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Marie-Françoise Baslez, Les premiers bâtisseurs del’Église. Correspondances épiscopales (iie-iiie siècles),Paris, Fayard,2016, 304 p.

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Marie-Françoise Baslez, Les premiers bâtisseurs del’Église. Correspondances épiscopales (iie-iiie siècles),Paris, Fayard,2016, 304 p.

Published online by Cambridge University Press:  01 August 2023

Bruno Pottier*
Affiliation:
bruno.pottier@univ-amu.fr
Rights & Permissions [Opens in a new window]

Abstract

Type
Histoire religieuse (comptes rendus)
Copyright
© Éditions de l’EHESS

Ce livre constitue le dernier maillon d’une enquête de Marie-Françoise Baslez, récemment disparue, sur la diffusion du christianisme dans l’Empire romain. Cette enquête a notamment été marquée par une biographie de saint Paul, parue en 1991 et qui a connu plusieurs rééditions, et une étude remarquée sur les persécutions païennesFootnote 1. Le dernier ouvrage de cette autrice est consacré à l’analyse de la structuration progressive de l’Église chrétienne aux iie et iiie siècles à travers l’affirmation progressive de l’autorité des évêques. Comme l’indique son sous-titre, l’accent est ici mis sur l’étude des correspondances épiscopales. L’autrice entend démontrer que la pratique épistolaire a permis à ces évêques de mettre en place des réseaux à de multiples échelles qui ont progressivement favorisé l’affirmation d’une « Grande Église » – selon l’expression du païen Celse –, catholique et universelle, principalement à travers l’émergence des synodes qui constitueraient leur prolongement.

Ce livre conçu pour un large public, foisonnant et très suggestif, propose également une synthèse sur l’Église des iie et iiie siècles, conçue comme une réponse à une historiographie des origines du christianisme devenue trop fragmentée et qui se limiterait à des monographies sur des personnages particuliers ou des régions restreintes. M.-F. Baslez a choisi de centrer son étude davantage sur les préoccupations quotidiennes des évêques plutôt que, de manière traditionnelle, sur les controverses doctrinales. L’Église se serait essentiellement construite par des réponses circonstancielles aux problèmes de gouvernement des communautés locales et aux diverses crises qui l’ont secouée, notamment lors des persécutions du iiie siècle. L’autrice se propose donc de réaliser une histoire sérielle qui met en relation des lettres traitant de sujets similaires et écrites par des évêques d’époques différentes. Cette démarche refuse de faire ressortir les personnalités de certains évêques considérés par la tradition comme emblématiques, qui sont donc peu contextualisés, au risque de présenter ceux-ci d’une certaine manière comme des bâtisseurs interchangeables au service de la construction de la Grande Église. Cette approche peut rendre peu lisible la présentation de certains dossiers, comme celui, d’une importance centrale pour ce propos, des lettres de Cyprien de Carthage, qui se trouve dispersé au sein d’un plan thématique. On peut regretter, dans ce cadre, l’absence d’un index des personnages cités.

M.-F. Baslez, après avoir présenté une étude sociologique des évêques dans un premier chapitre, insiste sur la structuration très faible des Églises au iie siècle. L’existence de plusieurs évêques dans une même cité à la tête de différentes communautés, la distinction floue entre évêque et prêtre ainsi que la présence de prédicateurs itinérants, selon le modèle apostolique, ont contribué à cette organisation fluide. L’autrice montre comment les Églises ont été tributaires des institutions civiques et politiques du monde gréco-romain, notamment du modèle des associations religieuses païennes. Elle insiste aussi sur la nécessité d’éviter toute perspective religieuse évolutionniste qui disqualifierait le principe d’autorité charismatique, reposant entre autres sur la revendication de visions ou de miracles, en tant que maladie de jeunesse du christianisme primitif. Il ne conviendrait donc pas de porter un jugement négatif sur l’Église montaniste née en Asie mineure à la fin du iie siècle et qui a pu se maintenir au moins jusqu’au ive siècle.

Dans le cadre d’un second chapitre crucial pour son propos, M.-F. Baslez insiste sur le rôle d’évêques qui, comme Denys de Corinthe ou Polycarpe de Smyrne dans la seconde moitié du iie siècle, ont donné une certaine cohésion à des communautés chrétiennes autonomes selon une base civique grâce à leur activité épistolaire. Celle-ci est à l’origine de la création de réseaux épiscopaux ayant une structure que l’on pourrait comparer à des archipels. Ils ont permis à certains évêques d’être choisis comme médiateurs par des communautés voisines pour résoudre leurs conflits internes. Les débats théologiques semblent être restés secondaires par rapport aux liens interpersonnels. Les communautés chrétiennes auraient été plus troublées par la diversité des usages liturgiques locaux – comme la date de célébration de la fête de Pâques, que l’autrice met en rapport avec l’exigence d’orthopraxie, centrale dans les religions païennes de l’Empire. On peut cependant observer que ces réseaux n’ont que rarement dépassé le cadre régional au iie siècle et qu’ils étaient surtout centrés sur la Grèce et l’Asie mineure. Ils ne pouvaient qu’être éphémères puisque dépendants de l’activité et de l’autorité personnelle, morale et doctrinale, d’évêques particuliers.

