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Rome devant la prétendue fuite dee l'or : mercantilisme ou politique disciplinaire ?

Published online by Cambridge University Press:  08 May 2018

Paul Veyne*
Affiliation:
Collége de France

Extract

Pour Gyō.

Akatsuki no koe wo kiki-shiru mine no

matsu, akatsuki no umai kumo kogu watashibune.

Ce sont deux textes célèbres : « Chaque année, écrit le naturaliste Pline, l'inde enlève à notre empire pas moins de cinquante millions de sesterces, pour nous livrer en échange des marchandises qui se vendent chez nous au centuple » (VI, 26, 101) ; « chaque année, dit-il plus loin, l'inde, la Chine et l'arabie enlèvent à notre empire, selon le calcul le plus bas, cent millions de sesterces » (XII, 41, 84). Cent millions de sesterces, cela représentait un million de pièces d'or (aurei) qui pesaient en tout près de huit tonnes, car la pièce de cent sesterces pesait un tout petit peu plus que la livre sterling de 1717 à 1931. Cinquante, cent millions par an : ces chiffres sont hors de doute (Pline est informé et a l'habitude des grands nombres) et n'ont jamais été mis en doute ; ce qui a fait en revanche l'objet d'appréciations divergentes et de discussions, ce sont les effets de pareille hémorragie d'or ; effets nuls, disent les uns, parmi lesquels Mickwitz en personne ; effets catastrophiques, disent les autres, dont le premier fut le grand Cantillon : saigné à blanc, l'empire romain, au bout de quelques siècles, n'avait plus qu'à se laisser achever par les Barbares… Est-il donc si grave, pour un État ancien, de perdre son or ou son argent, et pourquoi ? Nous en discuterons, mais notre objet principal n'est pas là : sans douter un instant des chiffres de Pline, nous nous demanderons surtout si l'hémorragie a existé

Summary

Summary

Marx is right to disagree with Ricardo : the quantitative theory does not apply to metal money. If Roman gold and silver had escaped from Rome to India, as has been affirmed, this would have been critical ; even more critical than Mickwitz claimed in a 1934 article for Annales ; the consequence, morever, would not have been the collapse of exchange, but a slow recession in demand. Only the gold drain did not exist, for Pliny most certainly mentions the 100 million in importations but omits Roman exportations to India. This omission would seem incredible if it had been the resuit of oversight rather than ideology : Pliny dreamed of autocracy, for him any expenditure, any importation was excessive. This autocracy was a political utopia and not an economic mercantile system : a politically sound state curbs its artificial needs. This utopia has scarcely been put into practice, and it discloses, above all, the incapacity within ancient thought to accept economies.

Type
Recherches en Cours
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1979

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References

Notes

1. Mickwitz, G., «Le problème de l'or dans le monde antique», dans Annales d'histoire économique et sociale, VI, 1934, p. 236 Google Scholar. Mickwitz, Cf., Geld und Wirtschafl im röm. Reich, Helsingfors, 1932, p. 23 Google Scholar.

2. Cantillon, Essai sur la nature du commerce en général (1755), 2e partie, chap. ix (réimp. INED, 1952, p. 110).

3. Wheeler, M., Les influences romaines au-delà des frontières impériales, Paris, Pion, 1960, p. 215 Google Scholar; Innés Miller, J., The spice trade of the Roman Empire, Oxford, 1969, p. 215 Google Scholar; J. Schwartz, « L'empire romain, l'eypte et le commerce oriental », dans Annales E.S.C., 1960, pp. 7-35.

4. Cf. Innés Miller, op. cit., p. 216. La bonne référence à Strabon est XVI, 4, 22, p. 780.

5. Cent millions de francs-or pèsent 29 tonnes d'or fin, soit environ quatre fois le poids des cent millions de sesterces du commerce oriental de Rome; le sesterce pèse quatre fois moins que le franc-or, et pourtant R. Etienne a calculé qu'il permettait d'acheter deux kilos de pain (La vie quotidienne à Pompéi, Paris, Hachette, 1966, p. 230) : or Napoléon avait fixé le prix du pain à un franc les deux kilos. Depuis Christophe Colomb, l'or a baissé de prix par rapport aux autres biens. Aussi exploitaition alors des gisements qui, de nos jours, ne seraient plus rentables.

6. P. Akamatsu, Meiji 1868 : révolution et contre-révolution au Japon, Paris, Calmann-Lévy, 1968, pp. 164, 180, 182, 224, 288. Je remercie P. Akamatsu de ses informations et de ses conseils.

7. Vilar, P., Or et monnaie dans l'histoire, Paris, Flammarion, 1974, p. 78 Google Scholar.

8. Marczewski, J., La comptabilité nationale, Genève, Dalloz, 1965, p. 9, n. 1 Google Scholar.

9. Ce sont les mercantilistes qui ont « découvert » la balance du commerce (Schumpeter, History of économie analysis, p. 345); G. Granger, Pensée formelle et sciences de l'homme, p. 69 : « Pour les mercantilistes, le fait économique est essentiellement visé comme l'échange d'une denrée contre un numéraire, et c'est la pratique du marchand qui domine l'analyse. Mais à cette signification immédiate d'une activité vécue se superpose le schéma numérique brut de la balance des entrées et des sorties de monnaie. La détermination des lois économiques se ramène à l'étude des conditions et des facteurs d'une encaisse métallique excédentaire pour le groupe national. L'effort d'arithmétisation de l'Économique mercantiliste est du reste corrélatif d'un essai de direction politique des échanges; mais l'intégration des deux orientations n'est pas effective. »

10. Mickwitz, Geld und Wirtschaft, p. 65 : « on a parlé d'hémorragie d'or… Cette idée se heurte à une grosse difficulté : d'où Dioclétien a-t-il tiré tout l'or qui a rendu possible sa réforme monétaire ? ». Plusieurs réponses sont imaginables (voir note 28). L'anonymus de rébus bellicis suggère que Constantin a trouvé le sien dans les trésors des temples confisqués en 331, ce qui est peu croyable.

