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Vérité, réalisme et indépendence

Published online by Cambridge University Press:  13 April 2010

Denis Sauvé
Affiliation:
Cégep de Saint-Hyacinthe

Extract

On emploie souvent le mot «réalisme» dans les discussions philosophiques récentes pour désigner le point de vue qui affirme entre autres qu'une proposition est vraie ou fausse peu importe que l'on sache ou non si elle l'est ou, autrement dit, qu'elle est vraie ou fausse indépendamment des croyances que des personnes peuvent avoir au sujet de sa valeur de v´erit´e. L'«antiréalisme» est le point de vue consistant à soutenir au contraire que la vérité ou la fausseté d'une proposition n'est pas en ce sens indépendante des croyances et de la capacité que l'on a de savoir si elle est vraie ou non. Le réalisme reflète apparemment le point de vue du sens commun et, pour beaucoup de philosophes, le rejeter serait nier un truisme et adhérer à une sorte d'idéalisme. Pourtant, l'antiréalisme a aussi ses défenseurs et les arguments que ceux-ci ont avancés contre le réalisme ont une certaine plausibilité. J'examine ici ce qui me semble être un des arguments les plus intéressants des partisans de l'antiréalisme à l'appui de leur point de vue et les réponses que pourraient lui opposer les tenants du réalisme.

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Articles
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Copyright © Canadian Philosophical Association 1991

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References

Notes

1 Putnam préte á Dummet (et lui-même, semble-t-il, accepte) la façon suivante de caractériser le réalisme. Le réalisme «(1) fait la supposition d'un monde consistant en une totalité définie d'objets et de propriétés indépendantes du discours; (2) il suppose la “bivalence forte”, c'est-á-dire qu'un objet posséde ou ne posséde pas de maniére dáeterminée toute propri´eté P susceptible d'être prédiquée del'objet de fac, on douée de sens; et (3) il suppose la théorie de la v´erit´e-correspondance en un sens réaliste fort du mot “correspondence” ‘…’ c'est-á-dire qu'unprédicat correspond á un ensemble unique d'objets et un énoncé correspond a un unique état de choses ‘…’ ’ (Realism and Reason, Philosophical Papers, vol. 3, Cambridge, Cambridge University Press, 1983, p. 272)Google Scholar. Putnam définit en fait implicitement dans ce passage le realisme par quatre traits et non trois: les idées d'independance, de bivalence, de correspondance et d'«unicité» (il n'existe qu'une «description vraie et compléte» de la réalité) (cf. son livre récent, Representation and Reality, Cambridge, MA, The MIT Press, 1988, p. 107Google Scholar, oú il fait explicitement la distinction). Pour une raison qui va devenir apparente plusloin, je retiens seulement les trois premiers traits comme distinctifs du réalisme (cf. cidessous, note 12). On peut noter par ailleurs qu'il ne sera pas question dans ce qui suit de I'opposition réalisme/antiréalisme telle qu'elle figure dans le contexte de discus sions de problemes sémantiques (au sujet des théories de la signification et de la compétence linguistique); par consequent, il ne sera pas question ici des arguments de Dummet contre le réalisme.

2 Devitt, M., Realism and Truth, Princeton, Princeton University Press, 1984, p. 26.Google Scholar

3 Ibid., p. 26.

4 Putnam, H., Meaning and the Moral Sciences, Londres, Routledge & Kegan Paul, 1978, p. 125.Google Scholar

5 Ibid., p. 126.

6 Cf. egalement J. Bennett, «AnaIytic Transcendental Arguments», dans P. Bieri, R.-P. Horstmann et L. Krüger, dir., Transcendental Arguments and Science, Dordrecht, D. Reidel, 1979, p. 47–48; et Quine, W. V., «Things and Their Place in Theories», dans Theories and Things, Cambridge, MA, Harvard University Press, 1981, p. 22.Google Scholar

