Hostname: page-component-76fb5796d-x4r87 Total loading time: 0 Render date: 2024-04-27T00:27:12.952Z Has data issue: false hasContentIssue false

Révolution et évolution Les marchés du crédit notarié en France, 1780-1840

Published online by Cambridge University Press:  04 May 2017

Philip T. Hoffman
Affiliation:
Caltech
Gilles Postel-Vinay
Affiliation:
EHESS/INRA-LEA
Jean-Laurent Rosenthal
Affiliation:
UCLA/ INRA- LE

Résumé

Cet article cherche à comprendre comment se créent (ou se détruisent) les techniques de savoir des marchés du crédit ainsi que les institutions auxquelles s’adosse ce capital social essentiel à leur fonctionnement. Il examine soixante-sept marchés locaux répartis dans toute la France en saisissant leur évolution à partir de trois coupes situées de part et d’autre de ce choc majeur qu’est la Révolution pour pouvoir en suivre les effets. Le crédit se réorganise alors non dans le cadre de petites régions ni dans un espace national unifié, mais plutôt en deux grands ensembles – l’un au Nord, l’autre au Sud – où des pratiques du crédit distinctes évoluent séparément. Comme chacun d’eux, loin d’être homogène, se hiérarchise entre ville et campagnes, il en résulte quatre systèmes qui se repèrent aussi bien si l’on observe les instruments de crédit, les intermédiaires ou les circuits de formation que ces derniers se donnent. Pour expliquer cette diversité, il faut accepter que les institutions formelles et informelles se déploient dans l’espace d’une façon qui dépend de l’activité des marchés mais aussi de l’inégale répartition de la richesse.

This article seeks to explain how the information technology that is essential for the operation of credit markets is created or destroyed. Information technology of this sort is a form of social capital, and the article also seeks to understand how institutions linked to such social capital arise or disappear. It does so by looking at 67 different credit markets scattered throughout France and examining their evolution both before and after the French Revolution. The aim is to follow the consequences of the great changes that the Revolution brought about. It turns out that the institutions of credit markets were not uniformed across France, but they were not peculiar to each local market either. Rather, there were two distinct institutional patterns – one found in Northern France and the other typical of the South – and in each region the institutions of credit markets evolved in a different way. Institutions were also different in the city and in the countryside, and as a result there were really four distinct systems of credit, each with distinctive types of loans and financial intermediaries, who were trained in dissimilar ways. The existence of such differences implies that institutions depended on the volume of lending in each market and also on the level of inequality.

Type
La Révolution et le credit
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 2004

Access options

Get access to the full version of this content by using one of the access options below. (Log in options will check for institutional or personal access. Content may require purchase if you do not have access.)

References

Les auteurs remercient la Fondation Russel-Sage pour son soutien.

2- Hirsh, Jean-Pierre, Les deux rêves du commerce. Entreprise et institution dans la région lilloise (1780-1860), Paris, Éditions de l’EHESS, 1991.Google Scholar

3- Hotelling, Harold, «Stability in competition», Economic journal, 39, 1929, pp. 4157.Google Scholar

4- Parmi de nombreux exemples possibles, citons, pour la Hollande, Israel, Jonathan, The Dutch republic: its rise, greatness, and fall, 1477-1806,Oxford, The Clarendon Press, 1988 Google Scholar; ou, pour l’Angleterre, Macfarlane, Alan, The origin of English individualism: the family, property, and social transition, Oxford, Basil Blackwell, 1978.Google Scholar

5- L. Sokoloff, Kenneth et Dollar, David, « Agricultural seasonality and the organization of manufacturing during early industrialization: the contrast between Britain and the United States», Journal of economic history, juin 1997, pp. 288321 Google Scholar; D. Domar, Evsey, « The causes of slavery or serfdom: a hypothesis », Journal of economic history, mars 1970, pp. 1832 Google Scholar; Stanley L. Engerman et Kenneth L. Sokoloff, « Factor endowments, institutions, and differential path of growth among New World economies », in Haber, S. (éd.), How Latin America fell behind? Essays on the economic histories of Brazil and Mexico, 1800-1914, Stanford, Stanford University Press, 1997, pp. 260304.Google Scholar

6- D. Putnam, Robert, « The prosperous community: social capital and public life », The American prospect, 13, 1993, pp. 3542.Google Scholar

7- Pour prendre à nouveau D. Putnam, Robert en exemple, telle est bien la démarche de Making the democracy work. Civic tradition in modern Italy, Princeton, Princeton University Press, 1992.Google Scholar

8- Voir, par exemple, Lamoreaux, Naomi, Insider lending: banks, personal connections, and economic development in industrial New England, New York, Cambridge University Press, 1994.Google Scholar

9- E.Davis, Lance et J. Cull, Robert, International capital markets and American economic growth, 1820-1914, Cambridge, Cambridge University Press, 1994 Google Scholar; ID., « Un, deux, trois, quatre marchés ? L’intégration du marché du capital, États-Unis et Grande-Bretagne (1865-1913) », Annales ESC, 47-3, 1992, pp. 633-674.