11. La première édition de Cohen date de 1859-1862; à la parcourir, on prend une leçon de microéconomie : on voit comment se forment les prix dans un secteur aussi étroit que celui des collectionneurs de médailles; l'offre et la demande n'y jouent que peu de rôle. Les marchands ont visiblement dans l'esprit la gradation « peu rare - rare - très rare » (la monnaie d'or du me siècle est très rare, celle du Haut-Empire est rare, celle du ivc siècle et de Byzance est peu rare). Reste à traduire cette gradation en chiffres, qui seront arbitraires; j'ai parcouru des catalogues où l'échelle était faite sur la base 5 : l'or du Haut-Empire, du mc siècle et de Byzance étaient entre eux comme 25,125 et 5. Chez Cohen, les rapports sont ceux des carrés de deux, soit 4 pour le Haut-Empire, 8 pour le ine siècle et 2 pour Byzance; je ne parle pas des types très rares, voire des exemplaires uniques (pour lesquels Cohen a une règle; un aureus connu à un seul exemplaire vaut 1 000 francs; un « médaillon » d'or, 2 000 francs). Le prix de l'or n'entre pas dans le prix de ces monnaies (les quinaires sont souvent plus chers que les aurei). De César à l'abondant monnayage d'or de Marc-Aurèle, les prix vont proverbialement « de 35 à 200 francs », mis à part les types rarissimes et les « médaillons ». A partir de Commode compris, les prix doublent : de 80 francs ou 100 francs à 400 francs; la longueur de certains règnes du 111e siècle n'y change rien. Les prix se transforment avec Constantin; les sous de Constantin vont de 50 à 400 francs et ceux de ses successeurs vont… de 20 à 100 ou même (Théodose) de 20 à 50. On trouvera des indications de rareté qui ont sensiblement les mêmes proportions dans la thèse de J.-P. Callu, La politique monétaire des empereurs romains de 238 à 311 (École de Rome, 1969), pp. 419-430, qui note aussi (p. 424, n. 4) que les aurei cessent en Inde sous les Sévères. 11 me semble toutefois que Callu adoucit un peu le contraste entre la rareté de l'or à partir de Commode compris (jusqu'à Dioclétien compris) et sa moindre rareté jusqu'à Marc-Aurèle compris : à parcourir le catalogue récent de David R. Sear, Roman coins and their issues, Seaby, 1974, et les ventes Sternberg depuis quelques années, j'ai l'impression que les aurei des Sévères étaient nettement plus chers et rares que ceux des Antonins, ce qui apparaît déjà chez Cohen. Mais laissons ces détails.

12. M. Corbier, «Dévaluations et fiscalité (161-235)», dans Les dévaluations à Rome, Colloque de 1975, École française de Rome, 1978, pp. 273-301; « Fiscalité et monnaie : problèmes de méthode », dans Dialoghi di archeologia, IX-X. 1976-1977, pp. 504-541. Mme Corbier est une élève de M. A. Chastagnol.

13. L'idée d'hémorragie d'or et l'interprétation classique des deux textes de Pline se trouvent, par exemple, Oertel, chez. et Cumont, , dans Cambridge ancient history, vol. X, p. 417 Google Scholar; XI, p. 632; XII, pp. 233 et 248; Rouoé, J., Recherches sur l'organisation du commerce maritime… sous l'empire romain, Paris, 1966, pp. 457458 Google Scholar; Jones, A. H. M., The Roman economy, Oxford, 1974, p. 144 Google Scholar; Stein, E., Histoire du Bas-Empire, éd. Palanque, vol. I, p. 16 Google Scholar; S. J. De Laet, Portorium, Bruges, 1949, pp. 304 et 309; J. Innés Miller, The spice trade…, p. 229; Tenney Frank, dans An économie survey of ancient Rome, vol. 5, pp. 232, 282, 283; Duncan-Jones, R., The economy of the Roman Empire, Cambridge, 1974, p. 8, n. 7 Google Scholar.

14. J. Innés Miller, The spice trade…, pp. 20 et 223-224.

15. S. J. De Laet, Portorium, pp. 363, 416, 420.

16. Voir chez Philostrate, Vie d'apollonios, I, 20, la scène où le thaumaturge, se rendant en Inde, dit des choses sublimes au douanier du poste-frontière de Zeugma.

17. Nous connaissons seulement deux fragments de bilan des recettes dans un bureau des douanes intérieures (De Laet, p. 315).

18. Voir Pflaum, H. G., Les carrières procuratoriennes équestres, Paris. 1960, vol. I, pp. 244 et 267.Google Scholar

19. S. J. De Laet incline à le penser, pp. 315, 338, 425.

20. Sur ce taux. De Laet, pp. 307, 310, 333, 335.

21. Sur le bureau a rationibus, le procurator Eisci et la loricata dont nous parlons plus loin, voir Dessau, Die kaiserl. Verwaltungsb., pp. 4, 30, 91. La vérification des comptes « absorbait la plus grande partie du temps » d'un gouverneur, écrit Philon d'alexandrie, In Flaccum, 133.

22. Pline, Histoire naturelle, XXXIII, 17, 55.

23. Le premier à parler de ces émissions massives des Julio-Claudiens fut sans doute Mommsen, Histoire de la monnaie romaine, vol. 3, p. 26. On n'en a jamais douté.

24. Commentaire de Daniel par saint Jérôme, cité par Claire Préaux, L'économie royale des Lagides, Bruxelles, 1939, p. 424; l'ordre de grandeur est confirmé par un fragment de Cicéron cité par Strabon, XVII, p. 798 : les revenus de Ptolémée Aulète étaient de 12 500 talents.

25. J'ai réuni quelques références dans Pain et Cirque, p. 433, d'après Brunt et Knapowski, les maîtres en la matière. Depuis 1975 s'est ajouté à eux M. Crawford (Roman republican coinage, vol. 2).

26. Wilcken, U., Griechische Ostraka aus Aegypten und Nubien, Leipzig, 1899, vol. I, p. 416 Google Scholar.

27. A mon avis, chez Appien, « talent égyptien » veut dire tout simplement « 6 000 drachmes égyptiennes du Haut-Empire »; de même, dans l'inscription Dittenberger, OGIS, n° 748, ligne 5, les « talents d'alexandre » sont simplement « 6 000 drachmes d'alexandre ». Si l'on préfère, les talents dont parle Appien sont ceux dont parle aussi le deuxième papyrus de Panopolis, lignes 216, 276 et 302 (T. C. Skeat, Papyri from Panopolis, Dublin, 1964, pp. 90, 102, 104, 148, 151), qui valent 1 500 deniers ou 6 000 sesterces. On sait en effet que, sous l'empire, la drachme égyptienne équivalait au sesterce et non au denier d'argent. On arrive au même total de quatre milliards et demi de sesterces par une autre voie : Pline nous dit que le « talent égyptien » pesait, selon Varron, 80 livres, soit 26 kilos (Histoire naturelle, XXXIII, 15, 51); supposons que le trésor du Lagide ait été d'argent (chose curieuse, Appien ne nous dit pas si ses « talents » étaient d'argent ou d'or : preuve que, pour lui, le talent en question était une simple unité de compte, comme nous l'avons admis…) — supposons toutefois que le talent soit une mesure de poids : Philadelphie aurait eu plus de 19 000 tonnes d'argent : ce qui, en monnaie romaine, fait derechef quatre ou cinq milliards de sesterces. Le patriotisme provincial d'appien n'a rien que de normal au second siècle et au-delà, et pareil patriotisme local s'accordait très bien avec la fidélité à l'empereur : Dion de Pruse était à la fois patriote hellénique et propagandiste de l'ordre impérial; même patriotisme africain chez Tertullien, qui exalte les souvenirs historiques de l'époque punique; à vrai dire, les provinces et les cités de l'empire se sentent les continuatrices des pays et des cités d'avant la conquête romaine (déjà la colonie latine de Corinthe se sentait la continuatrice de la cité détruite par Memmius). Voilà pourquoi Septime-Sévère a restauré le tombeau d'hannibal : ce patriotisme africain n'avait rien d'antiromain. Les empereurs illyriens exalteront le genius Illyrici.