M.-F. Baslez se penche ensuite sur l’affirmation progressive de la figure de l’évêque monarque en réponse aux crises qui ont divisé les communautés chrétiennes lors des persécutions de Dèce et de Valérien au milieu du iiie siècle. Les évêques se sont imposés dans leurs communautés par le biais de leurs prérogatives disciplinaires, en s’attribuant le droit de réintégrer les chrétiens ayant sacrifié lors de ces persécutions, les lapsi, et, inversement, d’excommunier les pêcheurs. La consolidation de l’autorité des évêques a logiquement conduit, en réaction, à la multiplication des schismes, notamment à Rome et à Carthage. Le dernier chapitre insiste enfin sur la construction progressive, dans la seconde moitié du iiie siècle, d’une communauté chrétienne unifiée se voulant catholique, principalement grâce à l’émergence des conciles régionaux. Le projet du pape Victor Ier (189-198) d’organiser de telles rencontres dans toutes les parties de l’Empire pour régler définitivement la question de la date de Pâques en constituerait les prémices, même s’il s’agit d’une entreprise isolée qui se solda par un échec. La diffusion de leurs décisions par le truchement de lettres synodales aurait ainsi permis de relier et de rapprocher les différentes Églises du monde romain. L’ouvrage s’attache principalement à montrer que ces conciles ont été préparés par les réseaux épistolaires épiscopaux existants au iie siècle, qu’ils auraient stabilisés. Ceux-ci étaient pourtant épisodiques, informels et n’avaient pas de caractère contraignant.

D’autre part, la tendance « fédérative » observée par M.-F. Baslez a surtout constitué un instrument de pouvoir aux mains des évêques des grandes métropoles, comme Rome et Carthage, qui ont mis en place et présidé ces conciles régionaux. L’autorité de ces évêques à l’échelon suprarégional restait en revanche dépendante, comme au iie siècle, de leur renom personnel et reposait sur des affinités électives et ponctuelles, tel que le montre le dossier des lettres de Cyprien ou la mobilisation d’évêques orientaux pour mettre en jugement Paul de Samosate. L’envoi réciproque de lettres de communion est cependant devenu crucial en raison de la multiplication des schismes. L’autrice insiste sur l’affirmation universelle au iiie siècle de la Grande Église, un concept qui a récemment été soumis à discussion. Celle-ci aurait été consensuelle et inclusive en raison du choix de la réintégration des lapsi après les périodes de persécution par opposition aux positions rigoristes de Novatien. La plupart des évêques ont en effet dû prendre parti dans ce débat qui a conduit à un schisme. On peut toutefois observer que la défense par Cyprien de Carthage du rebaptême des hérétiques et des schismatiques l’a amené à entrer en conflit avec le pape Étienne et à chercher des alliances en Asie mineure avec des évêques partageant une position tout aussi rigoriste, comme Firmilien de Césarée de Cappadoce. M.-F. Baslez évoque une approche de ces conflits entre blocs régionaux selon les méthodes de la géo-ecclésiologie qui aurait pu être davantage mise en valeur. Les Églises revendiquaient, à la fin du iiie siècle, de conserver leurs propres usages régionaux, en les validant éventuellement par la pratique conciliaire.

Les correspondances épiscopales du iie siècle proviennent principalement, à l’exception du dossier problématique des lettres d’Ignace d’Antioche, de l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe de Césarée rédigée à l’époque de Constantin. L’autrice s’est proposé d’en extraire « des éléments d’historicité, porteurs d’informations événementielles ou factuelles » (p. 17-18) en les dégageant tant de toute contextualisation littéraire que des considérations théologiques d’Eusèbe, qui seraient en partie anachroniques. Les problèmes liés aux méthodes de sélection utilisées par ce dernier, à partir de ses archives, sont évoqués uniquement dans l’introduction de l’ouvrage. Cet évêque n’a pourtant choisi de citer ou de résumer que des lettres d’évêques martyrs ou dont la production théologique était jugée utile. Il a donc proposé un dossier de lettres très hétérogène par leur répartition chronologique et géographique, surtout centré sur l’Asie mineure et la Grèce et, plus marginalement, sur l’Égypte et la Syrie. Le iie siècle est d’ailleurs très peu représenté. Le dossier des lettres de Cyprien, dont la publication a été préparée par leur auteur pour témoigner de son influence et de ses combats, occupe bien entendu une place disproportionnée dans cet ouvrage pour le iiie siècle, alors qu’il n’est pas forcément représentatif.

Ce livre est aussi inspiré par l’emploi croissant par la recherche universitaire anglo-saxonne du concept de réseau dans le cadre de l’étude du christianisme ancien. L’emploi de ce concept suppose des précautions méthodologiques, comme celles proposées par Adam M. Schor dans son ouvrage relatif à un évêque impliqué dans les controverses christologiques du ve siècleFootnote 2. Il est ainsi délicat de l’utiliser hors d’un cadre libre et électif en supposant, comme l’a fait l’autrice, que la participation à un schisme imposait de fait d’entrer dans un réseau qui serait dans ce cas contraignant. La longévité et la solidité de ces réseaux épiscopaux, que M.-F. Baslez a supposé pouvoir être dormants et facilement réactivés en période de crise, peuvent être mises en question étant donné leur nature informelle. Ces relations dérivaient aussi des rituels de sociabilité, d’amitié ou de patronage ayant cours au sein des élites païennes de l’Empire, dans le cadre du genre littéraire épistolaire très prisé et codifié. On ne peut néanmoins que recommander cet ouvrage stimulant pour tout lecteur curieux des origines du christianisme.

References

1 Marie-Françoise Baslez, Saint Paul. Artisan d’un monde chrétien, Paris, Fayard, 1991 ; ead., Les persécutions dans l’Antiquité. Victimes, héros, martyrs, Paris, Fayard, 2007.

2 Adam M. Schor, Theodoret’s People: Social Networks and Religious Conflict in Late Roman Syria, Berkeley, University of California Press, 2011.