Le 17 février 1863 se réunissait à Genève la Commission de cinq membres désignés quelques jours auparavant par la Société genevoise d'utilité publique pour étudier les conclusions de l'ouvrage récemment paru, Un Souvenir de Solférino. Le Comité international de la Croix-Rouge — car la Commission allait bientôt prendre ce nom — était né.

C'est dans sa séance du 9 février 1863 que la Société d'utilité publique avait pris une décision dont elle ne pouvait imaginer la portée historique.

Quelques mois après l'appel angoissé du Souvenir de Solférino, cinq citoyens de Genève se réunissent pour mettre en pratique les propositions qu'Henry Dunant a faites à la fin de sa brochure. Le général Dufour excepté, ce sont des hommes de condition moyenne, sans autorité particulière dans leur pays et sans relations à l'étranger. Cependant, ils ne doutent ni d'eux-mêmes ni de la tâche immense qu'ils vont entreprendre. Leurs délibérations révèlent un rare bon sens et une perception très nette des possibilitès de leur action. Ils sont conscients de ce qu'ils peuvent faire en 1863, laissant aux générations futures le soin de réaliser ce qui serait une utopie à leur époque. C'est done avec une tranquille assurance qu'ils s'adressent aux chefs d'Etats et à l'opinion publique.

Au moment où l'on va célébrer le centenaire de la Croix-Rouge, il n'est pas inutile de rappeler le rôle que plusieurs des membres ou hauts fonctionnaires du Comité international de la Croix-Rouge ont joué dans la rédaction et la proclamation des Droits de l'Enfant. Cette déclaration, dite Déclaration de Genève, fut promulguée il y a quarante ans par le Conseil général de l'Union Internationale de Secours aux Enfants (UISE), et c'est le 17 mai 1923 que la rédaction définitive, en cinq formules brèves, fut adoptée.

Le premier objectif de la Croix-Rouge, et celui qui reste, maintenant encore, le principal, c'est d'alléger les souffrances entraînées par la guerre.

Depuis les temps les plus reculés, les hommes se sont évertués à empêcher la guerre dans la mesure du possible et à en atténuer les conséquences lorsqu'elle éclatait. La Trêve de Dieu, mentionnée pour la première fois en 1027, interdisait du jeudi matin au dimanche soir, sous peine de sanctions ecclésiastiques, les combats considérés alors comme une occupation réservée aux gentilshommes. C'était là une tentative en vue de mettre la guerre hors la loi. Plus ancienne encore, la Paix de Dieu, promulguée par le concile de Charroux en 980, déclarait inviolables en temps de guerre, dans leur personne, les paysans, marchands, pèlerins et spécialement les prêtres, moines et nonnes sur qui reposait entièrement, a l'époque, la charge de donner soins et assistance aux blessés et malades. On retrouve ici, dans l'institution d'une classe spécialement protégée, alors même que la guerre est déchaînée, le principe essentiel des Conventions de la Croix-Rouge.

Du 26 au 29 octobre 1863 se tenait, à Genève, la Conférence internationale convoquée par le Comité international de Secours aux Militaires blessés, ce petit groupe de cinq personnes — émanation de la Société genevoise d'utilité publique — qui devait, plus tard, prendre le titre de Comité international de la Croix-Rouge. Une invitation avait été lancée le Ier septembre, suivie quinze jours plus tard d'un « Supplément à la convocation d'une Conférence internationale à Genève », dont Dunant et Basting, à Berlin, avaient pris l'initiative.

M. H. Coursier, conseiller juriste au CICR, publia naguère, dans la Revue internationale, une étude sur « Francis Lieber et les lois de la guerre », ainsi qu'une traduction française de l'Ordonnance no 100 relative au comportement des armées des Etats-Unis en campagne (les fameuses « lois de Lieber ») dont l'objet était de faire appliquer les principes du droit international, lors de la guerre de Sécession (1861–1865). Cette Ordonnance, qui jut connue aussitôt et appréciée des principaux juristes de l'époque, eut une grande influence sur l'avenir du droit des gens, car on peut dire que le Règlement de La Haye, issu des Conférences de la Paix en 1899 et 1907, s'en est très largement inspiré, et plusieurs dispositions des Conventions de Genève du 12 août 1949 découlent de la même source. Or, ce fut à Lieber que fit appel le président des Etats-Unis, Abraham Lincoln, pour établir ce Code qui fut promulgué en 1863, précédant d'un an la première Convention de Genève.

Vous avez afflué de toutes les parties du globe pour vous retrouver ici, unis dans l'esprit de la Croix-Rouge.

Cet esprit remonte très haut dans l'histoire de l'humanité. Il n'est le fait ni d'un lieu, ni d'une seule époque, ni d'une religion de'finie, ni d'une philosophie plutôt que d'une autre. Il œuvre dans tous les moments de la pensée morale, et dans tous les lieux du monde. Et voici qu'un jour, un homme lui a conféré une vertu et une efficacité universelles; il a donné corps à cette aspiration séculaire de l'humanité en exaltant et en nouant ses forces toujours latentes. Cet homme, c'était Henry Dunant; son livre Un Souvenir de Solférino restera toujours un monument de la grandeur humaine.

