Hostname: page-component-6d856f89d9-xkcpr Total loading time: 0 Render date: 2024-07-16T06:47:28.726Z Has data issue: false hasContentIssue false

Représentation, généralisation, comparaison

Sur le système de parenté européen

Published online by Cambridge University Press:  04 May 2017

Gérard Delille*
Affiliation:
CNRS/EHESS

Résumé

Toute société produit ses généralisations au travers desquelles elle tend à se décrire et à se représenter. À partir d’un objet d’étude, celui de la parenté et de l’alliance en Europe occidentale, l’article met en évidence les écarts parfois considérables qui peuvent s’établir entre de telles généralisations et les pratiques réelles ; il souligne les difficultés d’ordre méthodologique, d’interprétation, de comparaison avec d’autres sociétés qui en découlent. Le système européen est-il simplement et toujours cognatique, associe-t-il strictement filiation et dévolution des biens, ne présente-t-il, au niveau des alliances, aucune règle, aucune préférence organisatrice, aucun échange direct des femmes et aucun bouclage dans la parenté ? Les réponses à de telles questions ne peuvent être apportées qu’en prenant en compte toute la complexité du fonctionnement réel de ce système.

Abstract

Abstract

Every society produces generalisations about itself through which it to describes and represents itself. This article, which deals with kinship and marriage-alliances in Western Europe, emphasizes the differences, sometimes considerable which can be identified between such generalisations and the real practices. It highlights the difficulties, in terms of methodology, interpretation and comparison with other societies, that derive from these differences. Is the European system always and simply cognate? Does it link direct descend and inheritance rigidly? Doesn't it present, at the level of marriage alliances any rules, any principles of organisation, any direct exchange of women or any additional mechanisms to reinforce kinship? The answers to these questions can only be reached by taking into consideration the complexity of the practical realities through which this system worked.

Type
Formes de la généralisation
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 2007

Access options

Get access to the full version of this content by using one of the access options below. (Log in options will check for institutional or personal access. Content may require purchase if you do not have access.)

References

1- Treppo, Mario Del et Leone, Alfonso, Amalfi medioevale, Naples, Giannini, 1977 Google Scholar.

2- Dans la Rome antique, la filiation sociale à travers l’adoption accompagnait la filiation biologique et pouvait primer sur elle. Chez les Huave du Mexique méridional, la parenté se détermine en fonction des actions (faire ensemble) et de la volonté ( Cuturi, Flavia G., Le parole e io fatti: per un’ antropologia semantica della « parentela » huava, Rome, Europa, 1990 Google Scholar) ; chez les Makhuma, par la circulation des aliments ( Meillassoux, Claude, « La vita dei mostri. Le immagini dell’Altro nella letteratura antropologica », in Fabietti, U. (dir.), Il sapere dell’antropologia, Milan, Mursia, 1993, pp. 111139 Google Scholar.

3- Pour la Sardaigne, voir Acciaro, Maria Pitzalis, In nome della madre: Ipotesi sul matriarcato barbaricino, Milan, Feltrinelli, 1978 Google Scholar. Pour Eboli, en Italie du Sud, voir Delille, Gérard, Famille et propriété dans le Royaume de Naples, XVe-XIXe siècle, Rome-Paris, École française de Rome/Éditions de l’EHESS, 1985 CrossRefGoogle Scholar.

4- G. Delille, Famille et propriété…, op. cit., pp. 90-107.

5- Palumbo, Bernardino, Identità nel tempo. Saggi di antropologia della parentela, Lecce, Argo, 1997.Google Scholar

6- Minicuci, Maria, Le strategie matrimoniali in una comunità calabrese. Saggi demoantropologici, Soveria Mannelli, Rubettino, 1981 Google Scholar.

7- Le problème se pose, en réalité, pour toutes les sociétés : qu’elles soient cognatiques ou qu’elles s’organisent autour de lignages, la plupart reconnaissent l’existence de parentèles, de personal kindred. Voir, à ce sujet, Mitchell, William E., « Theoretical problems in the concept of kindred », American anthropologist, 65, 2, 1963, pp. 343354.CrossRefGoogle Scholar

8- Godelier, Maurice, Métamorphoses de la parenté, Paris, Fayard, 2005 Google Scholar.

