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L'Année 1789

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

François Furet
Affiliation:
EHESS-Institut Raymond Aron
Ran Halévi
Affiliation:
CNRS-Centre de Recherches historiques, Institut Raymond Aron

Extract

L'historien qui découpe la Révolution française en séquences et en régimes non seulement distincts, mais contradictoires, s'expose à être réfuté moins par des arguments proprement historiques que par l'espèce d'évidence qu'a possédée l'événement dans la conscience nationale : l'affrontement qui a si longtemps mis aux prises partisans et adversaires de la Révolution a bien eu son centre, et dans les deux camps, dans une perception unitaire de ce qui s'est passé en France entre 1789 et Bonaparte. L'idée du « bloc » fait d'abord partie de la pensée contre-révolutionnaire avant d'être l'objet d'une réappropriation républicaine, après Thermidor. Pourtant, elle est très tôt décomposée, dès Thermidor aussi, par une autre évidence : celle de la pluralité de l'héritage révolutionnaire. Dès 1796, Constant cherche à terminer la Révolution sur les acquis de 1789, Babeuf veut la reprendre sur l'exemple de 1793.

Summary

Summary

The French revolution may still present itself to the historian as a whole in many respects, despite its extreme diversity of events, as it contained within it, from the very moment of its onset, Something that constituted it as a unheralded mode of action and history: a temporal watershed produced by man's will. At the end of the spring and Summer of 1789, the French thoroughly refounded the social contract upon principles of rational will. To focus in on the radicalism of its founders, this article analyses the early elaboration of what, since 1789, has constituted democracy's political universe. In the Space of a few months, the radical elements in the revolutionary camp thus broke the chains of time, excluded the Monarch from the revolution, and defined the Ancien Régime as being against them. Now while the former monarchy's successor—the people—was radically different from it, it was nonetheless identical to it in the extent of its sovereignty: here we see one of the deepest links between the men of 1789 and their national past. The political voluntarism of 1789 excluded any possible Slippage between the law and its foundation, which is why it instituted no other means of preventing such slippage from occurring but the right to resist oppression, this latter threw back into question the whole of the Social contract, though the legitimate conditions of its exercice were never stipulated. The revolutionary maximalism of 1789 thus created a Space of infinite one-upmanship: the possibility to appeal to the people concerning a betrayal of principes. Of the two deepest questions the French Revolution bequeaths to history, that of the causes of 1789 and that of the drift from 1789 to 1793, the latter is thus perhaps less enigmatic than the former.

Type
La Révolution Française
Copyright
Copyright © Les Éditions de l'EHESS 1989

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References

Notes

Ce texte est tiré de l'introduction au tome I de l'édition des Orateurs de la Révolution française (Les Constituants), à paraître aux Éditions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, en mai 1989. Nous remercions les Éditions Gallimard d'avoir permis cette pré-publication.

1. Sur le concept d'Ancien Régime, voir la récente étude de Diego Venturino, « La formation de l'idée d'“Ancien Régime” », dans Colin Lucas (sous la direction de), The French Revolution and the Creation of Modern Political Culture, t. II : The Political Culture ofthe French Revolution, Oxford, Pergamon Press, 1988, pp. 11-40 ; et l'analyse de François Furet, « Ancien Régime », dans François Furet et Mona Ozouf (sous la direction de), Dictionnaire critique de la Révolution française, Paris, Flammarion, 1988, pp. 621-631.

2. Cf. Orateurs de la Révolution française, t. I : Les Constituants, op. cit., p. 1 002.

3. Ibid.

4. Notamment son Essai sur les privilèges qui paraît en novembre 1788, ses Vues sur les moyens d'exécution dont les représentants de la France pourront disposer en 1789, où l'abbé fait la théorie du gouvernement représentatif, en étendant au domaine politique l'idée de la division du travail chère à un de ses auteurs favoris, Adam Smith ; enfin et surtout, Qu'est-ce que le tiers état ? qui ramasse l'ensemble de l'argumentation à la veille des élections aux États généraux.

5. Archives parlementaires, t. VIII, p. 113.

6. Les Constituants, 15 juin 1789, pp. 624-635.

7. Sur les collaborateurs genevois de Mirabeau et leur contribution à la composition de ses discours, voir J. Bénétruy, L'Atelier de Mirabeau, quatre Genevois dans la tourmente révolutionnaire, Genève, A. Jullien, 1962 ; et surtout le témoignage d'Etienne Dumont lui-même dans ses Souvenirs sur Mirabeau et sur les deux premières assemblées législatives, introduction et notes par J. Bénétruy, Paris, Presses Universitaires de France, 1951.

8. A la veille du 17 juin, selon le témoignage de Mounier, confirmé par Bailly, circulait dans Paris une liste de quatre-vingt-dix « opposants » dénoncés comme des traîtres, ce qui n'était probablement pas sans effet sur le vote des communes. Voir Mounier, « Exposé de ma conduite […] », dans Les Constituants, pp. 911-912, et Mémoires de Bailly, Paris, Baudouin Frères, 1821, 3 vols, t. I, pp. 179-180.

