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Mobilité et enracinement en Vendômois au tournant des XVIIIe et XIXe siècles

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

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Mobilité et enracinement : tel est le thème central de l'enquête dont on trouvera rassemblées ici les principales conclusions, et qui a cherché à mesurer, à partir des migrations (de faible comme de grande ampleur) et de la mobilité professionnelle, quels sont dans une société provinciale de l'extrême fin du XVIII e siècle, le poids relatif du mouvement et de la stabilité, les rapports entre ces deux tendances et leur influence réciproque. Pour essayer de répondre à ces questions, trois choix : celui d'un terrain d'observation, celui d'une source, celui d'une méthode.

Le territoire du Vendômois, dans le cadre duquel s'inscrit cette étude, peut apparaître restreint : constitué depuis le début de la Révolution des districts de Vendôme et de Mondoubleau réunis sous le Consulat pour former l'arrondissement de Vendôme, il ne couvre en effet que 1718 km 2 et ne compte en 1801 que 68 971 habitants. Mais il compense cette relative exiguïté par deux caractéristiques précieuses. En premier lieu, cette petite région présente une structure de population analogue à celle qui se retrouve alors en bien d'autres secteurs de la province française.

Summary

Summary

What are the main features of mobility and permanence in a provincial society at the very end of the 18th century? In order to answer that question, a systematic comprehensive study of marriage certificates registered in Vendômois between "an VII" (1798) and "an XII" (1804) has been carried out and the various data (places, occupations, education...) thoroughly cross-referenced with the help of a computer. The picture emerging from this analysis is, for the most part, that of a steady community. It also reveals, mainly among men, a mobility, chiefly urban and exclusive of peasantry whose map points to standard migration flows. Matrimonial integration among these migrants can vary considerably and is on the whole in reverse ratio to the social consistency of the different classes (for instance, vine-growers, when they make up the mass of a community tend to be imprevious to external influences). The preeminence of the notion of consistency as well as its characteristics is one of the outstanding discoveries of our research. It must be noted that when they choose an occupation, sons tend to find agriculture a little less attractive than their fathers did (most of them, however, don't take another choice). As a rule, the same slow evolution can be traced between fathers-in-law and sons-in-law. A few rare instances, however, indicate that marriage seems to maintain with peasantry the very links which tend to die away when a non-agricultural activity is chosen.

Type
La France Rurale
Copyright
Copyright © Copyright © École des hautes études en sciences sociales Paris 1983

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References

Notes

1. Poitrineau, A., La vie rurale en Basse-Auvergne au XVIIIe siècle, Paris, 1965.Google Scholar Corbin, A., Archaïsme et modernité en Limousin au XIXe siècle, 1845-1880, Paris, 1975.Google Scholar

2. Par exemple, celle de J.-P. Poussou, L'immigration bordelaise, 1737-1791. Essai sur la mobilité géographique et l'attraction urbaine dans le Sud-Ouest de la France au XVIIIe siècle, Thèse d'état, Université Panthéon-Sorbonne, 1978, compte rendu dans Revue historique, n° 530, avril-juin 1979, pp. 526-529 ; Bordeaux et le Sud-Ouest au XVIIIe siècle. Croissance Économique et attraction urbaine, Paris, EHESS, J. Touzot, 1983, 653 p. (Démographie et sociétés, 17).

3. Courantévoquénotamrnent,àproposd'unsecteurplusseptentrional,par Vovelle, M., Villeet campagne au XVIIIe siècle (Chartres et la Beauce), Paris, éditions Sociales, 1980, 307 p.Google Scholar

4. Ainsi, dans son journal rédigé de 1749 à 1768, Pierre Bordier, fermier à Lancé (canton de Saint-Amand) distingue-t-il fort bien de la Beauce où il habite les « vigneries » (le vignoble) et le Pays Haut, c'est-à-dire le Perche (journal publié par J. Marteu.IÈRE, dans Bulletin de la Société archéoi, scientif. et littér. du Vendomois, 1900, pp. 99-143 et 195-242 ; 1901, pp. 23-64 et 116-161). Plus nettement encore Salmon, seigneur du Chatellier, paroisse de Savigny, expose dans un mémoire rédigé pendant la dernière décennie de l'Ancien Régime, les « Principes et raisons de la différence de culture entre les pays de plaine de la Beauce et du Haut-Vendomois et les pays enclos ou couverts du Perche et du Bas-Vendomois » (mémoire publié par E. Chambois, dans « La vie agricole au Perche- Gouet pendant le xviiie siècle », Bulletin de la Société archéoi, scientif. et littér. du Vendomois, 1892, pp. 44-63).

