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Facteurs de mortalité dans le trafic français d'esclaves au XVIIIe siècle*

Published online by Cambridge University Press:  25 May 2018

Herbert S. Klein
Affiliation:
Columbia University
Stanley L. Engerman
Affiliation:
University of Rochester

Extract

Maintenant que l'histoire du commerce des esclaves dans l'Atlantique est mieux connue, on a pu réexaminer systématiquement l'historiographie traditionnelle de la question. Non seulement on a reconsidéré, grâce aux nouvelles données quantitatives, les estimations des effectifs envoyés d'Afrique et le rôle des différentes nations commerçantes dans ce domaine, mais le problème de l'ampleur et des causes de la mortalité des esclaves a pour la première fois été l'objet d'un examen sérieux. Bien qu'il reste évident que la mortalité des esclaves durant la traversée transocéanique — le « second côté » du commerce triangulaire — a été très élevée par rapport aux taux des populations sédentaires, puisqu'elle atteignait couramment les mêmes niveaux que pendant les épidémies en Europe, elle était certainement inférieure aux chiffres fréquemment avancés et qui donnent à penser qu'elle aurait oscillé entre le quart et la moitié des esclaves embarqués.

Summary

Summary

On the basis of data for ships in the Nantes slave trade in the period 1712-1777, we have examined the rates and determinants of slave and crew mortality. We have studied the relationship between ship size and the number of slaves carried per ton upon mortality, and have concluded that within the range observed the degree of crowding did not significantly affect mortality. We have also studied the relationship between voyage length and mortality, and shown the importance of the difference between actual and expected sailing time in accounting for high mortality. Provisioning rules and costs and their relationship to the specific causes of mortality are described.

Type
Les Domaines de l'Histoire
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1976

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Footnotes

*

Ce texte a été écrit alors que les auteurs étaient visitors aux Collèges de St Antony et de Nuffield, à Oxford. Ce dernier collège a mis à notre disposition ses ressources informatiques. Une première version de ce texte a été présentée au Colloque de l'African Studies Association, tenu à Chicago en 1974. Nous tenons à remercier Richard Bean, Philip Curtin et Patrick O'Brien pour leurs conseils précieux.

References

Notes

1. Pour ces nouveaux éléments, voir Philip Curtin, The Atlantic slave trade, A Census, Madison, Wisconsin, 1969 et son article : « Measuring the Atlantic slave trade », dans Stanley Engerman et Eugene Genovese, ed., Race and slavery in the Western hemisphere : quantitative studies, Princeton, 1975, pp. 107-128. Sur les nouvelles données concernant la mortalité, outre le chapitre de Curtin sur ce sujet, voir Herbert Klein, S., « The trade in African slaves to Rio de Janeiro, 1795-1811 : estimates of mortality and patterns of voyages », Journal of African History, X, 4, 1969 Google Scholar ; Herbert Klein, S. et Stanley Engerman, « Shipping patterns and mortality in the African slave trade to Rio de Janeiro », Cahiers d'études africaines, vol. XV, 1975, pp. 381-398CrossRefGoogle Scholar ; Green-Pedersen, Sv. E., Om Forholdene pa danske slaveskibe, med soerlig henblik pa dodeligheden, 1777-1789, Arbog, 1973,Google Scholar et Roger Anstey, The Atlantic slave trade and British abolition, 1760-1810, Londres, 1975, pp. 414-415.

2. Pour un compte rendu de cette littérature traditionnelle, voir H. S. Klein, « The trade in African slaves », pp. 553-554.

3. Les troupes britanniques envoyées d'Angleterre aux Antilles à la fin du XVIIIe siècle ont subi 11 % de pertes durant la traversée effectuée par 12 bâtiments qui transportaient en moyenne 703 soldats chacun. Chambre des Lords, Record Office Papers, 14 décembre 1792, « An Account of the number of troops sent to the West Indies from the year 1775 to the year 1782 ». Sur la mortalité des forçats et autres, voir Klein et Engerman, « Shipping patterns and mortality ».

4. L'ouvrage de Daniel Mannix, P. et Malcolm Cowley, Black Cargoes. A history of the Atlantic slave trade, 1518-1864, New York, 1962, pp. 105-106,Google Scholar offre la présentation la plus méthodique de cette thèse.