9. E. Dumont, ouvr. cit., pp. 70-71.

10. Au lieu de « représentants connus et vérifiés de la nation française », Le Chapelier propose « représentants de la nation française légalement vérifiés », Archives parlementaires, t. VIII, p. 118.

11. « Si, par le mot peuple, vous entendez ce que les Romains appelaient plebs, vous admettez dès lors la distinction des ordres ; si ce mot répond à celui de populus, vous étendez trop loin le droit et l'intention des communes », Archives parlementaires, t. VIII, p. 118.

12. Ibid.

13. Dans ce discours, Malouet a résumé d'un mot le dilemme que vivent alors bon nombre de patriotes modérés : « Nous ne pouvons renoncer au principe de l'indivisibilité des États généraux ; mais nous ne pouvons ni ne devons déclarer que nous les représentons seuls », Les Constituants, p. 447.

14. E. Dumont, ouvr. cit., p. 71. D'après celui-ci, la motion de Mirabeau n'avait d'abord été « ni bien comprise, ni vivement repoussée ; mais quand on vit que Malouet, qui passait pour un ministériel, se rangeait à cet avis, et qu'il entraînait les modérés, le parti populaire alarmé commença une attaque vive contre Mirabeau », ibid.

15. Les Constituants, p. 643.

16. Archives parlementaires, t. VIII, p. 126.

17. Ibid.

18. Courrier de Provence. Lettres de M. le comte de Mirabeau à ses commettons, t. I, s. 1., 1789, pp. 231-232 (onzième lettre).

19. Archives parlementaires, t. VIII, p. 127.

20. Ibid.

21. Le Moniteur, t. I, p. 83.

22. E. Dumont, ouvr. cit., p. 73.

23. Mémoires de Malouet, Paris, Didier, 1868, 2 vols, t. I, p. 318.

24. Ibid.

25. A. de Lameth, Histoire de l'Assemblée constituante, Paris, Moutardier, 1828, 2 vols, t.1, p. 342. Nous reprenons ici les conclusions de l'article de Ran Halévi, « La Révolution constituante : les ambiguïtés politiques », dans Colin Lucas, ouvr. cit., pp. 69-85.

26. Aulard, F.-A., L'éloquence parlementaire pendant la Révolution française. Les orateurs de l'Assemblée constituante, Paris, Hachette, 1882, p. 61.Google Scholar

27. Notamment le comte d'Artois, le prince de Condé, les Polignac, les Rohan, les Conti, le duc de Bourbon.

28. Voir les Archives parlementaires, t. VIII, pp. 343-350.

29. Voir Histoire de la Révolution française, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1952, 2 vols, t. I, livre II, chap. iv.

30. C'est en effet un thème constant de l'historiographie de la Révolution française, au xxe siècle, puisqu'on le trouve à la fois chez Aulard, chez Mathiez et chez Georges Lefebvre, sans parler des minores.

31. Par exemple Bûchez et Roux, dans la monumentale Histoire parlementaire de la Révolution française, 1834-1839.

32. Voir Les Constituants, pp. 659-661.

33. « Si la dîme ecclésiastique est supprimée sans indemnité, ainsi qu'on vous le propose, que s'en suit-il ? Que la dîme restera entre les mains de celui qui la devait, au lieu d'aller à celui à qui elle est due. Prenez garde, Messieurs, que l'avarice ne se masque sous l'apparence du zèle […]. La dîme n'appartient à aucun des propriétaires qui la payent aujourd'hui ; je le répète, aucun n'a acheté, n'a acquis en propriété cette partie du revenu de son bien. Donc aucun propriétaire ne doit s'en emparer […]. On veut tirer la dîme des mains ecclésiastiques ; pourquoi ? est-ce pour le service public ? est-ce pour quelque établissement utile ? Non ; c'est que le propriétaire voudrait bien cesser de la payer : elle ne lui appartient pas ; n'importe, c'est un débiteur qui se plaint d'avoir à payer son créancier, et ce débiteur croit avoir le droit de se faire juge dans sa propre cause », Archives parlementaires, t. VIII, p. 388.

34. C'est par exemple le cas de certains députés bretons, interrompus par Le Chapelier, qui préside alors la séance : le fondateur du club breton expose alors lui-même « les motifs de prudence qui avaient engagé quelques sénéchaussées […], à lier en partie les mains de leurs mandataires, jusqu'à ce que le jour du bonheur et de la sécurité, succédant pour toute la France à des jours d'attente et d'espoir, les autorisât à confondre les droits antiques et révérés de la Bretagne, dans les droits plus solides encore et plus sacrés que les lumières de l'Assemblée assuraient en ce moment à l'empire français », ibid., p. 347. Les députés de la droite ne manqueront pas de rappeler à Le Chapelier, au moment du débat sur la chambre des vacations du parlement de Rennes (8-11 janvier 1790), ce renoncement unilatéral aux vœux impératifs des communautés bretonnes, et en leur nom, de conserver soigneusement les droits et les franchises de la province.

