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Académisation et Provincialisation des Carrières de Peintres en Provence au XVIIe Siècle

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Nathalie Heinich*
Affiliation:
CNRS, Paris Groupe de Sociologie Politique et Morale

Extract

Le « peintre itinérant » fut, jusqu'à la Renaissance, une figure typique, inscrite dans les usages traditionnels du compagnonnage artisanal. Cette figure devint, à l'âge classique, marginale sinon étrangère à l'exercice de la peinture : transformation que l'on peut mettre, certes, sur le compte des grands mouvements de « libéralisation » de la peinture entrepris en Europe entre le XVIe siècle et le XVIIIe siècle, mais dont il serait intéressant de suivre la mise en oeuvre au niveau local — « local » étant pris ici au double sens de « régional » et de « particularisé » dans des cas individuels. Comment, donc, des peintres exerçant leur métier, dans un lieu donné et à une époque donnée, ont-ils concrètement vécu, subi ou activé des bouleversements, dont l'historien sait rendre compte au niveau le plus général, dans l'après-coup du long terme et l'espace agrandi d'un territoire national, voire international ?

Summary

Summary

The transformation of the conditions of image makers’ practice, that took place at the same time as the academization of painting, is envisioned here at the local level, in both senses of the word: “regional” (i.e. in the particular case of Provence) and “particular” (i.e. through reconstitutions of biographical trajectories). We see there how geographical gaps turn into time lags, creating a “provincialization” of the provinces.

Thus regional painting is condemned to either deny its origins or accept invisibility at a national level, while historical research, by considering above ail what predominated (temporally and hierarchically), is condemned to neglect what was not “prime” material. Thus it does not allow itself to examine—except as a retroactive effect of the constituted hierarchies—the logic of movements leading to the oppositions local/generai, minor/major, and periphery/center.

Type
La Construction Sociale
Copyright
Copyright © École des hautes études en sciences sociales Paris 1990 

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References

Notes

1. Ce mouvement fait l'objet d'un ouvrage en cours de rédaction, intitulé Du peintre à l'artiste : la création du créateur dans la société française, et où nous cherchons à dégager les causes du passage du « métier » à la « profession » de peintre à l'âge classique et ses effets sur l'apparition de la notion d'artiste au xixe siècle.

2. Sur ce couple de notions cf. Castelnuovo, Enrico, Ginsburg, Carlo, « Centro e periferia », Storia dell'arte italiana, I, Turin, Einaudi, 1979.Google Scholar

3. L'information sur le voyage à Rome n'étant pas disponible, en l'état des sources, pour l'ensemble des peintres français recensés comme actifs au xvne siècle, nous avons choisi de travailler sur un échantillon non représentatif, en sélectionnant ceux des peintres qui sont passés à la postérité comme des peintres majeurs et pour lesquels les recherches biographiques autorisent donc un traitement de cette information (la question de l'éventuelle sur-représentation du voyage à Rome chez ces peintres par rapport à l'ensemble n'étant pas pertinente ici puisque nous analysons non pas l'importance du phénomène, mais son évolution du début à la fin du siècle). L'indicateur retenu pour constituer cet échantillon a été la mention des peintres dans le Petit Larousse de la peinture, sous la direction de Michel Laclotte, Paris, Larousse, 1979, dont on peut considérer qu'il s'agit d'un ouvrage de vulgarisation savante, rédigé par des spécialistes à l'usage d'un public peu ou pas spécialisé.

4. Statistiques à partir de la liste des membres de l'Académie royale de 1648 à 1715, cf. N. Heinich, « La constitution du champ de la peinture française au xvne siècle », thèse de Troisième cycle sous la direction de P. Bourdieu, Paris, EHESS, 1981.

5. Notre travail est notamment très redevable au catalogue de l'exposition La peinture en Provence au XVIIe siècle, réalisée à Marseille en 1978 sous la direction d'Henri Wytenhove.

6. Boyer, Jean, « Les collections de peinture à Aix-en-Provence aux XVIIe et XVIIIe siècles, d'après des inventaires inédits », Gazette des Beaux-Arts, 1965, 1, pp. 91112,Google Scholar et « La peinture et la gravure à Aix, 1530-1790 », Gazette des Beaux-Arts, 1971.

7. Warnke, Martin, L'artiste et la cour : aux origines de l'artiste moderne, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l'Homme, 1989 Google Scholar (Hofkùnstler : zur Vorgeschichte des modernen Ktinstlers, Cologne, DuMont Verlag, 1985).

8. Perrier, E., Bibliophiles et collectionneurs provençaux, Marseille, Barthelet et Cie, 1897.Google Scholar

9. P. J. Haitze, Les curiosités les plus remarquables de la ville d'Aix, 1679. Sur les collectionneurs de peinture au XVIIe siècle, cf. notamment Bonnaffé, Edmond, Dictionnaire des amateurs français au XVIIe siècle, Paris, 1884,Google Scholar ainsi que Pomian, Krzysztof, Collectionneurs, amateurs et curieux. Paris, Venise : XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Gallimard, 1987,Google Scholar et Schnapper, Antoine, Le géant, la licorne, la tulipe : collections françaises au XVIIe siècle, Paris, Flammarion, 1988.Google Scholar

10. Tout porte à croire que ces observations, tirées de l'article de Jean Boyer sur Aix, sont valables également pour les autres villes.