10- En fait, S4 étant une combinaison de S2 et S3, on peut imaginer différentes versions de ce scénario. Celle choisie ici suggère que richesse et capital social sont complémen-taires, que l’accumulation de la seule richesse ne permet pas toujours de surmonter un déficit de capital social mais que, pour un niveau de richesse donné, un capital social adéquat peut se mettre en place lentement.

11- Parce que, pour le premier, il n’y a pas d’obstacle à la convergence, tandis que, pour S2, le délai se limite à une phase d’accumulation de richesse.

12- Les prédictions diffèrent selon que les chocs sont positifs (pour les périodes de boom) ou négatifs (pour les périodes de crise), ou selon que les chocs négatifs sont faibles ou forts.

13- Pour évaluer comment et dans quelle mesure se crée un marché national au XIXe siècle, nous constituons pour une centaine de marchés une suite de coupes portant sur les années 1740, 1780, 1807, 1840, 1865 et 1899. En effet, pour autant que la création d’un marché national du crédit résulte du développement de grands établissements financiers dans le dernier quart du siècle, 1840 constitue un point de départ (car les marchés sont alors très différenciés), 1865, une étape avant les nouvelles institutions, et 1899 un point d’arrivée. Mais si l’on tient compte du mouvement de centralisation à l’oeuvre depuis le XVIIIe siècle, il faut suivre le processus depuis l’Ancien Régime et comprendre pourquoi la centralisation amorcée a été interrompue par la Révolution.

14- Pour S2, la richesse régit le développement des marchés. Les institutions s’adaptant instantanément, les marchés importants avant la crise se remettent rapidement ensuite si la richesse n’a pas été touchée.

17- Le même problème est posé dans Gérard Béaur, L’immobilier et la révolution ; marché de la pierre et mutations urbaines, 1770-1810, Paris, Armand Colin, « Cahier des Annales-44 », 1994.Google Scholar

18- Les renseignements fournis par l’Enregistrement s’accroissent au cours du temps. Au milieu du XVIIIe siècle, si le notaire, le type d’acte, le montant du prêt et le nom des contractants sont systématiquement indiqués, il n’en va pas de même de la professionet de l’adresse de ces derniers, ni de la durée du prêt, alors que ces informations sont de plus en plus souvent mentionnées à partir de la fin du XVIIIe siècle. Le taux des obligations est indiqué dès lors que la législation autorise l’intérêt.

19- N. White, Eugene, «Measuring the French Revolution's inflation: the Tableaux de dépréciation », Histoire et mesure, 6–3/4, 1991, pp. 245274.Google Scholar

20- Andrew Dickson White, Fiat money inflation in France, New York-Londres, D. Appleton/Century company incorporated, [1896] 1933 ; Pierre Caron, Tableaux de dépréciation du papier-monnaie, Paris, Imprimerie nationale, 1909 ; Harris, Seymour, The assignats, Cambridge, Harvard University Press, 1930.Google Scholar

21- Vovelle, Michel, Ville et campagne au XVIIIe siècle. Chartres et la Beauce, Paris, Éditions sociales, 1980 ; Gilles Postel-Vinay, La terre et l’argent. L’agriculture et le crédit en France du XVIIIe au début du XXe siècle, Paris, Albin Michel, 1998 Google Scholar; T. Hoffman, Philip, Postel-Vinay, Gilles et Rosenthal, Jean-Laurent, Des marchés sans prix : l’économie politique du crédit à Paris, 1662-1869, Paris, Éditions de l’EHESS, 2001.Google Scholar

22- Voir, par exemple, les informations pour le Gard, Paris et Bar-sur-Aube dans G. POSTEL-VINAY, La terre et l’argent…, op. cit.