28. Ces deux raisons ont été trouvées par Mickwitz dès 1932 (Geld und Wirtschqfi, p. 66). Pour les réquisitions d'or, voir Cali.U, La politique monétaire des empereurs, p. 415, n. 4; par exemple le pap. Oxy. 2106 (Hunt et Edgar, Select Papyri, vol. II, n° 227) et le second papyrus de Panopolis, lignes 216-217 (voir plus haut, note 27). Pour l'histoire monétaire du me siècle, nous avons lu M. Crawford, « Finances, coinage and money from the Severans to Constantine », dans Aufstieg und Niedergang der römischen Welt, vol. II, 2e partie, 1975, pp. 560-593; et J. Lafaurie, « Réformes monétaires d'aurélien et de Dioclétien », dans Revue numismatique, XVII, 1975, pp. 73-138. Pour la prétendue inflation du me siècle, cf. Crawford dans Annales ESC, 1971, p. 1 233 : « la soi-disant inflation du me siècle n'est rien d'autre que la conséquence d'un avilissement progressif de la monnaie »; Lafaurie, Revue numism., 1975, pp. 78 et 91 : « Sous Auguste, la livre d'or vaut 1 000 deniers; en 300, elle vaut 60 000 deniers; le prix en deniers dé la livre d'or a donc, en trois siècles, été multiplié par soixante; il ne s'agit évidemment pas des mêmes deniers, mais de deniers valant chacun soixante fois moins »; le rapport de l'or et de l'argent fin reste en revanche le même pendant ces trois siècles (Lafaurie). La mutation des monnaies d'or, sous Dioclétien, n'aura pas de conséquences pour les débiteurs, qui sont tenus de payer la même somme qu'ils auraient payée sans la mutation, de par une loi de 301 (Lafaurie, p. 110). Au ive siècle, les sous d'or continuent à être pesés : références chez Mommsen, Monnaie romaine, vol. 3, pp. 156-157.

29. P. vilar, Or et monnaie dans l'histoire, pp. 87, 133, 242; Adolphe Landry, Essai historique sur la mutation des monnaies dans l'ancienne France, 2e éd., Champion, 1969, p. 92.

30. On n'a presque pas trouvé de monnaie de bronze en Inde et les exceptions se comptent sur les doigts d'une seule main (Innés Miller, The spice trade, pp. 238-239). Selon un mot de Louis Robert, l'or et l'argent prouvent la circulation des richesses et le bronze, monnaie d'appoint et monnaie pour les petits achats quotidiens, prouve la circulation des personnes. Les monnaies romaines de bronze trouvées dans le comptoir romain de Port-Dunfort (Wheeler, Influences romaines au-delà des frontières, p. 141) prouvent une occupation du site par des Romains et n'ont pas servi au commerce avec les indigènes.

32. Sur Ceylan, voir E. H. Warmington, The commerce between the Roman Empire and India, nouvelle édition augmentée, Londres, 1974, pp. 121-123.

31. Le principe selon lequel toute monnaie circule partout est la règle dans l'antiquité et le Moyen Age, où le florin et l'esterlin se trouvent partout; l'interdiction des monnaies étrangères demeurait, croyons-nous, l'exception, ce que les fouilles prouvent abondamment. Sur la circulation des monnaies étrangères sur le « territoire national », voir l'analyse théorique de G. Knapp, Staatliche Théorie des Geldes, pp. 67-68. Nous sommes persuadés que les trois exceptions que l'on cite pour l'antiquité et que l'on érige en règle demeurent des exceptions : dans ces trois cas, une cité ou un roi vient de décider, en effet, que les monnaies étrangères n'auront plus cours et seront refondues; donc, jusqu'à cette décision expresse et datée, elles avaient cours. Dans le Papyrus de Zenon au Caire 59021 (Hunt et Edgar, Select Papyri, II, n° 409), le roi n'a pas ordonné de refrapper les seules pièces étrangères, mais toutes les pièces anciennes, qu'elles soient nationales ou étrangères. Rostowzew affirmait qu'après la date de ce papyrus on ne trouvait plus d'espèces étrangères en Egypte (Claire Préaux, L'économie royale des Lagides, p. 274; Préaux, cf.. Le monde hellénistique, Paris, 1978, vol. I, p. 281 Google Scholar; Will, E., Histoire politique du monde hellénistique, Nancy, 1966, vol. I, p. 158 Google Scholar; Bogaert, R., Banques et banquiers dans les cités grecques, Leyde, 1968, p. 397 Google Scholar); ce qui a été confirmé par M. Thompson, O. Morkhoim et C. M. Kraay, An inventary of Greek coin hoards, American Numismatic Society, 1973, p. 226; l'empire lagide n'était pas compris dans cette zone d'isolement monétaire ( Bagnall, R. S., The administration ofthe Ptolemaic possessions outside Egypt, Leyde, 1976, p. 176 Google Scholar); la décision avait pour but de procurer des ressources aux Lagides, qui prélevaient leur seigneuriage sur les refrappes, et non d'affirmer l'autorité du roi sur le « territoire ». Dans un décret d'olbia (Dittenberger, Sylloge, n° 218), la cité décide que tout achat et toute vente sur son sol devront se faire en monnaie d'olbia : les espèces étrangères devront être changées. On sait que, de même, dans le premier empire athénien (mais non ensuite), la monnaie d'athènes avait cours légal et exclusif dans toutes les cités de l'empire. Les exceptions au principe que toute monnaie circule partout ont donc existé et elles ont pu être nombreuses, comme le prouvent certains trésors (Préaux, Monde hellénistique, I, p. 281); mais elles demeurent des exceptions, faites en vertu d'une décision expresse; alors que, chez nous, ce serait la circulation d'espèces étrangères qui serait une exception. — Pour la circulation monétaire, voir par exemple le cas de Délos (Bagnai.I., p. 205) ou celui d'olynthe dont les trouvailles de monnaies ont été publiées par D. M. Robinson; à Olbia, précisément, on a trouvé des pièces de Tyras, Istros, Tomi, Callatis, Odessos, Chersonesos, Panticapée, Théodosia, Comana, Cyzique, Phasélis, Théra, Rhodes, Athènes, Égine (Bogaert, Banques et banquiers, p. 314). Dans l'ancienne France, il arrivait de même que le roi décidât expressément l'interdiction de laisser circuler les espèces étrangères dans le royaume (A. Landry, Mutations dans l'ancienne France, p. 99) : mieux vaut projeter sur l'antiquité l'analogie médiévale que projeter inconsciemment sur elle l'analogie de l'exclusivisme monétaire des États modernes, car, en cette occurrence, cette analogie est trompeuse. Les cités n'interdisent pas les monnaies étrangères au nom de leur souveraineté territoriale, mais pour gagner au change.

33. Sur les monnaies romaines trouvées en Inde, nous suivons, en l'infléchissant un peu, l'analyse de M. Wheeler, Influences romaines au-delà des frontières, pp. 174-180 et 187. Nous avons lu aussi Warmington, cité à la note précédente, pp. 280 ss et appendice p. 374 H; InnéS Miller, cité à la note 3, pp. 216-222 et 236-240; Rodewald, Cosmo, Money in the âge of Tiberius, Manchester, 1976, pp. 4750 Google Scholar, qui montre que la composition de ces trésors pose des problèmes très difficiles (absence de monnaies d'argent républicaines, qui circulaient encore abondamment sous les Julio-Claudiens); visiblement, des particularités que nous ignorons ont infléchi l'anormale composition de ces trésors lointains; ajoutons que la concentration de ces trésors dans la seule époque julio-claudienne (alors que les trouvailles de pièces isolées comportent des exemplaires du second siècle) pourrait faire supposer qu'ils ont été enterrés pendant une période de troubles politiques locaux. Sur ces trouvailles en Inde, je n'ai pu consulter un article de Naster paru dans la Revue belge de numismatique, XCIII, 1947, p. 128.

