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Le réceptacle platonicien: nature, fonction, contenu

Published online by Cambridge University Press:  13 April 2010

Jean-Marc Narbonne
Affiliation:
Université Laval

Abstract

This paper will attempt to show that the interlude on necessity in the Timaeus narrative introduces a dualism into the Platonic cosmology, and that it is the material principle which is the positive cause of the disorder in the world. Furthermore, one can notice that in this work Plato is heading toward a concept of sensible substance that is close to the one which Aristotle will be defending.

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Articles
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Copyright © Canadian Philosophical Association 1997

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References

Notes

1 Ennéade III, 6 [26], chapitre 6 et suivants.

2 In Physicorum, éd. Diels, H., Berlin, G. Reimer (Commentaria in Aristotelem Graeca, vol. 9), 1882, p. 320, 20 sqq.Google Scholar

3 Ennéade III, 6 [26], respectivement 14, 22 et 12, 7.

4 Je me permets de renvoyer le lecteur à mon ouvrage La métaphysique de Plotin, Paris, Vrin, 1994, p. 38 sqq. et 113 sqq. à l'Appendice «Irréalité de la matière et réalité du mal».

5 Narbonne, J.-M., «L'impassibilité de la matière dans l'Ennéade III, 6 [26] : doctrine stoïcienne ou innovation plotinienne?», dans Cahiers des études anciennes, t. 29 (1995), p. 6974Google Scholar. Les références aux textes stoïciens sont à Stoicorum Veterum Fragmenta, éd. Hans von Arnim, 3 vols., Leipzig, Teubner, 1903–1905,

6 Ennéade II, 4 [12], 11, 17–19.

7 Ennéade III, 6 [26], 19, 25, 29–30.

8 Ennéade II, 4 [12], 8, 23–24.

9 Physique, 192a28.

10 Respectivement Ennéade II, 4 [12], 8,21; III, 6 [26], 18, 30–31 et I, 8 [51], 3, 15.

11 Ennéade I, 8 [51], 8, 18 sqq.

12 Ibid., 22–23.

13 Ibid., 14,48.

14 Cf. notamment Ennéade II, 6 [17]. Sur ce problème, voir mon Plotin. Les deux matières [Ennéade 11, 4 (12)], Paris, Vrin, 1993, p. 222–223.

15 Alt, Notamment K., «Die überredung der Ananke zur Erklärung der sichtbaren Welt in Platons Timaios», Hermes, no 106 (1978), p. 446.Google Scholar

16 Platon, Lois, 896a-b. Voir encore Phèdre, 246c.

17 Cherniss, Tarén et d'autres ont tenté de plier le Timée au cadre interprétatif des Lois où l'Âme est donnée comme la source universelle de tout mouvement. C'est une faccedil;on d'eliminer le dualisme. Le mouvement chaotique du réceptacle serait un effet secondaire du mouvement initié par l'Âme du monde. Mais pour soutenir cela, il faut désavouer ce que dit nommément le Timée, à savoir que le mouvement erratique existait avant l'intervention du démiurge, avant la formation du monde, et donc avant que le Démiurge ne façonne l'Âme du monde. Là où il n'y avait pas encore de monde, et où il ne pouvait donc y avoir d'Âme du monde, là, il y avait déjà du mouvement (que le déjà ait ici un sens chronologique ou simplement logique ne change rien à la chose), voilà ce que dit le Timée, comme le soutient à juste titre Festugière contre Cherniss. Plier le Timée aux Lois, ce n'est pas éclairer un texte à partir d'un autre; pallier un manque dans le texte primitive à l'aide d'un texte adventice, c'est désavouer un texte au profit d'un autre, c'est chercher à montrer qu'il ne dit pas ce qu'il dit. En outre, si le mouvement chaotique est une conséquence du movement ordonné initié par l'Âme, persuader la nécessité, l'amener à des fins meilleures, ramener le désordre à l'ordre (48a2–5), tout cela devient vide de sens. Si le mouvement initié par l'Âme a pour contre-effet obligé le désordre, de quoi peut-on persuader l'Âme, de ne plus produire aucun mouvement?

