Les Chroniques de Froissart de Louis de Gruuthuse présentent seize scènes de violence exercée à l’encontre de la noblesse par ses propres membres. Ces scènes, dont le nombre est sans équivalent dans l’illustration des manuscrits des Chroniques, mettent en valeur des épisodes qui ne se distinguent dans le temps long de la chronique que par l’importance qui leur est accordée dans l’illustration. La multiplicité des représentations trouve sa raison d’être dans le présent de la commande et dans la personnalité du commanditaire. Louis de Gruuthuse, chambellan de Philippe le Bon, puis de Charles le Téméraire, est l’un des grands seigneurs de la cour de Bourgogne. Sa carrière comme son mode de vie attestent à son appartenance à l’aristocratie de la fin du XVe siècle.
Cependant, la décoration des Chroniques révèle des préoccupations de nature historique. Ainsi, les événements du XIVe siècle rapportés par Froissart, traduits en images dans les années 1470–75, servent de fondement historique aux bouleversements sociaux qui, à la fin du Moyen Age, font définitivement perdre à la classe nobiliaire son immunité. Au moment où le gouvernement de Charles le Téméraire proclame que la justice est la “chose principale” et où il pratique la contrainte par la peur, Louis de Gruuthuse, acteur et spectateur du milieu curial, cherche les sources de cette violence dans les exemples fournis par Froissart.
Or, la violence nobiliaire ne s’exprime pas à la guerre. Dans les Chroniques de Froissart enluminées pour Louis de Gruuthuse, l’activité militaire chevaleresque n’est pas mortifère. Une scène fait exception: la représentation du massacre des prisonniers chrétiens de Nicopolis (IV, fol. 115 v°— fig. 1). Fidèle au texte, la miniature présente les grands seigneurs mis à l’écart afin d’en tirer rançon, puis les suppliciés conduits “tous nuds, en leurs lignes draps,” les mains liées, devant Bajazet qui les condamne à être occis hors de sa vue.
L’exercice dramatique de la violence au premier plan de l’image n’est que le terrible aboutissement de l’épisode. Le regard du spectateur, frappé par le sang et les membres épars, est guidé par les deux haies de soldats qui conduisent vers les robes blanches, puis vers les armures. Le désarroi et l’impuissance de la noblesse sont inscrits dans ce cheminement qui permet de remonter à l’identité des morts du premier plan et, dans un temps retourné, mène du chevalier en sa vêture guerrière vers le dépouillement d’une mort tragique.