34. Sur ce trésor, Warmington, p. 280. Sur la courbe en cloche et la statistique des trésors, voir Gebhart, Kraft, Kuthmann, Franke et Christ, dans le Jarhrbuch fur Numismatik und Geldgeschichte, VII, 1956, pp. 39 ss. Mais j'avoue que le trésor publié par M. Seshadri dans Archaeology, XIX, 1966, p. 245 (229 deniers du Tibère du même type sur 256 pièces) pose un problème très particulier.

35. Il y a aussi quelques rares deniers de la fin de la République. En revanche, aucune monnaie lagide ( Fraser, P. M., Ptolemaic Alexandria, vol. 2, p. 317, n. 416 Google Scholar).

36. Pausanias dit littéralement : « en échanges de marchandises grecques »; pour lui, « grec » veut dire « civilisé » et équivaut pratiquement à « appartenant à l'empire romain ». Comparez l'étonnant langage de Philon d'alexandrie, Legatio ad Gaium, XXI, 147 : « Auguste a hellénisé les Barbares d'occident ». Pausanias ou Philon sont comme des mandarins chinois qui, sous la domination mandchoue, considéraient que l'épée des empereurs mandchous est au service de l'empire chinois et que ces empereurs « sinisent » les Barbares des marches de l'ouest.

37. Le Périple dit aussi que les espèces romaines s'échangent avec profit contre les espèces frappées en Inde du nord; donc le denier, monnaie « internationale » très recherchée, avait un cours au-dessus du pair et s'achetait plus cher que son poids de métal.

38. Sur la théorie classique et sur son opposition au mercantilisme et au bullionisme, voir l'history of économie analysis de J. Schumpeter, l'histoire sommaire de la pensée économique d'emile James, 3e éd., Montchrestien, 1965, p. 43, le début de The theory of international trade de G. Von Haberler, Londres, 1936 et 1965, ou l'histoire des doctrines relatives au crédit et à la monnaie de Christ, p. 146.

39. Pour le mécanisme du retour à l'équilibre, voir Rueff, J., Théorie des phénomènes monétaires, vol. I, Payot, 1927, pp. 172 ssGoogle Scholar, et, pour la monnaie métallique, pp. 177-179 et 326-327. Rappelons que l'analyse encore aujourd'hui la plus vigoureuse des paiements internationaux en métal est celle de Cantiu£n dans son Commerce en général, dont la clarté est insurpassable et qui constitue en outre un témoignage passionnant sur l'économie au xvme siècle. Exemple historique de retour à l'équilibre chez P. Vilar, Or et monnaie, p. 213.

40. Mickwitz, G., « Le problème de l'or dans le monde antique », dans Annales E.S.C., VI, 1934, pp. 235247 Google Scholar; même idée chez A. Landry, Mutations dans l'ancienne France, p. 137.

41. Sur la crise de 33, voir le livre de C. Rodewald, cité n. 33.

42. La question des commencements de la monnaie (elle a commencé par servir au pouvoir à payer ses mercenaires, par exemple) est une chose, celle de son fondement en est une autre (pourquoi des mercenaires acceptent-ils d'être payés en pièces de métal précieux ? Parce qu'ils pourront les échanger contre les biens les plus divers ? Parce qu'un métal précieux conservera toujours sa valeur et permet ainsi de mettre des richesses en réserve ?); le livre intéressant de Paul Einzig, Primitive money, n'a pas très bien fait la distinction. Pour Jevons, la monnaie est avant tout réserve de valeur : les commerçants l'acceptent parce que jamais le métal ne perdra sa valeur et il constitue un placement aussi sûr, à travers le temps et l'espace, qu'une toile de Cézanne; pour Menger (article « Geld » du Handwôrterbuch der Staatswissenschaften, et Grundsàtze der Volkswirtschaftslehre, chap. ix), la monnaie vaut par sa « vendabilité » : puisqu'elle permet de se procurer n'importe quel autre bien, on l'acceptera toujours. Voir maintenant l'article remarquable de A. K. Kelly dans Diogène, n° 92, 1975, p. 3. Un problème peut-être important est celui-ci : pourquoi l'or est-il précieux ? Est-ce parce que les gens raffolent d'orfèvrerie et de bijoux, de même qu'ils apprécient très haut les Cézanne ? Ou bien ont-ils « convenu » traditionnellement que l'or serait précieux comme réserve de valeur ? Si l'or est un placement conventionnel, son prix ne sera pas déterminé sur le marché par la demande des amateurs d'orfèvrerie, mais bien par la demande de tous ceux qui préfèrent mettre de la valeur de côté, plutôt que de tout dépenser tout de suite, et qui s'appellent légion; le prix de l'or comme matériau d'orfèvrerie ne ferait que suivre le prix de l'or comme réserve convenue de valeur. Mais, si la monnaie-or est ainsi réserve convenue de valeur, il s'ensuivra que l'or a sa valeur tout de suite, qu'il « naît en tant que monnaie », si j'ose dire, et qu'il ne prend pas sa valeur à la fin des équations d'équilibre du marché, comme équivalent de la masse des biens échangés; c'est-à-dire que la valeur de l'or n'est pas celle d'un instrument d'échange, ni celle d'un bien parmi d'autre (à savoir un métal pour orfèvre). Peut-être que la position marxienne du problème de la monnaie (à condition de la séparer de l'idée de valeur-travail de l'or, du coût de production de l'or, idée qui porte la marque de son temps) est la bonne : si la monnaie, l'or, ne sont pas d'emblée de la monnaie, ils ne le deviendront jamais. De fait, les équations néo-classiques de l'échange sont en réalité des équations de troc (voir les notes 40 et 49).

43. En réalité, il y a deux théories de la monnaie chez Ricardo : le théoricien pur parlait voile monétaire, mais le banquier donnait des conseils fort différents à la Banque d'angleterre; voir Hicks, J. R., Critical essays in monetary theory, Oxford, 1967, pp. 155173 Google Scholar.