5. Sur les structures sociales, voir notamment D. Viaud, « Société et fiscalité à Vendôme à la fin de l'Ancien Régime », Bulletin de la Société archéol, scientif. et littér. du Vendomois, 1976, pp. 43-61 et J. Vassort, « La société villageoise en Vendomois à la fin de l'Ancien Régime, les enseignements des rôles de taille », Bull, de la Soc. archéol, scientif. et littér. du Vendomois, 1979, pp. 23-38. Sur l'utilisation des sols, voir en ce qui concerne la première moitié du xixe siècle (et qui peut en général se transposer facilement à l'époque de l'enquête), Dupeux, G., Aspects de l'histoire sociale et politique du Loir-et-Cher, 1848-1914, Paris, 1962 Google Scholar (notamment pp. 76-83).

6. La profession, toutefois, n'est convenablement mentionnée que pour les hommes. Elle ne l'est qu'exceptionnellement pour les femmes, si bien qu'on a renoncé à prendre en compte ces indications trop fragmentaires. Aussi les femmes seront-elles classées en fonction de la profession de l'homme qu'elles Épousent.

7. Ce n'est donc guère que pour quelques groupes plus restreints qu'une ambiguïté demeure, comme les meuniers parmi lesquels rien ne permet de faire la part des exploitants et celle des commis.

8. On avait pensé, dans un premier temps, utiliser, ici aussi, le cadre des cantons. Mais leur découpage obéit à des règles très différentes d'un département à l'autre. C'est pourquoi, dans un souci d'homogénéité et de cohérence, on a recouru à cette définition arbitraire de la marge périphérique.

9. Cette Étude n'aurait pas Été possible sans une aide individuelle du CNRS qui a permis de financer la recherche informatique, et sans le précieux concours de Madame Monique Sueur, maîtreassistant à l'UER de Sciences d'Orléans, que nous tenons à remercier ici pour avoir, dans le cadre du Cosmos (Centre Orléanais de Statistique, de Modélisation et d'Organisation Scientifique) mis son temps et sa compétence à notre disposition lors de l'élaboration du programme.

10. Exemple de tri croisé simple : croisement du canton de résidence des hommes avec leur profession (à partir duquel ont Été Élaborées les cartes de la figure 1 ). Exemple de tri croisé avec une variable : croisement du canton de naissance avec la capacité à signer, si le canton de naissance est le même que celui de résidence d'une part, dans le cas contraire d'autre part (ce qui a permis d'établir les graphiques des figures 8 A et B).

11. Ainsi, en dehors du cadre des problèmes Étudiés icl a propos d'une question croisant cantons de mariage et mois de mariage : la projection simultanée qui en est la représentation graphique oppose avec une belle netteté, à partir de ces seuls critères, les cantons urbains et les cantons ruraux, et distingue non moins nettement, parmi ces derniers, cantons beaucerons et cantons du vignoble — ce qui, soit dit au passage, confirme l'existence des terroirs variés Évoqués.

12. Pour situer les idées, relevons qu'en ce qui concerne les hommes, 10 % de l'ensemble des mariés repérés par l'enquête sont nés en dehors de l'arrondissement, 9 % des mariés qui résident dans l'arrondissement sont nés en dehors, et seulement, 1,5 % de l'ensemble des mariés résident en dehors de l'arrondissement. Schématiquement et statistiquement, dans l'itinéraire N-M, les 9/10 environ du chemin sont donc faits entre N et R, 1 /10 seulement entre R et M.

13. Densités en 1801 : 53 hab./km2 en Maine-et-Loire, 60 dans la Mayenne, 62 dans laSarthe (chiffres cités dans l'Histoire des pays de la Loire, Toulouse, 1972, F. Lebrun (sous la direction de), p. 316) contre 40 pour l'arrondissement de Vendôme et 31 pour les deux autres arrondissements du Loir-et-Cher (A.D. L.-et-Ch., 201 M 14).

14. A. Corbin et A. Poitrineau, ouvrages cités, note 1.

15. Et les militaires, nombreux on le sait à provenir de cette zone, ne déparent pas la qualité culturelle de l'immigration qui en provient, à en juger par leur degré d'alphabétisation en tout cas.