9- Murdock, George Peter, Social structure, New York, MacMillan, 1949.Google Scholar

10- Le problème se pose également dans le contexte des Églises orthodoxes orientales. Pour la Russie, voir Gessat-Anstett, Élisabeth, « Histoires de mutation. Les terminologies russes de parenté », L’Homme, 154-155, 2000, pp. 613634 Google Scholar.

11- Piasere, Leonardo, « Fratelli d’Italia. Fraternité, sororité et inégalité dans les terminologies de parenté italiennes », in Ravis-Giordani, G. et Segalen, M. (dir.), Les cadets, Paris, Éditions du CNRS, 1994, pp. 2136, ici pp. 27-28Google Scholar.

12- Alain Le Boulluec, , « De l’unité du couple à l’union du Christ et de l’Église chez les exégètes chrétiens antiques », in Legendre, P. (éd.), « Ils seront deux en une seule chair ». Scénographie du couple humain dans le texte occidental, Bruxelles, Émile Van Balberghe, 2004, pp. 3955, ici p. 41.Google Scholar

13- Boulnois, Olivier, « Un et un font un. Sexes, différence et union sexuelle au Moyen Âge, à partir des “Commentaires des Sentences” », in Legendre, P. (éd.), « Ils seront deux… », op. cit., pp. 107128 Google Scholar. Notons que la théorie de la double semence et l’interprétation de Bonaventure ou de Duns Scot ont pour conséquence d’attribuer à Marie une part active dans l’engendrement de son fils. Elle coopère à l’humanité du Christ, ce qui explique ses mérites et fonde la théologie de l’Immaculée Conception que l’Église catholique ne reconnaîtra officiellement qu’au XIXe siècle.

14- Philippe Decommynes, Chroniques et histoire (en particulier Chronicques du roy Charles huytiesme… contenant la vérité des faictz et gestes… dudict seigneur… en son voyage de Naples et de la conqueste dudiet royaulme de Naples…), Paris, A. Langellier, 1539.

15- Jouanna, Arlette, L’idée de race en France au XVIe et au début du XVIIe siècle (1498-1614), Lille, Université de Lille-III, 3 vol., 1976, vol. 1, pp. 120121 Google Scholar. Pour Michel Nassiet, aux XVe et XVIe siècles, les termes de « maison » et de « race » sont exactement synonymes du concept ethnologique de patrilignage ( Nassiet, Michel, Parenté, noblesse et États dynastiques, XVe-XVIe siècles, Paris, Éditions de l’EHESS, 2000, p. 16 Google Scholar).

16- Les médecins du XVIe siècle se sont longuement interrogés pour savoir s’il existe une semence féminine et, le cas échéant, sur son rôle. La théorie de la double semence, largement majoritaire pendant le haut Moyen Âge, recule à partir de la fin du XIIe siècle avec l’arrivée de certains textes aristotéliciens. Voir ENRIC PORQUERES IGENÉ, « Cognatisme et voies du sang. La créativité du mariage canonique », L’Homme, 154-155, 2000, pp. 335-356.

17- Étienne Pasquier, Interprétation des « Institutes » de Justinian, avec la conférence de chasque paragraphe aux ordonnances royaux, arrests de Parlement et Coustumes générales de la France (écrit en 1609), Paris, Videcoq Aîné, 1847, cité par A. Jouanna, L’idée de race…, op. cit., p. 149.

18- D’Arrenac, Jean, La philosophie civile et d’Estat, Bordeaux, S. Millanges, 1598 Google Scholar, cité par Jouanna, A., L’idée de race…, op. cit., p. 122 Google Scholar.

19- Schmid, Karl, Studien in Vorarbeiten zur Geschichte des grossfrankischen Adels, Fribourgen-Brisgau, 1957 Google Scholar ; ID., « Zur Problematik von Familie, Sippe und Geschlecht, Haus und Dynastie, beim mittelalterlichen Adel », Zeitschrift für die Geschichte der Oberrheins, 105, 1957, pp. 1-62 ; Georges Duby, Mâle Moyen Âge. De l’amour et autres essais (en particulier la deuxième partie : « Structures de la parenté »), Paris, Flammarion, 1988 ; ID., Le chevalier, la femme et le prêtre : le mariage dans la France féodale, Paris, Hachette-Laffont, [1981] 1999.

