegues de l’équipe Anthropologie de l’écriture du IIAC (CNRSEHESS) ont été de précieux relecteurs de ce texte, merci en particulier a Claire Bustarret et Béatrice Fraenkel. Le travail mené en commun avec Cécile Van den Avenne nourrit la description de ces écrits, notamment dans ses aspects linguistiques, depuis plusieurs années.

References

1- Chartier, Roger, «Les pratiques de l’écrit », in AriÈs, P. et Duby, G. (dir.), Histoire de la vie privée, t. 3, De la Renaissance aux Lumières, Paris, Éd. du Seuil, 1986, p. 113161 Google Scholar.

2- Nous nous inspirons ici des distinctions conceptuelles mises en place par Foucault, Michel, Histoire de la sexualité, t. 3, Le souci de soi, Paris, Gallimard, 1992, p. 5960 Google Scholar.

3- Voir Hawkins, Sean, Writing and colonialism in northern Ghana: The encounter between the LoDagaa and « The world on paper », 1892-1991, Toronto/Buffalo, University of Toronto Press, 2002 CrossRefGoogle Scholar.

4- Barber, Karin (dir.), Africa's hidden histories: Everyday literacy and making the self, Bloomington, Indiana University Press, 2006, p. 7 ; Barber, Karin, The anthropology of texts, persons and publics: Oral and written culture in Africa and beyond, Cambridge, Cambridge University Press, 2007 CrossRefGoogle Scholar.

5- Branca-Rosoff, Sonia et Schneider, Nathalie, L’écriture des citoyens. Une analyse linguistique des peu-lettrés pendant la période révolutionnaire, Paris, Klincksieck, 1994 Google Scholar ; Blommaert, Jan, Grassroots literacy: Writing, identity and voice in central Africa, Londres/New York, Routledge, 2008 Google Scholar.

6- Mckenzie, Donald F., La bibliographie et la sociologie des textes, Paris, Éd. du Cercle de la Librairie, 1991 Google Scholar ; Chartier, Roger, Culture écrite et société. L’ordre des livres (XIV e- XVIII e siècle), Paris, Albin Michel, 1996 Google Scholar.

7- Hébrard, Jean, « Tenir un journal. L’écriture personnelle et ses supports », in Lejeune, P. (dir.), « Récits de vie et médias », no spécial, RITM, 20, 1999, p. 950, ici p. 10Google Scholar. Voir, plus récemment, Lejeune, Philippe et Bogaert, Catherine, Un journal à soi. Histoire d’une pratique, Paris, Textuel, 2003 Google Scholar.

8- Cette remarque vaut pour les pratiques contemporaines sur papier. Les manuscrits arabo-africains bénéficient de traditions de recherche mieux établies, même si beaucoup reste à faire sur les terrains africains. Voir Constant HamÈs, , « Les manuscrits araboafricains : des particularités ? », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 99-100, 2002, p. 169182 CrossRefGoogle Scholar.

9- Ce travail s’inscrit dans une enquête plus large sur les pratiques de l’écrit dans la région qui a donné lieu a ma these de doctorat : Mbodj-Pouye, Aïssatou, « Des cahiers au village. Socialisations à l’écrit et pratiques d’écriture dans la région cotonnière du sud du Mali », thèse de doctorat, Université Lumière-Lyon 2, 2007 Google Scholar.

10- Sur ces différentes expériences, voir Roberts, Richard L., Two worlds of cotton: Colonialism and the regional economy in the French Soudan, 1800-1946, Stanford, Stanford University Press, 1996 Google Scholar.

11- Cette période est marquée par la création de l’IRCT (Institut de recherche du coton et des textiles exotiques) en 1946, puis de la CFDT (Compagnie française pour le développement des textiles) en 1949.

12- Voir Sanogo, Bakary, Le rôle des cultures commerciales dans l’évolution de la société Sénoufo (Sud du Mali), Talence, CRET, 1989 Google Scholar. Ce système, basé sur la fixation du prix de récolte en début de campagne, a fonctionné durant les années 1970 et 1980, années de formation des scripteurs étudiés, avant la crise du coton des années 1990 et la privati- sation en cours de la CMDT.