23- Les grandes villes sont représentées par Lyon et Rouen ; les autres villes de plus de 10 000 habitants par Amiens, Montpellier, Avignon, Limoges, Troyes, Bourges, Dijon, Montauban, Le Mans, Laval, Angoulême, Châteauroux, Blois, Vannes, Périgueux, Aurillac, Moissac et Évreux ; et le reste du pays par Mayenne, Orange, Saint-Amand, La Flèche, Pontivy, Lectoure, Maubeuge, L’Isle-sur-la-Sorgue, Château-Gonthier, Apt, Salon, Saint-Gilles, Guéret, Château-Thierry, Buzançais, La Châtre, Saint-Jean-du-Gard, Privas, Dun-sur-Auron, Auray, Bellac, Montignac, Mauriac, Tréguier, Saint-Ambroix, Nuits-Saint-Georges,Hirson, Arcis-sur-Aube, Villers-Cotterêts, Vervins,Mirande, Corbie, Rosières, Bar-sur-Seine, Jarnac, Montbard, Rugles, Moreuil, Excideuil, Vendeuvre, Salers, Belle-Isle-en-Terre, Chénerailles, Rochemaure et Ailly-sur-Noye. Les villes sont ici classées par ordre décroissant de population au recensement de 1836 ; le montant moyen des stocks est calculé en pondérant le stock moyen par tête dans chaque sousensemble par le poids de la population de ces sous-ensembles dans la population totale.

24- Les résultats obtenus ici à partir d’un échantillon élargi modifient quelque peu nos évaluations précédentes sans en changer les conclusions sur l’ampleur du choc et laredistribution spatiale du crédit (T. Hoffman, Philip, Postel-Vinay, Gilles et Rosenthal, Jean-Laurent, « Économie et politique. Les marchés du crédit à Paris, 1750- 1840», Annales HSS, 49–1, 1994, pp. 6598 Google Scholar, et ID., Des marchés sans prix…, op. cit., p. 310.

25- On notera cependant que Lyon et Rouen suivent des évolutions assez différentes.

26- Pour être exact, il s’agit non d’une création mais d’une refonte complète du système établi sous l’Ancien Régime et qui ne touchait qu’une petite part des immeubles.

27- Une régression (non donnée dans les tableaux) de la part des rentes en 1780 sur une variable indicatrice (Nord =1, Sud=0) et la population du marché n’explique qu’un tiers de la variance.

28- Une régression de la part des obligations en 1807 sur une variable indicatrice (Nord=1, Sud=0) et la population du marché ne donne aucun coefficient significatif.

29- Cette différence est statistiquement significative.

30- Cette équation ne repose pas sur un modèle économique précis. Elle peut être reliée à différentes versions de la croissance endogène mais notre but n’est ici qu’une description systématique de nos données.

31- Dans des régressions non reportées ici, on observe bien une relation forte entre l’importance de la population urbaine et l’activité de crédit pour chaque année considérée.

32- Dans les régressions qui suivent, la variation des stocks entre deux dates est définie comme un taux de croissance annuel.

33- Elle est de 0,84 à ces deux dates si l’on exclut le marché parisien et serait plus forte encore si l’on prenait en compte le cas extrême de la capitale.

34- Si on reprend l’analyse sur les trente-trois marchés les plus petits, on retrouve renforcés tous les résultats des régressions sur l’échantillon complet.

35- Néanmoins nous n’avons pas encore d’indicateur de croissance de 1780 à 1840, ni de richesse en 1780.

36- AN, BB10, 970-2, 991-2, 1075-8, 1083, 1100, 1103-4, 1107, 1109-11, 1113-7, 1123-5, 1129, 1131-2, 1134-5.

37- De nombreux notaires ont une activité de crédit à court terme soit en tant que prêteur, soit comme emprunteur. Quand ces transactions ont laissé des traces, elles portent sur des sommes importantes mais ne touchent qu’un public restreint. Tantôt les notaires acceptent des dépôts d’argent (qu’ils placent ensuite à long terme), tantôt ils consentent des avances à court terme à quelques clients bien choisis. C’est dire que ni dans un cas ni dans l’autre il ne s’agit d’une version nordique de la lettre de change notariée.

38- Contrairement à ce qu’on observe dans le Sud, le notaire ici sera dans l’impossibilité de financer lui même des prêts – forcément assez longs – compte tenu du fait qu’il ne dispose malgré tout que d’un capital restreint.

39- Si l’on accepte que, dans le Nord, les réseaux de crédit englobent les villes et que les villes où les notaires ruraux se forment sont au sommet de réseaux hiérarchisés qui redistribuent le capital ici ou là selon les besoins, alors il faudrait mesurer la croissance du crédit par réseaux, ce que nos échantillons ne nous permettent pas de faire

39- Si l’on accepte que, dans le Nord, les réseaux de crédit englobent les villes et que les villes où les notaires ruraux se forment sont au sommet de réseaux hiérarchisés qui redistribuent le capital ici ou là selon les besoins, alors il faudrait mesurer la croissance du crédit par réseaux, ce que nos échantillons ne nous permettent pas de faire