18 Festugière, A. J., La révélation d'Hermès Trismégiste, vol. 2 : Le Dieu cosmique, Paris, Les Belles Lettres, 1986 (lre éd. 1949), p. 113Google Scholar. Voir aussi J. B. Skemp, «The Disorderly Motions Again», dans Aristotle on Nature and Living Beings, Pittsburg, PA, Mathesis Publications, 1985, p. 306 : «The chaos in the Timaeus seems to represent not only physical disequilibrium but an unintelligent resistance or non-cooperation which has to be won over and led to yield willingly (56c) to the persuasion of the Demiurge».

19 Comme l'implique l'importation du schème psychokinetique des Lois dans la structure idiosyncratique du Timee. Il en résulte en effet que a) la raison est la source de la déraison, qu'elle se renverse en son contraire et est donc pour ainsi dire autocontradictoire (cf. H. F. Cherniss, compte rendu de La révélation d'Hermès Trismégiste, vol. 2, de A. J. Festugière, dans Gnomon, vol. 22 [1950], p. 208: «The secondary motions of the errant cause are explained in the Timaeus as necessary consequences of the action of soul upon body»); b) tous les passages où Platon retient que la raison a dû vaincre la nécessité pour constituer le meilleur monde possible perdent l'essentiel de leur sens: ce que la raison a dû vaincre dans cette hypothèse c'est elle-même (!), puisque c'est elle qui entraîne malgré elle le désordre qu'elle est appelée à corriger. Or tout comme J. B. Skemp, «The Disorderly Motions Again», p. 300, je pense que Platon «seriously means to say that Mind persuades Necessity to bring everything in the universe, as well as the universe itself, to the best result possible».

20 C'est ce que remarque fort à propos Zeyl, D., «Plato and Talk of a World in Flux : Timaeus 49a6–50b5», Harvard Studies in Classical Philology, vol. 79 (1975), p. 135CrossRefGoogle Scholar, n. 24 : «I wish to record my protest against the tendency among commentators to exegete the passage by means of a “mirror” analogy. The receptacle receives and mirrors reflect, and the analogy here escapes me. The mirror certainly never assumes the momentary shapes of its “reflections”. Surely Plato's own “gold” analogy is much more apposite».

21 La révelation d'Hermès Trismégiste, vol. 2, p. 117 sqq. II faut insister dans ce contexte sur l'aspect dynamique du processus que décrit Platon. Ce sur quoi opère le Démiurge n'est pas simplement un matériau inégal qui, en vertu de son inégalité même, serait malaisé à ordonner. Il est inégal et actif, présentant un mouvement propre et ce par nature (πφυκεν, 48a7), mouvement irrégulier allant des éléments à la nourrice du devenir et faisant retour, restitué par la nourrice du devenir, vers les éléments (52d4 sqq.). Par conséquent, le travail du Démiurge n'est pas simplement limité par le matériau aù sens où le pilote d'un bolide est limité dans sa course par la puissance de son moteur, ou le charpentier, par la solidité insuffisante de son matériau, bois plutôt qu'acier; mais il est limite comme le cavalier à la fois par la puissance et les soubresauts imprevisibles de sa monture, ou comme le capitaine d'un navire, à la fois par la résistance de l'eau (donnée constante) et les mouvements dont elle s'enfle dans la tempête (donnée variable).

22 Font exception notamment Omez, Mugler, Keyt, Guthrie et Brisson. Sur quoi, voir L. Brisson, Le Même et l'Autre dans la structure ontologique du Timée de Platon, Paris, Klincksieck, 1974, 2e ed., Saint-Augustin, Academia Verlag, 1994, p. 251 et 261.

23 Comme le note Guthrie, W. K. C. (A History of Greek Philosophy, vol. 5 : The Later Plato and the Academy, Cambridge, Cambridge University Press, 1978, p. 268)Google Scholar il s'agit là de l'argument le plus décisif contre la représentation d'un réceptacle entendu comme pur espace.

24 Popper, Ainsi K., Conjectures and Refutations, 3e éd., Londres, Routledge and Kegan Paul, 1969, p. 81, n. 22.Google Scholar

25 Brisson, L. et Meyerstein, F. W., Inventer l'univers, Paris, Les Belles Lettres, 1991, p. 28.Google Scholar

26 C'est la seule solution qui reste, comme le signale Platon dans le Politique (270al-2), pour expliquer la marche rétrograde du Monde, à savoir que celuici se meuve de son propre mouvement jusqu'à ce qu'il «sombre dans la mer infinie de la dissimilitude» (273d), la cause en étant «son antique et primitive nature» (273b4–5), dans la mesure où c'est «de sa nature antérieure que provient tout ce qu'il y a de fâcheux et d'irregulier dans le Ciel» (273b7-cl). La proximité avec la perspective du Timée est évidente.