20- Voir Pastoureau, Michel, Traité d’héraldique, Paris, Picard, [1979] 1993.Google Scholar

21- Molin, Jean-Baptiste et Mutembé, Protais, Le rituel du mariage en France du XIIe au XVIe siècle, Paris, Beauchesne Éditeur, 1974.Google Scholar

22- Goody, Jack, The development of the family and marriage in Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 1983, respectivement pp. 268, 279, 281.CrossRefGoogle Scholar

23- Ambrogino Caracciolo, La genealogia della famiglia Caracciolo di Francesco Fabris (2o serie delle Famiglie celebri del LITTA), Naples, s. éd., 1966.

24- M. Del Treppo et A. Leone, Amalfi…, op. cit. En ce qui concerne les problèmes d’anthroponymie médiévale et moderne, on se reportera aux différents volumes des contributions réunies par Bourin, Monique, Genèse médiévale de l’anthroponymie moderne, Tours, Publications de l’Université de Tours, 1989-2002 Google Scholar. En ce qui concerne plus particulièrement l’Italie, voir les articles réunis dans les volumes 106-2, 1994, pp. 313-736, 107-2, 1995, pp. 333-633, 110-1, 1998, pp. 79-270 des Mélanges de l’École française de Rome, ainsi que Bourin, Monique, Martin, Jean-Marie et Menant, François (dir.), L’anthroponymie : document de l’histoire sociale des mondes méditerranéens médiévaux. Actes du colloque de Rome (6-8 octobre 1994), Rome, École française de Rome, 1996 Google Scholar.

25- « Dans les documents datant de 1080-1100, les groupes familiaux se trouvent nettement individualisés par un cognomen, par un surnom que portent en commun les frères et les cousins ». Ce surnom s’ajoute au nom individuel « hérité des ancêtres » (GEORGES DUBY, « Lignage, noblesse et chevalerie au XIIe siècle dans la région mâconnaise. Une révision », Annales ESC, 27-4/5, 1972, pp. 803-823, ici pp. 804-805).

26- Klapisch-Zuber, Christiane, « Ruptures de parenté et changements d’identité chez les magnats florentins du XIVe siècle », Annales ESC, 43-5, 1988, pp. 12051240.Google Scholar

27- Collomp, Alain, La maison du père. Famille et village en Haute-Provence aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, PUF, 1983, pp. 9495.Google Scholar

28- Visceglia, Maria-Antonietta, Il bisogno di eternità, Naples, Guida, 1988.Google Scholar

29- Entre la fin du XIVe et le début du XVe siècle, les Sanseverino obtiennent du roi de Naples le privilège de diviser leurs fiefs entre tous les mâles, d’élargir le champ de la succession, puis, en 1402, d’exclure les filles – « que dans les fiefs ne succèdent que les mâles » –, ce qui permet à Luigi Sanseverino de transmettre son patrimoine à son cousin éloigné (2e/3e degré), Enrico (voir G. Delille, Famille et propriété…, op. cit.). Dans les États pontificaux, les Colonna promulguent un pacte de famille qui dicte des règles semblables. Les mêmes comportements se rencontrent en Italie du Nord : au milieu du XIVe siècle, les San Nazzaro de Pavie se constituent en consorteria familiale avec des institutions imitées de celles de la commune (” Anciens » ou « recteurs », Conseil des « sages »…), et les statuts promulgués le 21 avril 1352 indiquent, avec beaucoup de précision, la situation de chacun par rapport au groupe et les rapports qu’il doit entretenir avec lui. Voir Renato Soriga, « Statuti patrimoniali di una consorteria pavese del secolo XIV », in Archivio storico lombardo, série V, t. 46, 1919, pp. 236-241, texte repris dans JEAN FAVIER (dir.), Archives de l’Occident, t. 1, Olivier Guyotjeannin, Le Moyen Âge, Ve-XVe siècle, Paris, Fayard, 1992, pp. 694-699.

