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Le concept de domination politique chez Jean-Jacques Rousseau

Published online by Cambridge University Press:  13 April 2010

Norbert Lenoir
Affiliation:
Université d'Aix-en-Provence

Abstract

Rousseau develops a genealogical reflection on political domination. The intelligibility of the genealogy does not rest on the psychological category of craving for power. That is why Rousseau differentiates between tyranny and despotism. Rousseau stresses this difference in two works: Discours sur l'origine de l'inégalité parmi les hommes and Rousseau juge de Jean-Jacques. Tyranny and despotism differ in that the latter produces an ideological speech. Political domination depends upon a double process. In the first process, ruling implies creating inequality in the political order, thus excluding people from political decisions. In order to mask this political inequality, the ideological speech produces two fictions: the fiction of the guaranty and the fiction of the community. In the second process, ruling implies generating public opinion which, in turn, adheres to this political order.

Type
Articles
Copyright
Copyright © Canadian Philosophical Association 2000

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References

Notes

1 Le probléme de la domination dans la pensée de Rousseau a sollicité les interprètes rousseauistes, et nous n'avons garde d'omettre, pour ne citer que les plus connues, les belles études de Derathé, Robert, dans Jean-Jacques Rousseau et la science politique de son temps (Paris, Vrin, 1979)Google Scholar, de Manent, Pierre, dans Naissances de la politique moderne. Machiavel, Hobbes, Rousseau (Paris, Payot, 1977)Google Scholar, et plus récemment celle de Jean-Fabien Spitz., La liberté politique, particulièrement le chapitre VIII “Rousseau et la critique de la modernite” (Paris, Presses Universitaires de France [Léviathan], 1995, p. 311–339). Nous pouvons citer aussi l'article de Paule-Monique Vernes: «Jean-Jacques Rousseau : l'orgueilleux despotisme de la philosophie moderne», Études de philosophic, n° 3 (mai 1996), p. 61–82. II nous a paru cependant qu'au travers de la différence réalisée par Rousseau entre la tyrannie et le despotisme, son analyse de la domination mérite un nouvel examen. Cet examen a fait l'objet d'une thèse de doctorat soutenue à Aix-en-Provence en France: Norbert Lenoir, Domination et légitimité. Deux stratégies d'interrogation du Poitique chez Jean-Jacques Rousseau, thèse dactylographiee, Aix-en-Provence, Université de Provence I, 1998. Cet article se veut un prolongement et un complément des analyses contenues dans cette thèse de doctorat.

2 Rousseau, Jean-Jacques, Discours sur l'origine de l'inégalité parmi les hommes, dans Œuvres complétes, t. 3, Paris, Gallimard (Bibliothéque de la Pléiade), 1964, p. 187.Google Scholar

3 Ibid., p. 191.

5 Jean-Jacques Rousseau, Contrat social, III, 10, dans Œuvres complètes, t. 3, p. 423.

7 Rousseau, Discours sur l'inégalité, p. 191.

8 Jean-Jacques Rousseau, Polysynodie, I, dans Œuvres complètes, t. 3, p. 617.

9 Rousseau, Discours sur l'inégalité, p. 188.

10 Jean-Jacques Rousseau, Projet de constitution pour la Corse, dans Œuvres complètes, t. 3, p. 939.

11 Fragment d'un brouillon du Rousseau, Discours sur l'inégalité, p. 225.

12 Ibid., p. 190.

13 Ibid., p. 131.

14 Ibid., p. 187.

15 C'est pour cette raison que les termes de riche et de pauvre ne sont pas pour Rousseau de simples catégories économiques. Ils sont l'expression d'une société fondee sur une dynamique d'exclusion et d'exclusivité du pouvoir politique. Si on souhaite ´ tout prix les faire entrer dans une catégorie déterminante, il faut dire qu'ils sont beaucoup plus politiques qu'économiques. Le riche c'est surtout celui qui dispose exclusivement du pouvoir politique; le pauvre est celui qui est privé de toute initiative politique.

