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Histoire et politique, ou l'histoire science des effets

Published online by Cambridge University Press:  25 May 2018

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« Car l'histoire n'est pas seulement une science en marche, c'est aussi une science dans l'enfance. Comme toutes celles qui ont pour objet l'esprit humain, ce tard venu dans le champ de la connaissance rationnelle ».

Marc Bloch, Apologie pour l'Histoire ou le Métier d'Historien.

Partout on salue le retour de l'événement ; tenu pour négligeable, on l'avait abandonné aux vieilles doctrines, à l'agitation futile de l'actualité, réservé à la chronique. Et le voilà qui revient à la charge : des journaux, des partis politiques où son règne se confinait, il emplit à nouveau les revues, les cours, les livres.

Type
Débats et Combats
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1973

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References

1. Communication, n° 18, 1972 : « L'Événement ».

2. Communication, ibid., p. 72.

3. « La science sociale a presque horreur de l'événement, non sans raison : le temps court est la plus capricieuse et la plus trompeuse des durées » (Braudel, F., Écrits sur l'Histoire, Paris, Flammarion, 1969, p. 46).Google Scholar

4. « L'historien traditionnel est attentif au temps bref de l'histoire, celui des biographies et des événements. Ce temps-là n'est guère celui qui intéresse les historiens économistes et sociaux » (F. Braudel, ibid., p. 123).

5. « Tout concourt dès lors, à travers l'espace et le temps, à faire surgir une histoire au ralenti, révélation des valeurs permanentes. La géographie à la fin cesse d'être un but en soi pour devenir un moyen. Elle aide à retrouver les plus lentes des réalités structurales, à organiser une mise en perspective selon la ligne de fuite de la plus longue durée… » ( Braudel, F., La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II, t. I, p. 21 Google Scholar). « (…) Aussi suis-je toujours tenté devant un homme de le voir enfermé dans un destin qu'il fabrique à peine, dans un paysage qui dessine derrière lui et devant lui les perspectives infinies de la longue durée » (F. Braudel, ibid., Finale).

6. Bloch, Marc, Apologie pour l'Histoire, p. XV.Google Scholar

7. Cf. les travaux d'A. Kriegel, J. Baechler et A. Besançon.

8. Les historiens le soulignent assez, l'histoire de l'histoire est à faire et il est arbitraire sinon dangereux pour comprendre l'effort des Annales de référer à la seule histoire historisante. Aussi nous réservons-nous, dans des travaux ultérieurs, d'aborder le rapport de l'histoire moderne à l'histoire classique qui est esquivé ici faute de place, et d'analyser ainsi plus objectivement l'effort polémique des historiens pour construire la rationalité positive de l'histoire contre toutes les doctrines qui assimilent l'histoire au péché, à la chute et le voue à l'irrationalité.

9. « Les sociologues de leur côté, dans l'enthousiasme de leurs premières conquêtes, s'attaquaient avec allégresse à une discipline si mal défendue. Les tenants de l'école durkeimienne ne dissipaient pas l'histoire en fumée. Ils se l'annexaient en maîtres. Tout ce qui dans le domaine des sciences historiques leur semblait susceptible d'analyse rationnelle leur appartenait. Le résidu, c'était l'Histoire : une mise en page chronologique, tout au plus, d'événements de surface, le plus souvent fils du hasard. Disons un récit (…). En 1934, dans les Annales Sociologiques, Bouglé concédait que la sociologie « quelque progrès qu'elle puisse accomplir » n'arriverait peut-être pas, malgré tout, à rendre inutile le récit historique, à supplanter l'histoire. C'était bien de la bonté. Il ajoutait avec condescendance : « l'historien aura toujours à noter des collocations et des conjonctures, des rencontres de série que le sociologue sera impuissant à expliquer par une loi générale. » « Merci pour les collocations — répond Febvre ; mais tout cela est de notre faute, historiens » ( Febvre, Lucien, Combats pour l'Histoire, Paris, 1965, pp. 422-423Google Scholar).