11. Catalogue La peinture en Provence, op. cit.

12. J. Boyer, art. cit., notamment p. 71 passim.

13. Marcel, Pierre, L'art français en 1700, Paris, Georges Barander, 1906, n. 1, p. 144.Google Scholar

14. André Alauzen, La peinture en Provence du XIVe siècle à nos jours, Marseille, La Savoisienne, 1962.

15. Catalogue La peinture en Provence, op. cit. Cet échantillon d'une trentaine de peintres doit plus au hasard des préservations ayant permis l'exposition des oeuvres, qu'à une représentativité statistique dûment contrôlée. Il est probable que s'y trouve proportionnellement surestimée l'élite des peintres et, du même coup, les plus mobiles d'entre eux.

16. Martin Warnke, op. cit., en particulier p. 37, où il est question de la « période classique de l'artiste itinérant » (autour de 1400).

17. Warnke met d'ailleurs en évidence la corrélation entre le phénomène de Pitinérance et la multiplication des cours italiennes, idem, p. 37.

18. Sur la progressive domination de la peinture sur la sculpture dans le cadre du mouvement académique en France, je me permets de renvoyer à mon livre en préparation. On en trouvera quelques éléments dans N. Heinich, « Arts et sciences à l'âge classique : professions et institutions culturelles », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 66-67, mars 1987.

19. Le catalogue de l'exposition Nicolas Mignard d'Avignon, Avignon, Palais des Papes, 1979.

20. J. Boyer, art. cit. p. 69.

21. Il suffit par exemple de lire le compte rendu dans Le Mercure de France de 1681, de la visite faite par Louis XIV à son cabinet de tableaux, pour imaginer l'impact qu'une telle lecture pouvait avoir sur des peintres provinciaux (cité par Dumesnil, Histoire des plus célèbres amateurs français, Paris, 1858, II).

22. N. Heinich, « Arts et sciences à l'âge classique : professions et institutions culturelles », art. cit.

23. Teyssèdre, Bernard, Roger de Piles et les débats sur le coloris au siècle de Louis XIV, Paris, Bibliothèque des Arts, 1957.Google Scholar

24. Heinich, N., « La perspective académique : la référence aux mathématiques dans les théories de l'art au XVIIe siècle », Actes de la Recherche en Sciences sociales, n°49, septembre 1983.Google Scholar

25. Heinich, N., « Le droit à la biographie : l'apparition des peintres dans les dictionnaires biographiques à l'âge classique », dans Gucht, D. Vander, Art et Société, Bruxelles, Les Eperonniers, 1989.Google Scholar

26. Heinich, N., « De l'invention de l'artiste à l'apparition des Beaux-Arts », Revue d'Histoire moderne et contemporaine, XXXVII, janvier 1990.Google Scholar

27. Heinich, N., « Académisme et professionnalisme », Revue suisse de Sociologie, n° 1,1989.Google Scholar

28. Pour une comparaison des conditions de création de VAcademia di San Luca à Rome et de l'Académie royale de peinture et de sculpture à Paris, à travers leurs discours de fondation, N. Heinich, « La peinture, son statut et ses porte-paroles : le Trattato délia nobiltà délia pittura de Romano Alberti », Mélanges de l'École française de Rome, 1985, n° 2.

29. On en trouvera la liste dans l'ouvrage de Locquin, Jean, La peinture d'histoire en France de 1747 à 1785, Paris, Arthena, 1912.Google Scholar

30. Encyclopédie des Bouches-du-Rhône, Marseille, Archives départementales, 1937, t. VI.

31. Je dois cette information à l'amabilité de feu M. Henri Wytenhove, sans qui nombre des données utilisées pour cet article n'auraient pu être recueillies.

32. Roche, Daniel, Le Siècle des lumières en province : académies et académiciens provinciaux, 1680-1789, Paris, Mouton, 1978.Google Scholar

33. Jean Locquin, La peinture d'histoire en France de 1747 à 1785, op. cit., p. 135.

34. On notera ainsi que, significativement, il faudra attendre le milieu du xixe siècle pour voir l'érudition s'attacher à ces thèmes, cf. notamment De Chennevières-Pointel, Philippe, Recherchessurla vie et les ouvrages de quelques peintres provinciaux de l'ancienne France, Paris, 1847,Google Scholar et De Ris, Clément, Les musées de province, histoire et description, Paris, Renouard, 1859.Google Scholar

35. Dumont, L., Essais sur l'individualisme : une perspective anthropologique sur l'idéologie moderne, Paris, Le Seuil, 1983.Google Scholar