16 Ibid., p. 177.

17 Rosset, Clément, Le réel et son double, Paris, Gallimard, 1976, p. 12.Google Scholar

18 Rousseau, Jean-Jacques, Émile, livre IV, dans OElig;uvres complètes, t. 4, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 1969, p. 524.Google Scholar

19 Rousseau, Discours sur l'inégalité, p. 175.

20 Rousseau, Émile, livre IV, p. 524.

21 Rousseau, Discours sur l'inégalité, p. 177.

28 Rousseau, Sur les richesses, dans Œuvres complètes, t. 5, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 1995, p. 481.

29 Rousseau, Discours sur l'inégalité, p. 190.

30 Jean-Jacques Rousseau, Considérations sur le gouvernement de Pologne, dans Œuvres complètes, t. 3, p. 983.

31 Rousseau, Jean-Jacques, Rousseau juge de Jean-Jacques, 3eDialogue, dans Œuvres complètes, t. 1, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 1959, p. 953.Google Scholar

32 Jean-Jacques Rousseau, Lettres écrites de la montagne, 9eLettre, dans Œuvres complètes, t. 3, p. 893.

33 Jean-Jacques Rousseau, Essai sur l'origine des langues, chapitre XX, dans Œuvres complètes, t. 5, p. 429. Rousseau précise bien qu'une telle langue est le signe de la domination, de l'absence de liberté :«[…] il est impossible qu'un peuple demeure libre et qu'il parle une telle langue» (ibid.).

34 Rousseau, Discours sur l'inégalité, p. 190.

35 Jean-Jacques Rousseau, Sur le goût, dans Œuvres complètes, t. 5, p. 483. En suivant la pensée de Rousseau, on comprend que, même si le terme de discours idéologique n'est pas présent dans son œuvre, sa réalité est bien vivante. La notion de «langue servile» renvoie bien à l'utilisation d'un langage qui a pour but de «fortifier le pouvoir» en lui donnant, par l'intermédiaire de représentations de justice et d'égalité, «un air apparent de concorde» (Discours sur l'inégalité, p. 191). Rousseau, en affirmant qu'il existe un «rapport des langues aux gouvernements» (Essai sur l'origine des langues, chap. XX, t. 5, p. 428), se montre conscient qu'un gouvernement despotique, pour se soutenir, a besoin d'une langue particulière qui présente la société «sous un faux simulacre de progrés» et de justice (Rousseau juge de Jean-Jacques, lerDialogue, p. 686).

36 Rousseau, Émile, livre IV, t. 4, p. 526.

37 Rousseau, Discours sur l'inégalité, p. 177.

38 Ibid., p. 188.

39 Rousseau, Lettres écrites de la montagne, 9eLettre, t. 3, p. 893.

40 Rousseau, Discours sur l'inégalité, p. 177.

41 Rousseau, Rousseau juge de Jean-Jacques, 2eDialogue, t. 1, p. 806.

43 Ibid., 3eDialogue, t. 1, p. 905.

45 Ibid., p. 967.

46 Ibid., note, p. 965. Relativement à ce concept d'opinion publique, la pensée de Rousseau est en décalage avec son siècle, lieu d'identification entre l'opinion publique et la notion de publicité. Pour le XVIIIe siècle, l'opinion publique possède deux vertus politiques essentielles. La première est qu'elle contribue au développement de l'intelligence politique des citoyens. L'opinion publique est le résultat «éclairé» de la réflexion publique, effectuée en commun, à propos de l'ordre politique. Cela nous renvoie à l'affirmation kantienne : «[…] un public s'éclaire lui-méme par un usage public de sa raison» (Kant, Emmanuel, Qu'est-ce que les Lumiéres?, Paris, Flammarion, 1991, p. 44)Google Scholar. La deuxiéme vertu met l'accent sur la notion de publicité. La publicité des débats politiques assure au public la possibilité d'intervenir pour critiquer le pouvoir politique : l'usage public de sa raison est un usage critique. Pour Rousseau, l'opinion publique présente un autre visage dont la physionomie n'est pas celle de la critique du politique, mais celle de l'identification a la domination. Selon Rousseau, l'opinion publique est une mise en images, une mise en représentation de l'identification au pouvoir de la domination. En devenant publique, l'opinion du pouvoir et sur le pouvoir n'est pas nécessairement critique, car elle peut participer à la création d'un public à la pensée identifiée aux mêmes valeurs. Ce public de l'opinion loin d'être la force motrice du politique est le produit même de l'action de la domination.