13- Le français est la seule langue officielle du Mali. Le statut de langue nationale est reconnu à plusieurs langues, parmi lesquelles le bambara se distingue par son statut véhiculaire à l’échelle du pays. Voir Canut, Cécile, Dynamiques linguistiques au Mali, Paris, CIRELFA/Agence de la francophonie, 1996 Google Scholar. Le bambara utilisé pour l’alphabétisation et la scolarisation est écrit en graphie latine, empruntant depuis la réforme de l’orthographe de 1982 quelques signes a l’alphabet adopté pour les langues africaines.

14- Théoriquement ouvertes aux femmes, les sessions d’alphabétisation de la CMDT ont toujours réunis une majorité d’hommes. Des sessions d’alphabétisation féminine ont été plus tard mises en place par des ONG, avec un succes limité.

15- Voir B. Sanogo, Le rôle des cultures commerciales…, op. cit., et Jonckers, Danielle, La société minyanka du Mali. Traditions communautaires et développement cotonnier, Paris, L’Harmattan, 1988 Google Scholar. Becker, Laurence C., « The collapse of the family farm in West Africa? Evidence from Mali », The Geographical Journal, 156-3, 1990, p. 313322 CrossRefGoogle Scholar, discute l’idée selon laquelle la scission serait la seule réponse aux transformations liées au développement des cultures de rente, certaines grandes exploitations familiales se maintenant en accordant une plus grande autonomie économique aux individus qui les composent.

16- Ce village, qui compte aujourd’hui près de 1 500 habitants, a été fondé à la fin du XIXe siècle par des familles auparavant esclaves de Marka. Ce passé explique sans doute une ouverture vers des domaines ou ce stigmate n’opère pas, contrairement à l’espace politique où la domination du village voisin, anciennement siège du canton (kafotigi), pèse encore fortement. Pour une discussion détaillée, voir A. Mbodj-Pouye, « Des cahiers au village… », op. cit., p. 153-163. Sur le caractère post-esclavagiste autant que post-colonial de la société malienne contemporaine, voir Mann, Gregory, Native sons: West African veterans and France in the twentieth century, Durham, Duke University Press, 2006 CrossRefGoogle Scholar. L’échelle plus large à laquelle a été menée l’enquete pour ma these permet de caractériser ce village par la densité des pratiques d’écriture qui y sont présentes, ces mêmes pratiques, y compris la tenue d’un cahier à soi, étant attestées dans des villages voisins.

17- Voir la description de ces sessions dans la région de Fana proposée par Dumont, Bernard, L’alphabétisation fonctionnelle au Mali. Une formation pour le développement, Paris, Unesco, 1973 Google Scholar.

18- Ibid., p. 10. L’existence de ce modèle souligne la volonté des premiers formateurs de constituer un environnement graphique. Par la suite, la CMDT a recommandé aux chefs de famille de noter les informations techniques concernant leur exploitation sur un cahier vierge. Certains villageois évoquent la tenue de tels cahiers au début des années 1990, mais cette pratique n’est pas attestée aujourd’hui dans le village d’enquete.

19- Le dépouillement des registres scolaires des trois premières cohortes montre qu’une majorité d’élèves (71 sur 125) n’atteignent pas la 6e. Sur les 54 qui l’atteignent, 22 s’arretent en 6e (8 ayant eu l’examen) et 16 en 7e, les parcours des autres étant contrastés (niveau 9e à études supérieures).

20- Sur ce point, nous rejoignons la conclusion d’Étienne Gérard selon laquelle la maîtrise de l’écrit est devenue un enjeu, indépendamment de l’acces a l’emploi formel ou des opportunités sociales qu’ouvre la scolarisation : Voir Gérard, Étienne, La tentation du savoir en Afrique. Politiques, mythes et stratégies d’éducation au Mali, Paris, Karthala/ORSTOM, 1997 Google Scholar. En revanche la dynamique des langues et des systemes éducatifs qu’il décrit (avec une préférence pour les médersas et un désintéret pour les langues nationales) est différente dans la zone d’enquête, ou le bambara écrit est valorisé par les usages promus par la CMDT.

21- Pour une évaluation des résultats de l’alphabétisation en zone CMDT, voir Dombrowsky, Klaudia, Dumestre, Gérard et Simonis, Francis, L’alphabétisation fonctionnelle en bambara dans une dynamique de développement. Le cas de la zone cotonnière (Mali-Sud), Aixen- Provence/Paris, Institut d’études créoles et francophones/Didier Érudition, 1993 Google Scholar.