10. « Quand brusquement ce fut la révolution (…) ce fut cette prodigieuse synthèse qui, remaniant les notions primordiales de temps, de longueur et de masse, embrassa la physique dans son entier et lia en gerbes de lois les facteurs que l'ancienne conception laissait séparés (…) [s'introduisait] la notion du discontinu dans la physique avec la théorie des quanta (…), la tentative d'explication du monde par la mécanique newtonienne ou rationnelle se terminait par un échec brutal. Il fallait, aux anciennes théories, substituer les théories nouvelles. Il fallait réviser toutes les notions scientifiques sur lesquelles on avait vécu jusqu'alors (…). Tel est le climat de la science d'aujourd'hui (…). Cette science, les postulats sur quoi elle reposait, sont tous ébranlés, critiqués, dépassés (…). Allons-nous continuer, nous historiens, à les reconnaître à nous tout seuls comme valables ?(…). Voilà toute la question. Y répondre, ce serait résoudre la crise de l'histoire » (L. Febvre, Combats pour l'Histoire, pp. 30-31). « Notre atmosphère mentale n'est plus la même. La théorie cinétique des gaz, la mécanique einsteinienne, la théorie des quanta ont profondément altéré l'idée qu'hier encore chacun se formait de la science (…). Nous ne nous imposons plus l'obligation de chercher à imposer à tous les objets du savoir un modèle intellectuel uniforme emprunté aux sciences de la nature physique » (M. Bloch, Apologie pour l'Histoire).

11. « Esquisse du concept d'Histoire », La Pensée, n° 121, juin 1965.

12. La longue durée géographique est celle qui passionne et fascine F. Braudel. La longue durée économique intéresse davantage E. Labrousse, P. Vilar.

13. Et il ajoute : « C'est par rapport à ces nappes d'histoire lente que la totalité de l'histoire peut se repenser comme à partir d'une infrastructure. Tous les étages, tous les milliers d'étages, tous les milliers d'éclatements du temps de l'histoire se comprennent à partir de cette profondeur, de cette semi-immobilité, tout gravite autour d'elle » (Écrits sur l'Histoire, p. 54).

14. « Ancienne limite européenne de Rome, le Rhin et le Danube où la poussée catholique trouvera au XVIe siècle sa ligne forte ; la rupture s'est faite précisément au long de cette cicatrice ancienne » (La Méditerranée, t. II, p. 107).

15. « C'est un risque qu'Engels lui-même a couru ; et en certains points, il a succombé : témoin ces textes poétiques mais aberrants de la Dialectique de la Nature, dans lesquels, célébrant l'éternité de la matière en mouvement, il propose, dans le cycle éternel des naissances et des morts, la perspective consolante d'une éternelle et cyclique reproduction de l'esprit pensant » (J.-T. Desanti, dans « Matérialisme et Epistémologie », extrait de Annali dell'Istituto Giangiacomo Feltrinelli, 1970).

16. A ce propos, l'Histoire du climat depuis l'an mil tentée par E. Le Roy Ladurie nous semble occuper une place charnière à l'intérieur de l'histoire géographisante. Démarche conséquente, nous dirions presque jusqu'au-boutiste, dans la tentation de penser l'histoire à partir des données géographiques. Place charnière car, parvenu à la géographie pure (l'histoire du climat), l'historien (de la société) doit enfin réapparaître, et l'histoire sociale renaître. Comme le climat, en effet, même s'il apporte des éléments de réflexion sur les variations de récolte ne donne pas à lui seul la clé de l'histoire humaine, le moment où il est pris par un historien comme objet central d'intérêt est aussi le moment de la renversée de la géographie vers l'histoire. Ainsi, cette histoire du climat depuis l'an mil, nous semble le point de butée d'où repart et renaît une nouvelle science de l'Histoire.

17. M. Serres, L'interférence, Paris, 1972. Et pour preuve, cet admirable texte de Lucien Febvre : « Et, entre parenthèse, il est bien curieux de constater qu'aujourd'hui, dans un monde saturé d'électricité, alors que l'électricité nous offrirait tant de métaphores appropriées à nos besoins mentaux, nous nous obstinons encore à discuter gravement des métaphores venues du fond des siècles (…), nous nous obstinons toujours à penser les choses de l'histoire par assises, par étages, par moellons, par soubassements, et par superstructures, alors que le lancer des courants sur le fil, leurs interférences, leurs courtscircuits nous fourniraient aisément tout un lot d'images qui s'inséreraient avec beaucoup plus de souplesse dans le cadre de nos pensées… » (L. Febvre, op. cit., p. 26).