7 Cf, par exemple, Quine, W. V., Word and Object, Cambridge, MA, The MIT Press, 1960, p. 23.Google Scholar

8 Dummett, M., Truth and Other Enigmas, Cambridge, MA, Harvard University Press, 1978, p. 147.Google Scholar

9 Ibid., p. 147 (je souligne).

10 Dummett, M., The Interpretation of Frege's Philosophy, Cambridge, Cambridge University Press, 1981, p. 443.Google Scholar

11 Putnam, H., Reason, Truth and History, Cambridge, Cambridge University Press, 1981, p. 55.CrossRefGoogle Scholar

12 Si la vérit´e est une idéalisation de 1'acceptabilit´e, alors il ne peut y avoir selon les antiréalistes qu'une théorie vraie, ce en quoi d'ailleurs ils sont d'accord avec les réalistes (et c'est la raison pour laquelle I'idée d'«unicité» n'est pas un traitpropre au réalisme). D'autre part (comme je l'ai déjá noté), pour les antiréalistes (mais pas nécessairement pour les réalistes), il n'existe qu'un ensemble (optimal) de criteres d'acceptabilité (sinon, il pourrait exister plusieurs descriptions «vraies et completes» de la réalité). Put-nam, curieusement, semble dire le contraire. Dans la preface de Reason, Truth and History (p. x), il écrit d'abord: «[Je soutiens], pour dire la chose de maniére trés approximative, qu'il y aun rapport extrêmement étroit entre les notions de vérité et de rationalite; [c'est-á-dire] que le seul critére d'un fait est ce qu'il est rationnel d'accepter.» Mais il ajoute ensuite: «Je ne crois pas, toutefois, que la rationalité soit definié par un ensemble immuable de “canons” ou de “principes”; les principes methodologiques sont liés á notre vision du monde, et ils changent avec le temps». Je ne vois pas trés bien comment Putnam peut concilier ces deux points.

13 Alston, W. P., «Yes, Virginia, There is a Real World», dans Proceedings and Addresses of the American Philosophical Association, vol. 52 (1979), p. 780.CrossRefGoogle Scholar

14 Ibid., p. 787 (je souligne).

15 Sur cette reponse de I'antiréaliste, cf., parexemple, H. Putnam, Realism and Reason, p. xvii, et Antony, L. M., «Can Verificationists Make Mistakes?», American Philosophical Quarterly, vol. 24 (1987).Google Scholar

16 Putnam, H., Reason, Truth and History, 1981, p. 55.Google Scholar

17 Cette objection a été faite, entre autres, par Cherniak, C., «Limits for Knowledge», Philosophical Studies, vol. 49 (1986), p. 37CrossRefGoogle Scholar; par Fodor, J. A., The Modularity of Mind, Cambridge, MA, The MIT Press, 1983, p. 120125Google Scholar; et par M. Devitt, Realism and Truth, 1984, p. 187.

18 Quine, W. V., Word and Object, 1960, p. 23.Google Scholar

19 Quine, W. V., «On Empirically Equivalent Systems of the World», Erkenntnis, vol. 9 (1975), p. 313.CrossRefGoogle Scholar

20 Une autre objection que I'on rencontre souvent est la suivante. Tout le monde admet qu'il y a un nombre n tel que I'énce «II a existé n dinosaures durant les temps pr´his toriques» est vrai (l'exemple est de Hartry Field dans «Realism and Relativism», The Journal of Philosophy, vol. 79 [1982], p. 556Google Scholar, ou il fait une critique de Reason, Truth and History de Putnam). Mais il est evident que cet énoncé n'est pas actuellement et ne sera jamais dans le futur rationnellement justifiable. Par conséquent, on ne peut pas identifier vérité et justifiabilité rationnelle. La réponse de l'antiréaliste serait ici encore que, dans des conditions epistemiques ideales, quelqu'un serait en mesurede savoir que 1'enoncé est vrai.