47 Jean-Jacques Rousseau, Discours sur les sciences et les arts, lère partie, dans Œuvres complètes, t. 3, p. 8.

48 Rousseau, Rousseau juge de Jean-Jacques, 2eDialogue, t. 1, p. 841.

49 Ibid., 3eDialogue, t. 1, p. 970.

50 Ibid., p. 965.

51 Ibid., p. 970–971.

52 On peut donner un exemple de cette anthropologie qui vient redoubler la réalité sociale avec cette affirmation de Saint-Lambert : «Puisque le désir de s'enrichir et celui de jouir de ses richesses sont dans la nature humaine dès que l'homme est en société; puisque ces désirs soutiennent, enrichissent, vivifient toutes les grandes sociétés; […] il ne faut ni comme philosophe, ni comme souverain attaquer le luxe» (Saint-Lambert, , Encyclopédie, article «Luxe», t. 2, Paris, Flammarion, 1986, p. 219).Google Scholar

53 Rousseau, Rousseau juge de Jean-Jacques, 3eDialogue, p. 965.

54 Ibid., lerDialogue, p. 742.

55 Ibid., 33 Dialogue, p. 967.

56 Rousseau, Contrat social, II, 4, p. 374.

57 Rousseau, Rousseau juge de Jean-Jacques, 2eDialogue, p. 891.

58 Rousseau, Lettres êcrites de la montagne, 9eLettre, p. 893.

59 Rousseau, Contrat social, IV, 2, p. 439.

60 Rousseau, Sur le goût, t. 5, p. 483.

61 Rousseau, Considérations sur le gouvernement de Pologne, t. 3, p. 964.

62 Rousseau, Discours sur l'inégalité, p. 188.

63 Jean-Jacques Rousseau, Fragments politique. Le luxe, le commerce et les arts, dans Œuvres complètes, t. 3, p. 518.

64 Rousseau, Émile, manuscrit Favre, t. 4, p. 59.

65 Rousseau, Lettres écrites de la montagne, 9e Lettre, p. 881.

66 Rousseau, Émile, livre IV, t. 5, p. 524.

67 Ibid., manuscrit Favre, p. 56.

68 Rousseau, Rousseau juge de Jean-Jacques, 2eDialogue, p. 818.

69 Rousseau, Fragmentspolitiques. De l'état de nature, t. 1, p. 475.

70 Rousseau, Rousseau juge de Jean-Jacques, 2eDialogue, p. 890.

71 Rousseau, Lettres écrites de la montagne, 9eLettre, p. 881.

72 Rousseau, Rousseau juge de Jean-Jacques, 2eDialogue, p. 887.

73 Rousseau, Discours sur les sciences et les arts, seconde partie, t. 3, p. 20.

74 Rousseau, Projet de constitution pour la Corse, p. 916. Pour Rousseau, ce traitement de la pauvreté par le discours idéologique est solidaire d'un réaménagement du regard que la société porte sur elle-même. Ce regard est économique et il ne prend en compte que les intérêts des «marchands», intérêts qui se donnent comme les seuls moteurs du progrès et de la prospérité de la société. Dans sa critique, Rousseau affirme que le regard social doit s'orienter sur le manque et la pauvreté et non pas sur les profits des riches : «Pour concevoir nettement comment un peuple peut être heureux, commençons par considérer l'état de ceux qui ne le sont pas. En cherchant ce qui leur manque pour l'être nous pourrons trouver ce que doit avoir celui qui l'est» (Fragments politiques. Du bonheur public, p. 511). C'est la présence ou l'absence de pauvres au sein d'une société qui décide de la valeur de son ordre social.

75 Jean-Jacques Rousseau, Sur les richesses, dans Œuvres complètes, t. 5, p. 478.

76 Paul Henri d'Holbach, Encyclopédie, article “Representants”, t. 2, p. 298.