5. On trouve chez Dieudonné Rinchon, dans Le trafic négrier, t. I, Paris, 1938, pp. 248-301, la publication des listes des bateaux négriers de Nantes, de 1748 à 1792. Le professeur Philip Curtin nous a permis d'utiliser son dictionnaire chiffré et son fichier de cartes de données sur la question. L'information encore inédite sur les bateaux d'esclaves de Nantes, rassemblée par Rinchon pour la période 1697-1747, est disponible au Centre de recherche sur l'histoire de la France atlantique (Nantes), Fonds Rinchon, boîtes 10 à 12. Robert Stein, de l'Université York de Toronto, nous a procuré une photocopie de ces documents.

6. Le catalogue manuscrit de Rinchon groupe quelque 400 voyages. On en a éliminé 45, qui ne donnaient que des informations incomplètes ou qui n'indiquaient aucune mortalité. La liste imprimée part de 1748 et comprend 910 bateaux. On n'en a retenu que 428, pour les mêmes raisons. En ce qui concerne la mortalité des équipages, les données manquent fréquemment. Durant la période 1711-1777, il y a des années où pas la moindre traversée n'a été enregistrée : ainsi en 1723-1725 et en 1756-1762, et encore entre 1778 et 1784. Bien que l'on dispose de données sur la mortalité des esclaves aux environs de 1780-1790, nous avons décidé de ne pas les utiliser. Malgré l'existence d'un commerce extrêmement actif après 1777, le nombre annuel de bateaux étant plus élevé qu'avant entre 1785 et 1792 (voir Jean Meyer, « Le commerce négrier nantais [1774-1792]», Annales ESC, n° 1, 1960), des changements intervenus dans la législation sur la navigation coloniale en 1785 soulèvent des problèmes relatifs au tonnage des navires. On a prétendu que cette nouvelle législation avait peut-être introduit de nouveaux types de bateaux dans le commerce des esclaves (voir J. Everaert, « Les fluctuations du trafic négrier nantais [1763-1792]», Les Cahiers de Tunisie, n° 43, 1963, pp. 54-55).

7. Le regretté professeur Jean Mettas soutint, dans une communication du 7 octobre 1974, que Rinchon avait commis des erreurs dans l'identification des ports africains, surestimé de beaucoup les ports de la Sénégambie et sous-estimé ceux de la Guinée. Nous avons donc réuni ces deux zones en une vaste catégorie : l'Afrique occidentale. Il estimait aussi que Rinchon avait commis de nombreuses erreurs arithmétiques qui apparaissent effectivement dans les documents imprimés mais non pas dans les manuscrits. Jusqu'à sa mort récente et prématurée, le professeur Mettas s'employa à une importante révision de l'analyse du commerce atlantique français des esclaves ; il avait entrepris d'étudier le commerce d'autres ports que Nantes ; voir son étude « Honfleur et la traite des Noirs au XVIIIIe siècle », Revue française d'histoire d'outre-mer, n° 218, 1973. Le professeur Serge Daget établissait à la même époque un important ensemble de données nouvelles sur le commerce des esclaves de la France au XIXe siècle ; voir « Catalogue des navires… de participation au trafic négrier atlantique entre 1814 et 1833 », Abidjan, décembre 1973, miméo. Voir également son étude « L'abolition de la traite des Noirs en France de 1814 à 1831 », Cahiers d'études africaines, XI, 1971.

8. La mortalité particulièrement élevée dont ont été victimes les esclaves durant l'année 1730 était due, pour une grande part, au fait que 4 des 12 navires avaient des taux de mortalité de 60 % et davantage.

9. La mortalité moyenne des équipages, sur les 439 navires pour lesquels on possède des données concernant à la fois les équipages et les esclaves était de 18,3 %. L'analyse d'un vaste échantillonnage de navires comportant des données sur la mortalité des équipages (avec ou sans information sur la mortalité des esclaves) fait apparaître que la mortalité parmi les équipages était légèrement inférieure à ce chiffre, mais toujours plus élevée que parmi les esclaves.

10. La simple corrélation entre le nombre d'esclaves par tonneau et la mortalité des esclaves est - .0158.

11. La corrélation entre le nombre d'esclaves par tonneau et la tonnage est - .3767 ; celle de la mortalité des esclaves avec le tonnage est - .0052.

12. Voir Chambre des Lords, Public General Act, 28 George III (1788), « An Act to regulate, for a limited time, the shipping and carrying of slaves in British vessels from the Coast of Africa ». ‘

13. Ibid ;pour les données portugaises qui varièrent de 2 à 3 esclaves par tonneau suivant la construction, voir Herbert S. Klein, « The Portuguese slave trade from Angola in the Eighteenth Century », Journal of Economic History, XXXIII, n° 4, décembre 1972, p. 902 n.