44. Vaste problème que celui de l'écart entre la valeur de l'or comme métal et la valeur de l'or en espèces. Une monnaie peut-elle valoir plus ou moins que son métal intrinsèque ? Arrive-t-il qu'on achète de l'or avec des pièces d'or, et pourquoi ? Laissons de côté le cas trop particulier de la théorie de Bolin. Dans l'Édit du Maximum (références, pour ces nouveaux fragments, chez J. Lafaurie dans Revue numismatique, XVII, 1975, p. 109), Julien Guey remarque « l'identité du prix maximum de la livre d'or non monnayé » (Comité international des sciences historiques, xie Congrès, Rapports, 2, Antiquité, p. 67). Le prix des métaux précieux subissait des fluctuations (Digeste, XXXIV, 2, 9). Dans l'ancienne France, il y a toujours eu des prix marchands du métal supérieurs au prix de la monnaie en même métal, et sans cesse les ordonnances des rois interdisent aux orfèvres de payer les métaux plus cher que l'hôtel royal des monnaies. Toutefois l'intervalle des deux prix reste limité, et pour cause : si le métal est moins cher que la monnaie, on fondra des espèces au lieu d'acheter de l'or aux orfèvres et, s'il est beaucoup plus cher, les particuliers ne voudront plus vendre de métaux précieux au roi pour ses frappes : ils préféreront le vendre aux orfèvres, qui leur donnent davantage. Le roi ne peut donc fixer la valeur des espèces trop au-dessus ou trop au-dessous du prix du métal précieux (Landry, Mutations dans l'ancienne France, pp. 22-30). Cela est vrai, mais avec une limite et sous une condition. La limite est que les genspeuvent avoir besoin de monnaie plutôt que d'orfèvrerie; par exemple, pour aller faire leurs achats au marché… Or les orfèvres n'ont pas le droit de frapper monnaie. Les gens seront donc disposés à payer des pièces d'or en donnant en échange un poids supérieur d'or en lingots (Sombart a insisté sur cette recherche de la monnaie : Der moderne Kapitalismus, tome I, vol. 2, pp. 566-571). Inversement, la monnaie ayant son utilité, les gens préféreront ne pas la fondre et payer plus cher le métal précieux : comme dit Sombart, on donnera des monnaies d'or contre de l'or. Cela est évidemment vrai de l'antiquité. Par ailleurs, dans l'ancienne France, le roi 1°) achetait aux particuliers les métaux nécessaires à la fabrication de ses monnaies (voilà pourquoi il interdisait aux orfèvres de lui faire concurrence en achetant l'or plus cher que lui, et 2°) il ne transformait pas en or tout le métal que les particuliers lui apportaient (principe moderne de la frappe illimitée), mais il ne faisait fabriquer que le nombre de monnaies qui lui convenait (donc les gens, ayant besoin de monnaies pour faire leurs achats, n'avaient pas la ressource d'aller faire transformer leur or en espèces par l'État, c'est-à-dire d'acheter des espèces d'or à leur juste prix de métal : ils en étaient réduits à vendre leur orfèvrerie à un orfèvre, qui leur donnait en échange un moindre poids d'or monnayé). Conclusion : pour que le métal et la monnaie aient le même prix, il faut que l'etat achète le métal comme font les simples particuliers : or nous avons vu que l'État romain, lui, réquisitionnait les métaux précieux en les payant le prix qu'il voulait; de plus, l'État romain avait des mines d'or et d'argent. Il faut aussi que l'État transforme en même poids de monnaie tout le métal que les particuliers lui apportent; or il est très peu croyable que l'État romain ait pratiqué la frappe illimitée (ce que G. Knapp, dans sa Staatliche Théorie des Geldes, pp. 69-77, appelle l'hylolepsisme); sur l'absence de frappe illimitée au Haut-Empire, les preuves sont chez M. Crawford, Annales E.S.C., 1971, p. 1 232. Pour essayer de résumer tout cela : les gens, selon les circonstances, veulent de la monnaie et veulent de l'orfèvrerie, et ils ne sont pas maîtres de transformer l'une en l'autre; donc tantôt ils se résigneront à payer l'orfèvrerie plus cher que son poids de monnaie (abstraction faite du travail de l'orfèvre, évidemment), tantôt ils se résigneront, ayant besoin de numéraire, à revendre leur or en obtenant en échange un moindre poids de pièces d'or. L'édit du Maximum essaie d'empêcher la première pratique. Il ne peut en être autrement que si le roi transforme obligeamment en espèces, à la demande, tout le métal que les particuliers désirent échanger contre la monnaie (hylolepsisme) et s'il achète les métaux aussi cher que l'achètent les orfèvres (au lieu de le réquisitionner ou de tirer l'or de ses mines).

45. Suzanne De Brunhoff, La monnaie chez Marx, Éditions Sociales, 1967, montre de manière très intéressante que, pour Ricardo, la valeur de la monnaie est une variable dépendante : elle dépend du rapport de la masse de métal à la masse des biens; pour Marx, au contraire, moins ricardien qu'on ne croirait, la monnaie a une valeur propre, celle de son coût de production, et la quantité d'or en circulation dépend du volume des biens échangés, et non l'inverse : Marx n'écrirait pas, comme Mickwitz, qu'un seul sou d'or pourrait suffire au trafic mondial. Chez Marx, la monnaie naît comme monnaie et a dès sa naissance, une valeur; de plus elle a sa spécificité : « L'importance de la monnaie ne tient nullement à l'effet des variations de sa quantité sur les prix » (ce qui est un autre aspect de la théorie quantitative, et l'aspect dont on parle le plus en période d'inflation : en revanche, c'est pendant les déflations qu'on parle de l'aspect que nous étudions ici, à savoir le shortage of money):, « l'importance de la monnaie tient à sa forme d'équivalent général » (S. De Brunhoff, p. 53).

46. Cf. Genèse, XLVII, 13-17. Les plaintes sur le « manque de numéraire » à travers les siècles sont en réalité des plaintes sur le manque de biens et relèvent de l'illusion monétariste; ou encore, ce sont des plaintes relatives au manque de crédit, d'argent à emprunter, ce qui revient au même. Les gens oublient que le numéraire s'accompagne toujours de biens qui lui correspondent; ils prennent le manque de signifiés pour un manque de signes; en outre, ils voient les échanges de biens contre des biens d'un point de vue individuel et ils parlent de la collectivité comme d'un individu qui manquerait d'argent. Exemple de ces non-sens, Louis-Sébastien Mercier, Tableau de Paris, I, 27. D'autres fois, les plaintes relatives à la rareté, au « resserrement » des espèces, sont des plaintes sur le manque d'argent à emprunter : la monnaie est assimilée à une marchandise, non à un simple signe, et on en parle comme d'un manque de blé ou de vin sur le marché; il faudrait donc que le roi frappe davantage de monnaie, comme il faudrait que les vignerons produisent davantage de vin. Somme toute, la notion de manque de monnaie n'a que quatre sens qui ne relèvent pas des conceptions spontanées de l'économie : 1 °) dans une société incomplètement monétarisée, l'usage de la monnaie, remplaçant le troc, faciliterait les échanges et les multiplierait, si du moins cela parvenait à induire un accroissement de la production, pour répondre à une demande potentielle accrue i 2°) dans le monde moderne, se plaindre que la couverture-or que la loi impose aux banques est trop élevée, si bien que les banques consentent trop peu de crédit; monnaie en ralentissant la vitesse de circulation de la masse monétaire; cette thésaurisation accompagne la disette et la cherté; en cas de mauvaises récoltes, les prêteurs potentiels gardent leurs capitaux pour acheter des vivres; sur la crainte de la thésaurisation, voir Keynes, Théorie générale, p. 358; somme toute, le principal thésauriseur de l'empire était l'empereur… Donc, loin d'expliquer la « crise » perpétuelle par les guerres, il faudrait considérer les guerres du me siècle comme des sources de prospérité, puisqu'elles ont obligé les princes à frapper de l'or et à puiser dans leur trésor, où ils thésaurisaient les métaux précieux comme trésor de guerre… 4°) certes, la création de monnaie n'est pas la seule cause de la prospérité (elle peut causer aussi une inflation); en revanche, le manque de monnaie peut être un goulet d'étranglement : si une société avait davantage d'or ou de monnaie scripturale, la production serait plus grande, puisque la monnaie rend les échanges et la demande plus aisés que ne le fait le troc; donc une société telle qu'elle est peut « manquer » de numéraire, si on la compare à ce qu'elle pourrait être. Seulement ladite société ne le sait généralement pas : elle n'imagine pas qu'elle puisse être autre, si bien que les plaintes sur le manque de monnaie n'ont jamais ce sens sensé et utopique : ce sont les plaintes sur des manques ressentis (” je ne peux finir mon mois; je ne trouve pas à emprunter »), et ressentis à contresens.