22- Sur ces brochures, voir Francesco Zappa, « Écrire l’Islam en bambara : lieux, réseaux et enjeux de l’entreprise d’al-Hâjj Modibo Diarra », Archives de sciences sociales des religions, a paraître. L’ajami (écriture d’une langue africaine en graphie arabe) n’est pas pratiqué dans ce village. Sur la pratique de l’ajami dans l’aire mandé, voir cependant Vydrine, Valentin, « Sur l’écriture mandingue et mandé en caractères arabes (mandinka, bambara, soussou, mogofin) », Mandenkan, 33, 1998, p. 187 Google Scholar, et Tamari, Tal, « Cinq textes bambara en caracteres arabes : présentation, traduction, analyse du systeme graphique », Islam et sociétés au sud du Sahara, 8, 1994, p. 97121 Google Scholar.

23- La zone connaît une faible émigration internationale si on la compare à d’autres régions du Mali. Quelques villageois sont établis en Côte-d’Ivoire, en revanche on ne comptait en 2004 aucun émigré en Europe. Le phénomène migratoire saisonnier, à destination des villes ou des pays voisins est, quant a lui, massif.

24- Pris dans son ensemble et incluant les médersas, l’enseignement islamique offre une gamme beaucoup plus complexe de rapports à l’écrit : voir Brenner, Louis, Controlling knowledge: Religion, power, and schooling in a West African Muslim society, Indiana, Indiana University Press, 2001 Google Scholar.

25- Un cas exemplaire est celui des Vai du Liberia étudiés par Scribner, Sylvia et Cole, Michael, The psychology of literacy, Cambridge, Harvard University Press, 1981 CrossRefGoogle Scholar.

26- J’ai procédé à la passation de ce questionnaire en me déplaçant dans chacune des 95 concessions du village. Les renseignements recueillis ont été fournis par la personne concernée si elle était présente, sinon par ses proches. Le critère retenu pour la mesure de l’alphabétisation (pouvoir écrire une lettre) tient compte de ce dispositif : faire lire ou écrire une lettre est un besoin courant, aussi sait-on généralement qui on peut solliciter pour une telle tâche. Signalons que lire et écrire sont deux compétences qui sont presque toujours associées. Sur les enjeux de la délégation d’écriture de lettres, voir Gérard, Étienne, « Trajets d’écriture en Afrique. Le développement de la culture scolaire en question », Communications, 72, 2002, p. 195217 CrossRefGoogle Scholar. Pour un dispositif d’enquete statistique sur les compétences en différentes langues sur un terrain voisin, voir Humery-Dieng, Marie Eve, « Le paradis, le mariage et la terre. Des langues de l’écrit en milieu fuutanke (arabe, français et pulaar) », Cahiers d’Études Africaines, 163-164, 2001, p. 565594 CrossRefGoogle Scholar.

27- Ces chiffres concordent avec le taux d’alphabétisation au Mali, estimé à 19% en 2004 (PNUD).

28- Sur les 54 anciens élèves concernés, 41 ont été vus en entretien, soit au village soitsur leur lieu de résidence actuel pour ceux qui sont installés à Fana ou Bamako.

29- J’ai appris le bambara à l’INALCO pour ma thèse, mais n’ai pas de compétences linguistiques en arabe, ce qui explique que je n’ai pu enquêter précisément sur les usages de l’écrit dans cette langue.

30- Voir K. Barber (dir.), Africa's hidden histories…, op. cit. Une approche par cas est classique dans les travaux sur l’acculturation à l’écrit, comme le démontre l’étude de Ginzburg, Carlo, Le fromage et les vers. L’univers d’un meunier au XVI e siècle, Paris, Flammarion, [1976] 1980 Google Scholar.

31- Une approche des écrits à l’échelle villageoise est fournie par le relevé de l’ensemble des écrits présents dans un village camerounais que propose Zeitlyn, David, « The documentary impulse: Archives in the bush », History in Africa, 32, 2005, p. 415434 CrossRefGoogle Scholar. Sa discussion des pratiques s’appuie toutefois sur un dispositif différent puisqu’il fait tenir des cahiers par des villageois.

32- La police utilisée pour le bambara a été développée par le Llacan (Langage, langues et cultures d’Afrique noire, INALCO-CNRS).

33- Nous reprenons la notion de chaîne d’écriture à Fraenkel, Béatrice, « Enqueter sur les écrits dans l’organisation », in Borzeix, A. et Fraenkel, B. (dir.), Langage et travail, communication, cognition, action, Paris, CNRS Éditions, 2001, p. 231261, ici p. 247-253Google Scholar.

