Le 18 février 1306, un traité de paix est signé entre la cité de Camerino et trois communes voisines (Matelica, San Severino et Fabriano) dans lequel est prévue une série de mariages croisés entre leurs habitants : un échantillon socialement représentatif de cent quarante hommes doivent devenir beaux-frères à travers le transfert de cent quarante femmes. À partir de ce document et de cette clause hors-norme, qui, de plus, ne sera jamais appliquée et ne mettra jamais fin aux hostilités, l’article propose une réflexion sur la manière dont se met en place, dans un contexte historique, documentaire et relationnel spécifique, un régime de genre. En adoptant une approche pragmatique et en privilégiant l’utilisation du concept de genre comme un moyen supplémentaire de lire le social, sont tour à tour étudiés les rôles que les hommes de l’élite assignent aux femmes de leur communauté dans les rituels de réconciliation, les alliances matrimoniales qui font figure de paix en miniature, le dispositif mis en place pour assurer les transferts dotaux et l’octroie de la citoyenneté. Dans ce type de régime, les femmes sont des médiatrices : elles doivent véhiculer la paix dans leur ménage pour que celle-ci se diffuse dans l’ensemble du corps de leur commune et transmettre aux hommes une dot et la citoyenneté pour leur permettre de reproduire une domination.

La notion de genre s’est installée dans le paysage historiographique international depuis plus de deux décennies, à tel point qu’il pourrait sembler curieux d’y consacrer aujourd’hui un dossier des Annales. Le succès relatif de ce champ de recherche dissimule cependant des ambiguïtés quant au projet intellectuel ainsi circonscrit et à sa réception dans le monde des sciences sociales. Pour certains, faire l’histoire du genre, c’est s’intéresser à l’histoire des femmes, histoire désormais reconnue, même si elle reste encore parfois entachée d’une double dépréciation, par la qualification d’histoire militante – et donc peu scientifique – et par la vague idée que, quelle que soit son étiquette, « femmes » ou « genre », elle est déjà dépassée. Sans doute l’expression devenue désormais canonique, « histoire des femmes et du genre », entretient-elle une réelle confusion auprès de chercheurs peu sensibles à ce champ historiographique.

On February 18, 1306, the city of Camerino signed a peace treaty with three neighboring communes (Matelica, San Severino, and Fabriano). Among its provisions was a plan for a series of marriages between the inhabitants of the four communes, which would have made a group of 140 men brothers-in-law through the exchange of 140 women. Analyzing this document and its extraordinary clause—which was never enforced and did not bring hostilities to an end—, this article examines the genesis of a gender regime in a specific historical, documentary, and relational context. Adopting a pragmatic approach to gender as a means for understanding social interactions, the article analyzes the roles elite men assigned to women of their communities in reconciliation rituals, matrimonial alliances as miniature figures of peace, and the systems established to ensure the transfer of dowries and the granting of citizenship. Under such gender regimes, women served as mediators, promoting peace in their households so that it would spread throughout the entire community. They also provided dowries and citizenship to men, allowing them to maintain their dominant role in society.

The concept of gender has become such an important subject in international historiography over the last two decades that it might appear odd to devote an entire dossier of the Annales to the topic. However, the relative success of this field of research may also conceal ambiguities in both the intellectual project underlying the term as well as its reception in the social sciences. For certain authors, undertaking a history of gender has meant writing a history of women. Though this form of history now enjoys proper recognition, it is still depreciated in two ways: on the one hand, it is qualified as a militant—and therefore unscholarly—history; and, on the other, it is criticized according to some vague argument claiming that no matter how it is labeled—“gender” or “women”—the inquiry is already dated. Without a doubt, the now canonical expression “history of women and gender” has generated real confusion among those scholars who are not particularly engaged with the field.1