47. Landry, Mutations dans l'ancienne France, p. 37. Sur la frappe illimitée des États modernes, voir Helfferich, Das Geld, pp. 430-433. C'est seulement en cas de frappe illimitée que la valeur de l'or peut s'abaisser jusqu'à son coût de production.

48. Bien entendu, la création de monnaie neuve n'est qu'une des causes possibles du développement économique; autrement dit, elle ne jouera que si les autres causes le permettent : P. Vilar l'a fort bien dit dans Or et monnaie, et les économistes le disent aussi. Voir la page très nette de Fullarton, écrite en 1844, que cite Christ, Histoire des doctrines relatives au crédit et à la monnaie, p. 214. Renvoyons, sur le problème, aux pages fondamentales de K. Wickseu., Lectures on political economy, vol. II; la création de monnaie, selon le contexte historique, stimule la production, entraîne une inflation ou monétarise les zones d'activité qui en étaient restées au troc; et une injection de monnaie neuve (découverte de mines d'or) peut être remplacée par un accroissement de la vitesse (déthésaurisation), par du crédit, par de la monnaie scripturale, par un raccourcissement des circuits intermédiaires (si le nombre de transactions intermédiaires diminue par rapport au PNB, moins de monnaie sera nécessaire); deux exemples : les foires et marchés suppléent au manque de numéraire, puisque les marchands feront des compensations et ne paieront en espèces que le solde de leurs échanges (Wicksell, vol. II, p. 64; ce sont les foires et marchés qui ont permis à l'antiquité de ne pas trop manquer de numéraire); ou encore, si le prince paie désormais ses fonctionnaires au mois, moins de monnaie sera nécessaire que s'il continuait à les payer à l'année (Schumpeter, Theory of the économie developmént, p. 55, n. 1); Xadaeratio des impôts réduisait, elle aussi, la quantité de monnaie nécessaire. — Sur les critiques modernes à la théorie quantitative, voir Wicksell, vol. II, p. 61 (qui énumère les trois variables) et une page originale d'É. James, Histoire sommaire de la pensée économique, 3e éd., pp. 288-289. Sur les métaux précieux comme goulet d'étranglement en certaines circonstances, Schumpeter, Aufsàtze zur ôkon. Théorie, Tiibingen, 1952, pp. 158-183 : «Die goldene Bremse »; sur le fait que la création de monnaie aboutit souvent à faire passer aux échanges monétaires des zones qui en étaient restées au troc, voir une page sensationnelle de Cantillon, Commerce en général, 2e partie, chap. 3 (éd. de l'iNED, 1952, p. 70, cf. 98), qui, en plein xvmc siècle, évalue au sixième seulement la fraction des produits du sol qui donnaient lieu à des échanges monétaires. Cf. J. Marchât et J. Lecaillon, Les flux monétaires, histoire des théories monétaires, Cujas, 1967, p. 31. Somme toute, l'obsession du manque d'espèces à travers les siècles et le long succès de la théorie quantitative viennent d'une même raison : des différentes variables (recul du troc, modification de la vitesse, accroissement de la production, inflation, modification de la masse monétaire), seule la dernière est aisément accessible à l'intervention de l'État : le prince ne peut guère obliger ses sujets riches à déthésauriser leurs capitaux; en revanche, lui-même peut monnayer les métaux qu'il stocke dans son Trésor.

49. « The rôle of money in économie activity », aux termes de l'analyse néo-classique, « is analytically indistinguishable from that of any other commodity », écrit R. W. Clower, «Foundations of monetary theory», dans Western Economie Journal, VI, 1967, pp. 1-9, qui montre que cela mène à des conséquences absurdes. Peut-être la raison en est-elle que toute doctrine de l'équilibre est instantanéiste; or la monnaie est essentiellement un pont entre le passé et l'avenir, disait Charles Rist; pour la doctrine de l'équilibre, la monnaie n'a pas d'utilité qui lui soit propre ni de valeur marginale : sa seule utilité, qui est indirecte, n'existe qu'à l'instant où l'on s'en dessaisit.

50. Notons à ce sujet que l'antiquité a ignoré la théorie quantitative de la monnaie; elle n'a pas su distinguer la quantité de monnaie de la masse monétaire (autrement dit : elle n'a jamais éclairci le paradoxe qui veut qu'une seule pièce d'un sesterce peut servir à éteindre cent sesterces de dettes, si elle change cent fois de mains dans la période de temps considérée); de toutes les variables, elle n'en voit qu'une seule, palpable : le nombre d'espèces en circulation. Sur Digeste, XVIII, 1, 1, où Paul parle de la quantitas de la monnaie, ce qui a donné lieu à des interprétations abusives, voir Schumpeter, History of économie analysis, p. 70.

51. Sur là difficulté d'estimer la masse monétaire, j'ai réuni des références dans Pain et Cirque, p. 534, n. 467. Il en est une autre dont je n'ai pas retrouvé l'origine : Sombart, Kapitalismus, I, 2, pp. 517-518, attribue à W. Lexis l'opinion qu'il y avait au début de notre ère une cinquantaine de milliards de sesterces d'or et d'argent dans l'empire : je n'ai pas retrouvé le passage de Lexis. Dans l'encyclopédie de banque et de bourse de F. François-Marsal (Paris, Crété, 1930), vol. 3, p. 328, on lit : « On estime généralement que, vers le ne siècle de notre ère, le numéraire en circulation représentait une valeur approximative de 8 ou 9 milliards de francs » (c'est-à-dire le poids en or de 35 milliards de sesterces). Référence introuvable, de nouveau; on songe à Lexis, à Soetbeer : j'ai cherché en vain. La recherche en vaudrait la peine, car Lexis connaissait admirablement les problèmes de production des métaux précieux. — On distinguera soigneusement l'estimation de la masse monétaire et l'estimation du nombre de pièces frappées en une seule émission : voir par exemple Franke et Hirmer, La monnaie grecque, p. 29 et bibl. p. 146; pour l'ingénieuse méthode probabiliste d'i. D. Brown, voir l'exposé clair et chaleureux de G. Th. Guilbaud, « A propos de l'estimation du nombre des pièces », dans Bulletin de la société française de numismatique, XXIX, 1974, n° 7, pp. 625-635, et l'utilisation de la méthode par J.-B. Giard dans la Revue numismatique, XIII, 1971, p. 96. Pour l'estimation du nombre de deniers sous la République, voir Crawford, M., Roman republican coinage, Cambridge, 1974, vol. II, p. 696 Google Scholar.