27 Physique, 209b11–16.

28 Platon, Œuvres complètes, t. 10 : Timée-Critias (éd. Budé), texte et traduction A. Rivaud, Paris, Les Belles Lettres, 1925, notice, p. 68.

29 Peut-on parler d'une volonté ou d'une visée animant la matière chez Plotin? Cette question, qui me fut adressée par D. O'Brien à l'occasion du IVe Symposium Platonicum (Grenade), mérite en effet d'être posée. C'est en I, 8 [51], 14 que la dramatisation du rôle de la matière est très palpable, notamment aux lignes où l'on peut lire que celle-ci sollicite l'âme (προσαιτεῖ), l'importune (νοχλεῖ), et veut pénétrer en elle (εις τσω πσρελθεῖν θλει). Mais on la trouve aussi ailleurs, particulièrement en III, 6 [26], 14, 7–10 où il est fait allusion à l'audace (τóλμα) de la matière et où elle présentée là encore comme une solliciteuse qui tente violemment de s'emparer de ce qui vient en elle (cf. aussi II, 3 [52], 9, 43 sqq.). De telles images, où la matière est trompée ou frustrée dans ses efforts (πατηθν, 1.9), laisssent deviner une sorte de volonté en exercice (on ne peut en effet tromper que ce qui est anime d'un dessein!). Elles sont en tout cas absentes du Timée.

30 Elle affleure cependant en 56c5 où Dieu réalise son oeuvre, «pour autant que la nature de la nécessité cède volontiers à la persuasion» (ὅπηπερ τς νγκης κοσα πεισθεῖσ τε φσις πεῖκεν).

31 La révélation d'Hermès Trismégiste, vol. 3 : Les doctrines de l'âme, 1986 (1re éd. 1953), p. XIV : «[…] d'Albinus à Numénius, de Plotin à Porphyre, c'est quasi un dogme recu que la matière est agitée de mouvements désordonnés avant l'intervention du Démiurge et que, par suite, l'origine du mal est dans la matière comme telle».

32 Ennéade I, 8 [51], 4–8.

33 Sur quoi, voir Guthrie, W. K. C., A History of Greek Philosophy, vol. 5, p. 318Google Scholar, et J. B. Skemp, «The Disorderly Motions Again», p. 306.

34 Ennéade I, 8 [51], 15, 23–24.

35 Physique, 192a15.

36 Métaphysique, 1004a 15–16 : «Dans la privation, il y a aussi une nature substrative dont la privation est affirmée»; comparer Physique, 192a26–27, où il est manifeste que c'est dans la matière (ν ᾧ ν τοτῳ) et nulle part ailleurs que la privation réside.

37 Métaphysique, 1091b31–1092a5.

38 Comme le signale Festugière (La révélation d'Hermès Trismégiste, p. 129), le rôle perturbateur du réceptacle en tant que puissance active n'est qu'un aspect de celui-ci à côté de son rôle réceptif en tant que puissance passive. C'est aussi la conclusion à laquelle, par des voies indépendantes, j'étais parvenu s'agissant de la matière plotinienne. Rien, pas plus la matière mauvaise plotinienne qu'autre chose, n'est totalement mauvais, je veux dire à ce point mauvais qu'incapable d'aucune contribution positive. Toute mauvaise qu'elle se révèle, la matière plotinienne est nécessaire aux corps (Ennéade II, 4 [12], 12, 22), et donc indispensable à la constitution du monde, et en ce sens utile.

39 De la génération des animaux, 778a6 : «τν τς ὓλης οπιςτιαν»; De la génération et de la corruption, 336b21 : «νωμλου γρ οὔςης τς ὔλης».

40 Cf. Métaphysique, 1046a36 sqq. et 1048a3 sqq. au sujet des «δυνμεις ἄλογοι» qui ne sont pas sans évoquer les éléments se comportant «λγως κα μτρως» de Timée 53a9.