30- Caracciolo, Ambrogino, « I Monti di previdenza della famiglia Caracciolo », Atti dell’Accademia Pontaniana, nouvelle série, vol. VI, 1956-1957, pp. 337361 Google Scholar.

31- On trouvera une généalogie de la maison de Toulouse dans Europaische Stammtafeln, III, 4, Marburg, Verlag von J. A. Stargardt, 1989, pp. 763-772. Sur le choix des « prénoms » dans la maison de Comborn, voir Bernadette Barrière, « La dénomination chez les vicomtes limousins : le lignage des Comborn », in M. Bourin (études réunies par), Genèse médiévale…, op. cit., t. III, 1995, pp. 65-80.

32- Ruchaud, Jean-Louis et al., Généalogies limousines et marchoises, t. I-XIII, Mayenne, Yves Floch, 1982-2004 Google Scholar (la généalogie des Cibot est décrite dans le t. VI, 1993).

33- Lévi-Strauss, Claude, « Maison », in Bonte, P. et Izard, M. (dir.), Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, Paris, PUF, [1991] 2002, pp. 434436.Google Scholar

34- Une recherche, en cours de publication, à partir des généalogies de familles de la noblesse féodale française (Europaische Stammtafeln, vol. III/4, XIII, XIV, XV) et de Hesse/Saxe (Europaische Stammtafeln, vol. XVII) met en évidence la quasi-disparition de ce type d’alliance, avec quelques différences chronologiques suivant les régions ou les familles, entre le XIVe et le XVIe siècle. Les mariages parallèles patrilatéraux ne recommencent à se multiplier qu’à partir de la fin du XVIe siècle.

35- De manière générale, les filles uniques peuvent toujours, légalement, hériter. À travers des évolutions différentes suivant les régions, la dégradation du rôle des femmes dans les mécanismes de circulation des biens n’en a pas moins été continue à partir des XIe et XIIe siècles : réduction ou disparition du don marital, généralisation d’un système de dotation qui exclut les filles de l’héritage paternel, régime de séparation des biens entraînant la consolidation de l’inaliénabilité des dots et le contrôle du mari sur la gestion des biens héréditaires de son épouse, difficultés toujours plus grandes, voire incapacité à stipuler librement un contrat… Certaines législations civiles finissent par exclure pratiquement les filles, même uniques, de tout héritage paternel. À Florence, la loi successorale de 1415, puis les statuts communaux de 1417 allongent la liste – déjà fort nourrie, comme dans la plupart des Communes médiévales de l’Italie du Nord et du Centre – des agnats mâles qui excluent les filles des successions paternelle et maternelle (dot), et les soeurs de l’héritage des frères (voir Chabot, Isabelle, «Le gouvernement des pères : l’État florentin et la famille (XIVe-XVe siècles) », in Boutier, J., Landi, S. et Rouchon, O. (éd.), Florence et la Toscane, XIVe-XIXe siècles. Les dynamiques d’un État italien, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2004, pp. 241263 CrossRefGoogle Scholar).

36- Mathieu, Rémi, Le système héraldique français, Paris, J. B. Janin, 1946, pp. 110111 Google Scholar.

37- L’argument est largement étayé par Augustin, Georges, Comment se perpétuer ? Devenir des lignées et destins des patrimoines dans les paysanneries européennes, Nanterre, Société d’ethnologie, 1989.Google Scholar

38- Michael Gasperoni, Pratiques matrimoniales juives dans l’Italie moderne (1450-1800). Perspectives de recherches, Mémoire de DEA, EHESS, 2006, à paraître.

39- Fortes, Meyer, Kinship and the social order. The legacy of Lewis Henry Morgan, Chicago, Aldine, 1969 Google Scholar.

40- J. Goody, The development…, op. cit., p. 31.

41- Delille, Gérard, Le maire et le prieur. Pouvoir central et pouvoir local en Méditerranée occidentale (XVe-XVIIIe siècle), Paris-Rome, Éditions de l’EHESS/École française de Rome, 2003.Google Scholar