35. Voir à ce sujet, Ran Halévi, « Monarchiens », dans François Furet et Mona Ozouf, ouvr. cit., pp. 394-403 ; et l'ouvrage toujours précieux de Jean Egret, La Révolution des notables, Mounier et les monarchiens, 1789, Paris, Armand Colin, 1951.

36. Le plus brillant plaidoyer en faveur du bicamérisme a été présenté devant l'Assemblée nationale le 31 août 1789 par Lally-Tollendal, voir Les Constituants, pp. 364-388.

37. La concession finale au roi d'un veto provisoire sur les décrets de l'Assemblée ne signifie pas pour les Constituants un partage quelconque de souveraineté. Ce veto royal, possible pendant deux législatures, n'est consenti que comme un moyen indirect de régler un éventuel désaccord entre le peuple et ses délégués, par l'arbitrage final du premier.

38. Les Constituants, p. 353.

39. Une trop grande disparité, observe Malouet le 1er août, entre droits naturels et droits positifs est un artifice d'autant plus hasardeux que les premiers se trouvent toujours remaniés par les seconds : c'est justement par la dialectique du principe et de la loi que l'homme naturel devient citoyen. « Pourquoi donc commencer par le transporter sur une haute montagne et lui montrer son empire sans limites, lorsqu'il doit en descendre pour trouver des bornes à chaque pas ? », Les Constituants, p. 455.

40. Voir, par exemple, Déclarations des droits de l'homme et du citoyen, par M. Mounier, Versailles, Baudouin, s. d., [1789], 4 p. « Le Gouvernement doit protéger les droits et prescrire les devoirs […] » (art. iv). « C'est par des lois claires, précises et uniformes, que les droits doivent être protégés, les devoirs tracés, et les actions nuisibles punies » (art. v), p. 2.

41. Archives parlementaires, t. VIII, p. 320. Mathieu-Jean-Félicité de Montmorency-Laval, comte de Montmorency, député du bailliage de Montfort-l'Amaury.

42. Courrier de Provence, s. d., 1789, t. II, n° m, p. 74 ; cité par Marcel Gauchet, « Droits de l'homme », dans François Furet et Mona Ozouf, ouvr. cit., p. 687.

43. C'est à cette date en effet, qu'est ajournée sine die la discussion sur la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui sera adoptée en 1791 dans sa rédaction inachevée, telle qu'elle se trouve formulée le 26 août 1789.

44. Voir Marcel Gauchet, art. cit., pp. 685-695.

45. Voir, par exemple, les discours de Lally-Tollendal et de Malouet, dans Les Constituants, pp. 353-358, 452-456.

46. Article 6.

47. Voir Reflections on the Révolution in France, Harmondsworth, Penguin Books, 1968 ; Réflexions sur la Révolution de France, traduction de 1791, réimpression Paris-Genève, Slatkine, 1980 ; nouvelle traduction par Pierre Andler, sous le titre Réflexions sur la Révolution en France, préface de Philippe Raynaud, Paris, Hachette, coll. « Pluriel », à paraître.

48. Sur Burke et la Révolution française, voir notamment François Furet, « Burke, ou la fin d'une seule histoire en Europe », Le Débat, mars-avril 1986.

49. Voir à ce propos l'article d'Alain Renaut, « Rationalisme et historicisme juridique : la première réception de la Déclaration de 1789 en Allemagne », dans Droits, n° 8, octobre 1988.

50. Louis de Bonald, Observations sur l'ouvrage de Madame de Staël ayant pour titre : Considérations sur les principaux événements de la Révolution française, Paris, 1818.

51. Mignet, , La Révolution française, 2 vols, Paris, 1824 Google Scholar.

52. Aulard, F. A., Histoire politique de la Révolution française, Paris, 1901 Google Scholar.

53. Voir le discours de Sieyès du 7 septembre 1789, dans Les Constituants, pp. 1 019-1 035. Sieyès reconnaît hautement l'égalité des droits, mais il en déduit une conception inégalitaire de la représentation politique. Non que la souveraineté puisse à ses yeux être aliénable ; ce qui est aliénable, c'est seulement son exercice, c'est-à-dire le droit de la représenter : les citoyens, égaux en droits, concourent tous à la formation de la loi par le truchement de leurs mandataires ; c'est l'essence du gouvernement représentatif, le seul qui convienne au pays. Non seulement parce qu'en optant pour la démocratie la France signerait son éclatement, mais encore parce que la grande majorité des citoyens n'a ni assez d'instruction, ni assez de loisirs pour participer à l'élaboration de la volonté générale. Les lumières, les loisirs : voici établis en deux mots les critères qui ouvrent l'accès aux affaires politiques. Sieyès les justifie au nom de la théorie de la division du travail, où la spécialisation des fonctions est un facteur déterminant du progrès.

54. Voir Ran Halévi, art. cit., dans Colin Lucas, ouvr. cit.