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Sémiotique de la nourriture dans la Bible

Published online by Cambridge University Press:  25 May 2018

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Comment rendre compte des interdits alimentaires des Hébreux, de ces règles qu'aujourd'hui encore, avec des variantes mais en se référant aux lois de Moïse, de nombreux Juifs orthodoxes respectent ? Une fois écartées plusieurs fausses pistes, comme l'explication par l'hygiène, l'approche structuraliste paraît éclairante.

Lévi-Strauss a mis en évidence l'importance de la cuisine, qui est le propre de l'homme, au même titre que le langage. Mieux même : la cuisine est un langage à travers lequel une société s'exprime. Car la nourriture que l'homme absorbe pour vivre, il sait qu'elle va s'assimiler à son être, devenir lui. Il faut donc qu'il y ait une relation entre l'idée qu'il se fait de tel ou tel aliment et l'image qu'il se donne de lui-même et de sa place dans l'Univers. La cuisine d'un peuple et son appréhension du monde sont liées.

Type
Culture et Société
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1973

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References

1. La Bible, I, l'Ancien Testament, texte établi par Edouard Dhorme, Gallimard, « La Pléiade ». (Abréviations : Gen. —Genèse ; Ex.= Exode ; Lêv.= Lévitique ; Nbs. = Nombres ; Deut. =Deutéronome.)

2. Que le sang d'une bête puisse racheter-épargner la vie des hommes qui l'ont sacrifiée, on le voit dans l'épisode d'Ex.XII où, la nuit qui précède la sortie d'Egypte, les Hébreux sacrifient un agneau (l'agneau pascal) et enduisent de son sang les portes de leurs maisons ; cette nuit-là, Dieu frappe tous les premiers-nés d'Egypte, à l'exception de ceux qui vivent dans les maisons marquées par le sang. Dans le sacrifice d'Abraham, aussi, la vie d'une bête et la vie d'un enfant se révèlent permutables.

3. Conformément au principe de l'arbitraire du signe, la vie peut avoir d'autres signifiants que le sang : par exemple, dans certaines sociétés, la tête, le coeur ou la matrice. Dans le Lévitique même, la graisse qui recouvre les organes internes est prohibée et réservée à Dieu (III, 16-17). L'usage métaphorique du mot donne à penser que la graisse est conçue comme la substance vitale des parties solides du corps : « Pour que je vous donne le meilleur du pays d'Egypte et que vous mangiez la graisse du pays » (Gen., XLV, 18, etc.). Le nerf sciatique, interdit lui aussi à la consommation, est peut-être interprété comme l'élément par excellence de la locomotion, privilège du vivant : dans sa lutte avec l'ange, l'atteinte de ce nerf a paralysé Jacob (Gen., XXXII, 26-33). Graisse et nerf sciatique seraient des variantes secondaires du sang, situées à d'autres niveaux.

4. Cité par le Dictionnaire Robert, article « sabot ». Voir aussi Jacob, F., La Logique du vivant, Paris, 1970, p. 119 Google Scholar.

5. Le sanglier, avec ses défenses qui sont des canines développées, avait tout pour être classé parmi les bêtes féroces dont il est dit : « Je lâcherai contre vous l'animal des champs et il vous privera d'enfant, il exterminera votre bétail » (Lév., XXVI, 22).

6. «Se nourrir n'est pas simplement un acte physiologique, mais également un acte ’ religieux ‘ : on mange les créations des Êtres Surnaturels, et on les mange comme les ont mangées les ancêtres mythiques, pour la première fois, au début du Monde » ( Eliade, Mircea, Aspects du Mythe, Paris, 1963, p. 59 Google Scholar).

7. Le miel est un mets déjà « cuisiné » ; « il peut être consommé frais ou fermenté » ; il « rayonne l'ambiguïté par toutes ses facettes » ( Lévi-Strauss, , DU miel aux cendres, Paris, 1964, p. 253 Google Scholar).

8. Dans Purity and Danger, London, 1966 (éd. fr. De la Souillure, Maspero, 1971), ouvrage dont j'ai eu connaissance après avoir rédigé cette étude, Mary Douglas adopte une approche analogue et la similitude de nos conclusions sur ce point est frappante (PP- 74-75 de l'éd. fr.).

9. Cf. Évangile selon Jean(X, 31-33) : « Les Juifs apportèrent des pierres pour le lapider. Jésus leur dit alors : ‘ Je vous ai fait voir quantité de bonnes oeuvres, venant du Père ; pour laquelle me lapidez-vous ? ‘ Les Juifs lui répliquèrent : ‘ Ce n'est pas pour une bonne oeuvre que nous te lapidons ; c'est pour un blasphème : parce que toi, qui n'es qu'un homme, tu te fais Dieu'. » (Les citations du Nouveau Testament sont tirées de la Bible traduite sous la direction de l'École Biblique et Archéologique française de Jérusalem, éd. du Cerf.)

10. Cf. l'interdiction de prendre, dans un nid d'oiseau, la mère en même temps que les petits ou les oeufs —- les oeufs suffisant à représenter les petits, comme le lait la mère du chevreau (Deut., XXII, 6-7). Ou encore l'interdiction d'immoler le même jour une vache ou une brebis avec son petit (Lév., XXII, 28). Ces deux actes pourraient être suivis d'un inceste culinaire.

11. « C'est un peuple qui demeure à part et qui n'est pas compté parmi les nations » (Nbs., XXIII, 9).

12. Lévi-Strauss, , La Pensée sauvage, Paris, 1962, pp. 26 ss.Google Scholar