52. M. Corbier dans Les dévaluations à Rome, Colloque de l'École de Rome, 1975, p. 299. Voir aussi Crawford, M. dans Annales E.S.C., XXVI, 1971, p. I 233 Google Scholar, sur la « prétendue inflation du ine siècle ».

53. M. I. Finley, L'économie antique, trad. Higgs, Éditions de Minuit, 1975, pp. 177-178. L'ouvrage de Finley a révolutionné l'étude de l'économie romaine.

54. Keynes, Théorie générale, p. 349.

55. Sur tout cela, Mme Corbier me renvoie au livre de Wallerstein, Immanuel, The modern world-system, New York, 1974, pp. 1516 Google Scholar.

56. L. Breglia, « Circôlazione monetale a Pompei », dans Pompeiana, raccolta di studi, Naples, 1950, p. 54 Google Scholar. Pour la loi de César, on se reportera à l'exposé très précis de Frederiksen, M. W., « Caesar, Cicero and the problem of debt », dans le Journal of Roman studies, LVI, 1966, p. 134.Google Scholar Citons le Digeste, XLVIII, 13, 5, 3 (4, 6) : « Pecunia sepeliri non potest, ut et mandatis principalibus cavetur ». Domitien interdit de déposer plus de mille sesterces dans les caisses des castra (Suétone, Dom., VII, 4; cf. Végèce, 2, 20).

57. Suétone, Auguste, 98, 2 (sur la formule d'hommage au prince, voir G. Rocca-Serra dans Mélanges Boyancé, p. 671). Il est très important que les navigateurs aient reçu des pièces d'or : dès l'époque d'auguste, l'or a la valeur symbolique qu'on croirait à tort propre au Bas-Empire; on honore quelqu'un en le payant ainsi; l'or est le métal des cadeaux monétaires. Souvent l'adaeratio, elle aussi, est une question de dignité sociale et nullement une question d'économie monétaire; on s'en convaincra en se rapportant à une autre anecdote augustéenne qui est éclairante, chez Macrobe, Saturnales, II, 4, 28. La monnaie appartient au prince : voir Alföldi, M. R., Die constantinische Goldpràgung, Mayence, 1963, pp. 89 Google Scholar.

58. Ciceron, In Vatinium, V, 12; Mommsen, Staatsrecht, vol. II, p. 573.

59. Ciceron, Pro Flacco, XXVIII, 60 : « Exportari aurum non oportere… cum saepe antea, tum senatus judicavit. » On voit que les juifs, pour honorer leur dieu, envoyaient comme prémices des statères d'or (cf. référence talmudique de S. Safrai et M. Stern, « The Jewish people in the first century », dans Compendia rerum Judaicarum ad Novem Testamentum, 1974, vol. I, p. 189, n. 7). Toutefois, à lire Phiion, Legatio ad Gaium, pp. 157, 216, 291, 311-316, on a l'impression que les synagogues étaient assimilées à des collegia, qu'elles suscitaient la même méfiance policière que ces collegia et que les prémices étaient assimilées aux cotisations des membres d'un collège. Or, argent ou bronze, la méfiance romaine aurait été la même (comparer, en effet, les lettres 92 et 93 de la correspondance de Pline et de Trajan, sur les eranoi des collèges de Bithynie). Voir aussi, sur tout cela, M. Crawford dans Annales ESC, XXVI, 1971, pp. 1 230 ss.

60. Sur le monnayage d'argent de l'orient grec, voir J.-P. Callu, La politique monétaire…, pp. 147 ss.

61. Code Justinien, IV, 63, 2.

62. M. Corbier, dans Les dévaluations à Rome, Colloque de l'École française de Rome, 1975, p. 299.

63. C. Préaux, L'économie royale des Lagides, p. 376.

64. Suétone, César, 43, commenté par De Laet, Portorium, pp. 60 et 115.

65. Sur tout cela, voir De Laet, pp. 115, 310, 335, 358 et notes 5, 366.

66. De Laet, p. 449.

67. M. Foucault, dans Annuaire du Collège de France, 1978, p. 447; G. Ville, sur la politologie de la cité antique, dans son travail posthume sur l'abolition des combats de gladiateurs, à paraître en 1979 dans Annales E.S.C.; nous avons résumé la méthode politique de Foucault, et montré l'application qu'en a fait Ville avant la lettre, dans « Foucault révolutionne l'histoire », paru en appendice à l'édition de poche de Comment on écrit l'histoire, Paris, Éditions du Seuil, 1979, ou dans la 3e éd. complète (1978).

68. Pline, Histoire naturelle, XXXIII, 3 ou XIX, 1, 3 ou XVIII, 15, 21 (latifundia perdidere Italiam), commenté par Crawford, Annales E.S.C, 1971, p. 1 233.

69. Trevor-Roper, H. R., De la Réforme aux Lumières, Paris, Gallimard, N.R.F., 1972, p. 118 Google Scholar.

70. Aristote, Politique, 1327 a 25; la traduction Tricot est fort différente de la nôtre; il më semble qu'aristote vise les Athéniens, si fiers que le Pirée soit l'agora de l'univers.

71. Sur le mercantilisme royal, Préaux, C., L'économie royale des Lagides, p. 274, et Le monde hellénistique, Paris, 1978, vol. I, p. 382 Google Scholar. Citons Polybe, pour qui il faut des métaux précieux, dès qu'on veut faire la guerre hors de chez soi : Sparte ne put se contenter du troc et de sa monnaie de fer, dès qu'elle voulut faire la guerre hors du Péloponnèse (VI, 49); « pour ce qui est d'accumuler chez soi l'or et l'argent, il y a une bonne raison de le faire, qui est qu'on ne saurait prétendre à l'empire universel, si l'on n'a pas réduit les autres à l'impuissance en se pourvoyant soi-même des moyens d'action nécessaires” (IX, 10). La politique de Rome semble avoir été de dépouiller systématiquement les vaincus de leur or : voir Castelin, K. dans la Revue numismatique, XVI, 1974, p. 160 Google Scholar.

72. Sur la tryphè, on trouvera des références chez C. Préaux, Le monde hellénistique, vol. I, pp. 210 et 228, et d'autres chez Veyne, Pain et Cirque, pp. 681 et 717.

73. Tacite, Annales, III, 54 : « Lorsque les maladies du corps sont opiniâtres et invétérées, un traitement sévère et rigoureux peut seul en arrêter les progrès » (à propos de lois contre le luxe); loin de canaliser la vie sociale, une loi a pour but de « corriger les vices de la cité » ( Macrobe, , Saturnales, III, 17 Google Scholar, 10). La méthode de Foucault exige de ses lecteurs ou auditeurs un effort de conceptualisation : au lieu de penser démocratie, oligarchie, etc., il faut se représenter nettement la différence qu'il y a, par exemple, entre un lycée ou collège, où la « discipline » n'existe pas naturellement (aussi faut-il la faire, pour empêcher les élèves de se conduire selon leur « naturel »), et, par exemple, les passagers d'un navire de croisière, qui sont présumés de conduire naturellement de façon généralement sensée et chercher leur propre « intérêt »; entre eux et les organisateurs de la croisière s'établit un contrat de droits et de devoirs mutuels. La cité grecque appartient au premier type, sauf qu'elle se fait la discipline à elle-même; à Rome, en revanche, le Sénat la fait au peuple : mais le « discours » et la pratique demeurent les mêmes : l'oligarchie disciplinaire a simplement remplacé la démocratie autodisciplinaire, qui, loin de définir les droits et devoirs qui la relient à ses membres, considère qu'il va de soi qu'on doive se conduire comme la collectivité l'entend : d'où le procès de Socrate.

