Le ton préremptoire de Nietzsche lorsqu'il condescend à parler d'autres penseurs et le style provocateur dans lequel il mesure son propre génie ont rendu ses critiques timides; on le menage comme s'il allait se lever pour écraser son interlocuteur sous les invectives. Tout en assurant qu'il est inimitable et n'a point fait école, ses grands commentateurs se veulent d'abord ses disciples. Us entretiennent un nuage de sacralité autour de textes dont il devient difficile d'aborder l'analyse. Nietzsche a le droit de se contredire, de se tromper sur l'étymologie, d'ignorer la recherche historique érudite de son temps, de ne jamais citer dans le texte les auteurs qu'il attaque, de malmener telle ou telle théorie scientifique: sa hauteur de vue sauve tout. Mais à quel titre les ceuvres de Nietzsche pourraient-elles sérieusement échapper à un regard rigoureux, visant un objet linguistique precis, daté et done assignable dans une tradition? Suffit-il que Nietzsche ait renié d'avance toute interprétation et souhaité de rester incompris? Cela ne paraît ni nécessaire, ni suffisant.