18. F. Braudel, dans Écrits sur l'Histoire, 1969, p. 126.

19. M. Bloch, op. cit., p. 71.

20. Ibid.

21. « On rirait aujourd'hui d'un chimiste qui mettrait à part les méchants gaz, comme le chlore, les bons comme l'oxygène. Mais si la chimie, à ses débuts, avait adopté le classement, elle aurait risqué de s'y enliser au grand détriment de la connaissance des corps » (M. Bloch, op. cit., p. 71).

22. Qu'on ne se méprenne pas à cette contestation : nous ne prétendons pas, à l'instar de Stéphane Lupasco, que « l'homogénéisation prédomine, s'actualise progressivement au détriment de l'hétérogénéisation, potentialisée progressivement d'autant, et ce sont les systèmes physiques microscopiques, ou bien l'hétérogénéisation s'actualise progressivement, potentialisant d'autant l'homogénéité et ce sont les systèmes biologiques… », car la microphysique fait certainement « une place à l'improbabilité, à la discontinuité, à l'évident » (E. Morin) mais Physique et Biologie dans leurs rapports à d'autres disciplines comme l'Histoire, incarnent métaphoriquement des pôles inverses ; Communication, n° 18, 1972, p. 102.

23. Tel nous semble être le sens principal de la notion d'émergence utilisée par J. Monod : un système vivant s'explique à partir de son apparition, de son événement.

24. Ceci explique sans doute pourquoi A. Mathiez si soucieux de lui donner un rôle plus avantageux se trouve à l'écart des Annales.

25. Bachelard, G., La formation de l'esprit scientifique, Paris, 1960, p. 13.Google Scholar

26. « Léonardo d'Arezzo et Messire Poggio, deux excellents historiens, n'avaient rien négligé de ce qui concerne les guerres soutenues par les Florentins contre les Princes et les peuples étrangers, mais ils avaient entièrement passé sous silence une partie de ce qui a rapport aux discordes civiles, aux inimitiés domestiques et aux sentiments qui en sont dérivés… » (Histoire Florentine, dans Œuvres complètes, La Pléiade, p. 945). Et il ajoute «… si quelque chose plaît ou instruit dans l'histoire, c'est le menu détail : si quelque leçon est utile aux citoyens qui gouvernent les républiques, c'est la connaissance de l'origine des haines et des divisions… »

27. « Dans toute république, il y a deux partis : celui des grands et celui du peuple ; et toutes les lois favorables à la liberté ne naissent que de leur opposition (…), les bonnes lois, à leur tour, sont le fruit de ces agitations que la plupart condamnent inconsidérément ».

28. « Je considérerai ici comme ‘ événement ‘ pour un organisme vivant toute modification de l'environnement, ou de l'organisme lui-même susceptible de perturber cet état d'homéostasie » (J. P. Changeux, dans Communication, n° 18, 1972).

29. « (…) l'intrusion de l'environnement peut être conçue comme un message qui, s'il est reçu comme information, déclenchera les contradictions préexistantes dans l'écosystème. On l'appellera le bruit » (A. Wilden, dans Communication, n° 18).

30. « (dans la théorie freudienne) l'événement se marque par un double événement ; il n'est jamais simple, toujours effectué et dans le même mouvement effacé, accompli puis recouvert par des oublis efficaces et constructifs » (C. Backes, op. cit.).

31. « Nous devons remplir notre tâche constante de publiciste, écrire l'histoire contemporaine (souligné par nous) et nous efforcer de l'écrire de telle façon que notre travail de chroniqueur vienne en aide, autant que faire se peut, aux participants directs du mouvement, aux prolétaires héroïques qui sont sur le lieu de l'action ; et nous efforcer d'écrire de manière à contribuer à élargir le mouvement, à choisir consciemment des moyens, des procédés et des méthodes de lutte, susceptibles de donner les résultats les plus grands et les plus sûrs avec la moindre dépense de forces » (Lénine, Œuvres, Éditions Sociales, Paris-Moscou, 1964, t. 8, p. 98).