34- À ce stade, nous nous appuyons sur une définition par la négative de ces pratiques comme ne relevant pas des écritures imposées par les institutions. L’examen du contenu des cahiers, dans la partie suivante, permettra d’en proposer une définition plus précise.

35- La question de la déclarabilité est classique concernant les lectures, voir Chartier, Anne-Marie, Debayle, Jocelyne et Jachimowicz, Marie-Paule, « Lectures pratiquées et lectures déclarées. Réflexions autour d’une enquête sur les lectures d’étudiants en IUFM», in Fraisse, É. (dir.), Les étudiants et la lecture, Paris, PUF, 1993, p. 7398 Google Scholar. Elle vaut aussi pour les pratiques d’écriture, pour lesquelles la hiérarchie scolaire des productions est intériorisée, qui disqualifie par exemple le brouillon. Au-dela de ce probleme, celui de la simple visibilité est massif : comment saisir des gestes d’écriture inaperçus des scripteurs eux-memes ? Voir Lahire, Bernard, «Du travail d’enquête a l’écriture des paroles des enquêtés. Réponse aux interrogations de Stéphane Beaud », Critiques sociales, 8-9, 1996, p. 108114 Google Scholar.

36- Cette notion est empruntée à Hébrard, Jean, « The graphic space of the school exercise books in France in the 19th-20th century », in Pontecorvo, C. (dir.), Writing development: An interdisciplinary view, Amsterdam/Philadelphie, John Benjamins Pub. Co., 1997, p. 173189 CrossRefGoogle Scholar.

37- La rareté de ces séries tient au fait qu’archiver ses cahiers n’est pas la règle. Voir Mbodj-Pouye, Aïssatou, « Pages choisies. Ethnographie du cahier d’un agriculteur malien », Sociologie et sociétés, XL-2, 2008, p. 96108 Google Scholar.

38- Cette hypothèse rejoint la description qu’Elizabeth Gunner donne de l’entrée en écriture personnelle d’un membre d’une congrégation sud-africaine : d’abord support d’une pratique routinière de copie d’hymnes, le cahier devient lieu d’expression des visions du scripteur confronté à une crise spirituelle sans précédent : Elizabeth Gunner, « Keeping a diary of visions: Lazarus Phelalasekhaya Maphumulo and the Edendale congregation of AmaNazaretha », in K. Barber (dir.), Africa's hidden histories…, op. cit., p. 155-179. À la différence des autres études de journaux personnels réunies dans cet ouvrage, la contribution d’E. Gunner pose un problème comparable au nôtre puisqu’il s’agit de comprendre « comment quelqu’un se met à tenir un journal quand personne n’en a jamais suggéré la possibilité ? », ibid., p. 155 (notre traduction).

39- L’anglais to keep a diary rend bien cette association première entre la possession du support et le type d’écriture qu’elle rend possible sur la durée.

40- Je n’ai pas approfondi la question de la place des écrits au sein de l’espace domestique, dont Feschet, Valérie, « Textes et contextes. Les lieux de la mémoire dans les maisons ubayennes », Sociétés & Représentations, 19, 2005, p. 1532 CrossRefGoogle Scholar, a montré tout l’intérêt. La conservation des écrits dans un espace intime restreint est le point que K. Barber retient dans sa qualification du domaine de l’écrit personnel comme « tin-trunk literacy », en référence aux malles en fer-blanc qui contiennent souvent les écrits à soi, voir son introduction a Africa's hidden histories…, op. cit., p. 2.

41- Quelques cahiers comportent ponctuellement des notations écrites par d’autres, mais la délégation d’écriture ne donne pas lieu a la tenue d’un cahier, contrairement a ce qu’Armando Petrucci a montré pour le livret de Maddalena Grattaroli, tenu pour sa charcuterie à Rome au XVIe siècle, où on repère les mains de 102 scripteurs : Petrucci, Armando, « Scrittura, alfabetismo ed educazione grafica nella Roma del primo Cinquecento. Da un libretto di conti di Maddalena pizzicarola in Trastevere », Scrittura e Civiltà, 2, 1978, p. 163207 Google Scholar.

42- On est loin de la performance orale du cahier devant un public, certes limité au cercle familial, décrite par Stephan Miescher, « ‘My own life’ A. K. Boakye Yiadom's autobiography. The writing and subjectivity of a Ghanaian teacher-catechist », in K. Barber (dir.), Africa's hidden histories…, op. cit., p. 27-51, ici p. 44-46.