21 Quine exprime apparemment un point de vue proche de ce deuxiéme type de realisme dans le passage suivant de Theories and Things (p. 22): «Nos théories scientifiques ‘…’ peuvent se tromper, etprécisément de la façon familiére: par l'éhec d'une prédiction d'observation. Mais qu'en est-ilsi, par bonheur et sans le savoir, nous avons réussi á elaborer une théorie qui Concorde avec toutes les observations possibles, passées et futures? En quel sens peut-on dire que le monde differe de ce qu'affvrme la tháorie? De toute evidence en aucun sen‘…’ ».

22 J. Bennett («Analytic Transcendental Arguments», dans P. Bieri, R.-P. Horstmann et L. Kr¸ger, dir., Transcendental Arguments and Science, 1979, p. 48–49) et Stroud, B. (The Significance of Philosophical Scepticism, Oxford, Oxford University Press, 1984, p. 82)CrossRefGoogle Scholar, entre autres, suggérent cet argument.

23 D. Davidson, par exemple, est un réaliste (plus préecisément, un théoricien de la vérité-correspondance) pour qui c'est une sorte de vérité conceptuelle que laplupart de nos croyances sont vraies (une vérité, selon lui, découlant de considérations sur la méthodologie de l'«interpretation radicale»). II écrit: «Toute croyance ‘…’ jouit d'une présomption en faveur de sa vérité. La présomption [de vérité d'une croyance] augmente á mesure que s'accroçt le nombre et l'importance des croyances avec lesquelles elle est cohérente [coheres] et, puisqu'il néexiste pas de croyance isolée, il n'y a pas de croyance sans une présomption [de vérité]en sa faveur. ‘…’ La presomption géneraté en faveur de la vérité déune croyance nous sauve déune forme courante de scepticisme en montrant pourquoi il n'est pas possible que toutes nos croyances soient fausses en même temps» («A Coherence Theory ofTruth and Knowledge», dans D. Henrich, dir., Kant oder Hegel? Ueber Formen der Begründung in der Philosophie, Stuttgart, Klett-Cotta, 1983, p. 437–438 [je souligne]).

24 D'aprés ce qui précéde, il y a une variété de réalisme compatible avec l'idee d'une connexion conceptuelle entre vérité et croyances justifiées. Mais, si tel est le cas, qu'est-ce que I'antirfialisme? Je pense qu'il faut définir l'antirealisme par la négation de (2), le rejet de la théorie de la vérité-correspondance, plut¸t que par la négation de (1) (ou de [3], comme je le montre dans la section suivante). Pour un réaliste (du deuxieme type), il existeun lien conceptuel entre vérité et justification (une proposition est vraie si et seulement si elle est justifiable á la limite idéale) mais la «nature» de la vérité est d'etre une relation de correspondence entre propositions et états de choses; alors que, pour l'antiréaliste, non seulement il y a une connexion conceptuelle entre vérité et justification, la vérité est aussi «par nature» (n'est rien d'autre que) la justification a la limite ideale.

25 W. H. Newton-Smith, par exemple, défend un point de vue semblable á celui-lá (cf. «Trans-Theoretical Truth without Transcendant Truth?», dans D. Henrich, dir., Kant oder Hegel?). II écrit (p. 473): «Je défends 1«abandon de la bivalence dans le cas de propositions dont la valeur de vérité resterait indéterminée même une fois fixeé la valeur de vérité de la totalité des énoncés d'observation. C'est-á-dire que nous retirons la bivalence seulement pour ces énoncés qui seraient indécidables par un Dieu observationnellement omniscient. De mon point de vue, on peut toujours considérer comme bivalent [par exemple] 1'énonce [(en principe décidable) “Aucune ville ne sera jamais érigée au Pole Nord”] car sa valeur de vérité serait fixée par une distribution de valeurs de vérité sur l'ensemble de tous les énonces d'observation».