74. Dans une collectivité étroite, on ne définit pas plus les droits et les devoirs que dans une famille trop unie, et c'est un crime que de ne pas vivre de la même manière que les autres : ce crime de trahison morale n'a pas à être compris par opposition à des « libertés » que cette étrange « démocratie » disciplinaire ne songeait pas un instant à définir. L'atmosphère morale d'athènes est celle d'un village ou d'une caserne : c'est un crime que de ne pas faire comme tout le monde, de rompre et renier la solidarité. Le procès de Socrate n'est pas un procès politiquement tendancieux : c'est un procès pour non-conformisme, dans une collectivité autodisciplinaire qui supporte très mal qu'on se mette à part. Si l'on veut comprendre cette atmosphère villageoise, puritaine, solidariste, tyranniquement conformiste des cités antiques, le plus simple est de relater une anecdote qu'onrompre et renier la solidarité. Le procès de Socrate n'est pas un procès politiquement tendancieux : c'est un procès pour non-conformisme, dans une collectivité autodisciplinaire qui supporte très mal qu'on se mette à part. Si l'on veut comprendre cette atmosphère villageoise, puritaine, solidariste, tyranniquement conformiste des cités antiques, le plus simple est de relater une anecdote qu'on litchez Athénée : Démétrios, petit-fils de Démétrios de Phalère, vivait avec une extrême prodigalité et avait pour maîtresse une courtisane célèbre; l'aréopage « le convoqua et lui ordonna de mener une vie plus rangée »; ce fut cet homme peu « démocrate » qu'antigone Gonatas nomma thesmothète (ce qui montre qu'athènes était bien sous protectorat macédonien); la tâche des Aréopagites était, en effet, de punir ceux qui vivaient mal (Athénée, IV, 167 e-168 a); de même, les Abdéritains traînèrent Démocrite en justice, parce qu'il dépensait tout son patrimoine ( 168 b); à Athènes, un autre prodigue était injurié dans la rue par les citoyens, qui lui faisaient honte, et lui aussi était en bons termes avec la garnison macédonienne qui occupait le Pirée (168, e-f).

75. Sur cette interprétation de Machiavel, je remercie M. Foucault d'une conversation personnelle.

76. Le rapprochement entre les lois somptuaires d'auguste et ses lois sur le mariage est fait par Suétone, Auguste, 34.

77. Puisque j'ai Athénée sous la main, tel est le sens de demokratia en V, 212 a. Pour ce sens de « démocratie » et liber populus, références dans Mélanges d'archéologie et d'histoire de l'École de Rome, 1975, p. 815, n. 4; autres références dans l'article « Demokratie » du Historisches Lexicon zur politisch-sozialen Sprache (Geschichtliche Grundbegriffe), tome I, de Brunner, Conze et Koseiiek (Stuttgart, 1974), p. 834; cet article, dû à Christian Meier, est un travail fondamental sur la notion antique de démocratie. Ce ne sont pas les différents citoyens qui sont libres, mais la cité elle-même : la collectivité comme telle n'a ni roi, ni tyran; quand Solon renversa les bornes hypothécaires, il libéra la terre athénienne elle-même. L'esprit de bande, la tyrannie de l'opinion, sont beaucoup plus importants, pour définir les cités antiques, que les mots de démocratie ou d'oligarchie : ils modifient le sens de ces mots et les rapports de classe. Par exemple, on sait l'intensité de la lutte des citoyens riches et des citoyens pauvres dans les cités hellénistiques (je n'ai pas dit : la lutte des riches et des pauvres); cette lutte s'explique I °) par le fait que la cité est sentie comme collectivité dans une traversée périlleuse : chacun compromet, s'il faiblit, la sécurité de tout et tous, comme dans une cordée, doivent s'entraider; il n'y a point de droits et de devoirs définis entre les citoyens : chacun apporte avec bonne volonté ce qu'exige le salut commun; cela explique le système des liturgies. Dans de pareilles conditions de collectivité en face à face et en situation concrète, l'opposition des riches et des pauvres est aussi injustifiable qu'une inégalité de nourriture dans une cordée d'alpinistes; 2°) mais cette revendication de solidarité immédiate, concrète, ne vaut que pour les citoyens comme tels, et non pour les pauvres et les métèques, car une Cité n'est pas une population naturelle; c'est un groupe constitué, qui réunit des membres qui se sont choisis, et non pas l'organisation de toute la faune humaine qui peuple une contrée déterminée (Veyne, Pain et Cirque, pp. 205-207). Certes, la lutte des classes est la lutte des classes, mais pourquoi la lutte, et de quelle espèce de classe s'agit-il ? La misère ne suffit pas à pousser à la lutte, on le sait assez; ce qui explique la lutte ouvrière au xixe siècle est la Révolution, les droits de l'homme; ce qui explique la lutte des citoyens pauvres dans chaque cité hellénistique est, tout au contraire, le fait qu'une cité est collectivité immédiate de solidarité concrète, et non pas démocratie à droits et devoirs. On concevra sans peine que, dans une cordée et dans une société par actions, les conflits ne seront pas les mêmes — et il est plus important, historiquement, de penser la cité grecque à travers une opposition de ce genre, que je conceptualise tant bien que mal, qu'à travers des catégories a-historiques telles que démocratie ou lutte des classes.

78. Je viens d'en trouver un exemple dans le livre classique de G. B. Sansom, Le Japon : histoire de la civilisation japonaise, trad. Leroi-Gourhan, Paris, Payot, 1937, p. 515 (interdiction faite aux citoyens d'edo de… porter des kimonos de soie), pp. 547, 550, 555, 588.

79. Isocrate, Aréopagitique, 47-49 : Les Athéniens du bon vieux temps contenaient les citoyens, non seulement par des châtiments, mais par la surveillance. Ajoutons que les « honneurs publics », dont l'importance devint si grande, étaient en fait des « récompenses » : la cité antique est une école où régnent récompenses et punitions.

80. Pour Aristote, la liberté exagérée est de n'en faire qu'à sa tête malgré les bonnes moeurs (Politique, 1 280 b 5); or ces « habitudes de la vie privée » entraînent 1’ « amour des innovations » (1308 b 20). Aristote se plaint de la licence exagérée (1317 b 10, 1310 a 30, 1319 b 30), mais en quoi ladite exagération consiste-t-elle ? Non pas en cela que l'on outrepasse la loi, mais en cela que la loi n'est pas un carcan : la licence ne consiste pas à tricher avec la règle du jeu, mais à ne pas être tenu au garde-à-vous, et cette licence va de pair avec les innovations.

81. Elisabeth Ravel et Jean Mathiot ont bien voulu relire cet article et me faire part de leurs critiques et de leurs conseils, lesquels sont incorporés au texte. Le reste n'est pas de leur faute.