43- Voir Lejeune, Philippe, Le pacte autobiographique, Paris, Éd. du Seuil, 1975 Google Scholar.

44- Nous nous inspirons des travaux de Roger Chartier, en particulier Culture écrite et société…, op. cit., p. 213-215.

45- Weber, Florence, « La lettre et les lettres : codes graphiques, compétences sociales. Des outils pour l’analyse des écritures ordinaires », Genèses, 18, 1995, p. 152165, ici p. 157CrossRefGoogle Scholar, résume ainsi l’acquis des travaux français d’histoire, d’ethnologie et de sociologie de l’écriture : « Les frontières ne sont ni entre écrit et oral, ni entre écrit ritualisé et écrit personnel, mais bien plutôt entre une plus ou moins grande distance avec les modeles proposés par l’institution, sans trancher pour l’instant la question de savoir si cette distance est subie (ignorance des modèles) ou volontaire (refus de modèles connus), si la proximité est familiarité, aisance (…) ou soumission. »

46- La transcription respecte l’orthographe originale.

47- L’astérisque signale les abréviations qui sont de notre fait, afin de respecter l’anonymisation des individus. La plupart des patronymes étant très communs au Mali, j’ai limité l’anonymisation aux prénoms des scripteurs.

48- Notons qu’aucune description du bétail (nombre de tetes confiées par exemple) n’apparaît. On sait que la question du décompte des tetes de bétail possédées, qui entre dans le calcul de l’impôt, est sensible.

49- Ce calendrier lunaire mandingue (dont les mois ont des noms bambara, désignés génériquement par l’expression « farafin kalo », mois africain), antérieurement calé sur les saisons, coincide aujourd’hui avec le calendrier musulman. La mise en correspondance date, selon les régions, du XIXe ou du début du XXe siècle, voir Delafosse, Maurice, « L’année agricole et le calendrier soudanais », L’Anthropologie, 31, 1921, p. 105113 Google Scholar. Sur la fluidité des usages actuels, entre calendrier agricole et calendrier musulman, voir Chastanet, Monique, « Entre bonnes et mauvaises années au Sahel. Climat et météorologie populaire en pays soninké (Mauritanie, Sénégal) aux XIXe et XXe siècles », in Katz, E., Lammel, A. et Goloubinoff, M. (dir.), Entre ciel et terre. Climat et sociétés, Paris, IRD Éditions, 2002, p. 189209 Google Scholar. Pour une discussion plus large, notamment de la question de la concurrence entre calendriers lunaires ou basés sur le cycle des saisons, voir le numéro « Calendriers d’Afrique », Systèmes de pensée en Afrique noire, 7, 1984.

50- On attendrait aussi une conversion de la somme des francs CFA en doromè (= 5 F CFA), l’unité de compte généralement utilisée à l’oral et que Demba emploie pour une autre notation.

51- La question de son usage juridique reste à explorer, les conflits entre propriétaires et pasteurs, récurrents, étant parfois portés devant les tribunaux. Richards Roberts note que la rédaction de contrats écrits était encouragée par l’administration coloniale, ce qui suggère qu’une injonction à écrire a pu exister : Roberts, Richards L., Litigants and households: African disputes and colonial courts in the French Soudan, 1895-1912, Portsmouth, Heinemann, 2005, p. 193 Google Scholar.

52- Pour les scripteurs qui disposent des deux langues, le français est généralement préféré au bambara pour les écrits les plus personnels. Ce résultat, qui s’appuie sur la mise au point d’outils de description de l’alternance de langue spécifiques à l’écrit, a été établi en collaboration avec Cécile Van den Avenne : Mbodj-Pouye, Aïssatou et Avenne, Cécile Van Den, « ‘C’est bambara et français mélangés’. Analyser des écrits plurilingues à partir du cas de cahiers villageois recueillis au Mali », Langage et société, 120, 2007, p. 99127 CrossRefGoogle Scholar.

53- Sur ce point, les cahiers diffèrent des agendas paysans étudiés par Joly, Nathalie, « Écrire l’événement : le travail agricole mis en mémoire », Sociologie du travail, 46-4, 2004, p. 511527 CrossRefGoogle Scholar.

54- J. Hébrard, « Tenir un journal… », art. cit., p. 13-16.

55- Il s’agit ici des cahiers en français et en bambara. Le choix d’un ordre d’écriture pour les cahiers qui associent graphies arabe et latine s’avère plus complexe.