41 De la génération des animaux, 770b16–17. Comparer Plotin, Ennéade I, 6 [1], 2, 16–18 : «Est laid tout ce qui n'est pas dominé par une forme et par une raison, parce que la matière n'a pas admis complètement l'information de l'idée»; I, 8 [51], 5, 23–24 : «[…] la laideur est la matière, quand elle n'est pas dominée par la forme».

42 Cf. Simplicius, In Physicorum, I, éd. H. Diels, p. 249, 12–14.

43 Timée, 69b.

44 Ainsi par exemple L. Brisson, Le Même et l'Autre, p. 401–402; 472 sqq.

45 Comme l'attestent les précautions introduites en 48b3 sqq.

46 Ce sont essentiellement les éléments ou plutôt prééléments dont, dans toute la section s'étendant de 47e3 à 53c4, on tente de cerner la nature et le comportement originaires. Les éléments mais aussi, cela va de soi, «toutes les autres affections qui s'ensuivent» (52d6–53el) mécaniquement de ceux-ci (d'ou la référence aux pierres, au vent, au nuage et au brouillard [49c], et plus largement, aux contraires en général [50a3]). La présence de ces états instables de l'être dans le réceptacle est le résultat de la participation primitive, erratique et prédémiurgique du réceptacle à l'initialligible (51a), puisque le Démiurge, c'est entendu, «n'est pas l'initiateur de la participation des choses sensibles aux formes intelligibles, mais seulement celui qui la perfectionne» (L. Brisson, Le Même et l'Autre, p. 472, cf. aussi p. 401). C'est d'ailleurs pourquoi ce qui est relaté dans cette portion du Timée a une portée essentiellement relative — le monde lui-même n'existait pas encore! — et doit être réévalué à la lumière de ce qu'apporte et modifie l'oeuvre démiurgique.

47 «As many do», rappelle Guthrie, W. K. C. (A History of Greek Philosophy, p. 79 et 80)Google Scholar, dont notamment F. M. Cornford lui-même dans son Plato's Cosmology, New York, Humanities Press, 1937, p. 204.

48 Cf. Guthrie, W. K. C., A History of Greek Philosophy, p. 252 et 286Google Scholar : «When he wrote the Phaedo and the Republic he appears to have […] abandoned hope of a science of the physical world. Knowledge is not of “what becomes” but only of “what is” […] [Dans le Timée] he maintains as strongly as ever the distinction between “what becomes” and “what is” […] and warns that any account of the physical world can be no more than probable; yet such an account has now become for him supremely worth giving, and he takes great pains to work it out in detail», Brisson, Luc, Platon, Timée / Critias, traduction, introduction et notes, Paris, Flammarion, 1992, p. 14Google Scholar : «À quelles conditions le monde sensible peut-il devenir connaissable? Voilà la question à laquelle cherche à repondre Platon dans le Timée».

49 Renouant sur ce point avec les analyses du Phédon, 95e-107a (surtout 103el-5 et 104d6–7), où la distinction est faite, pour les réalités particulières, entre les propriétés nécessaires et accidentelles, et qui semblent donc manifester une véritable consistance.

50 Guthrie, W. K. C., A History of Greek Philosophy, p. 80, comparer p. 81–82Google Scholar : «In their causal capacity the Forms rescue the sensible world from the meaningless chaos to which the neo-Heraclitean maniacs would consign it […]. To suggest that their existence and presence could leave the flux of becoming unaffected shows a fundamental misunderstanding of Plato's position».

51 De la generation et de la corruption, 327b27–29.

52 Platon anticipe entre autres sur la distinction aristotelicienne etablie entre les elements et les homéomères organiques quand il considère la moelle, les os, la chair, les tendons et le sang comme des «constitutions secondaires» (δευτρων συσσεων, 82b8) naturelles par rapport aux éléments premiers dont ils sont formés. Le parallèle avec Aristote ne tient évidemment plus lorsqu'on observe que pour Platon ces éléments sont formes de triangles, et qu'il va même jusqu'à concevoir un corps jeune comme le résultat de la présence en lui de triangles tout neufs (81b)! Mais, modèle géométrique mis à part, l'effort pour rendre compte de la structure à la fois hiérarchisée et différenciée du monde sensible est le même.

