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Constitution des rôles masculins et féminins au XIXe siècle : la voie des larmes

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

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Les larmes, plus qu'un nouvel objet d'histoire, dessinent une scène où se noue et se dénoue une série de signes et de codes. La propension à verser des pleurs constitue souvent un facteur de distinction sexuelle, mais son appartenance à la sphère féminine est plus ou moins tranchée. A certaines époques et dans des circonstances précises, il est possible et même recommandé aux hommes de pleurer. La figure changeante de l'individu en larmes permet ainsi d'éclairer les partages symboliques entre rôles féminins et masculins, et l'imaginaire du corps auquel ils sont associés.

Summary

Summary

Using literary sources and intimate writings associated with normative discourses (e.g. medical writings and treatises on “savoir-vivre”), we study here how the status of tears figures in the distribution of feminine and masculine roles in the 19th century. Unlike the 18th century in which tears of emotionality shed by men and women were conspicuously displayed, in the 19th century one was more reserved about crying in public, men could only allow themselves rare emotional outbursts in which they gave vent to their intimate suffering in private. But it was above all in the second half of the 19th century that a backlash began against cheap sentinentality and displays of emotion. Women came to be considered effected by the weakness of their nervous systems. Mastery of one's social and sexual feelings involved an education of the will prohibiting men to cry except when mourning the loss of a loved one.

Type
Communautés, Familles, Individus
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1987

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References

Notes

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