On connaît peu, ou mal, en France, le droit national-socialiste, ses sources et ses textes. Sait-on que « La législation du Cabinet Hitler » — nous traduisons le titre du recueil de Werner Hoche, Die Gesetzgebung des Kabinets Hitler (depuis 1933) — comporte déjà 17 volumes de 500 à 700 pages chacun et qu'en trois ans le Bulletin des Lois officiel du Reich (Reichsgesetzblatt) a publié plus de 4 000 lois et décrets ? C'est à travers cette forêt germanique touffue que Mme Grete Stoffel, dans un ouvrage sérieux et solide intitulé « La dictature du fascisme allemand », a voulu guider le lecteur français. Son but — le titre l'indique assez — n'est pas de dégager de la masse des faits, en quelques lignes lumineuses et profondes, l'esprit juridique du droit nazi : Mr Karl Löwenstein vient de réussir parfaitement cette tentative dans une étude intitulée : Law in the third Reich, qu'il faut signaler comme tout à fait excellente.

La jeunesse du Troisième Reich vue par un témoin oculaire, un observateur qui l'a regardée de ses propres yeux, à travers des lunettes catholiques : le champ de vision n'est pas très large, mais l'observation est fine, humaine, précise et les notations psychologiques souvent justes. Voici, par exemple, de bonnes remarques sur le fossé qui sépare les deux générations et sur le fait que, chez les parents, s'il y a simple « adaptation », chez les jeunes, par contre, il y a foi enthousiaste ; en voici sur la complicité sournoise qui lie les autorités national-socialistes aux jeunes en révolte contre le foyer ; sur ce que les parents, souvent, redoutent leurs propres fils; sur la propagande anticléricale enfin : il est bien vrai, comme le dit l'auteur, que, de plus en plus, le clergé catholique prend place aux côtés du Juif, dans les prônes de la propagande nazie ; les arguments employés contre « la race maudite » reservent contre les « trafiquants de devises », les « Judas avides », par qui la morale chrétienne se fait vénalité, les « rats aux dents voraces », qui font dans l'obscurité leur travail de désagrégation sociale ; les « luxurieux » enfin et les « hypocrites » en révolte sournoise contre la morale.

L'effort pour obtenir des ouvriers de la grande industrie, grâce à des conditions déterminées, qu'ils fournissent un travail plus intense et qualitativement meilleur ne date pas d'hier. On en trouverait des signes avant-coureurs dès le moment où, au cours de la première révolution industrielle, l'introduction du machinisme dans la production amène la « législation de fabrique » à réagir contre l'extension brutale de la journée de travail. On sait l'importance que le souci de l'atelier, en tant que milieu psychologique, prend chez F. W. Taylor et même chez Ford. Une partie des avantages que Taylor attend de son organisation scientifique du travail est que l'ouvrier, dans l'usine « harmonieusement » organisée selon ses directives, se sente autrement et mieux, soit plus tenté de se donner à son travail que dans l'usine patronale du type ordinaire.

Dans l'histoire, plus que millénaire, de la seigneurie de Saint-Denis, Mlle Germaine Lebel a découpé, pour en faire l'objet de ses thèses de doctorat, une période d'environ deux siècles. Terminus ad quem : la guerre de Cent Ans (1346). La date est d'ordre proprement politique ; justifiable, cependant, par le trouble profond que la guerre — assez lentement, à la vérité — devait apporter dans toutes les relations sociales. Terminus a quo : la mort de l'abbé Suger (1151). Ici, je l'avoue, je comprends moins bien. S'il est vrai, comme on nous le dit, qu'avec Suger commence, dans l'histoire de la fortune dyonisienne, une nouvelle époque, mieux eût valu assurément partir de lui qu'après lui.

Mr Derck Walter-Smith a retracé, sans recherches nouvelles, mais avec soin, l'évolution de la politique douanière de l'Angleterre de 1840 à 1846 , non que les faits lui aient paru nécessiter un nouveau récit, mais parce que l'idée que se fait le grand public britannique des libre-échangistes et des protectionnistes du temps de Peel et de Cobden lui a semblé singulièrement erronée. C'est donc aux arguments des deux partis et aux intérêts qui se dissimulaient derrière eux qu'il a consacré le plus clair de son attention.