53 Catégories, 4a10 sqq.

54 Timée, 69c.

55 Zeyl, D. J., «Plato and Talk of a World in Flux: Timaeus 49a6–50b5», Harvard Studies in Classical Philology, vol. 79 (1975), p. 146.CrossRefGoogle Scholar

56 Proclus, Commentaire sur le Timée, traduction et notes par A. J. Festugière, vol.5, Paris, Vrin, 1968, p. 202–203 (=In Timaeum, éd. E. Diehl, 3 vols., Leipzig, Teubner, 1903–1906, p. 321, 2–24).

57 K. Popper, Conjectures and Refutations, p. 81, n. 22.

58 «Est-il donc possible, si le Beau passe sans cesse, d'indiquer par une appellation juste, d'abord qu'il est cela, ensuite qu'il est tel [que le Beau] (πρτον μν τι κεῖν στιν, ἔπειτα τι τοιοτον)» (439d5–7).

59 Je rejoins donc Interpretation traditionnelle (Taylor, Cornford, Gulley, Zeyl) selon laquelle l'expression τοιοτον est bien celle retenue par Platon pour désigner le phénomène sensible.

60 Cherniss, H. F., «A Much Misread Passage of the Timaeus (Timaeus 49c7–50b5)», American Journal of Philology, vol. 75 (1954), p. 113130CrossRefGoogle Scholar; Lee, E. N., «On Plato's Timaeus, 49d4-e 7», American Journal of Philology, vol. 88 (1967), p. 128CrossRefGoogle Scholar; Brisson, L., Le Même et l'Autre, p. 193194Google Scholar; et Brisson, L., Platon, Timée / Critias, p. 2831.Google Scholar

61 L. Brisson, Le Même et l'Autre, p. 194.

62 Comme l'ont bien signalé d'abord Gulley, N., «The Interpretation of Plato, Timaeus 49d-e», American Journal of Philology, vol. 81 (1960), p. 64Google Scholar, puis D. Zeyl, «Plato and Talk of a World in Flux: Timaeus 49a6–50b5», p. 134.

63 H. F. Cherniss, «A Much Misread Passage of the Timaeus», p. 130, comparer L. Brisson, Platon, Timée / Critias, p. 30–31 : «[…] les propriétés qui restent identiques à elles-mêmes dans le monde sensible ne sont pas définies par référence à leurs manifestations transitoires comme phénomenès».

64 H. F. Cherniss, «A Much Misread Passage of the Timaeus», p. 129 : «Plato, having said that what fire is cannot be said to be “this” or “that” phase of the phenomenal flux but only to be the perpetually self-identical characteristic that is the determining factor of the indeterminable affection».

65 Ibid., p. 128.

66 Or il ne fait pas de doute que selon Cherniss les caracteristiques en question sont dans le réceptacle, elles y entrent et en sortent («these distinct and selfidentical characteristics that enter and leave the receptacle», p. 128) et sont identifiées par Cherniss (p. 128–129) aux τν ντων ε μιμματα (50c4–5), elles sont de la nature de l'image εἰκνα (52c) et sont appelées a l'occasion des εἴση, γνη ου μορφαι (50cl, 50e5, 51a3, 52d6). Mais si leur nature est celle de l'image, comment peuvent-elles à la fois être identiques, comme l'affirme Cherniss, et être comparées en tant qu'images à un «fantôme toujours transitoire» (ει φρεται φντασμα, 52c3), comme l'écrit Platon?

67 H. F. Cherniss, «A Much Misread Passage of the Timaeus», p. 130 : «Of the phenomenal flux itself nothing more can be said than that it is the resultant of these entrances and exits [celles des caractéristiques] in the receptacle». Du reste, comment, encore une fois, parler d'un résultat quelconque dans le réceptacle, si «no part of the phenomenal flux is distinguishable from any other», comme on a vu que Cherniss l'affirmait (cf. note 65)? On renoue ainsi avec la réflexion si juste de Guthrie (cf. note 50): supposer que l'existence des Idées n'a aucun effet sur le flux sensible «shows a fundamental misunderstanding of Plato's position».