14. Bien que la mortalité que l'on s'attendait à enregistrer pendant le transport ait influé sur les prix payés pour les esclaves venant d'Afrique, une fois l'achat effectué il était financièrement plus avantageux pour le capitaine que le taux de mortalité soit faible. Ainsi, comme on le verra cidessous, un entassement excessif n'aurait pas été profitable.

15. La corrélation est + .3769.

16. La régression est: mortalité des équipages = 13,18 + R2 = .142 Strictement interprété, ceci veut dire que la mortalité des équipages intervenait pour environ 70 % avant le départ du port africain, et pour environ 30 % durant la traversée. Malheureusement Rinchon n'indique pas la date du décès des membres d'équipage.

17. Un échantillon restreint, extrait des rapports de chirurgiens britanniques durant les années 1790, indique que, à part les blessures professionnelles, les marins et les esclaves étaient exposés aux mêmes maladies. Voir Chambre des Lords, Record Office Papers, 19 juin 1799, « Copies of Log Books and Surgeons Journals ».

18. Voir Klein et Engerman, «Shipping patterns and mortality », loc. cit.

19. Il est difficile d'établir la cause de cette diminution. On peut invoquer l'augmentation de la vitesse des navires, grâce à l'introduction d'un revêtement de cuivre, qui se produit dans le transport d'esclaves britannique plus rapidement que dans n'importe quel autre commerce maritime (voir Gareth Rees, « Copper sheatting, An exemple of technical diffusion in the English merchant fleet », Journal of Transportation History, New Series, I, n° 2, septembre 1971). Il y eut aussi l'obligation, vers les décennies 1760 et 1770, et dans tous les commerces, de la vaccination contre la variole. Voir par exemple Dieudonné Rinchon, Pierre Ignace Liévin Van Alstein, capitaine négrier, Dakar, mémoires de l'fan, n° 71, 1964, p. 188, qui montre Van Alstein vaccinant des esclaves aux environs de 1760. Le capitaine négrier William Sherwood rapporte pareillement avoir vacciné des esclaves durant un voyage en 1777. Voir Grande-Bretagne, Parliamentary Papers, Accounts and Papers, XXIX (698), 1790, p. 495. Dans l'état actuel des connaissances, il est difficile d'évaluer l'effet respectif des divers facteurs sur le déclin global de la mortalité des esclaves.

20. Grande-Bretagne, Parliamentary Papers, Accounts and Papers, XXII (565), 1788, pp. 1-3.

21. Voir la présentation schématique et les calculs de Rinchon dans son ouvrage Van Alstein, pp. 44-45.

22. Le bateau d'esclaves nantais, Reine de France, jaugeant 150 tonneaux et comptant 47 hommes d'équipage, transporta 404 esclaves de Guinée à Saint-Domingue en 1744. Pour ce voyage, il acheta sur la côte africaine 13 000 livres de produits frais comprenant riz, poulets et chèvres, pour la somme approximative de 2 500 livres en biens d'échange. Cela représentait à peu près le prix d'achat de 9 esclaves en Afrique. Ce même montant de 2 500 livres représentait moins de 2 % de la valeur totale des biens transportés de France par le Reine pour acheter esclaves et ivoire sur la côte. Rinchon, Van Alstein, pp. 84-85.

23. Les quelques journaux de bord publiés mentionnent souvent le « flux » ou dysenterie, comme maladie principale. L'étude des causes de décès des esclaves transportés par le capitaine John Newton de Sierra Leone à Antigua, en 1751-1752, indique que 17 décès sur 24 sont dus au « flux » et deux autres à la fièvre et au « flux ». Certains des décès provoqués par le « flux » survenaient plusieurs semaines après la contagion initiale, alors que les crises de dysenterie semblaient revenir périodiquement. Journal of a Slave Trader (John Newton) 1750-1754, B. Martin et M. Spurrell, ed., Londres, 1962, p. 29 ss. ; voir également Alexander Falconbridge, An account of the slave trade on the Coast of Africa, Londres, 1788, p. 25. Le capitaine du bateau d'esclaves français l'Économiesignale une première manifestation de la dysenterie chez ses 217 esclaves durant son voyage du Congo à Saint-Domingue, en 1753, après deux semaines en mer. Il signale que la majorité des esclaves ensevelis en mer avaient été victimes de la dysenterie. Rinchon, Van Alstein, p. 42.