16. A une exception près, le canton de Droué où, fait unique, il n'y a aucun mariage entre immigrants.

17. Ces caractères s'expliquent assez bien. L'exogamie, au niveau communal, est essentiellement une exogamie de contact, et c'est par la périphérie que se font les contacts. Or, la périphérie tient une place proportionnellement d'autant moins grande que la population globale est plus Élevée : l'exogamie s'en trouve donc réduite d'autant. Il en allait différemment, Évidemment, pour les mouvements à grand rayon d'action précédemment décrits, parce qu'alors il ne s'agissait pas d'un phénomène de contact.

18. Ce faisant, on Élimine l'ambiguïté déjà signalée du lieu de mariage (lieu de mariage ou lieu d'installation ?). Reste le problème du cadre cantonal qui conduit à considérer comme plus lointaine la relation entre deux communes limitrophes séparées par une frontière cantonale que celle qui s'établit entre deux communes situées aux deux extrémités d'un même canton. Mais cet inconvénient, difficilement Évitable au demeurant, est largement atténué par des phénomènes de compensation.

19. Il faut pour cela situer sur un graphique la population et le degré d'ouverture des différents cantons. Des corrélations assez nettes apparaissent alors (de l'ordre de + 0,90 au moins, souvent plus) qui permettent de répartir ces cantons en quelques groupes. Reste alors à déterminer la droite de régression linéaire autour de laquelle se dispose chacun de ces groupes, et à rechercher pour chacun son degré d'ouverture pour une population donnée. C'est sur cette base qu'ont Été Établies les cartes C et D de la figure 4. Une telle méthode aurait Été applicable aussi, en théorie, au cas des communes. Pratiquement cependant, elle aurait Été délicate à mettre en œuvre, du fait de la masse d'informations à prendre en compte (114 communes contre seulement 12 cantons), du fait surtout de la dispersion des taux des nombreuses petites communes (ces taux Étant calculés à partir d'un petit nombre de mariages, alors que ceux des cantons ont une base statistique beaucoup plus large).

20. Cette supériorité des mouvements à grand rayon d'action, en ce qui concerne les hommes, doit Évidemment s'entendre relativement. Le déséquilibre entre les deux types de mobilité est tel en effet qu'en nombre absolu, les déplacements locaux l'emportent toujours sur les mouvements de plus grande ampleur.

21. Ces cartes ont Été Établies à partir du tableau de croisement lieu de naissance x lieu de résidence, en ne prenant en compte que les 12 cantons de l'arrondissement. En sont donc exclus tous les mouvements dont au moins un des termes est extérieur à l'arrondissement.

22. L'apport des différentes zones périphériques confirme cette orientation. De la bordure située en Indre-et-Loire ne proviennent que 59 individus (tant hommes que femmes) et 91 de celle du Loiret- Cher. La bordure eure-et-loirienne fournit, dans sa partie percheronne surtout, des effectifs sensiblement plus fournis ( 140), loin cependant derrière la Sarthe (289) qui une fois encore Équilibre pratiquement à elle seule les apports des trois autres départements.

23. Cette orientation générale ouest-est contribue à expliquer pourquoi, sur la carte, les cantons occidentaux apparaissent plus fermés que ceux de l'Est. En effet, compte tenu de la manière dont elle a Été Établie, la carte ne comptabilise pas les arrivants qui viennent de la Sarthe s'installer dans les cantons percherons : s'ils Étaient pris en compte, ils atténueraient Évidemment cette relative image de fermeture.

24. Précisons d'emblée que la signature des mariés sera toujours rapportée ici à leur lieu de naissance. Ce n'est pas que nous méconnaissions l'utilité de l'analyse de l'alphabétisation au lieu de mariage, souvent seule possible du reste, et que nous avons nous-mêmes utilisée (J. Vassort, « L'enseignement primaire en Vendomois à l'époque révolutionnaire », Revue Hist. mod. et contemp., octobre-décembre 1978, pp. 625-655). Mais le recours au lieu de naissance serre mieux la réalité parce que la scolarisation intervient plus souvent en ce lieu qu'à celui de résidence ou a fortiori de mariage (le déplacement N-R se faisant généralement en liaison avec l'accès aux occupations professionnelles, c'est-à-dire après l'époque de la scolarisation). En Vendomois, les enseignements du recours au lieu de naissance ne bouleversent pas ceux Établis à partir du lieu de mariage. Ils montrent toutefois une Beauce encore mieux alphabétisée, et un Perche qui au contraire l'est moins — c'està- dire un contraste accru entre ces deux régions.