68 Plus récemment, R. D. Mohr (The Platonic Cosmology, Leyde, Brill, [Philosophia Antiqua, vol. 42], 1985) a critiqué avec d'autres arguments la position conjointe de Cherniss et de Lee en y substituant sa propre réponse, jugée par lui nouvelle («it has eluded Platonic scholarship», p. 89). Je crains toutefois qu'elle ne nous mène guere plus loin que celle qu'il rejette. Comme Cherniss, Mohr soutient que l'expression τοιοτον réfère à l'image de la Forme intelligible, mais au contraire de celui-ci, il ne sépare pas l'image du flux phénoménal lui-même, mais les considère absolument coextensifs (p. 90), en quoi il a raison. La difficulté émerge non pas lorsqu'on veut distinguer image et flux phénoménal, puisque cette distinction est chez lui abolie, mais lorsqu'il s'agit de savoir comment se manifeste et par suite se reconnaît l'image, coextensive du flux phénoménal, qui est jugée pour sa part impossible à identifier : «It is as recurring rather than as being in flux that a type of phenomena may be identified […] Insofar as the phenomena are in flux, nothing whatsoever may be said of them. But insofar as they are images of Ideas, they may be identified according to kind» (p. 88). Je repose donc la question, comment reconnaître l'image, coextensive au flux, dans lequel on ne reconnaît rien? Réponse : «We can tell that what recurs is the same recurring image by referring it to the original of which it is an image » (p. 88). Mais référer quoi et à quel original, puisque de l'aveu de Mohr lui-même, on n'a rien pu reconnaître dans le flux phénoménal? Peu étonnant que l'on aboutisse alors (p. 88) à cette conclusion d'obédience chernissienne : «That the phenomena are in flux required some means other than direct appeal to the phenomena themselves in order to identify them» (comparer Cherniss, «A Much Misread Passage of the Timaeus», p. 130 : «The self-identical characteristics are not identified, then, by reference to their transient phenomenal manifestation»). De cet autre moyen de reconnaissance invoqué par Mohr on ne trouve — et pour cause — aucune trace par la suite, et l'on se demande bien à quoi a pu servir l'argument en faveur de l'appartenance réciproque de l'image et du phénomène. Encore une fois, on ne peut faire du fixe avec du fluide. Si l'image a quelque trait reconnaissable hérité de l'original, la chose doit se réfléter concrètement dans le flux phénoménal sous peine, pour l'image, de n'être absolument pas. C'est d'ailleurs ce que l'on découvre à la lecture attentive de Timée, 51b4–6 : «Ce qui, à chaque fois, se montre (φαινυσται) comme feu, c'est la portion du réceptacle qui est enflammée; comme eau, la portion qui est liquéfiée, et terre et air, à proportion qu'elle [la portion du réceptacle] a reçu des images de terre et d'air». On trouve une correspondance stricte dans ce passage entre le flux phénoménal (la portion enflammée), sa manifestation, et l'image qui provoque l'un et l'autre, donc entre l'être, le paraître et la cause. En entrant dans le réceptacle, l'image par exemple du feu enflamme la portion correspondante du rédceptacle et la manifeste comme feu. L'exemple implique que tout le temps où la portion du réceptacle est feu et se manifeste comme feu, elle est de manière stable du feu. Feu peut très bien, chez Platon, signifier avoir telle propriété géométrique, peu importe ici; mais il est, de manière stable, tout le temps qu'il est feu, cela, cette propriété. Le passage réfute à la fois Cherniss (distinction flux phenomenal/caractéristique identique comparée à l'image) et Mohr (flux phénoménal coextensif à l'image/mais non reconnaissable).

69 Sur quoi R. D. Mohr, The Platonic Cosmology, p. 90 : «Cherniss takes τοιοτον correctly as referring to images of Ideas, but wishes to separate the images from the phenomena in flux […]. The chief objection to this view is that there are at least four places in the dialogue, three in the immediate context, where the phenomena as images and the phenomena as in flux are taken as extensionaly equivalent (29c-l-3, 48e6–49al, 50dl-2, 52a4–7)». On peut y ajouter mon commentaire de 52c3 (note 66).

70 Métaphysique, 993b5.

71 On trouvera à ce propos des suggestions interessantes chez Jane S. Zembaty, «Plato's Timaeus: Mass Terms, Sortal Terms and Identity through Time in the Phenomenal World», dans New Essays on Plato, Calgary, The University of Calgary Press, 1983, p. 101–122.

72 Métaphysique, 1073a30; 1074a35–36.