32. Engels, F., L'origine de la Famille, de la Propriété et de l'État, cité par Lénine dans L'État et la Révolution, Œuvres, t. 25, p. 418.Google Scholar

33. « L'État est l'aveu que la société s'est scindée en oppositions inconciliables qu'elle est impuissante à conjurer (…). Mais pour que les antagonismes, les classes aux intérêts économiques opposés ne se consument pas, elles et la société, en une lutte stérile, le besoin s'impose d'un pouvoir qui, placé en apparence au-dessus de la société, doit estomper le conflit, le maintenir dans les limites de l'ordre et ce pouvoir, né de la société mais qui se place au-dessus d'elle et lui devient de plus en plus étranger, c'est l'État » (F. Engels, L'origine de la Famille, de la Propriété et de l'État, cité par Lénine dans L'État et la Révolution, ibid., p. 418).

34. «… offrir une issue normale aux haines qui pour une raison ou une autre fermentent dans les cités contre tel ou tel. Si ces haines ne trouvent point d'issue normale, elles recourent à la violence, ruine des républiques. Rien au contraire ne rendra une république ferme et assurée comme de canaliser pour ainsi dire, par les lois, les humeurs qui l'agitent. » (Discorsi, p. 400 de l'éd. de La Pléiade).

35. « On peut définir un système clos ainsi : un sous-système qui en réalité ou par définition n'est pas dans un rapport essentiel de réciprocité (interaction) à un environnement » (Anthony Wilden, dans « L'écriture et le bruit dans la morphogenèse du système ouvert », Communication, numéro cité).

36. « Dans la civilisation froide, à laquelle manque l'écriture en tant que telle, le passé de la culture — sa mémoire —, son ensemble d'instruction, son texte sacré, est incarné littéralement dans chaque domicile, dans chaque personne qui représente un mythe (…). La destruction entre code et message dans une telle société doit être minimale ; le système semble incarner langue et parole dans le même lieu » (A. Wilden, op. cit.).

37. En ce sens, on peut distinguer des lignes de clivages profondes entre le marxismeléninisme « classique » (de l'époque de la Deuxième et de la Troisième Internationale) et le « marxisme-léninisme » de Mao tsé toung par exemple : on sait en effet que la polémique qui s'est élevée entre les Chinois et les Soviétiques à propos de Staline et des questions de la construction du socialisme, les Chinois ont mis l'accent sur l'existence inéluctable de contradictions non antagonistes au sein des sociétés socialistes (et aussi, bien sûr, de contradictions antagonistes), reprochant à Staline de ne pas avoir su faire la part nécessaire de ces contradictions. L'ouverture de la Chine au monde extérieur, la part plus importante accordée, à l'issue de la Révolution culturelle, à la politique étrangère sous l'égide de Chou En-laï sont autant d'indices de cette nouvelle propension à dépasser la problématique classique du marxisme-léninisme. Ne cachons pas qu'il existe aussi des indices contraires qui alignent les positions théoriques chinoises sur les positions théoriques révolutionnaires antérieures : ainsi la problématique de la lutte entre les deux voies, la directive de Mao Tsé-toung résumant la Révolution culturelle en un conflit entre « Sian et Yenan » et les désignations répétées des ennemis politiques comme usurpateurs. L'histoire dira vers quelle position basculera la Chine.

38. Machiavel, Discorsi, op. cit.

39. M. Foucault, La naissance de la Clinique, Paris.

40. « Le Congrès de Tours n'a pas eu, en son temps, le caractère radical qu'on lui prête a posteriori. Il ne fut qu'un épisode d'une lutte de tendances qui se poursuivit bien après que la scission ait pourtant organiquement séparé les combattants. Et l'on ne s'avisera de son importance historique qu'à partir du moment où la scission devint décidément une réalité stable. Il apparut alors rétrospectivement non comme une simple péripétie mais comme un événement majeur ayant créé une situation nouvelle de longue durée » (Aux origines du Communisme français, Paris, 1970, p. 426).

41. À. Kriegel, op. cit., p. 426.

42. A. Kriegel, op. cit., p. 432.

43. A. Kriegel, op. cit., p. 426 et aussi : « Qu'y faire si le hasard, la contingence et même l'anecdotique expliquent mieux ce qui est arrivé, ce qui aurait pu ne pas arriver ? »

44. A. Kriegel, op. cit., p. 424.

45. A. Kriegel, p. 423.

46. En particulier, les études d'histoire politique menées par A. Besançon et J. Baechler.

47. Bois, P., Les Paysans de l'Ouest, Paris, Flammarion Google Scholar.

48. Surtout après que David Baltimore eut marqué le point de non-retour de ces positions en mettant en évidence l'existence de réactions orientées dans le sens Arn Adn…