Le 9 juillet 1859, les lecteurs du Journal de Genève pouvaient lire un déchirant appel venu de Solférino, dont nous extrayons les passages suivants:

Depuis trois jours je soigne les blessés de Solférino à Castiglione, et j'ai donné des soins à plus d'un millier de malheureux. Nous avons eu 40.000 blessés tant alliés qu'Autrichiens à cette terrible affaire. Les médecins sont insuffisants, et j'ai dû les remplacer tant bien que mal avec quelques femmes du pays et les prisonniers bien portants.

Le 9 septembre 1963, lors d'une séance plénière du Conseil des Délégués qui s'est réuni à l'occasion du Congrès de la Croix-Rouge internationale, à Genève, M. Léopold Boissier, qui présidait ce Conseil, annonça que Sa Majesté l'Impératrice du Japon daignait faire un don personnel au Fonds Shôken. Elle désirait marquer ainsi l'année qui précède le cinquantième anniversaire du Fonds Shôken, en même temps que le Centenaire de la Croix-Rouge, aux activités de laquelle elle s'intéresse particulièrement en tant que haute protectrice de la Société nationale du Japon. Son don, du montant de 3.600.000 yen, ce qui représente une somme de 43.000 francs suisses environ, est destiné à augmenter le Fonds inaliénable.

Le 24 juin 1859, la bataille de Solférino laisse sur le terrain 30 à 40.000 blessés sans soins, livrés à la chaleur, aux pillards et aux oiseaux de proie. Henry Dunant, témoin accidentel de ce désastre, bouleversé par les souffrances et scandalisé par l'insuffisance des services sanitaires, improvise, avec l'aide des femmes du pays, une action de secours.

N'est-il pas opportun de publier à nouveau, en ce mois de février 1963 où le Comité international fête le centième anniversaire de sa fondation, plusieurs documents du plus haut intérêt, car ils donnent des aperçus d'une importance historique considérable sur la naissance de la Croix-Rouge? Il s'agit des premiers procès-verbaux de ce que l'on a appelé le « Comité des Cinq », ce comité qui est, en fait, l'organe fondateur de la Croix-Rouge.

Le Comité international de la Croix-Rouge remercie les personnalités si nombreuses qui ont répondu à son appel et sont venues célébrer avec lui le centième anniversaire de sa fondation.

Tout à l'heure, M. Pierre Boissier évoquera devant vous les débuts de cette æuvre et vous rappellera ce que le monde entier doit aux cinq citoyens de Genève qui ont créé la Croix-Rouge. N'ont-ils pas réalisé, avec un courage et une ténacité étonnants, les deux idées géniales de leur collègue Henry Dunant: l'énoncé de principes juridiques tendant, d'une part, à la protection des victimes de la guerre, d'autre part, à la formation de Sociétés nationales ayant pour tâche de seconder sur le théâtre des hostilités les Services de Santé des armées? De plus, en se constituant en Comité international, ils ont prévu quelle pourrait être la double mission d'un organisme neutre et impartial qui propagerait et développerait le droit humanitaire et enverrait, partout où l'on se bat, des délégués qui veilleraient à l'application de ce droit. Ainsi les principes et l'action se prêteraient un mutuel appui.

Le Conseil des Délégués,

ayant pris connaissance avec vive satisfaction des rapports présentés à l'occasion du Centenaire de la Croix-Rouge,

remercie le Comité international de la Croix-Rouge, la Ligue et chacune des Sociétés nationales pour l'œuvre humanitaire qu'ils ont accomplie depuis leur création et qui a pris en ces dernières années une ampleur considérable, tout à l'honneur de l'institution.

La Revue internationale a publié à plusieurs reprises des articles et informations sur un problème qui retient actuellement l'attention des personnes et institutions intéressées dans tons les pays, celui de l'humanisation de l'hôpital.

On peut noter une évolution considérable dans ce domaine et des hôpitaux-pilotes montrent, par de nombreuses innovations, la voie à suivre. Ces préoccupations correspondent à celles, très actuelles, de nombreuses Sociétés nationales de la Croix-Rouge, du Croissant-Rouge et du Lion-et-Soleil Rouge, qui possèdent leurs propres hôpitaux et forment des infirmières dans leurs propres écoles.

Il est sans objet de se livrer à beaucoup de spéculations concernant les sources de Lieber pour le Code. Ayant étudié le droit de la guerre pendant au moins un quart de siècle avant la promulgation des Instructions, sa première source fut Lieber, renforcé par les notes et fiches qu'il avait laborieusement édifiées au cours de sa carrière d'enseignement. Dans ces conditions, on peut seulement mentionner ses préférences et ses aversions. En tête de ces dernières se trouvaient à la fois le Wheaton de Laurence et le « vieux » Vattel qu'il appelait le « Père Namby-Pamby ». Le droit international (International Law), d'Halleck était regardé par lui naturellement avec grande faveur d'autant plus qu'Halleck s'était inspiré du Traité de Morale politique de Lieber.