56- Nous avons proposé ailleurs une analyse approfondie de ce cahier, accompagnée de sa transcription intégrale, voir A. Mbodj-Pouye, « Pages choisies… », art. cit.

57- À y regarder de plus près, l’échelle domestique retenue n’est toutefois la reproduction d’aucune des deux dimensions reconnues par la CMDT (l’exploitation) ou l’administration (la famille délimitée par le carnet de famille). Makan Camara recense en effet les accouchements de ses épouses de manière exhaustive, mais aussi certains de ceux de ses belles-soeurs, résidant dans la même concession (du), mais relevant de l’exploita- tion de son frere aîné.

58- La notation de titres de chansons donne lieu à toute une série de pratiques : noter des titres de chansons entendues à la radio pour se faire établir une compilation pirate, pour envoyer des dédicaces à la radio, etc.

59- Sur la copie, voir Miniac, Christine Barré-De (dir.), Copie et modèle. Usages, transmission, appropriation de l’écrit, Paris, INRP, 2000 Google Scholar.

60- Cette expression vise à rendre l’emprunt au français utilisé en bambara « garantilenba », composé sur « garanti ».

61- La recette est un des genres graphiques retenus par Goody, Jack, La raison graphique. La domestication de la pensée sauvage, Paris, Éd. de Minuit, [1977] 1979 Google Scholar, chap. 7.

62- Barriere, Catherine, « Techniques d’agression magique en pays bamana (région de Segu, Mali) : emprunts réciproques entre islam et religion traditionnelle », Journal des africanistes, 69-1, 1999, p. 177197 CrossRefGoogle Scholar, en particulier p. 182. Certaines pratiques magiques échappent à la mise en recette, notamment la fabrication des objets forts que sont les boliw, à propos desquels Bazin, Jean, « Retour aux choses-dieux », in Malamoud, C. et Vernant, J. -P. (dir.), Corps des dieux, Paris, Gallimard, 1986, p. 253273, ici p. 263Google Scholar, rappelle : « Un boli n’est pas une préparation médicinale ou magique (fura, basi) ; il n’est pas définissable par une recette ; il a une identité qui peut être évoquée par des récits. »

63- Pour une analyse des contraintes qui pèsent sur l’énonciation de choses tenues pour « secrètes », voir Jansen, Jan, Épopée, histoire, société. Le cas de Soundjata : Mali et Guinée, Paris, Karthala, 2001 Google Scholar. Nous n’avons pas le loisir de développer ici la réflexion sur le rapport entre la sphere que recouvrent le cahier et la notion de secret (” gundo », en bambara), souvent utilisée par les scripteurs pour désigner son contenu. Sur cette notion, voir Jansen, Jan et Roth, Molly (dir.), « Secrets and lies in the Mande world », no spécial, Mande Studies, 2, 2000 Google Scholar.

64- Cette pratique d’écriture s’inscrit dans une transformation plus globale du rapport au savoir islamique. L’influence des brochures islamiques, déjà évoquées, est forte. D’autres médias jouent un rôle central dans la manière dont se forgent de nouveauxrapports à l’islam, voir Schulz, Dorothea, « ‘Charisma and brotherhood’ revisited: Massmediated forms of spirituality in urban Mali », Journal of Religion in Africa, 33-2, 2003, p. 146171 CrossRefGoogle Scholar.

65- La notion d’actes d’écriture est reprise à Fraenkel, Béatrice, « Actes d’écriture : quand écrire c’est faire », Langage et société, 121-122, 2007, p. 101112 CrossRefGoogle Scholar, qui en propose une élaboration théorique.

66- R. Chartier, « Les pratiques de l’écrit », art. cit., p. 138.

67- Sur le récit de soi et la difficulté de son recueil, voir Jewsiewicki, Bogumil (dir.), Naître et mourir au Zaïre. Un demi-siècle d’histoire au quotidien, Paris, Karthala, 1993 Google Scholar. Chakrabarty, Dipesh, « Postcoloniality and the artifice of history: Who speaks for ‘Indian’ pasts? », Representations, 37, 1992, p. 126 CrossRefGoogle Scholar, indique que l’appropriation des genres occidentaux d’écriture de soi dans l’Inde coloniale et postcoloniale ne donne pas lieu au repli sur une intériorité psychologique.

68- Voir É. Gérard, La tentation du savoir en Afrique…, op. cit.