Le tome II d'A la lumière du marxisme — ce recueil collectif dont nous avons signalé précédemment l'apparition et marqué les tendances — s'intitule Karl Marx et la pensée moderne. Il nous apporte une série d'études sérieuses et intéressantes sur les rapports de la pensée marxiste avec la pensée d'Auguste Comte, des utopistes français du XIXe siècle, et surtout de Proudhon. Ces études dues à divers auteurs sont préfacées par le Dr Henri Wallon.

Les travaux statistiques des services de la Société des Nations continuent à suivre leur cours fructueux ; chaque année apporte ainsi une nouvelle moisson de chiffres et de commentaires sur l'évolution de l'économie mondiale ; ce furent au cours des derniers mois :

• 1° Un « Aperçu général du commerce mondial en 1935 » ;

• 2° « La Production mondiale et les prix 1935-1936 »;

• 3° La « Revue de la situation économique mondiale 1935-1936 ».

1° Pour la première fois depuis le début de la crise on a constaté en 1935 un relèvement de la valeur or du commerce mondial : il y avait bien eu jusque- là (depuis 1932) augmentation des quantités échangées, mais cette augmentation avait été compensée par la baisse simultanée des prix.

La question financière est de celles que les événements contemporains font apparaître comme essentielles à la compréhension historique, quels que soient les pays et les temps. Aussi les volumes de la Trésorerie anglaise, dont, effrayés par leur nombre et leur technicité, les érudits autrefois s'approchaient le moins possible, constituent-ils aujourd'hui une des sources les plus précieuses et les plus riches, non seulement pour l'étude des finances britanniques, mais encore pour celle du mouvement des idées et des affaires contemporaines. On sait que, pour faciliter la lecture des Calendars, chaque groupe chronologique est accompagné d'une introduction qui appelle l'attention du lecteur sur les points les plus dignes d'intérêt, et réunit, d'autre part, les indications propres à faciliter l'intelligence de ces comptes, si souvent ardus.

Mr J. U. Nef, l'historien de l'industrie charbonnière britannique avant 1700, nous avait donné en 1934 une esquisse de ce qu'il avait appelé « une première révolution industrielle », c'est-à-dire des progrès techniques et de la croissance de la grande industrie en Grande-Bretagne entre 1540 et 1660. Nous avons rendu compte ici-même de cet essai étonnamment suggestif. Le problème auquel il s'attaque aujourd'hui est celui de la comparaison, à cet égard, entre la France et l'Angleterre. Problème capital, puisqu'il éclaire, dès les origines, le processus de l'évolution industrielle dans les deux pays qui, durant les derniers siècles de l'ancien régime, domineront et dirigeront le marché européen.

Le livre que Mr Georges Friedmann intitule La crise du progrès et qui, pour être de format modeste, n'est pas un petit livre — compose une large fresque d'histoire intellectuelle. Brossée par un philosophe, elle réalise ce que, depuis longtemps, j'appelle de mes vœux d'historien : une histoire des idées qui soit vraiment « de l'histoire ». Et les lecteurs des Annales ne s'étonneront pas de cette constatation, puisqu'ils ont eu déjà un excellent avantgoût des réalisations de Mr Friedmann. Il y a cinq ans, rendant compte dans la Revue de synthèse d'une suite de travaux, d'ailleurs distingués, de Cassirer, de Klibansky et autres — je croyais devoir opposer l'histoire de la philosophie, telle que l'écrivent les philosophes, à notre histoire d'historiens traitant, à l'occasion, des idées — et je marquais notre désarroi devant ces engendrements de concepts à l'état pur que, si souvent, les historiens de la philosophie se contentent de nous décrire avec complaisance, sans aucune référence à l'état économique, politique ou social des diverses époques : concepts issus, pourrait-on croire, d'intelligences désincarnées et vivant, d'une vie toute irréelle, dans la sphère des idées pures.