25. Cette seconde explication trouve confirmation dans l'examen du degré d'alphabétisation des immigrants (c'est-à-dire des non-natifs d'un canton qui y résident). Dans le Perche et le vignoble, à Montoire aussi il est vrai, se rencontrent des immigrants mal alphabétisés : jamais plus de 18 96, souvent beaucoup moins. En Beauce au contraire — une Beauce qui se prolonge vers le nord jusqu'à Droué et Morée—et à Villedieu, les immigrants sont sensiblement plus alphabétisés (même s'ils ne le sont pas toujours tout à fait autant que les natifs du canton où ils arrivent) : leur taux de signature se situe entre 28 et 32 %. Ainsi la mobilité n'est-elle pas exactement, sous cet angle particulier comme sous celui des départs, le fait des mêmes gens à l'Ouest et à l'Est.

26. Sur ce point, cf. M. Vovelle, ouvrage cité.

27. L'exception de Selommes, canton à forte activité textile bien que situé en Beauce, n'est qu'apparente : sa bonne tenue tient en effet à la présence de la manufacture de coton de Méslay, qui contribue à gonfler les effectifs engagés dans cette activité (sous une forme d'ailleurs différente de celle qui s'observe chez les tisserands de l'Ouest).

28. Ainsi les vignerons acquittent-ils en 1789 une taille moyenne de 12 et 15 livres (au principal) à Naveil et à Villiers, où ils sont largement majoritaires, contre 4 et 6 livres seulement à Authon et Saint-Martin-du-Bois, où ils sont beaucoup moins nombreux. De même pour la signature des actes de mariage : 30 96 des vignerons signent dans le vignoble, taux inégalé ailleurs (sinon à Vendôme, tout proche et où joue le privilège urbain) et qui est loin d'être atteint à Montoire (25 96 ), en Beauce (20 % ) et dans la vallée herbagère (17 96 ), pourtant globalement plus alphabétisés, mais où les vignerons ne représentent qu'une petite minorité. Il en va de même, du moins en ce qui concerne l'alphabétisation, pour les travailleurs du textile, qui signent à 50 96 dans le Perche (où le taux global est de 26 96 ) et à 25 % seulement en Beauce, où ils sont beaucoup moins nombreux (alors que le taux global est de 38 96).

29. Le test de la signature au mariage est ici moins probant, dans la mesure où ces artisans sont implantés surtout en milieu urbain, de tous le plus alphabétisé — si bien qu'il n'est pas possible de mettre en Évidence l'éventuelle supériorité de leur alphabétisation dans leur zone de forte présence.

30. Précisons que par groupe des pères, on entend l'ensemble des pères des mariés d'une profession donnée (dont on connaît la profession du père). De même pour les beaux-pères par rapport aux mariés d'une profession donnée. Par groupe des fils, on entend l'ensemble des fils des pères d'une profession donnée (dont on connaît la profession du fils). De même pour les gendres par rapport aux beaux-pères d'une profession donnée. Les graphiques de la figure 11 visualisent, par profession, la proportion de chacun des quatre groupes engagée dans des activités non agricoles (soit celles des notables, des militaires, du textile, de l'« industrie », de l'artisanat, de la forêt et des meuniers) et la proportion de chacun d'entre eux engagée dans la profession elle-même.

31. Le cœfficient de corrélation entre la structure professionnelle de la population du Vendomois et celle des mariés dont la profession du père est connue est de + 0,94. Il est de + 0,96 avec les mariés dont on connaît la profession du beau-père, de + 0,92 avec les pères dont on connaît la profession du fils, de + 0,89 avec les beaux-pères dont on connaît la profession du gendre.

32. Il resterait Évidemment à replacer cette mobilité dans la perspective d'une Évolution. Seuls d'autres dépouillements permettront de le faire en ce qui concerne le long ou le moyen terme, en mettant en Évidence les permanences et les mutations de ses manifestations. Sans doute de telles comparaisons supposent-elles la validité de l'enquête bien attestée, notamment en cë-qu.i concerne ses bases chronologiques. Sans trancher définitivement ici, relevons que des nombreux points plaident en faveur de cette validité : à l'époque envisagée (1798-1804), le « grand remue-ménage révolutionnaire » Évoqué par M. Vovelle dans l'ouvrage précité est largement terminé ; d'autre part, des Éléments propres à notre enquête suggèrent que les traits qui s'y observent existaient déjà avant la Révolution (voir par exemple les enseignements convergents des registres de sépultures de l'Hôtel- Dieu et de nos registres de mariages).